À mesure qu’ils gravissaient le Mont Cage, à la frontière Nord-Est du Royaume de l’Aube, le chemin devenait de plus en plus difficile. Il y avait partout des lianes enchevêtrées et des arbres géants, formant une canopée si dense qu’ils pouvaient à peine entrevoir le ciel gris entre les feuilles.
La seule chose qui réconfortait Azéma était qu’au moins, ils n’avaient pas à marcher sur une neige qui leur arrivait jusqu’aux genoux. Les Mois des Démons y ayant moins d’influence, ce mont, contrairement à la Chaine des Montagnes infranchissables, n’était pas recouvert de neige et heureusement, sans quoi ils auraient dû attendre le passage du printemps à l’été. Mais cela ne voulait pas dire pour autant qu’il était facile de grimper cette montagne.
Si au départ, le Mont Cage n’était qu’une pente douce, mais une fois l’ascension commencée, ils s’étaient aperçus qu’il n’y avait aucun sentier, ce qui ne facilitait pas le passage des troupes. Le premier jour, deux personnes furent blessées avant même d’avoir gravi deux kilomètres. En désespoir de cause, Sean, le garde du roi, dut ordonner aux soldats d’attendre dans la petite ville située au pied de la montagne et choisir quelques-uns des meilleurs pour accompagner Azéma, soit Knaff, un guide local, Rosella, une Sorcière du Châtiment Divin et Marc, un contact de la famille Tokat qui, avec Sean et Azéma, formaient cette étrange équipe d’explorateurs.
– « Comme c’est bizarre! »
Le Roi, en effet, avait envoyé une Sorcière du Châtiment Divin pour veiller sur elle, ce à quoi elle ne voyait aucun inconvénient étant donné qu’elle travaillait avec des hommes toute la journée. Néanmoins, Azéma était sûre que si elle essayait de s’enfuir, la sorcière n’hésiterait pas à lui briser les jambes.
Marc Tokat était peut-être envoyé par le Roi de l’Aube, mais que faisait-il dans la montagne où il avait insisté pour accompagner l’équipe ? De toute évidence, il avait d’autres objectifs. S’il n’était pas là au nom de la famille Tokat et n’avait, à ce titre, beaucoup aidé les gens, Sean l’aurait renvoyé depuis longtemps avec pertes et fracas.
Et que dire de l’équipe d’exploration, qui, bien que pacifique, était armée jusqu’aux dents, leurs pelles elles-mêmes pouvant faire office d’armes. Lorsqu’il leur arrivait d’être poursuivis par des Chevaliers ou quelque Seigneur, ils se comportaient comme s’ils étaient prêts à détruire leurs adversaires à tout moment et n’avaient rien en commun avec de simples mineurs issus des rangs inférieurs de la société.
Personne, pas même Azéma, ne savait exactement ce qu’ils cherchaient. Ce n’était ni de l’or, ni de l’argent, ni même du cuivre ou du fer. La sorcière n’avait pour tout repère qu’une petite pièce de monnaie.
– « Attendez… attendez », s’écria soudain le guide qui les précédait. « Faites attention! il y a des pièges! »
Aussitôt, Azéma entendit des clics derrière elle et comprit que les soldats chargeaient leurs armes. Cela faisait un mois que Sean lui parlait des exploits légendaires du Roi, aussi avait-elle une idée précise des compétences de combat de cette troupe. En fait, elle aurait préféré rester avec ces gens ordinaires qu’avec Rosella, qui était autrefois une sorcière.
Celle-ci, beaucoup plus calme, se dirigea résolument vers le guide sans même tirer son épée et demanda :
– « Oh, est-ce que c’est ? Un fil de détente supposé déclencher des lances ? »
– « Oui », répondit Knaff en désignant le haut d’un tronc d’arbre. « Vous voyez ces lances cachées ? Si jamais nous touchons accidentellement le déclencheur, nous serons transformés en tamis. »
Azéma regarda dans la direction indiquée et vit plusieurs bâtons de bois aiguisés entre les branches et les feuilles qui les surveillaient froidement. Si jamais ils leurs tombaient dessus, ils seraient grièvement blessés à la tête et au cou. De toute évidence, ce n’était pas un piège destiné aux animaux mais aux hommes.
– « Où est le déclencheur ? » Demanda Sean à voix basse.
– « Vous ne le trouverez pas », répondit Knaff. « Chaque plante et chaque branche peuvent faire partie du piège. À moins de tout brûler, il nous sera difficile de le détruire complètement. »
– « Qu’allons-nous faire ? » Marmonna Marc.
– « Un détour, Monseigneur. »
– « Non! » S’écria Rosella. « Reculez tous! Je vais tenter quelque chose! »
– « Pardon ? » Knaff regarda la Sorcière du Châtiment Divin, surpris : « Hé, mais vous n’avez pas l’air de plaisanter… »
Il n’avait pas terminé sa phrase que déjà, elle s’approchait du secteur dangereux.
Les mauvaises herbes étaient si denses qu’il aurait fallu les couper pour voir ce qui s’y cachait. Rosella avait à peine fait quelques pas qu’Azéma entendit un craquement, comme si quelque chose se brisait, suivi d’un frottement grinçant au sommet de l’arbre, qui évoquait une vipère sortant sa langue fourchue.
Le fil, caché on ne sait où, venait de se tendre et les bâtons fusaient du haut de l’arbre. Rosella tira son épée.
– « Non… » Gémit le guide en fermant les yeux, car il ne voulait pas voir mourir cette femme.
Azéma, cependant, assista à tout et vit la Sorcière du Châtiment Divin, qui tenait son épée à deux mains, faire rebondir les piques comme on chasserait des mouches et avec une telle puissance que la plupart des bâtons furent brisés. Visiblement, cela ne lui demandait guère d’efforts.
Lorsqu’enfin elle cessa, la prairie était dans un état désastreux.
– « Le piège est levé », annonça Rosella en rangeant son épée. « Continuons. »
Réalisant ce qui venait de se passer, Knaff, stupéfait, se laissa tomber sur le sol.
– « Aha… Je savais bien, Messeigneurs, que vous aviez de grandes compétences! Pas étonnant que vous soyez parmi les plus grands de la capitale! » Dit le Guide, une fois remis, sur un ton différent : « En particulier ce guerrier : vous maniez l’épée avec un talent légendaire! »
– « Économisez votre souffle », coupa Rosella, « et expliquez-nous plutôt le pourquoi de ces pièges. Si je ne m’abuse, ces piques de bois ne sont pas destinées aux bêtes! »
Azéma s’apprêtait à poser la même question.
– « Non », répondit honnêtement Knaff. « Ces pièges sont là pour les hommes et plus vous montez, plus vous en rencontrerez, c’est pourquoi le Mont Cage est également surnommé la Montagne aux Pièges. Le seul but de ces dispositifs, installés par les anciens Seigneurs, est de se protéger du Royaume de Wolfheart. »
– « Wolfheart ? » Répéta Sean.
– « Oui, cette chaîne de montagnes, qui s’étend pratiquement du littoral à la Vieille Cité Sainte, est considérée comme une frontière naturelle entre les deux pays qui, telle une cage, entoure le Royaume de l’Aube situé en contrebas. D’où son nom de Mont Cage », expliqua Knaff. « Mais le problème réside dans sa forme. Vous avez dû remarquer, lorsque vous vous trouviez au pied de la montagne, que le flan Sud était en pente douce. Haute comme elle est, il est très facile d’en descendre, par conséquent, il est fréquent que les voleurs, les chasseurs et les réfugiés des pays voisins passent par le Mont Cage pour envahir le domaine frontalier de l’Aube. Au début, ils se contentaient de piller les ressources de la montagne, mais progressivement, ils ont fait irruption dans les villages pour voler, causant la panique parmi les habitants. »
– « Je vois… » dit Marc Tokat. « Je n’aurais jamais pensé qu’il se passait de telles choses à la frontière. »
– « Le Seigneur ne voulait pas que le Roi l’apprenne », expliqua Knaff. « De plus, contrairement à ces pauvres gens qui ne sauraient vivre sans la montagne, nous avons d’autres moyens de gagner notre vie. Après avoir fermé le col de la montagne, le Seigneur a envoyé des gens planter de mauvaises herbes, des plantes à croissance rapide et installer des pièges. Cette pratique s’est transmise de génération en génération et c’est ainsi que le Mont Cage est devenu ce qu’il est aujourd’hui. »
« Si je comprends bien, vous en avez fait une véritable cage », pensa Azéma, « mais en empêchant vos adversaires de passer, vous vous limitez aussi. Jamais Roland Wimbledon n’aurait agi ainsi. Cet homme voit beaucoup trop loin, si loin que lorsqu’il m’expliquait ma mission, il n’était pas en permanence concentré sur moi.
Mais… pourquoi est-ce que je pense à lui ? » se demanda-t-elle. « Le Roi n’est que mon employeur! Je n’ai qu’à me dépêcher de terminer cette tâche et je pourrai rentrer retrouver Doris et mes sœurs. »
Comme l’avait dit le guide, ils se trouvèrent confrontés à plusieurs pièges, ce qui ne semblait pas vraiment affecter la Sorcière. À la tombée de la nuit, Azéma vit soudain la pièce émettre une lumière verte tandis qu’une source de lumière éblouissante faisait son apparition derrière une dense forêt. Entre les deux circulaient d’innombrables points lumineux qui formaient comme un pont.
C’était le matériau originel qui réagissait, lui indiquant qu’elle venait de trouver une autre source!
Lorsque l’équipe d’exploration, suivant les instructions d’Azéma, s’enfonça dans les bois, tous demeurèrent stupéfaits.
À mi-hauteur de la montagne se trouvait un bâtiment abandonné dont la porte de pierre délabrée menait vers de mystérieuses profondeurs. De chaque côté, des piliers gravés de signes étranges étaient la preuve que ce n’était pas une création naturelle.
Azéma écarquilla les yeux. Le Roi lui avait demandé de rechercher un étrange minerai mais pourquoi sa source se trouvait-elle dans des ruines abandonnées depuis longtemps ?