Le soleil apparaissait, enveloppé de vapeurs d’eau rougies par la lumière de l’aurore…
Un gigantesque métaséquoia1, dont les feuilles reflétaient la douce chaleur rougeoyante des rayons du soleil, se dressait dans les eaux peu profondes, immobile, lorsque quelques oiseaux à longue queue s’envolèrent nonchalamment de ses branches.
Un groupe de sept ou huit éléphants buvait tranquillement l’eau de l’étang. De temps à autre, les adultes pulvérisaient une bruine d’eau sur le dos des éléphanteaux avec leur trompe.
Un peu plus loin, un rhinocéros sortait lentement de l’eau, sans se soucier des hautes herbes qui s’étendaient le long du rivage. Il marcha sans égards sur cette nourriture exquise et pénétra la forêt luxuriante.
Sur la branche d’un arbre, un léopard observait calmement le rhinocéros s’éloigner. Cette proie était bien trop grosse pour lui.
Le félin, qui avait été en route toute la nuit, était manifestement fatigué. La chasse n’avait pas été bonne et son ventre restait creux.
À présent, il attendait patiemment que les premiers cerfs viennent, comme à leur habitude, boire l’eau de l’étang.
« Houuu… »
À cet instant, alors que les premiers cerfs avaient déjà atteint la rive, on entendit au loin le son sourd de cornes et de tambours de peau de boeuf.
Aussitôt, le léopard se redressa vivement et jeta un dernier regard vers ses proies avant de quitter sans hésiter son territoire de chasse.
…….
Le jeune chasseur Liang mit son carquois sur son dos et sortit de chez lui une longue lance à la main.
« Liang ! »
À l’extérieur de la maison, la mère appela son fils et plaça une plume de faisan sur sa tête. Elle le contempla d’un regard ardent et empli de compassion, puis marmonna quelques mots, semblant demander au ciel de veiller sur son enfant. Ses yeux brillaient d’une force divine, comme si l’oracle lui-même empruntait son regard pour se poser sur le corps de son fils. Ce dernier regarda le ciel bleu clair qui scintillait d’une lumière matinale dorée. C’était un signe du ciel. Plus que jamais, il sentait tout son être empli d’une force vive.
La mère saisit le médaillon de jade que le garçon portait autour du cou, sur lequel le Dieu de la guerre déployait de larges ailes, et le leva pour l’imprégner des rayons du soleil.
« C’est toi le meilleur ! » dit la mère à voix haute.
« Evidemment, j’ai toujours été le meilleur ! », répondit Liang qui dévoila ses dents blanches en frappant doucement sur sa poitrine.
« Allez, va ! » La mère était un peu contrariée. L’enfant ne savait jamais rester sérieux, même lorsqu’elle priait.
Liang arriva avec nonchalance sur le grand terrain de la tribu où tous les jeunes étaient déjà rassemblés, et où des femmes dansaient. Juste après son arrivée, les membres de la tribu se dispersèrent tout naturellement pour prendre la route.
Il ne voulait surtout pas être en tête du groupe. L’haleine du chef était bien trop mauvaise, et avant chaque chasse, celui-ci avait pour habitude de parler beaucoup. Le garçon se fichait pas mal de ses paroles, mais il ne supportait vraiment pas cette odeur digne de l’haleine d’un ours.
Le chef le regarda à distance, puis secoua la tête en trahissant sa déception. Pour lui, ce jeune homme ne savait pas apprécier la chance qu’il avait de bénéficier de son enseignement.
« Houu… »
Les cornes retentirent de nouveau et le groupe devint silencieux. Les danses cessèrent également. Le chef éleva un énorme Cong2 de jade et se mit à prier et à chanter. Il implora le ciel de leur accorder sa bénédiction lors de la chasse, demandant que les hommes amènent davantage de proies, afin que les habitants aient suffisamment de nourriture pour passer l’hiver.
Liang regardait lui aussi le Cong, faisant tout pour ignorer la silhouette du chef qui le portait. Il avait parfois l’impression que ce dernier n’était pas digne de soulever cette si belle pièce de jade.
Il regarda ses bras, ses longues jambes et sa poitrine majestueuse, et pensa que, si lui-même tenait cette pièce de jade, les dieux du ciel seraient d’autant plus satisfaits.
Le chef prit dans le feu une carapace de tortue carbonisée et fissurée. Il l’observa un instant, avant de pointer sa main vers les montagnes du sud.
En voyant son geste, Liang poussa un soupir. À ses yeux, la chasse s’annonçait difficile.
En effet, les montagnes du sud étaient le territoire d’un groupe de léopards qu’il avait déjà croisé. Ces fauves étaient particulièrement difficiles à appréhender.
Liang ne comprenait pas la décision du chef. À leur gauche, il y avait le grand lac, zone peu fréquentée par les animaux les plus féroces, où beaucoup de cerfs se rassemblaient pour boire. Avec de la chance, ils pouvaient même attraper quelques crocodiles …
Les chasseurs entrèrent rapidement dans la forêt, observant les traces laissées par les bêtes sur le sol, ainsi que les poils accrochés sur les branches lors de leur passage.
« Liang, qu’as-tu trouvé ? Y a-t-il de grands animaux près d’ici ? », demanda Caillou, qui était à côté du garçon.
« Des cerfs sont entrés dans les bois », répondit Liang, les sourcils froncés.
« Les cerfs viennent rarement dans la forêt, car ils se déplacent plus lentement dans la jungle », ajouta Caillou.
« Qu’est-ce qui les a forcés à y entrer ? »
« Des léopards, les plus intelligents d’entre eux. Ils sont un petit groupe poursuivant les cerfs pour constituer leur réserve de graisse. Lorsqu’il neige, il est difficile pour eux de se procurer de la nourriture. »
« Nous devrions saisir l’opportunité », dit Caillou en réfrénant son excitation.
« Mais il faut faire attention, nous sommes là pour chasser, pas pour servir de proies aux léopards », dit Liang avec une certaine inquiétude.
Les conclusions de Liang furent rapidement transmises aux autres chasseurs, qui croyaient fermement en son sens de l’observation. Le visage éclairé par un sourire plein d’attente et la lance à la main, les jeunes chasseurs s’avancèrent dans la forêt avec prudence.
Plus loin dans la forêt, un troupeau de cerfs paissait au bord d’une mare. Ils avaient été poursuivis jusque-là par plusieurs léopards durant la matinée, et après que ces derniers eurent disparu après avoir emporté quelques proies, les cerfs, qui se sentaient désormais en sécurité, avaient choisi de se reposer au bord de la mare.
Mais ils ne savaient pas que le danger était toujours derrière eux. Les herbivores sont les offrandes dédiées aux carnivores, ainsi qu’aux hommes. Leur raisonnement pur leur permet d’oublier facilement le sang et la mort de leurs congénères. Sans préoccupations, ils se nourrissent d’herbe fraîche et s’abreuvent d’eau claire, jusqu’à ce que la mort les aborde, les faisant courir de toutes leurs forces, mais avec aussi beaucoup de grâce et d’élégance, comme si la mort, aussi dramatique soit-elle, pouvait avoir une forme de beauté. Une fois au sol, le cerf ne lutte plus. L’âme du cerf s’est retirée plus tôt, lorsqu’il courait encore… Liang se remémorait les paroles de sa mère.
Il pensa alors : « Hélas, une fois de plus, le cerf n’aura aucune chance de courir. »
Mais bien entendu, les cerfs sont très vigilants. S’ils perçoivent le moindre mouvement, ces elfes farouches s’enfuient rapidement. Liang et son groupe prirent donc soin de se placer face au vent avant de s’approcher lentement.
Le groupe de cerfs était face à eux, mais Liang avait toujours l’impression qu’une paire d’yeux les observait de derrière.
Il prit lentement la lance qu’il portait sur le dos, et, aussitôt, une silhouette jaune clair jaillit hors de la végétation. Liang déploya tout son corps et pivota pour jeter son arme.
Aussitôt après ce premier mouvement du garçon, les autres chasseurs donnèrent également l’assaut en lançant chacun leur arme sur leur cible.
La lame de la lance de Liang transperça le corps d’un grand cerf mâle avec une paire d’énormes bois sur la tête.
L’animal s’écroula au sol et on entendit aussitôt des acclamations venant du reste du groupe. Mais Liang n’alla pas tout de suite voir son butin ; il continuait à garder un oeil sur l’herbe derrière lui.
Un souffle de vent balaya brusquement la végétation, et, au travers des hautes herbes, la silhouette vague d’un léopard apparut un court instant, avant de disparaître dans le silence.
Liang sourit doucement. Il ne s’était pas trompé.
Au bord de la mare, une vingtaine de cerfs étaient tombés. Les hommes arrachèrent alors leur lance de leur corps et burent de leur sang. C’était la récompense du chasseur.
Le cerf mâle qui avait été touché par la lance de Liang n’était pas mort. D’un geste habile, le garçon poignarda à l’aide d’une tige acérée le cou de l’animal, et du sang jaillit abondamment.
Ce premier jour de chasse était bon. Le groupe continua de chasser les cerfs pour apporter suffisamment de peaux à la tribu, car cela faisait partie des éléments indispensables. Les jeunes filles aimaient porter des jupes et des hauts en peau de cerf, et lorsqu’elles couraient gaiement, leur silhouette rappelait celle des cerfs. Le moral des jeunes chasseurs était également revigoré lorsqu’ils pensaient que les jeunes femmes de la tribu porteraient le fruit de leurs efforts.
Liang envoya quelques chasseurs ramener leurs gains à la tribu.
En réalité, les hommes n’eurent pas à aller trop loin car, dans les bois, à une courte distance de la tribu, de nombreuses femmes ramassaient des fruits mûrs. Ils remirent simplement les cerfs à ces dernières, qui se réjouirent de les ramener au sein du groupe.
Les journées de chasse passèrent très rapidement et, tandis que Liang et ses hommes poursuivaient les cerfs, ils chassèrent également des boucs, des sangliers, des lapins, des renards, des scorpions et d’autres proies. Toutes ces récoltes renforçaient les forces et le courage des hommes.
Chaque nouvelle prise les faisait grandir. Les proies étaient systématiquement transportées jusqu’à la tribu, tandis que leur peuple leur transmettait leur bénédiction. Le soutien de la tribu était la source de la motivation des chasseurs.
Liang était pris d’un élan irrépressible car, lors de cette chasse, il avait pu apercevoir la silhouette d’un léopard.
Depuis qu’il était chasseur, chaque année, il tuait des éléphants et d’innombrables boucs et cerfs. Il avait même chassé l’aigle et le cygne au-dessus des monts enneigés. Cependant, jamais il n’avait eu la chance de tuer un léopard. Le fauve était bien trop rapide. À chaque fois, celui-ci s’échappait sous ses yeux sans qu’il ne puisse rien faire.
La fourrure du léopard était la plus belle des parures, et c’était aussi un objet sacré utilisé pour vénérer le ciel.
Dans les légendes, la plus belle des déesses chevauchait un léopard pour parcourir les terres et offrir un garçon ou une fille à chaque femme qui désirait un enfant.
Et en plus de servir d’offrande, une peau de léopard pouvait s’échanger contre cinq jeunes femmes d’autres tribus. Grâce à ces nouvelles venues, la tribu pouvait s’agrandir.
Ainsi, lors de la grande réunion annuelle des rencontres entre jeunes hommes et jeunes femmes, la peau de léopard était toujours le bien le plus précieux.
Les récoltes n’avaient pas été bonnes cette année. Peu de millet avait poussé sur les terres brûlées du printemps. Si la chasse ne leur rapportait pas suffisamment de proies, le chef serait forcé d’échanger des jeunes filles de la tribu contre de la nourriture.
Liang ne voulait surtout pas que le chef doive en arriver là. Pour cette raison, il souhaitait de tout coeur obtenir une fourrure de léopard.
Soudain, au fond de la jungle, le ciel s’assombrit rapidement.
Le jeune Liang n’eut pas besoin de donner d’instructions. Les chasseurs allumèrent un feu dans un espace dégagé, dispersèrent de la poudre d’herbe angélique autour d’eux pour repousser les serpents et les insectes, et en jetèrent une grande quantité dans le feu, car la fumée de cette herbe pouvait également repousser les serpents.
Ils cuisirent ensuite de la viande de cerf. C’était un aliment rare, car les cerfs ne se rendaient au bord du lac qu’en cette période.
Il s’agissait d’un cadeau du Dieu à la tribu.
Liang sortit alors une flèche dont la pointe scintillait légèrement. Elle était différente des autres. Il s’agissait d’un objet précieux que le chef lui avait donné. Le garçon s’était servi de son tranchant très aiguisé pour couper la peau épaisse des buffles, et il réservait cette flèche pour chasser le léopard. Seul cet animal, aussi rapide que l’éclair, nécessitait l’usage d’une telle arme.
Dans la nuit noire, la flèche sombre et lourde reflétait les flammes du feu de camp. Le jeune chasseur frottait doucement la flèche, le sang en ébullition. Lorsque le léopard serait à proximité, cette flèche se lancerait à la poursuite de ce fauve semblable à la foudre.
Autour du feu, les chasseurs mangeaient la viande grillée. Effrayés par la lumière scintillante des flammes, les oiseaux et les autres bêtes de la forêt s’étaient éloignés. Les chasseurs dépendent de la protection de ces flammes. Ils pouvaient sentir le regard des bêtes autour d’eux. Liang pouvait même entendre parfois un léger souffle de respiration. Sans ce feu de camp, la situation aurait été très périlleuse.
Dans la nature, le dieu du feu leur apportait toujours chaleur et protection. Liang manipula soigneusement les pots d’argile qui étaient près de lui et qui contenaient les braises de feu qu’ils transportaient depuis leur départ de la tribu. Il inclina la tête et pria en tenant le médaillon de jade que sa mère lui avait donné. Il espérait secrètement qu’après l’aube, les dieux l’aideraient à chasser le léopard.
Le garçon attendit toute la nuit …
À l’aube, le groupe de chasseurs rassasiés enterra les restes de nourriture, et éteignit soigneusement le feu. Le jeune Liang commença à observer tout autour de lui. Lorsqu’ils s’étaient enfuis, les cerfs avaient laissé des empreintes de sabot ainsi que des traces au bout des branches, et même si les fleurs et les plantes de la forêt recouvraient presque tout, il parvint à recueillir suffisamment d’informations. Le groupe continua de traquer les cerfs, attrapant en chemin quelques lièvres et faisans d’or.
Lorsqu’ils aperçurent de nouveau le groupe de cerfs, celui-ci était devenu beaucoup plus petit. D’autres bêtes avaient dû les attaquer dans la nuit. Ces animaux étaient vraiment une bénédiction pour les carnivores : ils n’étaient pas seulement la nourriture d’hiver de leur tribu, mais aussi celle des léopards, des tigres et des loups. Et Liang savait clairement qu’ils étaient en concurrence avec d’autres animaux, qui les observaient en secret.
Sans attendre, les chasseurs s’approchèrent et jetèrent leurs lances. En peu de temps, il ne resta plus que quelques cerfs qui couraient dans toutes les directions. Dans le même instant, Liang aperçut deux léopards de tailles différentes, qui se précipitaient vers les derniers cerfs en fuite. Les fauves, qui voyaient le nombre de leurs proies grandement diminué, savaient qu’ils n’auraient plus d’opportunités. Liang regarda les belles silhouettes des léopards et sourit joyeusement. Le cerf qu’ils poursuivaient n’était autre que l’appât qu’il avait délibérément laissé partir. Le garçon ne s’arrêta pas pour ramasser les proies tombées. Il siffla avec force, et Caillou et plusieurs chasseurs le suivirent, alors que le reste des chasseurs s’occupait des cerfs. Tous savaient que l’heure était venue de chasser le léopard.
La chasse n’est pas seulement une quête pour se nourrir, c’est aussi souvent un bras de fer entre différents groupes : le nombre des cerfs avait été nettement réduit durant la nuit, et seuls certains avaient pu s’enfuir. C’était ces derniers cerfs qui avaient manifestement attiré ces deux léopards isolés.
Le tout jeune léopard n’avait apparemment aucune expérience. Il s’était contenté de courir derrière le cerf pour tenter de lui attraper les pattes arrières. Naturellement, le jeune cerf se débattait farouchement, et le jeune léopard ne parvenait pas à maintenir sa prise. Il prit un coup sur la tête et se lécha le visage, avant de revenir à la charge pour s’agripper au ventre de sa proie. Voyant cela, Liang, qui était accouru derrière, esquissa un sourire. Sans attendre, il jeta sa lance sur le jeune léopard, qui s’affala aussitôt. En un seul coup, le gain était double.
Pendant ce temps-là, le léopard femelle avait continué de poursuivre le grand cerf. Elle n’avait malheureusement plus eu le temps de s’occuper de son petit.
La vie s’adapte toujours, même face aux destins les plus tragiques. Et la douleur n’est plus qu’un interlude dans la nuit une fois que la faim est apaisée.
Si Liang n’était pas intervenu, la femelle léopard aurait simplement emmené son petit chasser le plus faible des cerfs. Cependant, la chasse donnée par les humains avait complètement changé le sort de ces animaux.
La femelle léopard se précipita sur le cerf qui ne lutta pas. Le fauve leva ensuite la tête, la gueule rougie par le sang du cerf.
Liang traversa les herbes hautes et ses jambes musclées le projetèrent dans les airs, le corps cambré et toute sa force concentrée sur sa lance.
Le léopard abandonna aussitôt sa proie et pressa ses griffes contre le sol, faisant face à Liang et laissant apparaître ses dents ensanglantées.
La lance acérée vola avec le son d’un vent léger vers le léopard et se planta avec précision dans le dos de la bête, qui ne ressentit pas de grande douleur.
Elle ignora la lance plantée dans son dos et bondit vers le ciel. Sous les rayons du soleil, son pelage semblait aussi soyeux qu’un tissu de brocart. Caillou jeta à son tour sa lance, et le léopard retomba au sol.
D’autres chasseurs lancèrent des flèches et des lances, et le corps agile du léopard, tel un éclair, approcha dangereusement du groupe.
Liang n’eut pas le temps d’arrêter ses partenaires, il était même trop tard pour tirer une flèche. S’il laissait le fauve atteindre le groupe, ses dents pointues et ses griffes aussi acérées que des lames de couteau allaient facilement déchirer leurs corps.
Liang lâcha son grand arc et se précipita vers le léopard. Il tenait dans sa main la flèche dont la pointe scintillait d’une faible lumière. Il fallait qu’il frappe lui-même de cette arme précieuse le léopard.
Le léopard ouvrit ses pattes antérieures et sa gueule. Ses yeux bleus semblaient exprimer un sentiment de dérision. Liang ouvrit également les bras, comme pour embrasser le fauve.
Le temps d’un éclair, le jeune homme s’accola au corps du léopard dans les airs, sa tête sous la mâchoire inférieure du fauve, ses deux mains saisissant les pattes de devant. Il était comme enveloppé par la bête, formant avec lui une boule qui rebondit sur le sol et dévala la pente.
De peur de blesser Liang, les chasseurs cessèrent les tirs et Caillou se précipita dans la pente.
Plusieurs chasseurs soufflèrent dans leurs cornes pour éloigner le reste des prédateurs.
Les larmes aux yeux, Caillou n’avait pu que vaguement voir une patte du léopard ensanglanter le dos de son compagnon et voir le corps pesant de l’animal sur celui de Liang. Il l’avait vu rugir, bondir, puis retomber sur lui. Il lui semblait voir le fauve tirer la langue, la tête reposant sur celle du garçon …
Les compagnons de chasse avaient cessé de souffler dans les cornes.
Tous accoururent pour voir Liang, ensanglanté sous le corps de la femelle léopard, et Caillou pensait que son ami et le léopard étaient tous les deux morts. Tous s’accroupirent au sol et s’inclinèrent pour se préparer à accompagner l’âme de Liang lors de son départ vers le paradis lointain.
Puis, tout à coup, le jeune Liang s’écria : « J’étouffe ! »
« Liang ! » Caillou, le visage baigné de larmes, était abasourdi : « Liang serait-il ressuscité ? »
« Enlève ce léopard, Caillou », se mit à hurler le jeune chasseur.
Les compagnons de chasse soulevèrent alors le léopard, et Liang, dont le corps robuste était couvert de sang, se leva, plus majestueux que jamais.
Les chasseurs poussèrent des cris à l’unisson ; Liang avait tué le plus effroyable des maîtres de la forêt. Dorénavant, leur chasse se déroulerait sans le moindre obstacle, et le ciel et la terre les gratifieraient d’abondance.
Caillou porta sur ses épaules son fier compagnon, et les chasseurs formèrent un cercle autour d’eux pour célébrer le nouveau roi de la tribu.
Le léopard, qui avait autrefois effrayé tous les chasseurs, était maintenant immobile, les yeux fermés. Les griffes qui avaient servi à tuer un grand nombre de chasseurs furent coupées et offertes à Liang. Les dents pointues qui avaient percé la chair d’un nombre incalculable de proies, furent arrachées pour devenir des pendentifs.
L’objectif de la chasse ayant été atteint, les chasseurs prirent enfin du repos. Ils firent durer les célébrations le plus longtemps possible, jusqu’à ce que Liang décide de panser ses plaies qui ne cessaient de couler. S’il continuait de les ignorer, la mort serait inévitable. Ce n’est qu’alors que Caillou apporta beaucoup d’herbes broyées pour les appliquer grossièrement sur son dos.
Le soleil s’inclinait déjà vers l’Ouest.
Toul le monde ramassa ensemble les proies : deux léopards, une vingtaine de cerfs, des lièvres et des faisans entassés les uns sur les autres. Liang nettoya le sang sur ses bras et sur son médaillon de jade, puis il ramassa la flèche qui avait tué le léopard et rejoignit ses compagnons pour porter les bêtes.
En rentrant chez eux, ils rencontrèrent un convoi tribal qui, cette fois-ci, n’était pas seulement constitué d’hommes, mais aussi de jeunes filles plus robustes que des cerfs. Elles portaient des peaux d’animaux de toutes les couleurs et des vêtements de toile en fibres végétales qu’elles avaient elles-mêmes fabriqués. Leur peau sous la toile était enduite de graisse animale.
Ces jeunes filles et ces femmes venaient recueillir du miel. Les chasseurs, qui avaient vu des nids d’abeilles sauvages sur la route de la chasse, transmirent leurs informations au convoi. Le chef de tribu envoya également les femmes collecter et rapporter du sel et des herbes séchées pour les chasseurs. Il y avait bien trop d’insectes et de serpents dans les forêts de montagne, et, alors que la chasse était risquée, les piqûres de ces minuscules bêtes pouvaient transmettre des maladies encore bien plus dangereuses. Les hommes avaient donc besoin de grandes quantités d’herbe angélique et d’huile mélangée à de la poudre de cette herbe pour se couvrir le corps, afin de chasser les insectes.
Les femmes remplirent d’eau au miel des pots de terre cuite qu’elles offrirent aux chasseurs.
Une fille au corps sain et robuste s’approcha de Liang et lui tendit un pot d’eau au miel.
La jeune fille avait une tresse épaisse, nouée avec des fleurs d’herbe angélique. Elle avait sur le front une tresse enroulée, et des pièces de jade lisses et brillantes étaient incrustées dans ses cheveux.
« Bois, c’est la plus douce eau de miel. » La jeune fille sourit et resta au côté du jeune chasseur alors qu’il buvait à grande gorgée. Cela faisait plusieurs jours qu’ils chassaient, et ils ne buvaient que l’eau des mares, comme les animaux de la forêt. Lorsqu’il eut fini de boire, la jeune fille continua de l’observer silencieusement.
« Zhu, Zhu, viens vite récupérer les cerfs », s’écria quelqu’un du groupe.
« J’arrive. » La jeune fille se retourna et reprit la poterie des mains de Liang qui rit doucement en la regardant courir à la manière d’un cerf.
2.https://fr.wikipedia.org/wiki/Cong_(jade)
3.https://fr.wikipedia.org/wiki/Selaginella