C’était un après-midi ensoleillé. Il était grand temps pour Roland de respecter ses promesses.
Il conféra le titre de Vicomte à Monsieur Pine, qui reçut également un territoire au sud de la rivière Redwater et fut autorisé à fonder un petit village de l’autre côté de la rivière. Jusqu’ici, ces nouvelles terres étaient occupées par la jungle, mais Roland avait déjà prévu de développer ce terrain. Afin de lui faire renoncer à l’autonomie de son territoire nouvellement acquis, Roland promit à Monsieur Pine qu’il le ferait dégager en priorité aussitôt que possible.
En outre, le Prince y établirait plusieurs types d’industries, ce qui générerait des actions qui seraient cédées à Monsieur Pine et à ses descendants. Bien entendu, il invoqua ses capacités techniques pour justifier son besoin de superviser les industries. Roland lui expliqua également que c’était un très bon moyen de recevoir de l’argent sans avoir à faire quoi que ce soit.
Monsieur Pine accepta volontiers cette offre. Après tout, il n’aimait pas ce genre de travail et à ses yeux, rien n’était plus intéressant que de monter à cheval dans une bataille. Mais après la naissance de sa fille, ce dernier s’était plutôt concentré sur la chasse. Les industries de son ancien territoire avaient périclité depuis longtemps, aussi demanda-t-il à Roland de l’aider à vendre ses terres situées à l’est de la Forteresse de Longsong, aussitôt que toute sa famille aurait déménagé et serait venue vivre à Border Town. Le Prince accepta naturellement sa requête.
Brian, quant à lui, se vit conférer le titre de chevalier. Par la suite, il dut choisir s’il préférait obtenir son propre territoire ou continuer à servir dans l’armée.
S’il choisissait le terrain, il ne pourrait plus servir dans la première armée de Border Town. Si par contre il décidait de rejoindre l’armée, le nouveau chevalier, tout comme les autres soldats, recevrait sa terre en fonction de ses mérites militaires.
Sans hésiter Brian choisit la dernière option.
En conséquence, Roland put enfin commencer à planifier le tracé général de son territoire.
Délimitée d’un côté par la rivière Redwater et de l’autre par la chaîne des Montagnes Infranchissables, La surface habitable était de trois kilomètres de long sur sept à huit kilomètres de large. Lorsqu’on y aurait construit des zones résidentielles, cela pourrait constituer une récompense supplémentaire pouvant être accordée aux officiers promus.
L’autre côté de la rivière Redwater abriterait les futures zones industrielles et agricoles. La terre pourrait être étendue au sud, le seul problème étant que par-là, elle était couverte par la forêt. En outre, sa topographie montait et descendait fortement sur la distance. Pour répondre aux besoins de la population, Roland devrait commencer par défricher la terre.
La zone frontalière située à l’ouest de la garnison et la forêt où se cachaient les bêtes démoniaques constituaient également des zones importantes à étendre.
La forêt possédait une large sélection de trésors tels que le bois, les champignons comestibles, les animaux sauvages, les herbes et plus encore. Outre la construction et l’industrie, le bois pourrait également être utilisé comme source de carburant. Cette vaste zone couverte par la forêt était étonnante. Roland avait déjà envoyé Foudre l’explorer et celle-ci eut parcouru plus de trente kilomètres sans en voir la fin. Cela signifiait que si l’on utilisait tout le bois de cette forêt pour faire un feu, il brûlerait pour très longtemps.
Le dernier secteur était le territoire situé entre la forêt et la chaîne des Montagnes Infranchissables. Il s’agissait d’un no man’s land, une zone restreinte, en d’autres termes, une terre sauvage en friche. Il ne pouvait que spéculer sur les dimensions de ces terres. Les deux zones frontalières étaient immenses, beaucoup plus grandes que le territoire du Royaume de Graycastle. Face à une terre si grande et sans propriétaire, le cœur de Roland commença à battre à contretemps. Mais il savait aussi que, pour le moment, il ne pouvait s’embarrasser de ce bout de terrain. Dans l’immédiat, le plus important pour Border Town était d’augmenter sa population.
De retour dans son bureau au château, il appela l’artiste Soraya.
– « Comment était votre travail, aidez-vous toujours à l’hôtel de ville ? »
– « Je n’ai jamais peint autant de tableaux en une journée. »
Elle semblait en bien meilleure forme que la dernière fois qu’il l’avait vue. « Aujourd’hui, j’ai déjà fini les images de base, mais de peindre uniquement leurs têtes regardant par une fenêtre, me semble un peu étrange. »
– « Ils prendraient facilement peur s’ils voyaient votre stylo magique », sourit le Prince, « ils savent qu’il y a des sorcières à Border Town, mais si vous vous approchez d’eux, cela pourrait facilement causer des accidents, aussi avons-nous dû prendre quelques mesures simples et discrètes pour qu’ils ne sachent pas que vous êtes une sorcière. Plus tard, ils commenceront à changer d’avis progressivement. »
La capacité photographique de Soraya avait permis de porter le programme de recensement de Roland à un nouveau niveau. Pour ce projet, il avait débarrassé une pièce de l’Hôtel de Ville afin d’y stocker les informations relatives aux citoyens. C’était semblable à un registre de population, sur chaque feuille étaient inscrits leurs noms, âges, adresses, les membres de leur famille et ainsi de suite. Ces informations se composaient de toutes les statistiques qu’il avait recueillies pendant l’hiver auxquels s’ajoutaient à présent de nouveaux contenus. La plus grande nouveauté concernant l’ensemble de leurs comptes personnels était l’ajout d’une « photo couleur ».
A la demande de Roland, l’Hôtel de Ville avait mis à disposition une pièce, juste assez grande pour y faire entrer une personne qui resterait anonyme. Il n’y avait qu’une petite fenêtre à travers laquelle Soraya pouvait voir le visage de la personne qu’elle devait peindre. Tandis qu’elle peignait son portrait, la personne ne pouvait pas la voir utiliser son stylo magique.
Pour faire venir les citadins et obtenir d’eux qu’ils communiquent facilement leurs informations personnelles, la méthode de Roland était très simple : celui qui venait obtenait 10 Royals de cuivre. Il ordonna à l’Hôtel de Ville de leur remettre l’argent.
– « Aujourd’hui, je vous ai fait venir ici pour dessiner autre chose. »
Roland sortit des papiers découpés et les remit à Soraya.
Cette dernière remarqua que ces morceaux de papier étaient tous de même taille – la moitié d’une paume de main – et qu’ils avaient une forme rectangulaire.
– « Que voulez-vous que je peigne ? »
– « Quelques accessoires pour le divertissement », dit Roland.
Il avait déjà cette idée en tête depuis longtemps. Tous les jours, les sorcières n’avaient rien à faire en dehors de pratiquer leur magie, cette vie devait être un peu ennuyeuse. On aurait pu pourrait en dire autant du Prince, surtout qu’il devait attendre la fonte des neiges et restait coincé dans le château jusque-là. Par conséquent, il avait eu l’idée de réinventer certains jeux de son ancien monde pour trouver un moyen de détendre les sorcières.
Le plus simple était de créer un jeu de cartes. Mais le papier ordinaire qu’il avait n’était pas adapté, cela poserait problème pour les battre. Cependant, avec Soraya, il pourrait faire des choses plus avancées.
– « Un divertissement ? » Elle baissa la tête, se demandant quel genre de divertissement elle pourrait bien peindre sur un morceau de papier carré, « D’accord, vous avez le dernier mot. »
– « D’abord, sur ce papier, il faut dessiner un soldat avec une grosse arbalète. »
– « Imaginaire ? »
– « Oui, l’armure, la forme du corps, l’âge et les environs, vous imaginerez tout librement, du moment qu’il a une arbalète lourde. »
– « Heu… je vais essayer »
Soraya ferma les yeux, médita un moment, puis elle invoqua son stylo qui apparut dans sa main, et bientôt une lumière brillante jaillit sur le papier.
Très vite, un homme d’âge moyen qui ressemblait à un soldat arbalétrier apparut et se dessina.
– « Très bien », dit Roland, « Laissez-moi réfléchir à ce que pourrait être la peinture suivante, ah … dans le coin supérieur gauche du papier et au milieu, dessinez un petit cercle à chacune de ces positions », il se souvenait de la carte « Le premier cercle est blanc au centre entouré de doré, et le second de couleur orange entouré de doré », dit-il.
Lorsque les cercles furent terminés, Roland lui fit inscrire un chiffre dans le premier cercle :
– « et dans le second cercle, vous dessinerez un arc et une flèche. »
La beauté de la capacité de Soraya résidait dans son aptitude à ignorer le matériel sur lequel elle devait peindre, qu’il s’agisse d’une feuille de papier vierge ou d’une pièce déjà peinte, cela lui importait peu. Le second dessin pouvait parfaitement recouvrir la première peinture, comme une couche de masquage.
Ainsi, une délicate « carte arbalète » apparut devant Roland.
– « C’est ce que vous vouliez ? » Demanda-t-elle.
– « Cette carte ne représente qu’un élément, il y a encore beaucoup de cartes similaires à peindre. À la fin, vous obtiendrez un paquet et ensuite je vous apprendrai à jouer. »
En regardant Soraya peindre les yeux fermés, Roland eut une sorte d’intuition. Peut-être que dans le château, on entendrait bientôt dire quelque chose de ce genre :
– « Avez-vous quelque chose d’important à faire ? Sinon, jouons d’abord une partie de ‘Gwent’! »
(NT : Pour vous faire une idée de ce qu’est le jeu « Gwent »)