Au même moment, les Diables lancèrent un assaut contre les deux flancs de la Première Armée.
En moins de deux minutes, alors qu’ils étaient à 1500 mètres du camp, ils se retrouvèrent à moins d’un kilomètre. Si cela s’était produit en plein jour, les soldats auraient eu tout le loisir de les apercevoir à cette distance. Cependant, l’obscurité les affectait considérablement et bien que Sylvie ait immédiatement informé l’officier de liaison du mouvement des Diables, l’Armée n’avait pas réagi assez rapidement.
Mais le plus étonnant était de voir l’ennemi s’aplatir sur le sol lorsque les obus pleuvaient. Grâce à leurs membres puissants, ils rampaient assez vite et les mitraillettes étaient beaucoup moins efficaces.
Aux yeux de Sylvie, les mitrailleurs étaient invincibles. Ils pouvaient parer toutes sortes d’attaques et anéantir un ennemi dans leur ligne de mire aussi vite que les fermiers fauchaient leur blé. La Guerre d’Unification de Graycastle et la défaite de l’Église en étaient de parfaits exemples.
Cependant, cette fois, les balles n’atteignaient pas les Diables qui rampaient dans l’obscurité.
Sylvie avait beau les prévenir aussitôt, les soldats ne pouvant pas voir où les balles atterrissaient, ils ne pouvaient corriger leur tir.
Heureusement que de l’autre côté, l’offensive était efficace. Le manteau noir bloquant uniquement l’œil Magique mais pas les obus, ceux-ci traversaient le champ de bataille à une distance de trois kilomètres, illuminaient de ciel d’encre et explosaient, faisant jaillir du voile noir membres brisés et éclats de pierre.
En fonction de son angle mort et de la vitesse à laquelle l’ennemi tiraient ses projectiles, Sylvie déduisit que les Diables Araignées avaient formé des colonnes, seul moyen pour eux d’être le plus nombreux possibles dans un espace aussi réduit.
– « Continuez à tirer! Avancez 20 mètres par 20 mètres! » Cria Sylvie dans le Sceau d’Écoute.
– « Compris! »
Dans l’immédiat, le plus important était d’empêcher l’adversaire de lancer d’autres frappes à longue distance. Tant que la ligne de défense tenait bon, il serait difficile aux Diables de la franchir. Plus ils seraient proches du campement, plus il serait facile pour les soldats de les localiser. Par ailleurs, la Première armée ne disposait pas que de mitraillettes.
Mais si la ligne de défense venait à être brisée, toute l’armée risquait d’être anéantie.
Toujours sur le front, Fish Ball, qui priait pour qu’aucune aiguille de pierre ne lui tombe sur sa tête, serra les dents et alla prendre sa position de tir.
En fait, il fut surpris d’avoir eu le courage de sortir de la tranchée. Autrefois, il aurait mouillé son pantalon et imploré le commandant d’épargner sa vie.
Était-ce le fait qu’on lui ait dit qu’il n’était pas un lâche, à moins que ce ne soit le rugissement de l’artillerie qui le rendait plus audacieux, quoi qu’il en soit, il parvint à rester à son poste, évitant ainsi d’être le premier officier militaire exécuté pour désertion. Il n’était peut-être qu’un chef d’unité mais il se devait de donner l’exemple à ses hommes. Ceci dit, jamais, en temps normal, il n’aurait accepté une mission aussi risquée, lui qui chérissait la vie plus encore que l’argent.
Force lui fut de constater que l’armée était quelque chose d’incroyable. Il suffisait qu’un premier soldat sorte de la tranchée envers et contre les balles pour que le reste suive. L’atmosphère ayant atteint un certain seuil d’intensité, son cerveau cessait de fonctionner et il suivait machinalement la procédure.
« Capitaine, la cartouche est en place! » Crièrent ses hommes.
Fish Ball prit une profonde inspiration et baissa la gueule du Mark I. Bien qu’il fût membre de l’équipe de mitrailleurs anti-aériens, son arme était équipée d’un viseur arrière et d’une lunette lui permettant de cibler des ennemis au sol. Les deux déflecteurs situés de part et d’autre de sa mitrailleuse visaient principalement à le protéger des lances. Une fois qu’il les aurait abaissés, son dos ne serait plus protégé. Il allait donc devoir rester le plus près possible des plaques et prier pour ne pas être touché en tirant.
À moins d’être tué sur le coup, Mlle Naela pourrait le guérir, à condition que le personnel médical de campagne réagisse au plus vite.
S’efforçant de surmonter sa peur, Fish Ball poussa un grognement et pressa la détente, criblant de balles l’air épais.
Il y avait tant de bruits d’explosions sur le champ de bataille qu’il pouvait à peine distinguer les tirs des Canons de Forteresse de l’attaque des Diables Araignées.
De temps en temps, des aiguilles de pierre noire effleuraient son oreille ou venaient frapper les déflecteurs. La mort était si proche que Fish Ball, devenu insensible, ne pensait plus qu’à une chose : tirer.
– « Munitions épuisées! Rechargement! »
– « Je…j’arrive! »
– « Où est la cartouche ? »
– « Ici! »
Lorsqu’enfin il aperçut la silhouette des Diables, Fish Ball entendit le déclic du verrou. Il venait juste d’épuiser la troisième cartouche de balles.
– « Rechargement! »
« Personne ne m’entend ? Mais que faites-vous, les gars ? »
Brusquement, il se retourna et vit les deux autres soldats allongés sur le sol, le corps transpercé d’aiguilles noires teintées de sang.
Sur le coup, Fish Ball se raidit puis, réalisant ce qui venait de se passer, cria de toutes ses forces :
– « Équipe médicale! Quelqu’un a besoin d’aide! »
Mais seul un rugissement tonitruant lui répondit.
Les mortiers venaient de rejoindre le combat. Des centaines d’obus montaient dans les airs et retombaient en pluie sur une zone située entre 400 et 800 mètres du périmètre défensif.
Pendant une fraction de seconde, des flammes s’épanouirent au-dessus du sol, illuminant à la fois les Diables et les taches de sang qui maculaient les déflecteurs de sa mitrailleuse.
C’était le moment que Sylvie attendait.
Si la Rivière Noire avait affaibli l’attaque des Diables Araignées, le train ne les avait pas totalement arrêtés. De temps à autres, ils envoyaient un pilier de pierre sur les soldats, causant davantage de dommages à la Première Armée. Même si Ayesha, Shavi et Molly soutenait pleinement les soldats, il leur était impossible d’avoir l’œil sur toute une ligne défensive de plus de 200 mètres.
La seule chose que Sylvie puisse faire, lorsqu’elle n’avait pas à donner de consignes de tir, était de savoir au front qui avait besoin d’aide.
Soudain, la voix de Maggie retentit dans le Sceau d’Écoute :
– « Ici l’artillerie, Goo! Les sorcières de Taquila ont éliminé tous les Diables qui avaient envahi le camp, Goo! Le commandant Van’er vous fait savoir qu’il est prêt à tirer et attend vos instructions, Goo! »
Sylvie serra le poing :
– « Restez là-bas! Ce sera plus rapide pour moi de communiquer via le sceau que par téléphone! »
– « Compris, Goo! »
Au moment même où l’artillerie était sur le point de riposter avec ses quatre Canons de Forteresse, les Diables, comme s’ils s’y attendaient, cessèrent d’attaquer.
Un sifflement strident retentit dans les airs et l’armée ennemie reflua, abandonnant sur place ceux qui se trouvaient sur la ligne de front.