« Dans une grande ville surplombée de hautes montagnes et devant laquelle s’étendait une magnifique plaine, vivaient deux charmantes petites princesses, épanouies, bien élevées et appréciées partout où elles allaient. »
« À l’âge de 14 ans, l’aînée s’éveilla, ce qui n’était pas un problème car les habitants de la ville vivaient en paix avec les sorcières, sans lesquelles ils n’auraient jamais pu s’installer dans cet endroit dangereux. Mais contre toute attente, loin de souligner sa beauté, le pouvoir magique eut raison de son apparence. »
« Jour après jour, ses oreilles s’atrophièrent tandis que deux autre, pointues et couvertes de fourrure, se développaient au sommet de son crâne. Ses doigts s’allongèrent et se couvrirent de poils qu’il était difficile de raser. Peu à peu, elle perdit son apparence humaine. »
« Personne n’avait jamais vu pareille sorcière, au point que les sages de la cour eux même ne savaient pas si ces changements avaient été causés par l’Éveil. »
« Au fil du temps, et à mesure que l’état de la Princesse empirait, se répandit au sein du Palais une rumeur prétendant que celle-ci était maudite. »
« Et c’est cette Princesse que le grand chef voudrait que j’incarne ? » Se dit Loélia en touchant son visage : « Heureusement que je n’ai pas les joues velues. »
Elle éprouvait de la sympathie pour la sœur aînée de l’histoire qui, contrairement à elle, n’avait développé cette apparence demi-animale qu’après un usage répété de sa capacité de transformation et l’avait acquise dès son éveil. Il n’était donc pas étonnant que les gens la repoussent et la rejettent.
« C’est trop cruel pour cette Princesse », se dit-elle. « Le grand chef devrait peut-être y apporter quelques modifications. »
La jeune femme-loup prit une position plus confortable et, curieuse, tourna la page.
« Alors que sa jeune sœur ne s’inquiétait pas du tout des changements survenus dans le corps de son aînée, la Princesse Louve se sentait devenir plus forte, si forte qu’elle craignait de ne pas pouvoir contrôler son pouvoir. Ne voulant pas blesser accidentellement sa petite sœur, elle finit par s’éloigner d’elle et s’enferma dans les bas-fonds du Palais. »
« Dès lors, les deux Princesses, jusque-là si proches, perdirent tout contact pendant quatre ans. »
« Mais alors que la petite Princesse atteignait ses seize ans, quelque chose d’imprévu se produisit. »
« Un Prince étranger arriva dans la ville pour la demander en mariage, accompagné d’un cortège de plus de 2 kilomètres de long. Ses gens l’appelaient respectueusement le Roi du Monde. Il portait des bijoux plus brillants que le soleil et avait si belle apparence que toutes les jeunes filles de la ville furent aussitôt attirées par lui. »
« Ravi, le Roi organisa une magnifique réception pour divertir cet invité de marque. »
« Toutes les nobles louèrent ce Prince, convaincus que ce mariage apporterait une extrême richesse et prospérité à la Cité des Montagnes. »
« Je ne suis pas d’accord! » S’écria soudain la Princesse Louve en faisant irruption dans la salle de réception. »
« Elle ne pouvait pas rester ainsi, les bras croisés, et laisser une personne suspecte emmener sa petite sœur. »
« Mais celle-ci, qui ne l’avait pas vue depuis quatre ans, hésitait à se fier à son jugement. »
« Accablée de tristesse et de déception, la Princesse Louve finit par perdre le contrôle de son pouvoir. Elle vandalisa la salle et blessa le Prince, après quoi elle quitta la Cité des Montagnes. »
« Idiote, ta capacité ne s’améliorera pas avec l’âge », pensa Loélia en se frappant le front, convaincue que ce comportement était causé par un manque de pratique. À la place de la Princesse Louve, elle aurait demandé à son père de lui construire une salle d’exercice où elle pourrait chaque jour affronter des guerriers professionnels et améliorer ses compétences. Ce n’est qu’ainsi qu’une sorcière pouvait apprendre à manipuler avec souplesse son pouvoir magique.
Elle-même en était un parfait exemple dans la mesure où, à force d’entraînement, la seconde année après son Éveil, elle pouvait tenir une tasse dans sa patte de loup sans la briser.
À l’origine, Loélia voulait simplement feuilleter le livret, mais à présent, totalement prise par l’histoire, elle avait hâte d’en découvrir la suite.
« Après son départ, la Princesse Louve décida d’oublier son passé et donner libre cours à son énergie. Bientôt arriva son Jour de Passage à l’Âge Adulte. Son pouvoir augmenta considérablement et elle prit l’apparence d’un loup géant. Mais quelque chose la taraudait au sujet du Prince étranger. Il était arrivé en ville un jour d’hiver mais son cortège n’avait laissé aucune trace dans la neige. Par ailleurs, même la nuit, il n’y avait pas de lumière dans les voitures. On aurait dit que cette suite n’était pas humaine. »
« Pendant ce temps, dans la ville, la petite Princesse avait l’impression d’avoir commis une erreur et comme elle ne voulait pas perdre sa sœur aînée, sa meilleure amie, elle quitta discrètement le Palais avec l’aide d’un pigeon et d’un poisson et partit à la recherche de la Princesse Louve. »
« En chemin, elle se heurta au Prince venu la chercher mais refusa de partir avec lui. Voyant qu’il n’aurait pas gain de cause, celui-ci déchira son déguisement et apparut tel qu’il était : un prince des démons, sinistre et trompeur. Il raconta tout à la princesse. La Cité des Montagnes étant un goulot d’étranglement naturel, il envisageait de détruire la défense humaine de l’intérieur et lorsque son armée aurait conquis la ville, elle marcherait vers les terres les plus peuplées. Il était déjà trop tard pour les humains car son armée, dissimulée dans son cortège, était en train de franchir tranquillement les portes de la cité. »
« Il enleva donc la Princesse, mais le pigeon, qui avait tout entendu, alla trouver sa sœur aînée et lui raconta tout. Sans hésiter, la Princesse Louve retourna en ville, trouva la cité en proie au tumulte de la guerre et aida les soldats à renverser la situation afin de reprendre le Palais. »
« Mais comme le Prince des démons refusait d’abandonner, une bataille décisive éclata entre lui et la Princesse Louve. »
« Après un combat acharné, celle-ci parvint à tuer le démon et à sauver sa sœur ainsi que la ville. Malheureusement, grièvement blessée, elle mourut peu de temps après. Devenue Reine, sa sœur fit ériger en plein cœur de la ville une statue à la mémoire de la Princesse Louve dont la touchante histoire ne tarda pas à se répandre et se transmit de génération en génération … »
Loélia referma le livre, se frotta la nuque et poussa un soupir de soulagement.
Elle était sincèrement ravie car, à en croire cette histoire, le grand chef la considérait désormais comme une excellente guerrière, capable non seulement de sauver ses amis mais également de se distinguer pour sauver un pays.
Flattée, elle remua joyeusement sa queue de loup.
La fin de l’histoire relatant la mort de la Princesse ne lui posait aucun problème car pour une guerrière, c’était un honneur que d’être tuée au combat, en particulier contre un puissant adversaire. Étant donné que ce récit ne faisait pas mention d’une sorcière guérisseuse comme Naela, cette issue était tout à fait plausible.
Cependant, certains détails de l’histoire la laissaient confuse comme, par exemple, le mal être de la Princesse Louve en apprenant que sa cadette était sur le point de se marier. À ce moment-là, le Prince étranger était très populaire et nul ne savait qu’il était en réalité un démon. En sa qualité d’aînée, elle aurait dû considérer cette union comme une bénédiction.
Elle se demandait aussi pourquoi le Prince des démons s’était senti obligé de tout expliquer à la petite princesse avant de la kidnapper. Pour un chef militaire, il semblait bien bavard et manquait terriblement de prudence.
« Après tout qu’importe. Puisque je l’ai promis au chef, je jouerai dans cette pièce… ou plutôt ce “film magique”. Quant à l’entraînement, il sera toujours assez tôt pour le reprendre dans une quinzaine de jours. »
Satisfaite, Loélia s’étira et s’endormit le sourire aux lèvres.