– « Mais ma capacité magique peut continuer à croître avec la pratique, il n’y a donc pas de limite au nombre d’évolutions, n’est-ce pas ? » Dit Foudre qui ne semblait pas le moins du monde frustré. « Je suis enthousiaste à l’idée de pouvoir dépasser mes propres limites! Par ailleurs, je peux désormais me considérer comme une sorcière mi- combattante! »
– « Se battre Goo! » Renchérit Maggie.
– « Je comprends que vous soyez ravie, mais surtout, n’accélérez plus à l’approche du château de crainte de causer de nouveaux ennuis à Sa Majesté », recommanda Wendy. Elle s’éclaircit la voix et poursuivit : « Et il va vous falloir conserver votre pouvoir magique pour les prochains jours jusqu’à ce que tous les tests soient terminés. Vous comprenez ? »
– « Oui, grande sœur! » Répondit Foudre en lui tirant effrontément la langue.
Roland, pour sa part, avait un point de vue différent. Même si le fait de pouvoir voler à une vitesse supersonique pouvait apporter une mobilité sans pareille, une fois le pouvoir magique épuisé, elle était susceptible de se retrouver dans une situation dangereuse. De plus, Foudre étant beaucoup plus petit qu’un avion, il ignorait encore quels dégâts elle pourrait causer à un Diable en fonçant sur lui à une vitesse supérieure à celle du son. Il n’était donc pas utile de faire d’elle une sorcière de combat.
Par ailleurs, elle serait toujours à la merci des Tueurs de Magie, capables d’affecter le flux du pouvoir magique dans un large rayon.
Ce qui l’inquiétait davantage, c’était la durée pendant laquelle elle pouvait maintenir cette vitesse subsonique de 800 à 900 km / heure : du jamais vu pour l’époque. Elle serait sans doute plus efficace à étendre les cartes aux lieux encore inexplorés ou pour combler les angles morts du champ de bataille que ne pouvait couvrir Sylvie.
Foudre était sur le point de partir lorsque Roland l’arrêta :
– « À propos, j’ai une autre question à vous poser », dit-il en cherchant les mots justes. « Que feriez-vous si, d’ici dix ans, il ne restait plus rien à explorer dans ce monde ? »
– « Plus rien à explorer ? » Répéta la sorcière, légèrement surprise.
– « Imaginez que chaque continent ait déjà été visité, chaque secteur maritime répertorié en détail sur des cartes, que le monde entier soit connu. Je sais que cela peut sembler incroyable, mais le cas échéant, souhaiteriez-vous toujours devenir exploratrice ? »
– « Je vois », répondit la jeune fille, comprenant soudain ce qu’il voulait dire. « Vous voudriez savoir ce que je ferais si, durant la Bataille de la Divine Volonté, les explorateurs des Fjords découvraient tout ce qu’il y a à explorer sur terre comme sur mer ? »
– « Eh bien… Vous pouvez le voir ainsi », dit Roland, un peu dérouté.
Il avait fait de gros efforts pour contourner le sujet, mais elle avait immédiatement compris l’essentiel. Décidément, les gens d’un même domaine étaient difficiles à tromper!
– « À moins qu’ils ne soient tous aussi puissants que mon père, mais même dans ce cas, je continuerai à explorer », répondit Foudre sans hésiter. « D’autant qu’il y a des endroits que je suis seule à pouvoir atteindre. Même mon père ne le peut pas. »
– « Vous voulez dire… »
La jeune fille pointa le doigt en l’air et répondit, pleine d’assurance :
– « Il y a encore un grand vide dans le ciel! »
Roland attendit qu’elle se retire et partit d’un grand éclat de rire.
Devait-il dire « Tel père, telle fille » ? Non seulement elle parlait comme Tonnerre, mais son ton était bien plus fort. Il ignorait si son destin d’exploratrice serait tel que son père l’avait décrit mais il y avait du vrai dans ce qu’elle venait de dire. En termes de talent, Foudre surpassait sans doute tous les autres.
– « Qu’est-ce qui vous fait rire ? » Demanda Rossignol, curieuse.
Il se leva, se dirigea vers la porte-fenêtre et regarda le ciel. Son regard semblait perdu bien au-delà des nuages. Bien qu’il fût toujours insondable et mystérieux, il y avait déjà des gens pour s’y intéresser.
– « Je me disais simplement… qu’il est si bon d’être jeune », répondit Roland, ému.
Les problèmes de Foudre réglés, le Roi retint Wendy.
– « J’ai l’intention d’ajouter un département à l’Hôtel de Ville », annonça-t-il de but en blanc. « Non seulement il pourra faire face aux urgences comme celle d’aujourd’hui mais de plus, ce sera un canal fiable pour alimenter les discussions des gens. »
– « Vous voulez dire… qu’il servira principalement à véhiculer des messages ? » Demanda la sorcière.
– « Oui, nous l’appellerons le Ministère des Relations publiques », répondit Roland en hochant la tête. « Cependant, il diffusera les informations de manière quelque peu différente. Premièrement, tout ce qui n’est pas urgent sera annoncé par le biais du tableau d’affichage sur la place. Ensuite, ce département ne se bornera pas à diffuser les nouvelles relatives à la Cité Sans Hiver. Nous y inclurons aussi l’annonce d’évènements inédits susceptibles de se dérouler dans d’autres régions. »
– « Si nous ne les publions pas sur la place, comment pourrons-nous en informer les gens ? » Demanda Rossignol avec une moue.
Roland prit sur sa table une feuille de papier qu’il déplia devant elles :
– « Pour cela, nous allons avoir besoin d’une toute nouvelle méthode de diffusion de l’information : le journal. »
Au départ, le taux d’alphabétisation étant extrêmement faible, Roland n’avait pas eu d’autre solution que d’installer des tableaux d’affichage sur la place centrale et d’envoyer des gens faire des annonces répétées. Dans de telles circonstances en effet, le bouche à oreille restait le seul moyen de promouvoir un décret.
Cependant, suite à la rapide expansion de la population urbaine et du territoire, cette méthode n’était plus en mesure de répondre aux besoins réels des sujets. Si, autrefois, il suffisait de réunir trois mille personnes pour s’assurer que l’information serait diffusée dans toute la ville, il faudrait désormais compter quatre-vingt à quatre-vingt-dix mille âmes.
Non seulement cette foule ne tiendrait pas sur la place centrale, mais sa mobilisation entraînerait l’interruption des activités industrielles de la ville.
Le rapport de Barov lui a fait comprendre que le fameux « si vous ne faites pas vous-même votre propagande, d’autres s’en chargeront pour vous*», n’était pas seulement un dicton. Sans source fiable, diverses rumeurs se répandraient dans les tavernes et une fois qu’elles se seraient propagées, il serait trop tard pour y mettre fin.
Cela faisait deux ans et demi que l’enseignement primaire était dispensé dans la ville. Par ailleurs, la Cité Sans Hiver étant bien plus riche en matériaux que les années précédentes, la création d’un journal comme moyen de communication devenait une évidence.
Si cette première condition était fondamentale pour gérer la diffusion des journaux, la seconde étape consisterait à assurer l’efficacité des canaux qui publieraient ces journaux.
Pour créer un journal officiel, il fallait une large diffusion et du contenu capable de susciter des discussions. La ville devait donc disposer d’une grande quantité de papier et d’une technologie d’impression efficace.
Le premier problème pourrait être facilement résolu, le papier étant déjà largement répandu dans les foyers des classes moyenne et supérieure au sein des villes du Centre et de l’Est où le commerce était en plein essor. Les parents de Lucia, désormais décédés, dirigeaient même une usine de papier à Valence. Selon les statistiques de l’Hôtel de Ville, de nombreux émigrés en provenance de l’Est en maîtrisaient parfaitement la fabrication. En réunissant tous ces artisans, il pourrait augmenter la capacité de production et satisfaire aux besoin de la grande distribution.
Pour la Cité Sans Hiver, tout problème pouvant être résolu avec de l’argent n’était pas en soi une difficulté.
Quant à l’impression, les caractères mobiles en métal et les rouleaux étant des techniques qui avaient fait leurs preuves, Nuage Noir pourrait fournir l’encre. En théorie, cette étape serait donc plus simple encore que la fabrication du papier.
Mais à quoi bon expliquer tous ces détails à Wendy ? Mis à part les aspects techniques, les articles seraient rédigés par des gens. Le plus important était donc de trouver des personnes pour rassembler et consigner les informations.
S’il avait demandé à Wendy de rester, c’était parce qu’il attendait d’elle qu’elle choisisse, parmi les sorcières de l’Association et des Sortilèges de l’Île Dormante, quelques candidates susceptibles de convenir à ce poste. Elle connaissait mieux que quiconque les capacités de ses sœurs.
– « J’ai à peu près compris… », dit Wendy après avoir entendu les explications de Roland. Elle réfléchit un instant et ajouta : « Pour résumer, vous auriez besoin d’une sorcière capable de découvrir l’évènement au moment où il se produit et de courir suffisamment vite pour être la première à faire parvenir la nouvelle au département chargé de sa diffusion ? »
Roland faillit s’étrangler avec sa salive :
– « Il n’est pas nécessaire qu’elle courre vite », répondit-il. « À partir du moment où elle sait où s’est produit l’incident, elle pourra charger quelqu’un d’autre de transmettre le message. »
– « Si je comprends bien, elle serait officiellement membre du Ministère des Relations Publiques ? Dans ce cas… j’ai bien quelqu’un à vous proposer, Majesté », répondit Wendy en riant. « Que diriez-vous de Honey ? »
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NDT : Cette phrase est une citation prononcée par Mao Zedong en 1953 dans le cadre d’une propagande visant à contrer celle du capitalisme mondial.