– « Relevez-vous », dit placidement Tilly. « J’imagine votre perplexité en cet instant.  Pourquoi l’armée recrute-t-elle des résidents non officiels ? Pourquoi les conditions de filtrage sont-elles si étranges ? Et… pourquoi est-ce moi qui m’apprête à vous en donner l’explication ? En fait, tout ceci est difficile à expliquer, mais vous trouverez les choses très simples une fois que vous les aurez personnellement expérimentés. Je ne vais donc pas m’étendre et me contenterai d’aborder quelques points. 

« Tout d’abord, sachez que ce n’est ni la Première ni la Seconde Armée que vous vous préparez à rejoindre mais une nouvelle force que mon frère a l’intention de créer, différente de toute ce que vous avez vu jusqu’ici. Cela explique la particularité du recrutement. »  

Ses paroles firent sensation dans la foule. Cette armée offrant certainement une voie de promotion plus large, ils avaient moins de chances d’être marginalisés. Pour ceux qui n’avaient aucune formation, c’était apparemment la meilleure décision possible que d’intégrer une toute nouvelle armée.

Même un imbécile s’en serait aperçu. 

– « Mais dans l’immédiat, vous ne serez que des réservistes », poursuivit la Princesse. « Tout ceci est si nouveau que je n’ai aucune référence pour illustrer mes propos. Tout est encore à faire et les difficultés seront telles que ce que vous venez de vivre n’était rien en comparaison. Pour le moment, vous êtes seize mais je crains fort qu’il n’y en ait qu’un ou deux parmi vous, peut-être même aucun, qui puisse devenir Chevalier Aérien. »  

Good en eut le souffle coupé, non à cause des difficultés mentionnées mais en raison de la fin de sa phrase. Ainsi, il était vraiment question de Chevaliers! 

Bien qu’il ne sache pas en quoi un “Chevalier Aérien” se distinguait d’un Chevalier traditionnel, il trouvait incroyable que des gens ordinaires issus de familles pauvres puissent bénéficier de cette opportunité.

La difficulté ? Elle lui semblait naturelle!

Son cœur commençait à brûler.

Mais lorsque la Princesse reprit la parole, sa stupéfaction redoubla. 

« De plus, dans cette ville… ou plutôt dans le monde entier, mon frère et moi sommes les seuls à savoir ce qu’est la nouvelle armée. Aussi, comme le Roi est trop occupé pour se permettre d’y investir son énergie, c’est donc moi qui serai votre instructrice. »  

Ses paroles le frappèrent comme la foudre.  

Si Son Altesse Royale se chargeait d’eux personnellement, était-ce à dire qu’ils allaient pouvoir devenir les Chevaliers attitrés de la Princesse de Graycastle ? 

Même sans titre ni domaine, c’était un immense honneur, surtout pour de nouveaux migrants qui, comme lui, ne possédaient rien.  

Les autres non plus ne tenaient plus en place et s’ils n’avaient pas craint de se montrer discourtois vis à vis de la Princesse, ils auraient depuis longtemps exprimé leur joie.

La meilleure preuve en était leur souffle court. 

– « Tous les stagiaires qualifiés seront formés ensemble dans le Nouveau District de la Plage des Eaux Peu Profondes. Vous obtiendrez de nouveaux logements et deviendrez officiellement résidents de la nouvelle capitale. »  Tilly étendit la main et fit un geste pour réclamer le calme. « N’oubliez pas que, même si vous n’êtes que stagiaires, vous faites également partie de l’armée. Vos actions seront donc restreintes. Si vous vous retirez à mi-parcours, ce sera considéré comme une défection et toute violation des ordres militaires sera sévèrement punie. Comprenez-vous ? »

– « Oui Votre Altesse! »

Surpris par l’avertissement solennel de la Princesse, ils n’avaient pas parlé très fort cependant, aucun d’entre eux ne semblait regretter. 

– « Très bien. Enfin, vous allez prêter serment au Roi de Graycastle. Vader ? » Appela-t-elle en se tournant vers le grand homme assis à la table. 

La main sur le cœur, ce dernier fit un signe de tête et sortit de sa poche une feuille de papier.  

– « Répétez chacune de mes paroles », dit-il. 

Le contenu du serment était facile à comprendre et tellement évident. 

Par exemple : « Je ne serai jamais déloyal envers le Roi Roland et je n’ai aucune hostilité envers les sorcières. »

Qui oserait!

À l’idée que Son Altesse elle-même était réputée pour être une sorcière, Good, inconsciemment, éleva la voix au maximum comme pour témoigner de sa loyauté.

Une fois le serment terminé, des gardes s’avancèrent et leur remirent des paquets. 

– « À compter d’aujourd’hui, vous faites partie de l’armée », dit Tilly en souriant. « La première session de recrutement devrait durer environ une semaine après quoi débutera officiellement votre formation. Ces paquets contiennent les premières choses à savoir ainsi qu’une récompense personnelle de ma part. » 

Il faisait nuit lorsque Good revint sur la place centrale. La plupart des gens venus assister à la session de recrutement étaient partis depuis longtemps. Quant à l’Oncle Bucky et Sanko, ils s’étaient volatilisés.  

Ce n’était guère surprenant, car ils avaient une famille et nul n’aurait pensé que l’évaluation durerait si longtemps.

Pour le moment, il ne se souciait guère. Son paquet sous le bras, il reprit à la hâte le chemin de la zone résidentielle temporaire.

Tout joyeux, rempli d’un sentiment de puissance, il ne sentait même plus le froid. La neige crissait sous ses pieds et le chemin emprunté par les passants, tel un phare marron sombre, le guidait vers sa maison. Sans doute, le lendemain matin, serait-il à nouveau recouvert de neige. 

En entrant dans sa hutte de terre, plutôt basse mais bien chaude, il trouva Rachel qui faisait cuire le porridge.  

– « Désolé de rentrer si tard… »

– « Je sais », coupa vivement la jeune fille. « Oncle Bucky, le voisin, m’a dit que vous aviez trouvé un bon emploi. C’est vrai ? »  

Sans attendre sa réponse, elle lui tendit la main droite.

– « Où est donc le bon repas que vous m’aviez promis ? » 

– « Euh… pardon ? »

– « Hey, vous deviez me rapporter une crêpe aux œufs! » S’exclama Rachel, mécontente, avec une moue.  

« Bon sang, j’ai oublié », pensa Good. 

– « Dorénavant, vous en mangerez toutes les semaines! Même deux par semaine. »  

– « Deux ? » Répéta Rachel, dubitative. « Vraiment ? »

– « Bien sûr, ce n’est pas un travail ordinaire. J’ai même vu Son Altesse la Princesse! »

Good enleva ses chaussures mouillées, retroussa son pantalon jusqu’aux genoux et alla s’asseoir près du feu. « Tenez. Elle m’a donné ceci », dit-il en lui montrant le paquet. 

Le mécontentement de la jeune fille céda place à la curiosité :

– « Que contient-il ? » 

– « Je n’en sais pas plus que vous. Ouvrons-le. » Il retira l’emballage et parut un peu surpris : « C’est … »

– « Un livre ? » 

En fait c’était toute une pile de livres aux couvertures délicates sur lesquelles étaient imprimées différentes images. Malheureusement, il ne comprenait pas un mot et fut contraint de solliciter Rachel. 

– « Pourriez-vous… m’aider ?»

La jeune fille sourit fièrement.

– « Je ne peux pas vous promettre que je les reconnaîtrai tous. Euh… le premier porte sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture… ce sont des compétences de bases… du vocabulaire rapide et…. Le troisième porte sur… » 

Où Sanko avait-t-il appris ces choses ? La couverture semblait en illustrer le contenu, comme, par exemple une plume imprimée sur “Compétences en matière de lecture et d’écriture” ou encore des lettres stéréoscopiques de toutes tailles sur vocabulaire rapide”…

Quoiqu’il en soit, Good était un peu déçu, dans la mesure où il s’imaginait qu’il s’agissait d’une récompense pour avoir été qualifiés. La valeur importait peu, un simple document aurait été 

un symbole d’honneur.

Si d’autres personnes l’apprenaient, elles se moqueraient sans doute de lui en le traitant de rêveur. Comment Son Altesse a-t-elle pu leur remettre en récompense les manuels scolaires de l’enseignement primaire que l’on pouvait trouver partout ? 

Mais très vite, Good se reprit. S’il voulait être Chevalier, il devait absolument savoir lire et écrire. 

Comme l’avait dit l’officier, il avait encore beaucoup de choses à apprendre.

Soudain, la couverture d’un livre attira son attention. 

Elle représentait quelque chose qu’il n’avait encore jamais vu et qui ressemblait à un énorme cerf-volant ou encore à un grand oiseau, doté de deux paires d’ailes qui faisaient plusieurs fois la taille d’un homme. Dessus était assise une femme qui ressemblait fort à la Princesse.  En dessous, l’océan scintillait et le continent, supposé vaste, était devenu minuscule.  

Cette perspective était exactement celle qu’il avait vue lors de la première série d’évaluations!

Good retint son souffle :

– « Rachel … Que dit-on dans ce livre ? »

– « Oh, laissez-moi voir », répondit la jeune fille en s’approchant : « Vol… utilisation…. J’y suis : le titre est “Principes de Vol et Manuel d’Utilisation”