Après que Roland eut raccroché, Rossignol déposa sur son bureau un anneau blanc argenté.

Composé de deux fragments d’aluminium et spécialement conçu pour les pigeons voyageurs, celui-ci pouvait contenir un rouleau de papier de la taille d’une paume. Grâce à cet anneau et au “papier ultra fin” créé par Soraya, ils pouvaient transmettre davantage de messages simultanément car il n’était plus nécessaire de les attacher aux serres du messager. 

Afin de prévenir les accidents en cours de route, chaque Bureau Administratif local avait mis en place un poste de relai pour que les messagers qui avaient à parcourir plus de 500 kilomètres puissent prendre un peu de repos. Afin de trier plus efficacement le courrier crypté, un code d’identification similaire à celui des billets de train de la société moderne a été gravé dans l’anneau, indiquant immédiatement aux personnes chargées du courrier d’où provenait cette lettre cryptée et où elle devrait être acheminée. 

La lettre C inscrite sur cette bague représentait le Royaume de l’Aube. Pour des raisons de sécurité et de confidentialité, Roland avait décidé d’utiliser la première lettre du nom de chaque pays dans l’orthographe Pinyin* au lieu des caractères standard couramment utilisés dans les Quatre Royaumes. 

– « Provient-elle de la Cité de l’Épine ? » Demanda le Roi en haussant les sourcils. « Quand l’avez-vous reçue ? » 

– « Il y a dix minutes à peine que Honey me l’a remise », répondit la sorcière. « Mais comme vous étiez au téléphone, j’ai attendu que vous ayez terminé pour vous la remettre. »  

 « Auraient-ils trouvé quelque chose de nouveau dans les ruines du Mont Cage ? »  Se demanda Roland en desserrant la bague.  

La lettre étant un peu longue, il lui fallut environ sept minutes pour comprendre ce que le garde essayait de lui dire. 

– « Je ne m’attendais pas à ce que l’Église vienne demander l’aide de Graycastle », dit-il, impressionné, en reposant la missive.

Il savait que jamais l’Église, qui avait abandonné Hermès, ne pourrait planifier son retour cependant cela ne lui ferait pas de mal de les aider à éliminer un noble local. Ironie du sort : celui-là même qui avait porté un coup fatal à ces fugitifs n’était autre qu’un ancien Evêque.  

– « Savez-vous où se trouvent ces chiens qui ont fui la Cité Sainte en abandonnant les orphelines du monastère ? » Demanda Rossignol sur un ton empreint de curiosité.  

– « Si ce que dit la lettre est exact, c’en est définitivement fini de l’Église », répondit Roland en lui tendant la missive. « Le dernier espoir a été le coup de grâce. »  

La sorcière parcourut la lettre et regarda le Roi : 

– « Que comptez-vous faire ? » 

– « Étant donné que le majordome du Comte de l’Île du Grand-Duc a tout avoué et que nous savons maintenant où se trouve le trésor, nous enverrons bientôt des hommes au Royaume de Wolfheart », répondit Roland en tapotant doucement son bureau. « La réaction du Cube Magique de Cérémonie à l’échantillon d’uranium enrichi indique que les peintures murales retracent certainement des histoires vraies. Pour ce qui est de Feryna, le Pape par intérim… il faut les rapatrier ici, elle et Joe, pour un interrogatoire approfondi. » 

– « J’étais certaine que vous diriez cela », commenta Rossignol avec un léger sourire.

– « Et moi que ma réponse ne vous plairait pas », ajouta prudemment le Roi. « Après tout, vous avez été persécutée par l’Église. »   

– « J’ai toujours haï cette institution. Pour tout vous dire, à un moment donné, j’en étais même venue à détester les hommes », reconnut la jeune femme. « Mais depuis que je sais que c’était en fait un plan d’Alice qui avait tout donné pour que la race humaine puisse se perpétuer, j’ai changé d’avis. Je ne la déteste plus, je la trouve simplement pathétique. De plus, l’Église instaurée par la Cité des Météores n’existant plus, quand bien même je voudrais me venger, je n’aurais plus personne sur qui le faire. »  

– « Ainsi vous détestiez les humains ? »  Demanda Roland, surpris.  

– « Pourquoi ? Cela vous perturbe ? » Répondit la sorcière en le fixant. « Je n’ai pas choisi de m’éveiller à la magie. Pourquoi les gens me détestaient-ils comme si j’étais une horrible maladie alors que je n’ai rien fait de mal ? « Vous me rejetez, pourquoi devrais-je me montrer amicale avec vous ? » C’était ainsi que je voyais les choses à l’époque et je puis vous assurer que la plupart des sorcières partageaient ce sentiment. » 

– « Est-ce la raison pour laquelle vous avez un jour fait irruption dans ma chambre un poignard à la main ? »  

– « Vous avez eu de la chance, vous savez! » Répondit la jeune femme en riant. « Si je ne détestais pas nécessairement tous les gens, je méprisais les nobles. S’il n’y avait pas eu Anna, jamais je n’aurais pris la peine de m’asseoir et de discuter avec vous. Auriez-vous oublié comment les gens m’appelaient jadis ? » 

« Non bien sûr », pensa Roland. « Vous étiez la Tueuse de l’Ombre, un assassin fantôme qui faisait frémir tous les aristocrates de l’ancienne capitale. 

– « Alors vous avez joué avec moi… »

– « Uniquement pour vous pousser à révéler votre véritable nature », répondit Rossignol avec un rire étouffé. « Je voulais qu’Anna comprenne que les nobles étaient d’écœurantes créatures. Malheureusement… » 

 « Que regrettez-vous ? De ne pas avoir réussi à persuader Anna de quitter Border Town ou que votre petit jeu avec moi ait échoué ? » Pensa le Roi qui prit un air sombre et répondit : 

– « Dans ce cas, j’ai vraiment eu de la chance. »   

– « Il est très facile d’adopter un comportement extrême lorsque l’on a de la rancune contre quelqu’un », dit la sorcière pour justifier son attitude en tapotant l’épaule de Roland : « Mais très vite, j’ai compris que vous étiez aussi différent des autres nobles que moi et j’ai décidé de vous faire confiance. »  

– « Dois-je vous remercier ? » 

– « Je vous en prie », répondit-elle d’un ton neutre. « Depuis que j’ai appris l’existence des Purifiées et de cette fameuse Cléo, j’ai laissé ces idées infantiles de côté. » 

– « Eh bien! Vous en avez fait du chemin », commenta Roland en soupirant. 

– « Pourquoi ai-je l’impression que vous n’êtes pas très joyeux ? »  Demanda Rossignol en se penchant pour le regarder, ses cheveux caressant sa joue. « Vous n’aviez pas l’air si triste il y a encore un moment… » 

Sur ce, elle se glissa dans sa Brume et réapparut sur une chaise longue, un morceau de poisson séché entre les lèvres. Elle lui fit un clin d’œil triomphant.  

Roland serra les dents et alors qu’il se levait dans l’intention de lui faire comprendre qui était le Roi, le téléphone sonna.

C’était la ligne du directeur du Bureau Administratif.

Jetant à Rossignol un regard qui voulait dire « vous ne perdez rien pour attendre », il décrocha. 

– « Votre Majesté », dit Barov à l’autre bout de la ligne, « une personnalité de l’ancienne capitale demande à vous voir. » 

Comme il était rare qu’en tant que bras droit du Roi, Barov annonce lui-même les visiteurs, Roland, intrigué demanda :  

– « De qui s’agit-il ? » 

– « De Monsieur Carmine Fels, le grand dramaturge », répondit Barov, un soupçon d’excitation dans la voix.

– « Comment ? Il est encore là ? » S’écria le Roi en fronçant les sourcils, irrité.  N’avait-il pas été suffisamment clair dans sa dernière lettre ?  « J’ai beaucoup à faire donc s’il n’a rien de vraiment important… »

– « Justement si, Majesté », coupa Barov qui lui expliqua aussitôt le but de cette visite.  

– « Vous en êtes bien sûr ? » Demanda Roland, un peu surpris. 

– « Ce sont ses paroles exactes! »

À ces mots, le Roi eut une idée. Après un moment de silence, il ordonna : 

– « Conduisez-le au salon du château. Je le retrouverai là-bas. »

NDT : Le Hanyu Pinyin est un système de retranscription phonétique des caractères chinois dans notre alphabet courant.