Était-il tombé sous l’effet de la peur ou avait-il été renversé ?
La désorientation était telle que l’on pouvait, sous l’effet de la panique, faire tomber quelqu’un de son tabouret. Ils n’étaient guère éloignés l’un de l’autre et il fallait compter sur la chance pour rester assis jusqu’au bout.
Good hésitait entre la joie et la déception. Évidemment, moins il restait de concurrents, plus il avait de chances. Ceci dit, il allait devoir passer seul les épreuves suivantes.
Il n’eut pas le temps de réfléchir plus avant que déjà, on l’emmenait dans un compartiment adjacent.
Là encore l’espace était restreint. Dix sièges avaient été placés au centre de la pièce, mais cette fois, ils étaient disposés en cercle et liés par un anneau de fer lui-même fixé à un support qui lui permettait de tourner librement.
– « Asseyez-vous dans l’ordre », dit froidement l’examinateur. « Le règles de ce second test sont les mêmes que pour le premier. Restez assis et tenez bon jusqu’au bout. »
Cette fois, personne n’osait plus parler de facilité. Tous grimpèrent avec précaution sur l’anneau de fer et s’installèrent.
L’officier donna le signal du départ et aussitôt, deux gardes s’avancèrent, saisirent les poignées situées derrière les chaises et les poussèrent pour faire tourner l’anneau. Comme Good l’avait prévu, les sièges se mirent eux aussi à tourner.
Au début, il n’y eut guère de réaction mais le mouvement allant s’accélérant, ils commencèrent à se sentir mal à l’aise.
Mais les soldats n’avaient pas l’intention de s’arrêter. Sous les ordres de l’officier, ils poussèrent l’anneau avec encore plus de force et aussitôt, on entendit les sièges grincer. La vision de Good était de plus en plus floue et il avait l’impression que le ciel et la terre tournaient.
Comme il n’était pas encore bien remis de la première illusion, ce vertige intense lui fit tourner l’estomac et provoqua des remontées acides.
Quel genre de test est-ce là ? L’armée avait-elle l’intention de recruter des monstres ?
Good serra les dents et tenta de faire diversion en observant les soldats, mais ceux-ci continuaient à pousser l’anneau en regardant vers le haut de manière à ne pas être affecté par le mouvement de rotation.
« Ce n’est pas juste! » Pensa-t-il.
Good avait envie de crier. Si l’officier leur avait ordonné de tenir bon jusqu’au bout, il ne leur avait pas dit combien de temps cela allait durer.
« Si cela dure encore une heure, je vais certainement finir par m’évanouir dans cette chaise! »
Ses tentatives de focaliser sa vue aggravant ses vertiges, il ne put se retenir de recracher l’acide qu’il avait dans l’estomac.
Une odeur aigre le prit aux narines.
Comme par réaction en chaîne, les autres se mirent eux aussi à vomir. Très vite, l’odeur devint insupportable et Good prit même des crachats en plein visage.
Il comprit alors l’explication des bruits qu’il avait entendus de l’extérieur.
– « Je… je n’en peux plus! »
– « Arrêtez! arrêtez! J’en ai assez! »
« C’est trop dur », pensa-t-il. « Et d’abord, quel est le but de ce test ? S’agit-il vraiment d’un recrutement militaire ou d’un nouveau canular destiné à nous faire souffrir ? »
Même si chaque seconde était une torture et que Good était prêt à renoncer à tout moment, il se cramponna au dossier de sa chaise et tint bon jusqu’à ce que l’anneau de fer cesse de tourner.
Ils n’étaient plus que trois.
– « Bien joué! » Commenta l’officier qui semblait plutôt avare d’éloges. « À présent, reposez-vous cinq minutes. Les tests suivant seront plus faciles. Prenez les choses au sérieux et tout se passera bien. »
Mais désormais, les candidats n’avaient plus confiance à l’examinateur et était prêts à toute éventualité. Ils s’essuyèrent négligemment le visage dans leurs manches et se dirigèrent solennellement vers le compartiment voisin.
À sa grande surprise, Good constata que l’officier n’avait pas menti.
Le troisième test consistait à entrer dans un anneau creux et à marcher à quatre pattes pour le faire rouler jusqu’à l’autre bout de la tente.
Personne ne fut éliminé.
Lors de la quatrième épreuve, il leur fut demandé d’examiner d’étranges images composées de blocs de couleurs similaires et de repérer les motifs cachés représentant des animaux.
Encore une fois, tous réussirent.
Cependant, Good était de plus en plus dubitatif.
Ils durent ensuite se déshabiller, passer un examen complet, et enfin indiquer le sens des flèches sur un verre lumineux.
Chacun s’y prit différemment, mais tous trois furent retenus.
Ils attendaient le test suivant lorsque l’officier les fit sortir par l’arrière. La tente donnait sur une autre, plus petite, entourée de gardes en uniforme noir. De toute évidence, il devait s’y trouver une personne importante.
– « Monsieur, sommes-nous…? »
– « J’oubliais : je vous félicite », répondit l’officier en souriant. « Vous avez réussi les épreuves préliminaires. Attendez ici, on ne va pas tarder à vous recevoir. »
– « Parce que ce n’étaient que les préliminaires ? Au sujet du salaire mentionné sur l’avis… »
Soudain, Good s’interrompit. « Bon sang, pensa-t-il, l’armée ne veut certainement pas de gens qui ne viennent que pour le salaire, un peu comme ces chevaliers qui ne parlent que d’honneurs. Je n’aurais pas dû aborder aussi vite ce sujet. L’officier va probablement me prendre pour quelqu’un de cupide. »
Mais ce dernier ne paraissait pas offusqué par sa remarque. Il regarda attentivement Good et demanda :
– « Avez-vous à ce point besoin d’argent ? »
– « Je… »
– « Ne vous inquiétez pas, tout le monde à la Cité Sans Hiver sait ce que touchent les soldats de la Première Armée. D’ailleurs, c’est ce qui m’a poussé au départ à me faire enrôler », dit l’officier d’un air désinvolte. « La réponse est oui. Vous toucherez intégralement les subventions pour l’éducation, les indemnités de subsistance et le salaire mentionnés. Les tests suivants ont pour seul objectif de déterminer jusqu’où vous pouvez aller et non à trouver des prétextes pour diminuer votre dû. Comme je vous l’ai dit, si vous voulez devenir un vrai soldat, il vous reste encore beaucoup à apprendre. »
À ces mots, Good se sentit submergé par un immense sentiment de bonheur.
« Ainsi, je suis retenu ? Je serai payé davantage encore que l’oncle Bucky et obtiendrai des subventions suffisantes pour nous soutenir Rachel et moi ? Est-ce bien réel ? »
À cette pensée, il eut le sentiment que tout ce qu’il avait souffert à l’intérieur de la tente n’était rien. Rétrospectivement, il y trouvait même une légère touche de douceur.
– « Merci Monsieur! Merci! » S’écria-t-il avec enthousiasme en s’inclinant. « Je ferai tout mon possible pour intégrer au plus vite la Première Armée! »
Tout excités, les deux autres postulants l’imitèrent.
– « Je tiens tout de même à vous dire que si beaucoup s’enrôlent dans l’armée pour le salaire, ce n’est pas pour cette raison qu’ils y restent », dit l’officier en souriant. « Il y a tant à choses intéressantes au sein de l’armée qu’un jour, vous constaterez que ce qui vous avait motivés au départ n’était rien. » Il marqua une courte pause comme s’il se remémorait un souvenir frappant : « Bon, beaucoup attendent encore pour passer les tests. Nous nous reverrons bientôt. »
Finalement, cet homme était loin d’être indifférent, taciturne et sans pitié.
– « Monsieur, maintenant que nous avons réussi les épreuves, pouvons-nous connaître votre nom ? »
– « Je m’appelle Van’er », répondit l’officier avant de tourner les talons et de repartir dans la tente.
Par la suite, d’autres candidats qualifiés vinrent rejoindre Good dans la file d’attente.
Le recrutement ne se termina qu’en fin d’après-midi, seize “futurs soldats” qualifiés en cette première journée.
C’est alors que des gardes les entourèrent et les escortèrent jusqu’à la dernière tente.
L’ameublement y était très simple, composé uniquement d’une longue table. Cependant, Good remarqua que les gardes semblaient très nerveux. Quant aux autre candidats, ils respiraient difficilement.
– « Voilà donc les candidats chevaliers qu’ils ont choisis ? » Dit un homme de grande taille, debout à côté du bureau en les dévisageant avec un vif intérêt.
« Comment ? Des Chevaliers ? » Se demanda Good, surpris. « La Première Armée nous aurait-elle recrutés pour être Chevaliers ? Comment est-ce possible ? Seuls les descendants de familles nobles peuvent y prétendre. Mon statut ne me permettrait même pas de devenir écuyer! »
– « Les Chevaliers de l’air ? Je suis certaine que c’est mon frère qui a proposé ce titre », dit une agréable voix féminine. « Ils sont encore loin de l’être. Retirez-vous sur les côtés et laissez leur la place centrale. »
– « Mais… » dit le chef des gardes, hésitant.
– « Tout va bien. Je suis protégée. »
– « Bien Votre Altesse. »
Votre… Altesse?
Avant même de comprendre ce qui se passait, Good vit les gens devant lui s’écarter et céder la place à une jeune femme d’une beauté incroyable. Ses yeux étaient aussi brillants que des pierres précieuses et son visage plus pur encore que la neige. Quiconque posait les yeux sur elle ne pouvait l’oublier et Good n’avait de cesse de vouloir la contempler.
Il se força pourtant à détourner le regard et s’inclina respectueusement.
À ses longs et magnifiques cheveux gris, Good, qui n’était pourtant qu’un immigré récemment arrivé, reconnut aussitôt le symbole de la famille royale de Graycastle.
Or, dans toute la Cité Sans Hiver, il n’y avait qu’une seule femme qui soit issue de ce sang : Tilly Wimbledon, la sœur du Roi.
– « Mes respects, Votre Altesse! » Dirent-ils en s’agenouillant de manière ordonnée.