Situé dans une vallée en aval de la Chaîne des Montagnes Infranchissables, entouré de reliefs montagneux et dans un endroit où nul être humain n’avait jamais mis les pieds, le site destiné aux essais, en l’absence de transports en commun, était particulièrement difficile d’accès sans
L’aide d’un avion ou d’un tunnel. C’était donc le meilleur endroit pour mener des projets secrets.
Si les armes au Napalm n’étaient en aucun cas un secret, rares étaient les spectateurs.
– « Comme l’air ici est rafraîchissant! » Dit Céline en émergeant d’une fissure rocheuse. « Je ressens le sol frais et les fleurs. Cela fait plus de deux cents ans que je n’ai pas vu le ciel. »
À la vue de ce monstre géant qui semblait sortir du sol, Retnin frissonna et, pris de panique, regarda Roland.
Dans un film d’horreur, l’apparition d’un tel monstre marquant un tournant de l’histoire se serait accompagné d’une musique d’ambiance.
De plus, ce monstre parlait! Seul un fonctionnaire compétent aurait pu garder son calme face à pareille vision.
C’est aussi pour cette raison que Roland avait choisi cette vallée pour procéder aux essais.
– « Ne vous inquiétez pas », dit-il d’un ton réconfortant en lui tapotant l’épaule. « Elles étaient humaines autrefois, mais les Diables en ont fait des monstres. Elles communiquent par l’esprit, c’est pourquoi vous avez entendu leurs voix. Si vous voulez leur parler, faites-le à voix haute ou intérieurement, comme ceci… »
Roland se tourna vers Céline :
– « Ce n’est pourtant pas difficile pour un porteur original de jeter de temps à autres un coup d’œil sur le ciel bleu et l’eau claire, n’est-ce pas ? »
– « Céline reste enfermée toute la journée dans la salle de recherche », répondit Pasha en sortant de la terre. « Depuis quelque temps, les Sorcières du Châtiment Divin parlent beaucoup de leur expérience dans le Monde des Rêves. Il existe un mot spécifique pour décrire son mode de vie. Si j’ai bonne mémoire, vous appelez les gens comme elle des…reclus ? »
– « Je crois me souvenir qu’il y a deux adjectifs avant cela », intervint Althéa qui arrivait avec le Diable Supérieur.
– « Voulez-vous vraiment que je les dise ? »
– « Oh, pas nécessairement… »
Roland se tourna vers Retnin :
– « Vous voyez ? Elles ne sont pas si effrayantes! »
– « Vous… vous avez raison », acquiesça à contrecœur l’alchimiste.
– « Elles ont sacrifié leurs corps humains en échange d’une vie éternelle. Leurs nouveaux corps sont très résistants à la chaleur et à la corrosion, ce qui leur permet de toucher de nombreux produits chimiques et leurs tentacules, sensibles à différents matériaux, leur permettent de mener simultanément de multiples expériences. En d’autres termes, elles ont des corps idéaux pour la recherche en chimie. Voudriez-vous travailler avec elles ? »
Retnin ravala sa salive avec peine et, après un long silence, répondit :
– « Je … ça ira, Votre Majesté. »
Bien qu’il ait décliné la proposition, l’alchimiste, désormais, n’évitait plus le contact visuel avec les Sorcières Senior de Taquila. Il les regardait même avec une touche de curiosité.
Roland secoua la tête, amusé, et se dirigea vers le Diable retenu par des cordes, il avait peut-être perdu ses jambes, mais le Roi ne voulait pas prendre de risque, d’autant que le corps qu’il occupait était celui d’un Guerrier du Châtiment Divin.
Il s’accroupit donc et le regarda droit dans les yeux :
– « Vous êtes Carb … Radaby, n’est-ce pas ? »
Même dans un corps humain, le Diable, à moins de se connecter à quelqu’un, ne comprenait pas le langage des hommes. Cependant, la haine et l’animosité manifestes dans ses yeux semblaient avoir transcendé la barrière de la langue et étaient tellement flagrantes que tous pouvaient deviner ce qu’il tentait d’exprimer.
– « J’ai préparé un feu d’artifice en votre honneur », reprit Roland, sans relever. « Vous avez commis énormément d’atrocités contre la population humaine au Pays de l’Aurore et détruit plus de la moitié de notre royaume. Il est temps pour nous de riposter. Appréciez donc le spectacle! »
Il adressa un signe de tête à Retnin :
– « Allez-y. »
L’alchimiste jeta un coup d’œil au Diable, et, conscient qu’il n’avait pas à remettre en question un ordre du Roi, répondit :
– « Très bien, Votre Majesté! »
Lorsque tout fut en ordre, tous redescendirent dans le tunnel souterrain, laissant Cabradaby seul sur la falaise.
– « Compte à rebours avant l’explosion : dix, neuf… un! feu! »
Un opérateur alluma la bombe et, en un instant, des flammes rouges jaillirent du centre de la vallée mais contrairement à celles produites par les puissants explosifs utilisés lors de leurs manœuvres, la lumière du feu, cette fois, était atténuée par un épais nuage de fumée noire. Le bruit généré et l’impact ne furent pas non plus aussi impressionnants, cependant, ils eurent tôt fait de remarquer une grande différence entre cette nouvelle arme et l’ancienne.
À travers un hublot, ils virent clairement un épais brouillard se lever lentement et se répandre dans le ciel, comme si une main géante laissait tomber un manteau brumeux. L’air chaud propulsait dans les airs les carburants qui retombaient en cascade sur le sol tels de la lave en fusion et explosaient un peu comme s’ouvre un parapluie.
À mesure que ces parapluies se déployaient, les lueurs rouges s’éclaircissaient et devenaient une mer de flammes.
Pour Roland, ce phénomène résultait de la réaction de l’aluminium avec les oxydes de fer contenus dans la couche destinée à alimenter la combustion.
L’énergie libérée par cette réaction chimique provoqua une seconde explosion qui dura plusieurs secondes.
Les explosifs pleuvant, la vallée s’était immédiatement enflammée et bien que Roland et son équipe se trouvassent dans une zone relativement sûre, ils pouvaient ressentir les vagues de chaleur.
En raison de la gravité, l’épaisse fumée et les flammes finirent par se séparer et alors que le feu se propageait sur tout le site, la fumée se dissipa. La forêt et le ruisseau qui se trouvaient au centre de la vallée étant en feu, Roland ne jugea pas nécessaire de vérifier si les animaux étaient toujours en vie.
De l’autre côté du tunnel, Althéa recroquevilla son principal tentacule.
– « Si seulement nous avions eu une arme comme celle-ci à l’époque de Taquila! » pensait-elle.
Le feu étant l’ennemi naturel de la Brume Rouge, les Diables ne laissaient jamais de matériaux combustibles visibles dans leurs avant-postes et elles n’avaient pas la possibilité de faire un feu pour disperser cette brume. Quand bien même les sorcières auraient pu générer des flammes à température élevée, elles n’auraient jamais perduré sans leur pouvoir magique. Et voilà que grâce à cette nouvelle arme, il devenait possible d’éradiquer instantanément le repaire des Diables! Si elles parvenaient à la transporter jusque dans l’avant-poste, elles seraient en mesure de frayer un chemin à l’armée.
Les Sorcières du Châtiment Divin n’auraient alors plus à protéger les soldats mortels de la Brume Rouge, elles auraient davantage de chances de survivre.
Althéa voyait déjà une tour de stockage s’enflammer et se transformer en pilier de feu aveuglant.
Très vites, les trois Sorcières Senior échangèrent leurs impressions. Elles se comprenaient sans avoir à parler.
Althéa jeta un coup d’œil au mortel et poussa un soupir… Quel dommage qu’il ne soit pas né quatre cents ans plus tôt!
L’incendie dura environ quatre heures, après quoi les flammes disparurent.
Il ne restait plus rien de la vallée.
Lorsque Roland sortit du tunnel, il eut l’impression de se trouver en plein été, l’air brûlant ayant transformé la vallée en une véritable serre.
Il regarda le Diable, toujours sur la falaise. Comme ils avaient nettoyé les lieux avant les essais, le feu n’avait pas atteint leur abri. Quant aux Sorcières du Châtiment Divin, qui, de toute façon, ne ressentaient pas la chaleur, l’explosion ne leur avait fait aucun mal.
Le Roi vit nettement une lueur d’incrédulité dans les yeux de l’ennemi, probablement celles à laquelle s’attendaient Pasha et ses sorcières.
Elles étaient convaincues que le Diable ne cèderait pas, mais elles voulaient qu’il sache que les créatures qu’ils avaient méprisées durant tout ce temps avaient désormais les moyens de les anéantir.