Assis à son bureau, Roland écoutait les nouvelles de la ligne de front.
– « Le pont-levis… bip …de la Cité d’Argent est baissé… bip …Nous allons… bip …pénétrer dans l’église… bip … »
– « Compris. Soyez prudents », répondit Rossignol.
– « Il semblerait que nous ayons atteint la portée maximale d’émission », dit Roland. Il étala une carte et entoura d’un cercle la position de la Cité d’Argent. « Si nous voulons pouvoir contacter directement les Régions de l’Est et du Nord, nous devrions établir une station relais ici. »
Depuis qu’il possédait les Sceaux d’Écoute, il était obsédé par cette sensation d’avoir le contrôle total de la situation. Ce rapide échange d’informations lui donnait un peu l’impression de revenir à l’époque moderne et pour l’heure, il avait le sentiment d’être assis dans une salle de commandement et de diriger chaque phase de la guerre.
Cependant, tout comme le Sceau de Pistage, qui perdait de sa précision au-delà de sa portée, le Sceau d’Écoute était lui-aussi limité par la distance. Si les deux sceaux étaient trop éloignés l’un de l’autre, la voix ne serait plus aussi claire. S’il souhait pouvoir transmettre ses directives à l’ensemble du pays, il lui faudrait au moins une station de transfert. »
– « Mais vous n’avez pas suffisamment de sceaux. Vous n’en avez fait faire que quatre paires alors qu’une opération comme la Campagne d’Extraction de Dents en nécessite au moins deux. Il ne nous sera pas facile d’attraper un second Diable », dit Rossignol en plaçant un morceau de poisson séché entre ses lèvres.
Roland en était tout à fait conscient. Ces sceaux ne permettaient qu’une transmission unilatérale, si l’on voulait obtenir un système de communication instantanée, les sorcières devaient en avoir deux : un émetteur et un récepteur.
Néanmoins, c’était beaucoup plus efficace qu’un pigeon voyageur ou un messager humain.
Selon Ayesha, les sceaux pouvaient encore être améliorés, leur qualité étant liée au pouvoir magique contenu dans le sang ajouté au cours du processus de fabrication. Le Sceau d’Écoute produit par Anna lorsqu’elle avait mélangé son sang à celui d’un Diable Supérieur était bien plus efficace et plus puissant pour couvrir l’ensemble du Royaume de Graycastle.
– « Bip …Quelque chose n’est pas normal… Bip …Attendez une minute… »
Sylvie parlait par intermittence. Aussitôt, Roland et Rossignol qui étaient assis à la table furent en état d’alerte.
Rossignol avala le morceau de poisson séché qu’elle était en train de mâcher et demanda :
– « Serait-ce des Purifiées ? Ou des trous noirs de pouvoir magique ? »
Dans le premier cas, ils pourraient tirer immédiatement mais dans le second, il pouvait s’agir de croyants armées de la Pierre du Châtiment Divin ou de soldats de l’Armée du Châtiment Divin sur lesquels le pouvoir magique n’avait aucun effet. Ces derniers étaient beaucoup plus difficiles à gérer.
– « Non… Bip …Je n’ai pas vu de réaction liée… Bip …aux Pierres du Châtiment Divin… »
– « Aucune pierre dans les parages ? » Demanda Roland en fronçant les sourcils.
– « Non… Il n’y a rien… bip …dans l’église… » Le son s’interrompit un moment. « Nous… allons… Bip …Le sous-sol est vide… »
Rossignol et Roland se regardèrent, muets de stupéfaction. Les hommes d’Église se seraient-ils échappés ?
– « C’est possible », dit Roland qui, sur le coup, était contrarié. « Je me suis montré trop prudent. »
Même si la Première Armée était à présent considérée comme invincible dans tout le pays et qu’aucun noble n’aurait été assez fou pour oser se mettre directement dans la ligne de mire du Roi, il n’était pas impossible que certains aient envoyé des messages secrets à l’Église pour les prévenir. Dans ce cas, il aurait été tout à fait naturel que ceux-ci, sachant qu’ils n’avaient aucune chance de gagner, évacuent la ville en emportant toutes les ressources disponibles. À la différence des batailles précédant la prise de la Forteresse de Longsong et la Crête du Dragon Déchu, les nobles avaient certainement choisi de rester spectateurs dans le cadre de cette guerre. Depuis que Roland avait pris la Cité Écarlate, les églises locales avaient sans doute été averties par pigeons voyageurs qu’il était à la recherche de Pierres du Châtiment Divin.
– « Si nous avions divisé l’armée en trois groupes et attaqué les trois villes en même temps, nous les aurions conquises », déclara Roland.
– « Difficile à dire. Seule Sylvie peut voir à travers les embuscades ennemies : si l’un des groupes s’était retrouvé face à de puissantes Purifiées, les troupes auraient subi de lourdes pertes… Personnellement, je pense que vous avez pris la bonne décision », répondit Rossignol en lui mettant un morceau de poisson séché dans la bouche.
Surpris, Roland la regarda et mordit dans le poisson :
– « Voilà que vous me réconfortez à présent ? »
Elle eut un sourire en coin :
– « Vous sentez-vous mieux maintenant ? Sinon, je peux vous masser les épaules ! Wendy m’a enseigné une technique de massage particulièrement relaxante. »
– « Wendy ? »
Rossignol haussa les sourcils :
– « Elle est très polyvalente, vous savez. L’Association de Coopération des Sorcières ayant beaucoup souffert durant son long périple, c’est Wendy qui a pris soin de nos sœurs et maintenu la cohésion de l’équipe. Personne d’autre qu’elle n’aurait pu le faire aussi bien. Si elle n’avait pas été là, le mauvais caractère de Cara aurait fait fuir tout le monde. »
Roland se frotta le menton. Pour le moment, il n’avait rien de spécial à faire concernant le gouvernement et de son côté, la Première Armée était entrée à la Cité d’Argent. Il se dit que c’était peut-être le moment de faire une pause.
Il était sur le point d’accepter la proposition de Rossignol lorsque les Pierres Magiques qu’elle tenait à la main retentirent à nouveau.
Cette fois, le son était si clair qu’on aurait dit qu’on lui criait à l’oreille.
– « Ici Foudre! Je répète : ici Foudre. Me recevez-vous ? »
Comme les sorcières manquaient de divertissements, Roland avait choisi pour elles des histoires merveilleuses dans le but de rendre leurs études plus attrayantes et d’enrichir leurs connaissances. Depuis que Foudre avait entendu dire que le ciel pourrait être conquis par les pilotes, elle s’était prise de passion pour leur mode de communication très spécial.
Roland, cependant, était encore un peu gêné de communiquer ainsi. Lorsque Rossignol eut activé l’autre groupe de Pierres Magiques, il s’éclaircit la gorge et répondit :
– « Je vous reçois. Parlez je vous prie. »
– « La Brume Rouge derrière la montagne enneigée a disparu… Ou plutôt, elle est en train de disparaître! »
– « Comment ? Vous en êtes certaine ? » Demandèrent d’une seule voix Roland et Rossignol.
– « Oui, Maggie est avec moi, elle pourra vous le confirmer! »
– « Le brouillard rouge s’est nettement dissipé en effet! Goo. »
– « Ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder. Vous devez d’abord dire : « c’est Maggie », avant de faire votre rapport. »
– « Goo goo ? »
– « Où êtes-vous à présent. Ne vous approchez pas de la Cité des Diables, éloignez-vous au plus vite », dit Roland pour tenter de réfréner leurs pulsions aventurières. Si jamais elles décidaient de voler jusqu’à la Cité des Diables et se retrouvent face à un Diable Supérieur, les deux jeunes filles auraient de sérieux problèmes.
– « Message reçu! » Répondit aussitôt Foudre.
Roland regarda Rossignol :
– « Allez chercher Ayesha. Elle seule est peut-être en mesure de nous expliquer ce qu’il se passe. »
Depuis que les sorcières avaient éliminé le Tueur de Magie, il gardait un œil sur les Diables cachés derrière les montagnes enneigées. Chacune des troupes, chargées de garder les navires de transport de charbon qui se rendaient à la source de la Rivière Écarlate, par groupes de quatre ou cinq, était accompagnée d’un Messager Animal. De plus, il avait ordonné à Foudre et Maggie de s’entraîner dans le secteur séparant la montagne enneigée de la Forêt aux Secrets dans le cas où les Diables décideraient d’attaquer par surprise.
Cependant, non seulement ceux-ci n’avaient pas cherché à se venger mais voilà que la Brume Rouge commençait à disparaître!
Ayesha ne tarda pas à arriver. Elle écouta attentivement le rapport de Foudre et demeura intriguée à son tour :
– « L’Union n’a eu que rarement l’occasion d’approcher la Cité des Diables. Par ailleurs, je n’ai jamais entendu parler d’un cas où ils auraient battu en retraite au cours d’une bataille, même durant des décennies de guerres. »
– « Pour le moment, continuez à les surveiller », décida Roland. « La brume Rouge peut revenir, nous devons rester prudents. »
Ce n’était certainement pas le moment de mettre en danger la vie d’une sorcière.
Cinq jours plus tard, Foudre confirma que la Brume Rouge avait totalement disparu.