« Que s’est-il passé ? »
Foudre sentait sa tête flotter. Lorsqu’elle reprit ses esprits, elle était entourée d’une multitude de longues aiguilles noires aussi épaisses que le doigt d’un homme. Ces cristaux sans éclat, tels des épées noires, avaient atterri à proximité du chemin de fer, pointe vers le bas.
C’est alors que plusieurs explosions en provenance du camp brisèrent le silence de la nuit.
« On nous attaque! »
En effet, l’ennemi avait envoyé les Diables Araignées attaquer le Corps Expéditionnaire!
Le temps que Foudre réalise ce qui se passait, l’ennemi lançait son second assaut. Cette fois, cependant, le bruit ne venait pas du ciel mais du sol qui tremblait comme si un objet lourd s’était écrasé dans la terre.
– « Oh, non… » murmura Loélia dans un souffle. « C’est là que se trouvent les Canons de Forteresse! »
De toute évidence, les Diables avaient repéré le camp avant de passer à l’attaque. Comment pouvaient-ils faire cela en pleine nuit ?
– « Pourquoi l’alarme ne s’est pas encore déclenchée ? Je dois réveiller tout le monde! » S’écria Foudre.
Comme elle n’avait emporté ni sa combinaison de vol ni son Sceau, elle allait devoir survoler le camp en dépit des tirs nourris. À cette pensée, elle attrapa le bras de Loélia pour la relever.
Soudain, tournant la tête, elle vit une longue aiguille à moitié plantée dans la jambe de la jeune-fille loup et qui la clouait au sol. Son pantalon était trempé de sang.
Foudre eut l’impression de suffoquer : c’était sa faute si Loélia était blessée.
– « Ne soyez pas stupide », dit cette dernière en souriant. « J’aurais été touchée quoi qu’il en soit et ç’aurait pu être pire si je ne vous avais pas rencontrée. Ce n’est qu’une égratignure et heureusement, il n’y avait pas de sang de Diable sur ces aiguilles. »
« Une égratignure ?! Mais votre os est brisé! », pensa Foudre.
À voir le flux sanguin, l’aiguille avait peut-être atteint l’un des principaux vaisseaux et si tel était le cas, il allait falloir la manipuler avec précaution. Mais où allait-elle pouvoir trouver Naela à cette heure ? Si les Diables Fous revenaient, Loélia ne serait plus qu’une cible servie sur un plateau, vulnérable et sans défense.
Foudre tourna et retourna une multitude de pensées dans sa tête mais ne trouva aucune solution.
– « Écoutez », dit faiblement Loélia en posant la main sur son épaule. « Vous allez vous rendre jusqu’à la grosse machine qui se trouve sur le chemin de fer … »
– « Vous voulez parler de la Rivière Noire ? » Demanda Foudre, surprise. « Mais… »
– « À l’heure qu’il est, tout le monde a dû entendre le bombardement », répondit la jeune femme-loup d’une voix qui reflétait sa douleur. « La question est de savoir comment nous allons procéder. Si mes soupçons sont exacts, au moins la moitié des troupes ennemies est là pour les Canons de Forteresse et à mon avis, ils n’utilisent pas que des aiguilles de pierre. Je ne sais pas ce qui se passe là-bas, mais si … si jamais les Diables obtenaient ce qu’ils cherchent, nous perdrions la seule arme qui puisse les repousser. Vous imaginez les conséquences. »
En effet, si cela se produisait, les Diables Araignées seraient en mesure de déverser sans scrupule leurs aiguilles noires sur le camp et de briser toute la ligne défensive.
Foudre acquiesça.
– « …Alors faites-vite… » la pressa Loélia en la poussant dans le dos. « C’est peut-être le premier endroit qu’ils ont attaqué, mais c’est en fait le plus sûr et quoi qu’il en soit, ce n’est pas moi qu’ils visent. Regardez là-bas… »
Foudre regarda dans la direction indiquée et vit que la tour de guet en bois au bout du chemin de fer était tronquée en son centre, comme si elle avait été engloutie par l’obscurité.
– « Courez vite à la Rivière Noire! » S’écria la femme-loup de toute la force qu’il lui restait dans les poumons en serrant les dents. « Il n’y a plus que vous qui puissiez le faire! »
Elle avait raison. Voler était le moyen le plus rapide de transmettre un message au train blindé qui circulait entre le front et la Station N°0.
Foudre serra le poing, jeta un dernier coup d’œil à Loélia et, à contrecœur, s’éleva dans les airs et fila vers le camp.
Quelques coups de feu parvinrent à ses oreilles.
Comme sa compagne l’avait prédit, tout le camp était réveillé et bien que les soldats ne sachent pas d’où venait l’ennemi, tous étaient debout, armées et prêt pour le combat.
De même pour les sorcières.
Les Sorcières du Châtiment Divin, qui avaient le sommeil léger et gardaient leurs armures même lorsqu’elles dormaient, étaient toujours les première à se tenir prêtes. En entrant dans leur chambre, Foudre se retrouva face à une Maggie anxieuse et agitée qui faisait les cent pas.
– « Où étiez-vous passée, Goo ?! » S’écria la jeune fille en se jetant sur elle, manquant de la renverser. « Pourquoi ne m’avez-vous pas dit que vous aviez l’intention d’aller vous promener ? »
– « Je suis désolé, mais je dois absolument aller jusqu’à la Rivière Noire. Je vous expliquerai plus tard », répondit Foudre qui se sentait coupable d’avoir pensé que Maggie était trop peu délicate pour savoir ce qu’était la peur. Elle se trompait, car même si Maggie n’avait pas nécessairement peur, elle se souciait de son amie.
– « Je vous accompagne, Goo! »
– « Non », répondit Foudre qui, au fond, aurait bien voulu avoir sa compagnie. « On a besoin de vous ici. Vous allez devoir surveiller le camp avec Sylvie. Plus il a de monde pour avoir l’œil sur les Diables, mieux c’est. »
« Du courage, voyons! Je ne peux plus me permettre de retarder tout le monde! » Pensait-elle.
Elle enfila sa combinaison de vol aussi vite qu’elle le pouvait :
« D’abord, vous allez faire quelque chose pour moi », dit-elle en effleurant les longs cheveux de Maggie et lui prit le visage à deux mains : « Promettez-moi de réussir cette mission! C’est la plus importante qu’ait eu à gérer le Groupe d’Exploration. »
– « Goo ? » Fit Maggie en clignant des yeux.
– « Je vous en prie, trouvez Naela et emmenez-là tout au bout de la voie ferrée. Loélia est sérieusement blessée et ne peut plus bouger. Faites l’impossible pour la ramener, d’accord ? »
– « Goo! », acquiesça Maggie d’un air résolu.
– « Dans ce cas, je vous confie cette affaire », dit Foudre en appuyant doucement son front contre celui de son amie avant de prendre son envol.
Tandis qu’elle prenait de l’altitude, elle comprit pourquoi l’alarme ne s’était pas déclenchée :
Les cinq tours de guet situées dans le cercle extérieur de la ligne de défense avaient toutes disparu, apparemment détruite lors de la première attaque. Ces tours auraient dû être de solides constructions de béton équipées de bunkers, mais comme ils venaient juste de commencer les travaux de la Station de la Tour N°0, les ouvriers n’avaient pas encore installé de treillis métalliques le long des tranchées ni de fortifications adéquates.
Troublée, Foudre constata que les coups de feu semblaient provenir du camp, ce qui laissait supposer que les soldats se battaient. Néanmoins, pour le moment, elle n’avait vu aucun signe indiquant que la ligne de défense ait été franchie. Certes l’ennemi continuait à attaquer le camp, mais de loin. Contre qui les soldats combattaient-ils ?
Elle commençait à comprendre à quel point son rôle était important.
« C’est vrai », pensa-t-elle. « Je suis une lâche et j’ai perdu contre ce Diable Supérieur. Mais je suis toujours capable de voler, même si je reconnais que j’ai peur. Si je ne regarde pas vers le Nord, tout ira bien. Par ailleurs, je n’ai même pas à affronter de Diables ordinaires, il me suffit de voler jusqu’à la Rivière Noire. Je n’ai aucune excuse pour me défiler! »
Foudre prit la direction de la forêt à la suite de la Rivière Noire.
« Allez! Un peu plus vite! »
À mesure qu’elle accélérait, elle sentit son pouvoir revenir peu à peu. Elle surmonta sa peur et, pour la première fois depuis très longtemps, entra à nouveau dans le royaume du silence qu’elle avait connu après son Éveil.