– « Nous ferions mieux de partir », marmonna Simbady après un moment de silence.
Il préférait encore se retrouver sous l’eau que dans cet endroit macabre et suffocant.
La lueur des dalles s’ajoutant à celle de la lampe à huile, ils ne voyaient guère à plus de dix pas devant eux. Tout autour, c’était l’obscurité, menaçante, impénétrable. Ils étaient face à l’inconnu et jusqu’à présent, n’avaient pas encore vu les limites de cette grotte.
– « Partir ? » Répéta Rex, la voix légèrement tremblante. « Que dites-vous là ? Je gage que Mr Tonnerre lui-même n’a jamais rien vu de tel. Des reliques anciennes ? Non, pour moi, ce sont des ruines. »
– « Ces ruines ne vont pas s’en aller », rétorqua Simbady dans l’espoir de convaincre Rex de le suivre. « Nous pourrons revenir plus tard. Vos assistants et la Société des Métiers Extraordinaires attendent tous de vos nouvelles. »
En entendant parler de la société, Rex retrouva aussitôt son calme :
– « Vous avez raison. IL faut leur annoncer la bonne nouvelle! »
– « Alors allons-y de ce pas. »
– « Attendez! Il faut que j’emporte quelque chose à titre de preuve », dit Rex en tirant de son sac un poignard avec lequel il se mit à ciseler l’une des dalles. « Soyez tranquille, je n’en ai pas pour longtemps. Vous devriez faire de même. »
Simbady n’eut d’autre choix que de s’exécuter. Après tout, Rex était son employeur et il fallait bien qu’il prenne quelques risques pour ces 20 Royals d’or.
Il tenta de se convaincre que la grotte n’était peut-être pas aussi mystérieuse qu’elle n’y paraissait. C’était un peu sombre, certes, mais il n’y avait peut-être rien.
À chaque coup de couteau de Rex, un tintement amplifié dix fois dans l’air vif et froid résonnait contre les parois de la grotte.
Simbady s’aperçut également que sitôt que la dague transperçait la dalle, la lumière devenait plus vive, voire aveuglante.
Il secoua la tête pour tenter de chasser les pensées qui l’assaillaient.
Il n’était vraiment pas d’humeur à découper des dalles, aussi alla-t-il ramasser quelques objets de pierre qui gisaient non loin du mur chancelant, probablement des outils abandonnés par les ouvriers qui avaient fait porter ces dalles. Bien que ceux-ci fussent tout érodés par les eaux, il en choisit quelques-uns et les fourra dans son sac comme l’avait demandé Rex.
Ce dernier était toujours concentré sur sa découpe et avait déjà récupéré cinq ou six éclats de pierre de la taille d’un ongle.
– « Hé, je pense que ça suffit… », le pressait Simbady lorsque, tout à coup, il entendit un « cling » qui n’était pas comme les autres.
Celui-ci était plus grinçant et plus net, comme s’ils avaient été plusieurs à ciseler la dalle.
« Serait-ce un écho ? » Se demanda-t-il avant de réaliser que c’était impossible car ils ne s’étaient pas déplacés. Comment cet écho aurait-il pu surgir d’un coup ?
– « Rex… »
– « Une minute je vous prie. C’est le dernier. »
– « Arrêtez une seconde… »
– « Laissez-moi encore quelques minutes… »
– « Je vous dis d’arrêter! » Cria Simbady.
Abasourdi, Rex s’interrompit, le poignard en l’air. Le tintement cessa aussitôt mais le bruit qu’avait entendu le jeune homme persistait. On aurait dit qu’il se rapprochait lentement.
Rex, qui venait, lui-aussi, de réaliser que quelque chose clochait, fourra les morceaux de pierre dans sa poche et regarda autour de lui :
– « Qu’est-ce que c’est ? »
Au même moment, il y eut un éclair aveuglant au loin et Simbady put voir l’intrus.
C’était un grand scorpion du désert aux pinces aussi épaisses que le bras d’un homme et dont la queue dressée arrivait presque au niveau de leur taille. La pointe de cette queue contenait un venin vert qui, en cas de piqûre, s’avérait mortel à moins que la personne ne prenne un antidote dans les sept minutes.
– « Bon sang », dit Simbady. « Nous l’avons alerté avec le bruit que nous avons fait. » Puis, sortant son couteau, il ajouta : « Reculez lentement et surtout, ne détournez pas les yeux du scorpion. »
Les scorpions du désert étant des créatures peu intelligentes et plutôt lentes, ce n’était rien pour un guerrier Mojin de premier ordre. La seule chose qui pouvait constituer une menace mais aussi un point faible, était leur queue venimeuse. Si le scorpion n’atteignait pas sa cible, Simbady aurait une chance de la couper en deux.
Malheureusement, il n’était pas parmi les meilleurs guerriers et n’avait jamais chassé ni combattu de scorpions du désert, même si, enfant, il avait reçu une formation.
Cependant, il fallait essayer!
Une fois Rex caché derrière lui, Simbady lui dit à voix basse :
– « À présent, baissez les yeux et quoi qu’il puisse se passer, surtout, ne bougez pas! »
– « Je… je vois. »
Simbady se tourna et au moment où ses yeux rencontraient ceux du scorpion, celui-ci fonça sur lui. Il ne pouvait pas le voir dans l’obscurité mais entendait nettement ses pinces racler le sol.
C’était ainsi qu’attaquaient les scorpions du désert : ils attendaient le bon moment et profitaient d’une distraction de l’adversaire pour frapper.
– « Restez ici! »
Simbady se pencha légèrement en avant et posa la main droite sur la poignée de son couteau placé à gauche, une posture de combat généralement employée par le Peuple des Sables et qui lui permettait de surveiller sa droite sans perdre de vue l’ennemi qui lui faisait face.
Tandis que le scorpion approchait, Simbady fit un bond en avant et sortit son couteau.
Il y avait un éclair de lumière.
Il sentit que son couteau frappait quelque chose et la lame s’enfonça dans le scorpion aussi facilement qu’une épée dans de la graisse.
Il y eut un craquement et la moitié de la queue de l’animal se détacha, après quoi Simbady le poignarda à l’arrière de la tête.
Le scorpion du désert lutta faiblement puis cessa de bouger.
– « Impressionnant… » remarqua Rex en soupirant. « Le Peuple des Sables est vraiment très fort… »
– « Ne vous réjouissez pas si vite! » coupa Simbady. « Si j’en crois ce que j’ai entendu, il n’était pas tout seul! »
En état d’alerte maximal, il inspecta la grotte pour tenter de repérer la cachette de l’ennemi. La caverne étant rempli de dalles de pierre lumineuses, il aurait dû l’apercevoir sitôt qu’il se montrerait.
Mais tout était sombre à l’exception du plafond.
« Bon sang! » Pensa Simbady, réalisant soudain qu’il ne prêtait plus attention aux sources de lumière autres que ces tablettes.
Au moment où il levait les yeux, il vit une ombre plonger sur le sol en direction de Rex.
Pris de court, il donna un puissant coup de pied à son compagnon et l’envoya voler dans les airs au moment même où le scorpion touchait le sol. Celui-ci le frôla au passage.
Presqu’instinctivement, Simbady brandit son couteau et coupa la tête du scorpion en deux.
– « Ouf! » Soupira-t-il. « IL était moins une! Hey, tout va bien ? »
– « Je crois… »
Mais à peine Rex avait-il cessé de parler que de nouveaux bruits se firent entendre derrière le mur, de plus en plus forts et rapprochés. Finalement, toute la grotte se mit à trembler. On aurait dit qu’un monstre géant se traînait vers eux.
Simbady et Rex se regardèrent, le visage blême, puis le jeune homme agrippa le bras du marchand.
– « Vite! Courez! » Cria-t-il en l’entraînant vers la sortie.
Un instant plus tard, une lumière si éblouissante jaillit derrière eux que la caverne parut s’illuminer comme en plein jour.
Simbady vit alors un colossal scorpion du désert aux yeux gros comme des assiettes et à la coquille aussi dure que les récifs coralliens. Il s’agissait sans aucun doute d’une des offrandes sacrificielles légendaires faites aux Trois Dieux : le Scorpion Géant en Armure qui dominait le continent.
Il comprit alors pourquoi la lumière émanant du mur de dalles était devenue aveuglante, pourquoi de l’herbe poussait dans cette sombre grotte et d’où venait les lueurs qu’il avait vues auparavant.
La grotte était en fait le nid du Scorpion Géant en Armure.