On aurait dit que les chevaliers du roi portaient une fine lame d’argent tandis qu’ils attaquaient l’arrière des troupes de Garcia qui se retiraient.
Ce fut le chaos, beaucoup tombèrent au sol en essayant de fuir pour finir piétinés par les chevaux.
Parfois, certains d’entre eux tiraient les armes et tentaient de résister aux attaquants, mais contre ces chevaliers qui leur étaient supérieurs, ils furent rapidement mis en pièces. Cette offensive incoercible était dirigée par un chevalier d’élite du camp de la Crête du Vent Glacé. Le chevalier Neiman se trouvait en première ligne. En outre, sa cape bleue qui flottait au vent derrière lui attirait particulièrement le regard : où qu’il aille, l’ennemi tentait de fuir. Chaque fois que son épée frappait, elle se trouvait couverte de sang.
Timothy Wimbledon était à distance sur une petite colline, surplombant tout le champ de bataille. À ce stade, les trois mille hommes des troupes de Garcia n’étaient plus en mesure de consolider leur formation. A chaque seconde, ils se dispersaient davantage ce qui freinait considérablement leur marche.
« Ils ne tiendront plus longtemps », pensa Timothy, « lorsque la deuxième troupe attaquera, ils s’effondreront. Ces gens ne peuvent résister à l’assaut des chevaliers d’élite de Graycastle. La plupart d’entre eux ne portent même pas d’armure : au moment où une lame pointue s’approche d’eux, ils perdent toute volonté de se battre. »
Tout se déroulait presque exactement comme il l’avait prévu. Après avoir passé une heure à contourner Eagle City, ils se détournèrent et traversèrent une forêt clairsemée pour finalement rejoindre la route. De retour sur celle-ci, Timothy ordonna à ses chevaliers de foncer et une heure plus tard, ceux-ci avaient rattrapé Garcia.
Selon le conseil du Duc Frances, Timothy avait divisé son armée en trois équipes d’environ trois cents chevaliers qu’il faisait tourner à tour de rôle pour attaquer l’ennemi de différents côtés. De cette façon, il gardait toujours des troupes en arrière, prêt en permanence à envoyer des renforts si cela s’avérait nécessaire. Afin d’éviter de se retrouver encerclés, ses chevaliers n’étaient pas autorisés à attaquer le centre de la formation de l’ennemi. Ils avaient pour consigne de procéder par les flancs. Au moyen de coups brefs et rapides, ils n’atteindraient que ceux qui se trouvaient au bord, chacune des attaques ne tuant que quelques douzaines de personnes.
Cette tactique s’avéra très efficace. Au bout de plusieurs offensives, l’ennemi avait déjà perdu plus d’une centaine d’hommes, et n’était même plus en capacité de se défendre. Ils tentèrent bien d’organiser une contre-attaque avec leur propre cavalerie, mais la différence d’équipements et d’entraînement entre les hommes était trop importante. Comparé aux chevaliers du roi, cette cavalerie hétéroclite improvisée n’était qu’une troupe d’infanterie montée sur des chevaux. Au moment du face à face, cette « cavalerie » constitués des hommes qui avaient été assez braves pour se lancer dans la bataille fut purement et simplement décimée. Les plus chanceux parvinrent à se disperser.
Ce massacre unilatéral porta un grand coup au moral des troupes ennemies, et bientôt Timothy remarqua que certains des hommes de Garcia se séparaient de la formation et s’enfuyaient dans toutes les directions.
« Le moment est venu pour nous de lancer notre principale offensive », pensa-t-il.
Lorsque le Chevalier du Vent Glacé revint de l’attaque, plutôt que lui ordonner de recommencer une nouvelle série de tactiques de choc, Timothy lui fit signe de le rejoindre.
– « Votre Majesté, leur formation ne va pas tarder à tomber en pièces », dit Neiman.
Il essuya son front ruisselant de sueur, ce qui laissa des traces sanglantes sur son visage. Il s’agissait bien sûr de sang ennemi, car depuis le début de la bataille, le chevalier n’avait pas été blessé.
Timothy prit son propre mouchoir et le lui tendit :
– « Bien joué, vous pouvez prendre une pause à présent. Il est grand temps de porter le coup fatal. »
Lorsqu’elles s’aperçurent que la prochaine vague d’offensive de choc ne venait pas, les troupes de Garcia réalisèrent que le moment décisif était venu. Le vaste groupe s’arrêta, se rassembla sans se presser en une formation serrée. Tous les soldats situés le plus à l’extérieur portaient une pique en bois et la levèrent, attendant l’impact.
En voyant cela, Timothy se moqua : à ses yeux, ce n’était rien de plus que le dernier sursaut d’un mourant. « Sans barricades, sans armure, rien qu’avec votre chair et votre sang, vous voulez résister à l’impact puissant de mes chevaliers ? Vous courez à la catastrophe. Quelles que soient les cartes qu’il vous reste, ma chère sœur cadette, vous n’y changerez plus rien. Il se pourrait même que vous soyez déjà loin, laissant ces hommes mourir pour vous laisser le temps de fuir. »
Mais il ne tarda pas à s’apercevoir qu’il s’était trompé.
De la foule s’éleva une fois de plus la bannière de la Reine de Clearwater. En voyant ce drapeau vert décoré d’un voilier et d’une couronne flotter au vent, Timothy fronça les sourcils. Le roi leva son binocle et examina l’ennemi de plus près. Derrière les guerriers qui tenaient le drapeau, il aperçut aussitôt la silhouette floue d’une femme qui semblait crier des ordres. Même s’il ne voyait pas nettement son visage, ses cheveux gris qui ondulaient au vent révélaient son identité.
Ainsi, Garcia Wimbledon n’avait pas fui.
Timothy prit une profonde inspiration :
« Cela ne signifie qu’une chose : cette farce prendra fin ici. Je n’aurai pas à la suivre jusqu’au Port de Clearwater. »
Lorsque les chevaux furent pleinement reposés, le nouveau Roi donna le signal pour lancer l’attaque principale.
La cavalerie, formée par les chevaliers et les écuyers, était forte d’environ huit cents hommes qui, sous la direction des Chevaliers du Roi, donnèrent l’assaut à l’ennemi. Une fois de plus, Neiman Moor, le Chevalier du Vent Glacé, était en tête.
Mais au moment même où ils s’apprêtaient à frapper, des deux côtés de l’horizon surgirent soudain d’innombrables troupes. Après avoir poussé d’étranges cris de guerre, celles-ci se précipitèrent en direction de la bataille.
Timothy ne pouvait croire ce qu’il voyait.
Ces soldats, qui ne portaient ni drapeaux ni emblèmes, ne ressemblaient à aucune force connue du royaume. En observant plus attentivement, Timothy vit qu’ils portaient tous des armures et armes différentes. Mais de par leur haute taille et leurs visages étranges, ils ne pouvaient venir que d’un seul endroit.
Le Peuple des Sables de l’Extrême Sud!
Nul besoin de se demander plus longtemps s’ils étaient amis ou ennemis : Garcia était bien capable d’avoir conclu un accord avec eux, ramenant ces fichus étrangers au sein du Royaume de Graycastle. A la seule pensée de ce que cela signifiait, Timothy brûlait de rage, il cria aussitôt :
– « Donnez le signal, abandonnez l’attaque! »
Mais il était trop tard, à cette vitesse, un assaut serait impossible à stopper dans un si court laps de temps. Ses chevaliers pénétrèrent au cœur des troupes de Garcia, les transperçant comme le ferait un couteau chaud dans une motte de beurre. Ils n’avaient qu’un seul but : atteindre la Reine de Clearwater.
Timothy, impatient, regardait en direction de la bannière flottante, espérant qu’elle se briserait: les troupes du Peuple des Sables, fortes d’un millier d’hommes chacune, arrivaient des deux côtés, ce qui porterait les forces de Garcia à cinq mille personnes. Timothy était incapable de faire face à une telle armée. En outre, le Peuple des Sables représentait une grande menace, même pour ses chevaliers. Ce n’est qu’en tuant le chef ennemi, en coupant le mât qui portait le drapeau et en brisant les forces de Garcia qu’il aurait encore une chance de gagner.
Cependant, même si le mât du drapeau oscillait un peu, il était toujours debout.
Enfin, le Peuple des Sable parvint à les encercler totalement, bloquant la dernière issue possible aux chevaliers, et se jeta dans la bataille.
Sans ces renforts, les trois mille désespérés de Garcia auraient été vaincus depuis longtemps. Mais pour le moment, ils tenaient bon, et tels un marécage, engloutissaient les chevaliers l’un après l’autre.
En entendant les cornes donner le signal du retrait, les chevaliers qui étaient plus proches du bord tentèrent de se libérer pour se précipiter vers le roi. Mais bon nombre d’entre eux, qui s’étaient avancés plus loin au sein des forces ennemies, étaient à présent pris au piège, y compris le Chevalier du Vent Glacé.
Pour le moment, il se battait contre un guerrier des Sables de 9 pieds de haut et respirait avec difficulté. Son adversaire agitait un bâton de bois de la taille de deux hommes, ce qui ouvrait une petite zone de combat. Malheureusement, la monture de Neiman avait été piétinée à mort, et ce n’est que grâce à sa réaction et à son agilité extraordinaire qu’il était parvenu à rester en vie. Mais sans monture, sa lourde armure épuisait rapidement ses forces physiques. Alors qu’il faisait un nouveau pas de côté pour essayer d’esquiver, son pied glissa et le bâton le frappa en pleine poitrine. La puissance de l’attaque était telle que son armure se brisa en deux.
Sa cape bleue flotta encore une fois au vent avant de disparaître dans la mêlée.
Une demi-heure plus tard, le nombre de chevaliers qui combattaient encore était considérablement réduit. Lorsque les gens des Sables se tournèrent en direction de la colline où se tenait Timothy, ce dernier serra les dents et donna l’ordre de se retirer.
Ses troupes battirent en retraite par le nord.
De l’imposante armée qu’il avait menée au combat, ne restaient au nouveau Roi que trois cents hommes.