– « Le Roi de… Graycastle! »

À ce nom, Lorenzo frissonna.

Tout le monde au sein de l’Église avait entendu parler de cet homme qui, Seigneur d’une petite ville frontalière insignifiante, était devenu le souverain du Pays. Son ascension soudaine était inexplicable et il avait même vaincu la Cité Sainte d’Hermès qui, autrefois, dominait tout le continent.  

En fait, Roland Wimbledon était la principale raison pour laquelle Lorenzo avait pris aussi vite sa décision de rompre toute relation avec l’Église. Réalisant que le conflit qui l’opposait à Graycastle ne serait jamais réglé et que s’il restait évêque, il risquait à tout moment d’être tué, il avait rapidement démissionné de son poste. 

Mais pourquoi Roland étendait-il soudain son pouvoir aux frontières des Royaumes de l’Aube et de Wolfheart ? Qu’avait-il donc en tête ?  En tant que nouveau Roi, il aurait dû se concentrer sur les affaires intérieures au lieu de créer un nouveau tumulte. 

– « En êtes-vous sûr ? » demanda le comte en regardant Hagrid. « Éclairez-moi! » 

– « Mes informations proviennent de sources fiables », répondit Hagrid. « La troupe stationnée au pied du Mont Cage vient de Graycastle. Leurs vêtements et leurs armes correspondent parfaitement à ce que nous en savons. De plus, des condamnés à mort en provenance des quatre coins du Royaume de l’Aube se dirigent eux aussi vers la montagne, certains proclamant qu’ils vont travailler pour le Roi de Graycastle. »  

– « Le Mont Cage… des condamnés à mort… » Lorenzo arpentait la pièce lorsque soudain, une pensée le frappa. « Serait-ce à cause de… » 

– « Très probablement, Votre Seigneurie », répondit Hagrid avant de se reprendre : « ou plutôt devrais-je dire : à coup sûr! »  

– « Comment a-t-il su ? » demanda le Comte.

– « Cela n’a rien de surprenant. Nous avons découvert ces ruines par hasard mais j’ai toujours pensé qu’il devait exister un lien entre elles. Le Roi Roland est le premier à s’en être aperçu. » 

L’Église ne connaissait certes pas la raison exacte de la rapide ascension du Prince Roland, cependant, il existait de nombreuses théories à ce sujet. Outre des rumeurs ridicules faisant de lui l’incarnation de Dieu ou le porte-parole du Diable, nombreux étaient ceux qui pensaient que le Prince détenait son pouvoir mystérieux de l’un de ces vestiges, et ce même si les trois Archevêques considéraient cette hypothèse comme infondée.  

Et Lorenzo était l’un d’entre eux. Sinon, comment expliquer que Roland ait pu vaincre la Cité Sainte ?

Or, les ruines les plus spectaculaires sur le Mont Cage étaient précisément celles du Temple des Maudits.  

Quelques années auparavant, l’Armée du Châtiment Divin avait envahi le Royaume de Wolfheart, tuant bon nombre de nobles et suscitant la reddition de beaucoup d’autres.  Même la Reine des Eaux Claires n’avait pu arrêter l’Église. Ancien évêque de l’île, Lorenzo, qui contribuait à la logistique et au nettoyage de l’après-guerre, avait été chargé d’envoyer une partie des fournitures militaires pillées au front et de stocker le reste. Au cours d’une opération à la Crête de la Falaise, il avait accidentellement découvert l’existence d’une légende qui circulait depuis cent ans.

Selon la rumeur, un groupe de villageois aurait volé des trésors dans le temple maudit, mais serait décédé peu de temps après. Les nobles de la région avaient ensuite pris possession de ces trésors auxquels les ancêtres du Comte de la Crête de la Falaise s’intéressaient beaucoup, convaincus que ces décès n’avaient rien à voir avec une quelconque malédiction mais avec les trésors du temple. Après beaucoup de temps et d’efforts, il avait fini par récupérer une partie de ces trésors au Royaume de l’Aube. 

Ces recherches lui avaient coûté une douzaine de vies. Finalement, le vieux Comte s’était aperçu que cette arme avait quelque chose de spécial : elle générait un rayon mortel qui faisait l’effet d’une malédiction. 

Mais après plusieurs utilisations, l’arme avait perdu de son efficacité, comme si son pouvoir était épuisé. Il avait envoyé bon nombre de gens à la frontière et s’était même aventuré personnellement dans le temple, mais jamais il n’avait pu la récupérer.  Il avait donc consigné l’incident dans son histoire familiale, dans l’espoir que ses descendants trouvent un jour une solution. “L’arme miraculeuse” s’était transmise de génération en génération durant un siècle, jusqu’à ce que l’Église s’empare de la Crête de la Falaise. 

Immédiatement intéressé par l’objet, Lorenzo avait tenté plusieurs fois de s’en servir mais en vain. L’arme ayant perdu de son intérêt, il l’avait rangée avec les autres trésors dans l’entrepôt, avec l’intention de s’en occuper dès son retour dans la Cité Sainte. 

En effet, il ne pouvait pas prendre trop au sérieux une simple histoire familiale, beaucoup parmi les nobles ayant l’habitude de vanter la longue histoire de leur lignée, leurs origines aristocratiques et les richesses qu’ils avaient accumulées. Si l’Église était assez crédule pour tout croire, ils n’auraient jamais pu anéantir si facilement les Royaumes de Wolfheart et de l’Éternel Hiver, bien au contraire.  

Après la misérable défaite de l’Église à la Crêt du Vent Glacé, les choses ayant empiré, nul ne se souciait plus des objets pillés. Lorenzo l’avait donc laissée de côté et l’avait presque oubliée jusqu’à ce qu’Hagrid la lui rappelle. 

Le Roi de Graycastle était certainement à la recherche des trésors du Temple des Maudits.  

– « Poursuivez! » Dit le Comte avec enthousiasme. 

– « Très bien, Votre Seigneurie », répondit Hagrid en inclinant la tête. « En supposant que Roland Wimbledon ait eu connaissances du trésor des ruines, il saura certainement le faire fonctionner. À ma connaissance, cette arme puissante pourrait parfaitement remplacer les Guerriers du Châtiment Divin. » 

« Cette arme maudite pourrait à coup sûr dissuader les nobles du Royaume de Wolfheart de contester mon autorité, ce qui me laissera un peu de temps pour rechercher le Livre Sacré », se dit Lorenzo.  

– « Suivez-moi à l’entrepôt, tout de suite! » Ordonna-t-il, trépignant d’excitation. 

– « Votre seigneurie ? »

– « Je dois m’assurer qu’elle n’a pas quitté l’île. Étant donné son importance, je me dois de bien la surveiller. » 

Afin que l’information ne sorte pas de là, Lorenzo, qui n’avait emmené avec lui que son majordome, mit une demi-journée à fouiller tout l’entrepôt. Après des heures de travail ardu, il finit par retrouver son “trésor”, caché dans un coin et fut heureux de ne pas avoir fait appel à une troisième personne pour accélérer les recherches. 

En ouvrant la sacoche, il remarqua immédiatement combien cette petite pierre de forme carrée, plus grossière encore que le granit poli et pas plus grosse que sa paume se démarquait des perles lumineuses, belles sculptures ou autres trésors résultant du pillage. Sans ses rainures de saphir, personne n’y aurait prêté attention. 

Du reste, le Comte de la Crête de la Falaise mentionnait dans son livre que c’était, de toutes ses acquisitions, celle qui lui avait le moins coûté. 

Mais à présent, les rayures sur la pierre émettaient une douce lueur bleue qui semblait indiquer une direction donnée.  

Lorenzo et son majordome se regardèrent, émerveillés par cette découverte. 

Chose incroyable, cette pierre qui n’avait pas réagi depuis cent ans montrait des signes d’activité au moment même où Roland envoyait ses gens au Temple des Maudits. 

Le Comte était désormais certain que le Roi de Graycastle savait comment récupérer la pierre!

– « Je veux que vous vous rendiez au Mont Cage », dit-il en glissant précautionneusement la pierre dans sa poche. « Il n’y a qu’à vous en qui j’ai confiance. Essayez de savoir comment on utilise cette pierre et ne vous inquiétez pas pour l’argent. » 

– « Soyez tranquille, je ferai de mon mieux », répondit Hagrid, la main sur le cœur.  

– « Ah! Autre chose! Faites-en sorte de ne pas être remarqué du Roi de Graycastle », ajouta Lorenzo en détachant ses mots. « S’il a pu détruire l’Église, il vous éliminerait sans peine. Restez discret, à moins que la pierre n’exerce son pouvoir … L’avenir de l’Île du Grand-Duc est désormais entre vos mains. »