La date de sortie de La Princesse Louve était enfin arrivée.
Aux premiers rayons du soleil, Victor fut réveillé par un bruissement. Il ouvrit les yeux et vit qu’il n’y avait plus personne près de lui. Il ne restait plus sur l’oreiller que quelques longs cheveux et un léger parfum de femme.
– « Lila ? » Appela-t-il d’une voix légèrement sèche.
– « Vous êtes réveillé, Votre Excellence ? » Demanda la jeune fille, quelque peu inquiète. « Aurais-je fait trop de bruit ? »
Le bijoutier se redressa et s’adossa à la tête de lit, un léger sourire aux lèvres.
La servante, qui tâtonnait à la recherche de ses vêtements, était adorable, à moitié vêtue, le dos dégagé et la poitrine à peine couverte.
– « Votre Excellence… pourriez-vous cesser de me regarder ainsi ? » Demanda Lila, un peu gênée.
– « Voilà un sentiment que ces nobles dames ne m’offriront jamais », dit-il en riant. « Très bien, je ne regarde plus. Ceci dit, vous allez avoir besoin de mon aide si vous voulez vous habiller correctement. »
La jeune femme eut l’air perplexe.
– « Approchez, je vais vous aider », dit-il en tendant la main : « Mais avant, je voudrais boire un verre d’eau. J’ai terriblement soif! »
Lorsqu’il l’eut aidée à lacer son corset, Victor posa la main sur la taille de la servante.
– « Voilà qui est fait », dit-il. « Cela vous va plutôt bien. La robe peut sembler fragile, mais avant que les élastiques ne soient inventés, les domestiques choisies pour habiller les demoiselles devaient être grandes et robustes, sans quoi jamais elles n’auraient pu attacher leurs robes. »
– « Je vois », dit la jeune fille en tirant la langue. « C’est la première fois que j’entends… »
– « Beaucoup d’articles utilisés par les nobles sont ainsi. Ils ont l’air bien en apparence mais sont terriblement gênants à utiliser. En bref, ils attirent l’œil mais c’est tout », dit-il en riant. « Hmm, vous aviez hâte de la porter, n’est-ce pas ? »
– « Non, non… je me suis levée tôt pour me préparer afin de ne pas vous retarder », répondit Lila en agitant la main. « Je vais vous chercher de l’eau pour votre toilette et préparer le petit-déjeuner. »
– « Dans cette tenue ? » Victor jeta un coup d’œil à la servante, visiblement enthousiaste, mais décida de pas approfondir la question. « Entendu », dit-il. « Je prendrai simplement une omelette avec des toasts. Et ne vous oubliez pas! »
– « Entendu, Votre Excellence, et merci pour les vêtements que vous m’avez offerts, ainsi que pour me donner la chance d’assister au spectacle. »
La porte refermée, Victor quitta son lit pour aller se servir un verre de vin rouge.
« Encore un avantage concernant ce genre de fille », pensa-t-il. « Elles manifestent énormément de gratitude pour quelques simples faveurs. Si j’avais offert les mêmes choses à une noble demoiselle, je n’aurais sans doute même pas eu droit à un sourire en remerciement. »
Quatre-vingt Royals d’or ne représentaient pas grand-chose pour lui et par ailleurs, il était beaucoup plus agréable d’aller au spectacle accompagné que seul. Il ne faisait guère cela par gentillesse ou amour, mais plutôt par intérêt personnel, curieux qu’il était de savoir ce que pouvait apporter un film magique à quarante Royals d’or la place.
– « Comptez-vous vraiment y assister, Maître ? » Demanda Réjane, inquiète, en scrutant la belle tenue de Carmine Fels. « Il est vrai que May a dit qu’elle recommanderait votre nouvelle pièce à Sa Majesté, mais si ça se trouve, ce n’était qu’un prétexte pour profiter de votre célébrité. En y allant, vous pourriez tomber dans un piège. »
– « Je ressens la même chose… elle n’est plus digne de confiance », grommela Amelio. « Je doute qu’elle ait si facile de voir le Roi, à plus forte raison de lui recommander une pièce de théâtre. »
– « Mais n’oubliez pas que May est mariée au Chevalier en Chef. Elle a toujours la possibilité de transmettre un message à Sa Majesté, n’est-ce pas ? » Suggéra prudemment Bernis.
– « Vous prenez encore sa défense ? » S’exclama Réjane en lui lançant un regard noir. « Vous oubliez la manière dont elle nous a traités ? »
– « Euh… Le Maître ne nous a-t-il pas dit qu’elle n’avait rien à voir avec l’Hôtel de Ville ? »
– « Et qui vous dit qu’elle ne ment pas ? »
– « Assez! » Coupa Carmine. « Mon intention d’y assister n’est en rien motivée par cette supposée recommandation. Elle est peut-être vaniteuse et j’en passe, mais nous ne pouvons pas nous comporter de la sorte. Même si je ne suis pas d’accord avec elle, je me dois de me rendre compte par moi-même. » Il soupira et poursuivit : « Pensez-vous qu’une équipe de débutants puisse vraiment interpréter l’histoire à la perfection ? Il faut du culot pour affirmer une telle chose! Si jamais je n’y vais pas, cela voudra dire qu’elle a réussi à m’effrayer. Ce n’est qu’en y assistant que je pourrai la percer à jour, ne pensez-vous pas ? »
Sur ce, il jeta sur la table quatre billets finement imprimés. « Elle ne nous a pas adressé des billets d’entrée mais des lettres de défi! Le choix vous appartient mais ceux qui n’auront pas vu la pièce devront s’abstenir de critiquer. Que ceux qui sont prêts à relever ce défi me suivent! »
Il était à peine dix heures du matin que déjà, les discussions allaient bon train à l’entrée du nouveau théâtre.
Tout le monde semblait attendre avec impatience le spectacle annoncé depuis longtemps. Il y avait aussi des gens qui, ne pouvant pas s’offrir ces billets de première au coût trop élevés pour eux, espéraient au moins en avoir un aperçu par n’importe quel moyen.
Mais à leur grande surprise, ces gens s’aperçurent que ce théâtre été conçu de manière complètement différente des autres. Construit en forme de bol retourné, il ne possédait pas une seule fenêtre. Il ne fallait pas espérer entendre quoi que ce soit en collant son oreille contre les murs, ni même jeter un coup d’œil. La salle, particulièrement petite et accueillante, ne mesurait que quinze mètres de long et de haut avec seulement un étage. À voir les murs extérieurs de ciment non décorés, il était difficile de croire qu’on s’apprêtait à y donner un spectacle d’avant-garde.
En proie aux doutes, Victor entra, accompagné de Lila.
Le long des étroits passages prévus pour une personne se trouvaient de nombreux points de contrôle. Pour pouvoir passer, le bijoutier dut remettre aux gardes la Pierre du Châtiment Divin et le poignard qu’il portait sur lui pour se défendre en cas de nécessité.
Lorsque le couple poussa la porte, leurs yeux s’illuminèrent.
– « Wow! » S’exclama Lila.
Quant à Victor, il fut surpris de constater que le théâtre était tout illuminé par des Pierres Magiques, des objets de valeur qu’il n’avait jamais vu que chez les Marchands Noirs.
Décorer ainsi un lieu public était révélateur de la richesse de son propriétaire.
Autant, vue de l’extérieur, cette salle paraissait austère, autant l’intérieur en était on ne peut plus luxueux. Quatre grappes de Pierres de Lumières pendaient du dôme voûté, éclairant cette salle sans fenêtres et de l’air chaud montait du sol, générant une température agréable. Des rangées de chaises longues avaient été placées autour du centre, séparées l’une de l’autre de la distance d’un bras, de sorte que l’on ne s’y sente pas à l’étroit.
Victor commençait à comprendre pourquoi les billets étaient si chers. Conçue pour offrir une agréable expérience de visionnage, la salle ne proposait qu’un nombre de places limitées. À en juger par le nombre de sièges, elle ne pouvait accueillir qu’entre cinquante et quatre-vingt personnes, soit beaucoup moins que lors d’une représentation classique. Sans augmenter le prix des billets, il aurait été impossible d’atteindre le seuil de rentabilité.
Mais une question le taraudait : il avait beau regarder, il ne voyait pas la scène.
Hormis un solide pilier de pierre au centre de la salle qui reliait le sol au plafond, il n’y avait que des sièges.
La troupe Star Flower avait-elle prévu de danser autour du pilier ?