Foudre et Maggie descendirent lentement du ciel et atterrirent sur le toit de la Résidence des Sorcières. Au dehors, le vent glacé hurlait mais une fois dans le bâtiment, elles n’entendirent plus qu’un léger sifflement, l’air s’infiltrant par la fente séparant la porte de son bâti.
Le pigeon secoua son plumage pour éliminer les flocons de neige et tandis qu’elle reprenait forme humaine, celui-ci se mit à gonfler pour prendre l’apparence de longs cheveux blancs. Très doux et aucunement ébouriffés par le vent, ceux-ci auréolaient la jeune fille, lui donnant l’apparence d’une boule de coton.
Mais en raison de la neige fondue, ils semblaient ternes et n’étaient pas aussi duveteux que d’habitude.
– « Mes cheveux sont trempés », dit-elle.
– « Vous feriez mieux d’aller prendre une douche de suite, sans quoi vous allez attraper un rhume. »
Foudre enleva ses lunettes et regarda dehors. Durant les Mois des Démons, le temps était extrêmement imprévisible. Les légers flocons qui tombaient encore peu de temps auparavant avaient cédé place à une véritable tempête de neige, l’obligeant à suspendre son entraînement de réadaptation.
– « Vous ne venez pas avec moi ? » Demanda Maggie, surprise.
– « Sa Majesté m’a bien recommandé d’éviter de mouiller ma plaie, surtout avec de l’eau non bouillie », répondit Foudre en haussant les épaules. « Je vais simplement m’essuyer avec de l’eau tiède. Quoi qu’il en soit, ce manteau est imperméable. »
– « Je vois », fit Maggie en passant la main dans ses cheveux pour dégager son visage. « Lorsque j’aurai pris ma douche, je pourrai vous frotter le dos. Cendres a beaucoup apprécié. Et je n’ai même pas besoin de serviette! »
– « Mais… comment avez-vous fait ? »
– « Comme ça! » Répondit Maggie en faisant des mouvements circulaires avec des mèches de ses cheveux.
Foudre leva les yeux au ciel :
– « Non merci. Lorsque vous utiliserai une serviette, j’y réfléchirai. À présent, Maggie, filez sous la douche! »
– « Hey! »
Maggie prit la direction du château, une cuvette en équilibre sur la tête.
Seule dans sa chambre, Foudre verrouilla la porte et s’y adossa.
La jeune fille tendit la main droite et s’aperçut que ses doigts tremblaient.
Elle eut un sourire amer.
À chaque fois qu’elle fermait les yeux, elle voyait le Diable foncer vers elle. Elle avait beau avoir repris l’entraînement, cette peur la poursuivait et semblait même s’enraciner dans son cœur. Jamais encore la sorcière ne s’était trouvée dans une telle situation.
En présence de Roland et son Groupe d’Exploration, elle faisait celle qui n’était pas affectée et Rossignol elle-même ne s’apercevait de rien lorsqu’elle parlait de sa blessure avec d’autres. Cependant, elle ne pouvait se mentir : elle était dans un triste état.
Exploratrice ambitieuse, elle craignait que l’on s’aperçoive de sa faiblesse et si elle avait envoyé Maggie prendre sa douche seule, c’est parce qu’elle ne voulait pas que son amie s’aperçoive de quoi que ce soit.
Elle se laissa glisser sur le sol et enfouit sa tête dans ses genoux.
Phyllis avait beau lui dire que le Diable Supérieur, en établissant un contact visuel avec elle, pouvait très bien avoir généré la peur en elle, comme l’aurait fait un Diable Terrifiant face à un adversaire, elle refusait de se laisser abuser par de telles excuses. Non seulement il y avait un moment de cela mais de plus, en tant que sorcière, elle devait être en mesure de résister à ce genre d’influence émotionnelle. Si, à cette époque, Maggie était également présente, elle n’avait pas du tout été affectée.
Foudre pouvait accepter le fait qu’elle soit terrifiée.
Après tout, ce n’était pas la première fois qu’elle craignait quelque chose.
Personne n’ayant la science infuse, tout le monde avait peur de l’inconnu. L’important étant, à ses yeux, la manière de réagir à cette peur.
La plupart du temps, ce sentiment ne la gênait guère. Bien au contraire, il la poussait à se lancer des défis dans la mesure où elle entendait prouver que rien au monde ne pouvait l’effrayer.
Mais cette fois, cependant, elle se sentait vide.
Si le simple fait de repenser à sa rencontre avec Diable la terrifiait, comment allait-elle pouvoir surmonter sa peur ?
Durant son entraînement, la sorcière volait toujours vers l’Est de la ville et ne passait jamais les remparts, non pour raison de santé mais parce qu’elle craignait la vaste plaine enneigée. À ses yeux, c’était un gouffre sans fond et l’horizon une fente prête à l’engloutir. À chaque fois qu’elle regardait au loin, elle sentait son cœur trembler.
Avant même d’avoir affronté le Diable, elle était déjà frappée par son fort esprit pervers, un peu comme une proie terrifiée devant un prédateur. Cette peur était si forte qu’elle en avait même affecté sa capacité.
Foudre enserra ses genoux.
– « Je suis trop lâche pour diriger le Groupe d’Exploration » pensa-t-elle.
Persuadé que Tonnerre, qui avait exploré tant de mers et affronté tant de dangers, serait en mesure de résoudre ce problème, la jeune fille ne pouvait s’empêcher de se demander ce que son père aurait fait face à une telle peur.
– « Père… » Chuchota-t-elle. « Que dois-je faire ? »
Dans la Forêt aux Secrets, les essais d’armement étaient sur le point de commencer.
Le Roi avait choisi pour se faire la Station Forestière n ° 1, point de départ de la voie ferrée dans les Terres Barbares.
L’année suivante, lorsque la locomotive à vapeur aurait été mise en service, la Cité Sans Hiver pourrait tirer un plus grand profit des ressources de la forêt telles que la nourriture et le bois de construction et serait en mesure d’exploiter les mines de charbon situées près de la Montagne Enneigée. Cette vaste forêt jadis habitée par les bêtes sauvages et peu fréquentée par les hommes deviendrait alors un véritable trésor.
Mais dans l’immédiat, le chemin de fer n’avait qu’un seul objectif : l’effort de guerre.
La Première Armée avait déjà bouclé la station en vue de tester la nouvelle arme.
Bien entendu, Hache-De-Fer était présent.
Il se souvenait encore du jour où, quatre ans auparavant, il avait assisté aux essais de la poudre noire. Simple chasseur à l’époque, il avait été profondément choqué par l’explosion et y avait vu le Feu du Châtiment Divin. Ceci dit, ces essais, véritable révélation pour lui, avaient totalement changé sa destinée.
Désormais Commandant de la Première Armée, il participait activement aux essais d’armement et savait avant même de venir ce que le Roi avait l’intention de tester ce jour-là. En réalité, il ne s’agissait pas, à proprement parler, d’une nouvelle invention mais plutôt d’une combinaison créative à partir d’un train et de canons, que tous connaissaient déjà. Les tests s’annonçaient donc plus sereins cette fois.
En sa qualité de haut responsable militaire, il se devait de rester aussi calme que le Roi et de continuer à donner ses ordres, même devant le tonnerre et le feu.
Mais lorsque le véhicule blindé quitta sa voie de garage, Hache-De-Fer en fut abasourdi.
Entièrement recouvert de plaques d’acier noires, à l’exception de la partie inférieure des roues – il n’avait en rien l’image du train qu’il avait vu auparavant. Vu de face, il avait une forme carrée et anguleuse qui lui conférait une puissance froide et imposante.
Quiconque le verrait en conclurait aussitôt qu’il avait l’air dangereux.
Si, autrefois, Hache-De-Fer ne voyait pas très bien pourquoi Sa Majesté était souvent émerveillé devant une machine, il le comprit soudain en voyant ce train blindé s’avancer dans la neige avec sa fumée blanche qui s’échappait de la cheminée et sa surface couverte de rivets bien ordonnés.
Même l’immense navire en acier, pourtant impressionnant, n’aurait pu rivaliser avec ce véhicule… qui était aussi une arme mortelle!