Roland appela aussitôt la Troisième Ville Frontalière :
– « Dites à Céline de ne pas démonter le Cube Magique. Il faut immédiatement que je la voie! »
– « Oui… Entendu, Votre Majesté! », répondit l’opératrice à l’autre bout de la ligne, même si elle n’avait aucune idée de ce qui se passait.
Le Roi se tourna ensuite vers Rossignol :
– « Emmenez-moi au plus vite là-bas! »
– « Aucun problème », dit la sorcière avec un sourire en lui prenant la main : « Mais il est possible que vous soyez un peu étourdi. »
En une seconde, ils disparurent dans la Brume et cinq minutes plus tard…
« Ouf…enfin! » Pensa Roland, la main sur la bouche et un peu perdu en arrivant dans la salle souterraine. Comparé au jour de leur rencontre, Rossignol s’était nettement améliorée. Elle glissait avec grâce et sans effort à travers les vagues de son monde en noir et blanc. Mais pour lui, le voyage ne fut guère plus agréable que s’il était monté sur les montagnes russes. Des formes floues passaient à toute allure devant lui. Son estomac se révulsait et le monde semblait dissous dans un tourbillon grisâtre.
Rossignol lui tapota le dos avec un sourire compréhensif.
– « Que se passe-t-il Majesté ? » Demanda Céline en se laissant lentement glisser du plafond de la grotte, un tas d’outils entre ses tentacules. « Vous vouliez me voir ? »
Lorsqu’il l’aperçut avec un marteau, une scie et une lime, Roland poussa un soupir de soulagement :
– « Il semblerait que j’arrive juste à temps. »
Il aperçut également un trident et une hache et se demanda ce que Céline comptait en faire. Avait-elle l’intention de broyer le cube ?
– « Où est l’artefact ? »
– « Toujours dans le laboratoire souterrain. »
Roland prit une profonde inspiration et demanda :
– « Seriez-vous capable de le reproduire ? »
Légèrement prise au dépourvu, la sorcière s’enquit :
– « Êtes-vous certain de vouloir le reproduire ? N’est-ce pas juste une camelote inutile ? »
– « Pas si inutile à mon sens. » Il fit part de son idée à Céline : « Le plus gros inconvénient de la vapeur réside dans la consommation de combustibles. Si nous pouvions les remplacer par un Cube Magique, cela pourrait entraîner une seconde révolution industrielle. »
Le but ultime du développement industriel, en effet, était la recherche d’une ressource efficace et puissante capable de tout modifier, y compris les processus de fabrication, la manière de générer de l’énergie ou encore les installations.
Néanmoins, cela ne serait pas une étape facile à franchir car il ne suffirait pas de remplacer la chaudière traditionnelle par le cube. Ce changement de méthode entraînerait la modification du système thermique, le système de contrôle, des réparations et de l’entretien. Avant d’y parvenir, ils essuieraient certainement de nombreux échecs mais cela valait la peine d’essayer.
– « Chauffer de l’eau… je vois », dit Céline, pensive. « Mais si je ne peux explorer sa structure interne, il me sera très difficile de le reproduire. N’oublions pas qu’il s’agit d’un dispositif magique et vous m’avez interdit de le démonter. »
Roland se racla la gorge :
– « Je voulais dire qu’il ne faut pas le démolir comme s’il s’agissait d’une vulgaire camelote », répondit-il. « Je voudrais que vous le démontiez d’une manière méthodique et minutieuse à des fins de réplication. »
– « Parce qu’il existe une méthode de démontage approximative ? » Demanda Céline, étonnée. « À la Société de Recherches, vous auriez été châtié si vous manipuliez une relique sans précaution. Personnellement, cela ne m’est jamais arrivé. Dame Natalya parlait de moi avec fierté et disait que j’avais des doigts habiles. Si j’avais été aussi peu précautionneuse, il n’y aurait certainement plus de noyaux ni d’instruments magiques dans la salle à l’heure qu’il est. »
Face à cette argumentation quelque peu vantarde, Roland lui jeta un regard sceptique et demanda :
– « Utilisiez-vous de tels outils pour démonter les reliques à l’époque ? »
– « Ceux-ci ? » Fit Céline, un peu surprise. « Ne venez-vous pas de nous remettre de nouvelles armes ? Ces épées et ces haches étant désormais inutiles, plutôt que de les ranger dans l’entrepôt, j’ai pensé qu’il vaudrait mieux les utiliser à bon escient. Il me faut justement des casiers à livres. En passant, vous pensiez qu’il s’agissait d’outils destinés aux recherches ? »
Secouée de rires, Rossignol se détourna, la main devant sa bouche.
Un peu gêné, Roland répondit :
– « Non, je craignais juste que vous ne soyez trop enthousiaste parce qu’il s’agit de pouvoir magique… »
– « Cela vient sans doute de Pasha », dit Céline en passant son principal tentacule sur son corps globuleux. « Elle ne sait pas faire la différence entre un engouement et un passe-temps… Un vrai chercheur doit toujours avoir l’esprit clair pour contrôler avec précision son comportement et c’est chose courante pour lui que de travailler jour et nuit ou de marmonner en lisant un livre… »
– « Soit », intervint Roland pour couper court, « revenons au Cube Magique. Êtes-vous certaine qu’une fois que vous en connaîtrez la structure, vous serez à même de le reproduire ? »
– « Cela dépend de sa complexité », répondit Céline en reprenant aussitôt son ton habituel. « Je ne peux rien vous promettre dans l’immédiat, mais il y a de fortes chances car ce qu’il y a de bien avec ce cube, c’est que sa manipulation ne requiert pas de pouvoir magique, ce qui résout déjà le plus gros de la difficulté quant à sa reproduction. »
– « Vous voulez dire que le plus difficile est de reproduire le pouvoir magique! » S’exclama Roland qui venait de comprendre.
– « Exactement », répondit la sorcière. « Les Diables, les humains et la civilisation souterraine, en raison de divergences physiques et psychologiques, n’utilisent pas du tout le pouvoir magique de la même manière. Jamais, comme les Diables, nous ne pourrions acquérir de multiples capacités simplement en insérant dans nos corps des Pierres Magiques. De la même manière, si je n’avais pas pris ce corps, jamais je n’aurais pu réparer le noyau magique.
« Le fait que le Cube ne nécessite pas de pouvoir magique signifie que nous n’avons pas besoin de savoir quel type de cyclone magique possédait et utilisait cette civilisation disparue. En toute franchise, jamais nous ne pourrions comprendre cela sans une documentation pertinente. Cependant, il nous suffit aujourd’hui de reproduire l’objet pour obtenir le même effet magique. Il est certain que ç’aurait été difficile à l’époque de Taquila, mais nous avons désormais le noyau magique que je peux ajuster à tout moment. »
Céline marqua une courte pause avant de poursuivre : « Mais nous avons un autre problème. »
– « Lequel ? »
– « Le matériau », répondit-elle. « J’ai fait des recherches sur le Cube Magique. Il semble fait de pierre mais en réalité, ça n’en est pas. J’ignore ce qui le compose, sans doute des os provenant de cette civilisation ou autre matériau solide. Quoi qu’il en soit, j’aurai besoin de beaucoup d’échantillons… Vous avez dit un jour que le Temple des Maudits avait été pillé il y a des années. C’est par pure chance que nous avons trouvé ce Cube aussi j’ignore si, en utilisant un matériau de substitution, la réplique fonctionnera de la même manière que l’original. »
– « Je connais peut-être un endroit où vous pourrez trouver des matériaux similaires », dit Roland, après quelques secondes de réflexion, en regardant vers le Sud.
La région avait sans doute beaucoup changé avec le temps mais si les peintures murales disaient vrai, ils y trouveraient peut-être ce qu’ils cherchaient.