— Réveille-toi, grand frère.
Je m’enroule dans ma couette et lui réponds.
— Oui, oui…
Le week-end est trop rapide. J’aurais tant aimé hiberner encore quelques semaines comme ça…
Aujourd’hui, c’est le début des préparatifs pour le festival culturel. Mais avec mon club de littérature, nous n’avons malheureusement pas avancé sur notre revue.
Mon réveil paisible s’est fait bousculer lorsqu’Anzu m’a appelé.
— Allô, allô, Kinari ?
— Oui, Anzu ?
— Tu descends quand ? Je t’attends !
Pourquoi j’ai eu envie de devenir comme eux ? Ça me saoule déjà…
— J’arrive, j’arrive.
Malgré la tristesse que j’ai ressentie en quittant mon lit, je me suis pressé pour la rejoindre.
Elle attrape ma main, et me traîne.
— Te voilà ! Allez on part !
Pourquoi elle m’traîne comme ça, j’mérite vraiment une punition aussi violente ?
Sur le trajet pour se rendre au lycée, nous avons croisé un homme accompagné de sa femme.
Pourquoi elle tire une tête pareille ? Elle les connaît ?
Le couple se rapproche de nous.
— Qui est ce jeune homme, Anzu ?
— C’est un camarade de classe, maman, bégaie-t-elle.
— D’accord, c’est le trésor dont tu nous avais parlé ? questionne le père d’Anzu en se caressant le menton.
Le trésor ?
— Oui !
La couple chuchote.
Nan, mais qu’est-ce qu’ils foutent ?
— Je vois. Je me présente, Akitoki Shimizu et voici ma femme, Ayame Shimizu, dit l’homme en face de moi en tendant sa main.
Je l’empoigne, et lui réponds.
— Je m’appelle Yamazaki Kinari, c’est un honneur Shimizu-senpai.
— On peut l’inviter pour le repas ? Ça me ferait plaisir de discuter avec lui, propose joyeusement la mère d’Anzu.
— Oui, si tu veux.
Je n’ai apparemment pas à donner mon avis.
— Alors à ce soir Yamazaki-san, me disent les parents d’Anzu en me saluant de la main.
Anzu et moi progressons vers notre lycée.
— Que penses-tu d’eux, Kinari ?
— Ils ont l’air accueillants et plutôt chaleureux.
J’crois que c’est ça que je dois dire.
Nous remarquons Aneko et Masuko qui nous attendaient.
— On a toute la journée pour bosser sur notre revue, les amis.
Notre revue ? C’est quoi, ça encore ?
— Je viens aussi ! J’ai changé de club pour être avec mon chéri .
Hein ?
— Fait pô cette tête ch’ri, je s’rais une môvaise femme en t’laissant tout seul avec c’deux là !
Une mauvaise femme ? Mais elle est aussi tarée que Yuzaki Tsukasa…*
Nous nous installons dans la salle de littérature et sortons nos affaires.
On va enfin pouvoir travailler, vous pouvez compter sur moi ! déclare Kinari sérieux.
Tais-toi, le binoclard.
Ça devient insupportable toutes ces personnalités.
Masuko, notre présidente s’exclame avec optimisme.
— Nous avons deux jours pour terminer notre revue, on doit la rendre vendredi ! On a énormément de retard donc essayons d’avancer au mieux, n’est-ce pas, darling .
Ça va, ça va, je vais travailler aussi.
Elle ajoute.
— J’ai déjà commencé à bosser de mon côté, je vais vous présenter ça.
C’est vrai qu’elle est pas une simple présidente de club, elle est également première de sa promotion. J’dois avoir à peine un dixième de ses connaissances…
— Ah, non avant ça, on va répartir nos membres en binôme, on sera bien plus efficace.
En groupe ? Avant je voyais ça comme un calvaire. Je passais le plus clair de mon temps à regarder les nuages, à jouer avec mes stylos, ou aller aux toilettes. Mais désormais, je dois être comme eux ! Je dois ressembler à quelqu’un de normal ! Et si je ne le fais pas pour moi, je le ferais pour eux et pour ma sœur !
Masuko nous attribue nos rôles.
— Je serais avec darling , étant donné que je suis la plus compétente et qu’il est le plus nul d’entre nous. Ça permettra d’ajuster nos niveaux.
J’aurais dû m’en douter…
— Anzu et Aneko, vous travaillerez ensemble sur la mise en page et les illustrations.
— D’accord, d’accord.
— J’suis pô d’accord ! Pourquoi t’devrais rester seule avec mon ch’ri !
— Parce qu’il est le dernier de sa promotion !
Aïe.
Aneko croise les bras et souffle.
— T’as pas intérêt à lui faire de mal, Masuko !
— Bon, reprenons. Pour le projet, j’ai pensé à quelque chose qui devrait vous plaire.
Elle ne lui a même pas répondu ? Elle est flippante !
Elle dépose un dossier sur la table, l’ouvre puis continue.
— Vos aînés se sont autrefois battus par diverses manifestations pour créer ce qu’on appelle la fête de Kanagawa. Cet événement est devenu, au fil du temps, l’endroit parfait pour se faire de nouveaux amis, ou même offrir des cadeaux à nos camarades de classe. C’est grâce à nos senpai que désormais, cette fête est née. J’aurais aimé faire un journal qui racontera cette histoire. À vrai dire, ça me tient énormément à cœur.
Et on appellera ce journal Ice Cream…*
— Je suis curieuse ! Je veux en savoir davantage sur ces manifestations ! s’écrie Anzu.
Eru Chitanda* vient de prendre vie.
— Moi aussi !
— Alors au boulot les filles !
Elles ont l’air motivées.
Après quelques heures de travail, Masuko m’a proposé de faire une pause.
— Tu as soif, darling ?
— Oui, présidente.
Elle a acheté un thé vert, de mon côté, j’ai opté pour un lait à la fraise.
Nous nous sommes assis dans l’escalier.
— On a déjà bien avancé sur notre journal, me confie Masuko d’une douce voix.
Je tente de sourire et lui réponds.
— Oui, c’est vrai, on fait un joli duo.
Elle colle sa boisson contre ma joue.
— Tu fais des expressions effrayantes, darling .
Laisse-moi essayer de m’intégrer, idiote.
— Mais tu as raison darling, j’aime beaucoup notre duo…
Tiens, j’ai une idée.
Ces dernières semaines j’avais pas mal étudié sur le programme d’histoire, la matière préférée de Masuko.
— La rétrocession d’Okinawa au Japon date de quelle année ?
— 1972 !
— En 1300, dans quelle époque vivait-on ?
— L’époque Kamakura !
Elle est balèze.
— Que s’est-il passé en 1923 ?
— Un grand tremblement de terre s’est produit dans les préfectures de Yokohama, Shizuoka, Tokyo et Kanagawa provoquant le décès de cent mille personnes.
Je l’applaudis, et déclare.
— Bien joué, Masuko !
Bordel, j’ai mis une semaine rien qu’à apprendre ces trois choses-là et elle me les sort comme si c’était inné chez elle… ça me rend fou !
— On y va, darling ?
— Oui, oui.
Nous progressons vers notre salle de classe lorsque nous avons surpris une conversation entre les filles.
— On a croisé mes parents sur le chemin avec Kinari, ils l’ont invité à venir prendre le repas chez moi ce soir.
— Mon ch’ri mager ch’toi ?
Ça devient complètement incompréhensible, là…
— Oui, ça te dérange pas ?
— No, no problem.
C’est de l’anglais ça, idiote.
Masuko me lance un regard noir avant de me confier.
— Tu n’as pas intérêt à me laisser sur le banc de touche. Je suis là moi aussi, darling !
Le harem d’un héros pathétique, soupire Kinari blasé.
Je m’installe à ma place.
Faisons mine de rien, et focalisons-nous sur cette imitation de l’anthologie Ice Cream.
— Darling, merci des efforts que tu fournis pour m’aider à réaliser mon rêve… Je trouve ça tellement adorable !
Intégrer Tôdai, hein.
— C’est normal, Masuko.
Un sourire s’est dessiné derrière ses pommettes pourpres.
Elle est mignonne cette fille…
À la fin de la journée, je souffle un grand coup.
— Enfin terminé, merci les amis, déclare notre présidente.
Bordel, c’est enfin fini.
Anzu s’approche de moi et me chuchote.
— T’as pas oublié, Kinari ?
Bordel, c’est absolument pas fini !
— Non, j’suis prêt, allons-y.
Sur le chemin, je repensais à l’entrevue avec ses parents.
Quelque chose m’a intrigué, comme une sensation de déjà-vu.
Je les ai déjà rencontrés ? Leurs visages me semblent si familiers…
J’ai beau essayer de me rappeler, je n’ai pu m’en souvenir.
Nous nous sommes arrêtés sur un pont.
— Regarde, Kinari, la vue est magnifique !
Le ciel noirâtre, illuminé par les quelques étoiles que l’on pouvait apercevoir.
Cet univers est incroyable.
Le son de la mer attendrit mon oreille.
C’est blindé de monde, ici.
On a observé les promenades des couples, leurs mains entrelacées, leurs regards amoureux… Les enfants surexcités, jouant avec des bouts de bois, à se taquiner les uns les autres ou encore des joggeurs surexcités, avec une détermination ferme.
C’est la première fois que je contemple aussi longtemps un paysage en 3D.
— Kinari ?
— Oui ?
Elle détourne le visage.
— T’es amoureux d’Aneko ?
— Amoureux ?
Les sentiments sont une partie des plus mystérieuses dans cet univers.
— Elle arrête pas de parler de toi ! Je pense que son cœur bat pour toi, Kinari !
D’après ce que m’a appris ma sœur, un couple est censé faire des activités ensemble. Que ce soit aller à la plage ou au cinéma. Mais Aneko et moi n’avions jamais eu de rencard.
Notre sortie au centre commercial ? Mais c’était pas un rendez-vous en amoureux ça, si ?
— J’annonce l’assemblée numéro quatre « Kinari est un imbécile » ouverte, prenez place !
— Encore une réunion stupide ! C’est quoi le thème cette fois-ci ?
— Les filles ?
— Il est toujours en vie, ce pervers ?
— Je vais vous faire un point sur ce qu’il se passe dans le cœur de Kinari. À vrai dire, nous savons déjà plusieurs choses. Aneko s’est déclarée à nous et elle semble très attachée à nous. Elle nous surnomme « chéri » à tout moment de la journée. Et son bégaiement est vraiment craquant…
— N’oublie pas Masuko, Anzu, et Yoshida, l’binoclard.
Je déteste ce harem.
— Masuko, nous a elle aussi donné un surnom, « darling ». Elle s’est déclarée à nous en première. Elle a un cerveau quinze fois plus grand que le mien, mais on ne sait pas encore quelles sont ses intentions. Le seul indice que nous avons est qu’elle souhaite forger une sorte de duo avec nous.
— Elle est mystérieuse cette fille.
— Mais elle a des seins si doux…
— J’vais l’exploser en deux l’sale pervers, là !
— Calmez-vous ! s’écrie Kinari président.
— On s’écarte du sujet de la réunion. On parlait d’Aneko, l’binoclard.
— Aneko, cette héroïne des eroge, qu’est-ce qu’on fait d’elle ?
— Pourquoi ne laisserions-nous pas traîner l’affaire jusqu’à ce que Kinari évolue ?
— C’est pas un Pokémon, idiot.
— C’est vrai qu’on pourrait attendre. Ça nous permettrait de savoir quelle trajectoire prend le cœur de Kinari.
— Vous ne comptez quand même pas suivre les sentiments de l’autre pervers qui finit en perfusion à chaque chapitre ?
— Si.
Il tape deux coups de marteau puis juge.
— On va attendre, et voir où se dirigera l’amour de Kinari.
De retour à la réalité, j’agite la tête pour reprendre mes esprits.
— Kinari ?
— Oui ?
— Ça va ? T’es flippant, là.
— Oui, oui. À vrai dire, je réfléchissais. Et, pour tout t’avouer, j’sais pas si j’aime Aneko.
— Merci !
— Hein ?
Anzu expire un grand coup, s’accoude au pont, puis hurle d’une voix puissante et d’une profondeur qui défie les abysses.
— Je suis tellement heureuse !
Mais qu’est-ce qu’elle fout cette tarée ?
Elle attrape ma main et me traîne jusqu’à son domicile.
Sa mère nous accueille et nous demande d’attendre dans la chambre de sa fille le temps qu’elle termine de préparer le repas.
Anzu déclare, la paume posée sur la poignée de sa porte.
— T’es le premier garçon à être entré ici.
En un instant, ses mains chaudes s’installent sur mes yeux et brisent ma garde.
Quelle douceur.
Elle me guide.
— T’es prêt, Kinari ?
— Oui.
Elle retire ses doigts de mon visage.
J’ouvre les paupières et découvre une chambre merveilleuse.
Y’a combien de peluche ? C’est mignon !
Il n’évolue pas de façon étrange ?
Tais-toi, l’binoclard, j’essaie de m’intégrer.
Y’a aucun manga, se lamente Kinari otaku.
J’analyse chaque nounours et en remarque un que j’avais déjà croisé.
— Anzu ? s’écrie son père.
— Je reviens, Kinari.
Des doutes se posent sur Anzu.
Sa… Sakai ?
Cette peluche, je suis certain de l’avoir vue il y a dix ans.
Lorsqu’elle est sortie de sa chambre, ma curiosité a surgi.
Je fouille et découvre un cahier sous son lit.
C’est quoi ce truc ?
Un album photo ? Je peux pas rêver mieux.
Je le feuillette.
C’est… C’est moi, ça ?
Je dois avoir cinq ou six ans maximum. Pourquoi elle a ça ? Et comment elle l’a eu ?
— Je suis curieux !
Yuzaki Tsukasa : Personnage principal souhaitant s’engager très rapidement. ( Tonikawa : Over the moon for you )
Ice Cream : Une anthologie de l’œuvre Hyouka.
Eru Chitanda : Personnage principal curieux. ( Hyouka )