Trois jours plus tard.
Tandis que le panier remontait lentement, Simbady émergea de l’eau.
– « Comment vous sentez-vous ? » Demanda Mélia avec enthousiasme sitôt son lourd casque ôté. « Le monde sous-marin est-il amusant ? »
Pour tout dire, ce n’était pas mieux que le désert et en dépit des nombreux animaux et plantes étranges, il n’avait guère apprécié l’expérience. À chaque fois qu’il descendait au fond de l’océan, il avait l’impression d’être englouti par d’oppressantes ténèbres. Simbady aurait bien voulu dire ce qu’il ressentait vraiment mais devant le regard de Mélia, il ravala ses paroles.
– « Eh bien… le paysage n’est pas mal. »
– « C’est formidable… Si seulement je pouvais aller jeter un coup d’œil », soupira la jeune fille.
En contemplant ses yeux noisette, Simbady se souvint qu’elle avait le même regard, un an et demi auparavant, en regardant les membres de son clan quitter le Port des Eaux Claires à bord du navire en ciment. À ce moment-là, nul ne sachant ce qui les attendait, tous étaient inquiets devant cet avenir incertain et elle s’efforçait de leur remonter le moral.
Le jeune homme se sentit mal à l’aise.
– « Bon travail. Je suis vraiment impressionné », commenta Rex, une seconde plus tard, en sortant de l’eau à son tour. Il enjamba le panier et frappa dans ses mains : « Vous avez un bon équilibre, une bonne capacité vitale et un bon sens de l’orientation. Par ailleurs, vous supportez très bien le froid. En d’autres termes, vous avez toutes les qualités d’un excellent plongeur. Est-ce naturel ou est-ce parce que vous venez du Peuple des Sables ? Sans vouloir vous vexer, d’après Mlle Mélia, vous n’êtes pas le meilleur guerrier de votre clan. »
Mélia lui tira la langue et s’en alla discuter avec les assistants de Rex.
– « Dans l’oasis où vivait le clan Fishbone se trouve un étang où, petits, nous faisions souvent des concours à qui plongerait le plus loin. On peut donc considérer que j’ai un peu d’expérience », répondit sèchement Simbady. « Mais Mélia vous a dit la vérité. Je ne suis pas le meilleur. Carlone lui, n’aurait besoin que d’une journée. »
– « Carlone ? Qui est-ce ? »
– « Le guerrier le plus puissant de la jeune génération. C’est aussi un excellent chasseur. En tout, il est aussi doué que les guerriers des grands clans. Ceci dit, il n’est venu travailler ici qu’une fois. Il doit se trouver quelque part au Port des Eaux Claires et à mon avis, il est trop tard pour le trouver. »
– « Vraiment ? » Fit Rex en haussant les épaules. « Je ne pense pas. »
– « Quoi donc ? »
– « Qu’il soit plus fort que vous », répondit Rex en retirant sa combinaison de plongée. « La qualité essentielle d’un plongeur, c’est un esprit ouvert. »
– « Un esprit ouvert ? » Répéta Simbady, perplexe.
– « Je veux dire capable d’accepter l’inconnu et de se dépasser. C’est toute la différence entre un étang et la mer », dit Rex en regardant le Port des Festivités. « Cet endroit subit actuellement des changements radicaux et vous dites que le dénommé Carlone n’y est venu qu’une fois ? Tout me porte à croire que vous êtes plus ouvert d’esprit que lui. Si je lui avais demandé de l’aide, je n’aurais sans doute pas réussi à le convaincre de plonger. »
Simbady leva les yeux au ciel :
– « Si j’ai accepté, c’est uniquement à cause de Mélia. »
Il aurait voulu partir avec ces dix Royals d’or mais la jeune fille était très intriguée par l’étrange tenue, aussi, sachant qu’ils avaient besoin d’un assistant pour récupérer les trésors, avait-elle immédiatement proposé son aide.
Simbady n’avait donc d’autre choix que d’accompagner Rex pour explorer la grotte car tant qu’il n’était pas certain que la combinaison de plongée soit sûre, il ne voulait pas que Mélia risque sa vie pour aider cet homme des Fjords. C’était beaucoup plus prudent de s’en assurer d’abord, même s’il savait qu’elle avait l’intention de prendre part à l’aventure.
Rex se mit à rire :
– « Mais vous vous êtes dépassé et avez mis le pied dans un tout nouveau domaine. Je comprends pourquoi c’est vous que Mélia préfère. »
– « Une minute! Qu’avez-vous dit ? »
– « Vous ne vous en êtes pas aperçu ? » Dit Rex en écartant les mains. « Cette jeune fille m’a beaucoup parlé de vous. D’après elle, enfant, vous étiez timide et fondiez facilement en larmes. En revanche, vous étiez curieux de tout, même si aujourd’hui, vous êtes beaucoup plus réservé. »
– « Si je comprends bien, elle vous a tout dit! » Répondit Simbady.
– « Elle est probablement plus à l’aise avec des inconnus », dit Rex en souriant. « Ceci dit, je ne connais pas grand-chose aux coutumes du Peuple des Sables. L’aptitude au combat est peut-être un facteur important pour évaluer une personne, mais il se peut aussi que vous soyez trop modeste. »
– « Vous n’en savez rien », grommela Simbady.
Au fond, Simbady ne détestait pas vraiment Rex. Si au départ, il entendait simplement garde l’œil sur lui pour protéger Mélia, chose incroyable, il discutait désormais facilement avec cet homme des Fjords. Depuis qu’il s’était aperçu que Rex ne s’adressait pas à lui sur un ton condescendant, Simbady se sentait beaucoup plus détendu vis-à-vis de cet individu qu’il trouvait très différent des nobles ou des marchands des Fjords.
C’était peut-être pour cela que Mélia se rendait si souvent au camp de la Société des Métiers Extraordinaires.
Après un moment d’hésitation, Simbady lui demanda pourquoi il le traitait d’égal à égal.
– « Pourquoi ? Il n’y a pas de raison particulière. Nous avons suffisamment souffert de discrimination et de mépris. »
Simbady fut un peu surpris de la réponse de Rex. Pour lui avoir proposé 30 Royals d’or, ce devrait être un homme riche et respecté. Pourquoi cette discrimination ? Il était sur le point de se renseigner davantage lorsque l’un des assistants survint :
– « Les essais sont terminés, monsieur. Nous commencerons quand vous le voudrez. »
– « Voulez-vous tenter ? » Demanda Rex en se tournant vers Simbady. « Vous êtes maintenant très familier avec la plongée. »
Réprimant sa curiosité, le jeune homme répondit :
– « À partir du moment où votre invention fonctionne… »
– « Bien sûr qu’elle fonctionne! Voilà dix ans que je fais des recherches. J’ai tout misé dessus pour en être certain. »
– « Pardon ? »
– « Euh… rien, laissez-tomber », répondit évasivement Rex en se détournant. « Cet après-midi, nous nous rendrons dans cette grotte et vivrons notre première aventure! »
S’il avait choisi de plonger l’après-midi, c’était simplement parce que l’ensoleillement leur permettrait de bénéficier d’une vue dégagée, les rayons atteignant 50 mètres de profondeur, et donc aussi la grotte située à mi-chemin de la paroi rocheuse.
Dans la soirée, avec le retrait de la marée, ils auraient de fortes chances de se perdre.
– « Rendez-vous à l’entrée », dit Rex, le pouce levé, après avoir enfilé son casque. Il grimpa ensuite dans le panier et s’enfonça dans la mer.
Un quart d’heure plus tard, Oeil Masqué fit un signe de tête à Simbady :
– « À votre tour. »
Simbady prit une profonde inspiration et enfila son casque. Mélia s’approcha pour vérifier les fixations et lui cria :
– « Vous réussirez! Je vous attends ici. »
Il la regarda, puis se détourna et se dirigea vers le panier.
La machine à vapeur se mit à rugir et Simbady descendit lentement. À mesure qu’il se rapprochait des vagues, il eut le sentiment que l’océan s’apprêtait à l’engloutir et durant une fraction de seconde, la terreur le prit.
Mais il se ressaisit, revit les yeux étincelants de Mélia et se remémora les paroles de Rex.
« Accepter l’inconnu et se dépasser… »
Simbady soupira : il était prêt à embrasser l’océan.
En un instant, son monde ne fut plus qu’un bleu pâle, translucide. Les rayons du soleil, en pénétrant les eaux, éclataient en scintillements lumineux.
Au bout de 20 mètres, le panier s’immobilisa et il aperçut devant lui l’entrée d’une grotte glaciale et insondable.