Une captive était suspendue au plafond dans un sombre cachot. La lumière tamisée projetait sur le mur une ombre vacillante qui se balançait, telle une branche d’arbre fourchue.
Loin de se défendre, de crier ou de demander pitié, la prisonnière n’émit qu’un faible gémissement alors que le fouet lui frappait la peau, aussitôt couvert par les coups suivants.
La bougie se balançait et clignotait, semblait jouer avec l’ombre et dans le silence macabre du cachot, l’on entendait que le bruit sourd du fouet.
– « Assez! » S’écria le Comte Lorenzo après dix coups. « Faites une pause! »
– « Bien Monseigneur », répondit le bourreau qui se retira.
La prisonnière avait le dos en sang. Apparemment, ce n’était pas la première fois qu’elle était torturée. Elle avait les bras et le nez couverts de sueur et visiblement, elle souffrait beaucoup, même si elle faisait tout pour ne pas le montrer.
– « Alors, vous ne voulez toujours pas me dire où se trouve le Livre Sacré ? » Demanda le Comte en saisissant la femme par le menton pour l’obliger à le regarder. Elle avait un beau visage en dépit des tortures constantes qu’elle subissait et sa peau humide comme ses yeux brillants la rendaient encore plus attirante. « L’Église est finie, Feryna. Avez-vous l’intention de continuer à comploter contre moi ? À défaut de penser à vous, songez au moins à vos compagnons. »
« Maudits ecclésiastiques », pensait Lorenzo, furieux. « Pourquoi ont-ils choisi l’Ile du Grand-Duc alors qu’ils avaient de multiples endroits où vivre au Royaume de Wolfheart ? Au moment d’exécuter leurs messagers, je leur ai clairement fait comprendre que je voulais qu’ils me laissent tranquille. De plus, avec leurs Guerriers du Châtiment Divin, ils auraient pu choisir de s’installer n’importe où tant qu’ils resteraient aussi loin que possible de Graycastle. Pourquoi ont-ils tenté de m’assassiner ? Si je n’avais pas demandé au Pape Mayne de m’envoyer des gardes pour assurer ma protection en cas de nécessité, ma tête serait déjà exposée sur les remparts à l’heure qu’il est! »
À cette pensée, Lorenzo sentit battre l’endroit où son oreille gauche manquait.
Lors de l’affrontement entre les deux groupes de l’Armée du Châtiment Divin ce jour-là, Feryna l’aurait tué si ses gardes n’avaient pas été là.
Pour tout dire, Lorenzo était plus contrarié par la perte de ses Guerriers du Châtiment Divin que par son oreille manquante. Sur les vingt soldats qui composaient sa garde, seuls deux ou trois étaient encore en mesure de se battre maintenant. Les autres étaient morts durant la bataille ou avaient perdu un membre.
Cependant, il comptait sur ces guerriers pour assurer sa position sur l’Île du Grand-Duc.
Si les nobles du Royaume de Wolfheart n’étaient plus venus le trouver, ce n’était pas parce qu’il était passé d’Evêque à noble mais par peur des Guerriers du Châtiment Divin. S’ils apprenaient qu’il ne lui en restait que quelques-uns, ils s’empresseraient de le dépouiller de son titre de Comte.
Lorenzo avait très envie de tailler Feryna en pièces, cependant, il ne pouvait pas le faire, du moins pas avant d’avoir trouvé le Livre Sacré.
– « Je ne suis pas certaine que l’Église soit finie », dit la captive après un moment de silence. « Par contre vous, vous l’êtes, Comte Lorenzo…. Ou devrais-je dire traitre ? Ma plus grande erreur a été de sous-estimer vos Guerriers du Châtiment Divin mais ceci dit, il ne vous en reste plus guère à présent, je me trompe ? Sans quoi vous n’auriez pas autant besoin du Livre Sacré. C’est pour découvrir le secret que se transmettent les Papes et apprendre à créer une Armée du Châtiment Divin afin de conserver votre lamentable position. »
Le Comte lui envoya deux gifles sur les oreilles.
– « Vous feriez mieux de me dire ce que je veux savoir! » Menaça-t-il entre ses dents. « Où est le Livre Sacré ? »
– « Je n’en ai aucune idée », répondit la prisonnière, une coulée de sang au coin de la bouche.
– « C’est vraiment dommage. » Le comte jeta un coup d’œil au bourreau : « Coupez une jambe! Choisissez qui vous voudrez mais je veux que ses compagnons… »
– « Cessez donc votre comédie », coupa Feryna d’un ton moqueur. « Vous souvenez-vous du doigt que vous m’avez envoyé ? Le sang avait noirci. Voulez-vous renouveler le même tour ? Il semblerait que la vie agréable que vous menez ici ait fait oublier à notre évêque la différence entre un vivant et un mort. Il y a longtemps que vous les avez tués, traître! »
Le visage de Lorenzo s’assombrit.
– « Comment saurais-je où se trouve le Livre Sacré alors que je ne suis pas Pape, même par intérim ? Si le Pape Tucker Thor le sait, il ne me l’a jamais dit et aujourd’hui, plus personne au monde ne saurait comment créer une Armée du Châtiment Divin. »
– « Vous mentez! » S’écria Lorenzo, le visage livide. « Tucker Thor vous a demandé de reconstruire l’église du Royaume de Wolfheart et de venger Hermès! Sans le Livre Saint, comment l’Église pourrait-elle rivaliser avec Graycastle ? »
Contre toute attente, Feryna éclata de rire :
– « Jamais elle ne le pourrait sans Guerriers du Châtiment Divin. Le Pape par intérim a simplement voulu nous sauver et permettre à tous de passer le reste de leurs jours en paix. »
– « C’est absurde! Vous pensez que je vais vous croire ? » Rugit le Comte. « Si vous aviez l’intention de vous installer, pourquoi avoir attaqué l’Île du Grand-Duc ? N’était-ce pas pour voler la richesse, la nourriture, les armes et les armures qui sont ici ? Tucker vous aurait confié les Guerriers du Châtiment Divin alors qu’il ne demande qu’à vivre une vie tranquille ? Cela n’a aucun sens! »
– « Croyez-le ou non, mais c’est la vérité », répondit Feryna, indifférente. « Et j’ai autre chose à vous dire : si vous aviez traité correctement nos messagers au lieu de les tuer, nous n’aurions probablement pas choisi cet endroit pour nous installer. Mais vous avez pris la pire décision que vous puissiez prendre et ce que je déteste le plus au monde, ce sont les faux-jetons comme vous! »
– « Vous… »
– « Vous avez trahi la confiance du Pape O’Brien, c’est pourquoi vous ne méritez pas la vie que le Pape Tucker Thor a méritée pour nous », coupa Feryna d’un ton catégorique. « Je regrette de ne pas avoir pu vous tuer mais soyez tranquille, les nobles du Royaume de Wolfheart finiront bien par savoir qui vous êtes. Vous vous êtes peut-être bien lavé les mains afin de ne plus rien avoir à voir avec l’Église, mais jamais vous ne serez un véritable aristocrate. Vous n’êtes rien d’autre qu’un traître en sursis! »
Lorenzo prit une profonde inspiration, s’efforçant de réprimer sa colère.
– « Je vois clair dans votre petit stratagème. Vous tentez de me pousser à vous tuer afin que le Livre Sacré demeure à jamais un secret. Mais je peux vous faire cracher le morceau. Il n’y a pas que des fournitures ici, mais aussi beaucoup d’instruments de torture que nous utilisons généralement pour les sorcières. Je me demande si vous résisterez mieux que ces Déchues! »
Il jeta un coup d’œil aux pieds de la jeune femme et ajouta : « Commençons par vos ongles de pieds … J’espère que vous jouerez toujours autant les dures lorsque je vous les arracherai. »
De retour au château, Lorenzo, qui ne pouvait plus se contenir, balaya la table d’un revers de la main, brisant le service à thé.
– « Bon sang de bon sang! Cette Feryna! »
Sous son masque de cruauté, il cachait une profonde incertitude car il n’avait, en réalité, aucune idée du temps qu’il faudrait à cette femme pour céder. En sa qualité de Guerrière du Châtiment divin, elle avait une volonté exceptionnellement forte, aussi ne serait-il pas si facile d’obtenir d’elle quoi que ce soit.
Il ne pouvait tout de même pas se contenter de fermer le port et annoncer brusquement l’interdiction de tout commerce. Cela ne ferait que susciter le doute au sein de l’aristocratie. S’il quittait l’Île du Grand-Duc, il y avait de grandes chances pour que les nobles envoient des marchands pour l’espionner. Il lui fallait donc davantage de Guerriers du Châtiments Divin pour assurer sa protection avant qu’il ne soit trop tard!
Or Feryna, qu’il détestait au plus haut point, refusait de lui communiquer les renseignements nécessaires.
« Bon sang, c’est agaçant! » Pensa-t-il.
Au même moment, son majordome entra.
– « Votre Seigneurie, je viens d’apprendre quelque chose d’intéressant… »
– « Sortez d’ici! Je ne suis pas d’humeur à écouter des potins insignifiants! »
Le majordome regarda la vaisselle cassée et répondit patiemment :
– « Cela pourrait pourtant vous être utile pour résoudre votre problème. »
Lorenzo leva aussitôt les yeux :
– « De quoi s’agit-il ? »
Depuis qu’il avait acquis le titre de Comte et Seigneur de l’île, ses fidèles étaient devenus les “membres de sa famille”. Hagrid, le majordome, était l’un de ses hommes de main et en sa qualité d’ancien prêtre, il donnait parfois des conseils à Lorenzo.
– « La frontière du Royaume de l’Aube est un peu instable ces derniers temps. Il semblerait qu’ils envisagent de se rendre sur le Mont Cage. »
– « Qu’est-ce que cela a à voir avec nous ? » Répondit le Comte avec une grimace. « Quel que soit celui qui prendra possession du Mont Cage, l’Île du Grand-Duc n’y a rien à gagner. »
– « Je ne parle pas de l’opération en elle-même, mais de la personne qui est derrière tout ça … » Dit Hagrid qui marqua une courte pause avant d’ajouter : « Votre Seigneurie, j’ai entendu dire que c’était le Roi de Graycastle. »