J’analyse ma silhouette dans le miroir puis soupire.
— Mon corps ressemble vraiment à une brindille, ça va être un calvaire ce festival sportif…
Je m’étire devant ma fenêtre et constate qu’Anzu patientait.
Pourquoi elle vient si tôt ?
Après m’être préparé, je rejoins Anzu.
— Qu’est-ce que tu fais, là, idiote ?
— Je passais ici par hasard.
Ça fait une vingtaine de minutes que t’attends…
Lors de notre parcours, Anzu et moi nous taquinons sans cesse.
Elle me pousse vers les buissons puis me demande.
— T’as l’air dans la lune, t’es prêt pour le festival sportif, Kinari ?
Pourquoi me bouscule-t-elle comme ça, je suis tellement claqué…
Je peux la découper en quatre, si tu veux.
Je préfère simplement lui rendre la pareille.
Je l’imite à mon tour et lui réponds.
— Et toi ?
— Oui ! Je vais me défouler pour finir première !
T’es mon opposée même dans le sport ?
Après toutes nos taquineries, nous arrivons à destination.
Hésitante, Anzu me propose.
— Tu veux venir voir avec moi le panneau d’affichage des équipes ?
— Des équipes ?
— Pour le festival sportif, idiot.
Ah, oui.
J’acquiesce d’un hochement de tête.
— Tu te souviens de cet endroit-là, Kinari ?
— C’est le couloir qu’on emprunte tous les jours, évidemment que je m’en souviens.
— Je parlais pas de ça, idiot…
— Hein ?
— Laisse tomber.
D’une humeur écrasante, cette héroïne des normies.
Je n’ai pas cherché à en comprendre davantage.
Je veux tellement rentrer chez moi, je n’ai même pas pu terminer mon shōjo. Aucun spoil, s’il vous plaît, aucun spoil…
Tu dois être le seul otaku de ce lycée…
Anzu me scrute, pointe du doigt le panneau d’affichage, et exprime sa joie.
— On est dans la même équipe, Kinari !
Génial, s’écrie Kinari blasé.
Je regarde autour de moi.
C’est ça qui me ronge, le faux sourire de mes camarades. Pourquoi portent-ils ce masque au quotidien ? Ils se forcent à garder des apparences fictives et font tout pour embellir une identité qui n’est pourtant pas la leur. Le fait de simuler des émotions quand ils sont en communauté et que tout ça s’effondre lorsqu’ils demeurent seuls, bordel ça me répugne. Pourquoi cachent-ils leurs sentiments ainsi ?
Cesse ces pensées sombres.
Laisse-le, j’ai l’impression de revenir quelques mois en arrière…
Mes idées sont rapidement coupées lorsqu’Anzu et moi avons remarqué Maeda et Yamaguchi au loin.
Réfléchis, réfléchis… J’ai très peu envie de bavarder aujourd’hui, qu’est ce que vous me proposez, vous ?
Tu peux simuler une honte et te fondre dans la masse ?
Je n’ai pas eu le temps de m’approcher de l’amas de lycéens qu’Anzu avait déjà appelé les deux garçons en faisant des gestes amples.
Quelle idiote… elle a pas lu le même scénario que moi…
Il était trop tard pour moi, je ne pouvais plus me défiler.
Peu après, Masuko et Aneko nous ont également rejointes. Après être regroupé, ils ont eu une discussion dans laquelle je me suis exclu de ma propre volonté.
C’est l’une de mes techniques les plus abouties, l’esquive de regard l’ai-je nommée. Le principe est simple, dans cette société, les personnes ont toujours tendance à vérifier que tu es réceptif avant d’engager une conversation. Et ils ne te parlent pas si tu déjoues leurs attentions. Alors, dès que l’on m’observe, je détourne la vue, facile, et très efficace. Essayez chez vous.
Lors de cette conversation, j’ai compris que Yamaguchi et Maeda étaient dans la même équipe, la bleue. Masuko et Aneko étaient également ensemble, représentant les jaunes. Quant à nous, nous étions dans celle qui porte la couleur blanche.
Notre professeur d’EPS tousse, attrape le microphone et déclare.
— Le festival sportif va débuter, veuillez vous aligner par bataillon, au gymnase.
Aligner par bataillon ? Il a regardé l’œuvre de Hajime Isayama ?*
Je m’immisce seul dans la foule pour rejoindre les rangs de mon équipe. Anzu me retrouve peu après. Elle s’approche de moi et me murmure d’une douce voix.
— Ça va, Kinari ?
Je garde le silence.
Je n’ai rien entendu, je n’ai rien entendu, je n’ai vraiment rien entendu.
Après nous avoir tous comptés, le professeur d’EPS nous a demandé de préparer la course.
Nous mettre par groupe de trois personnes ? Quelle journée déplorable…
Je tombe avec Anzu et cette fille…
Des cheveux en carrés bleuâtres… Yoshida Junko ? C’est celle qui s’est fait agresser par un pervers hier, nan ?
Anzu approche son visage du mien et me chuchote.
— Tu la connais Kinari ?
Mentir, ou pas ? Encore un choix complexe.
— Et toi ?
— Je sais juste qu’elle s’appelle Yoshida Junko. Elle est assez distante et très hautaine, fait attention à elle.
Hautaine et distante ? N’importe quoi.
— On s’occupe des affiches d’encouragements Yoshida-chan, tu nous aides ?
Elle esquive Anzu et me salue de la main.
— Bonjour, sensei.
Encore son problème avec les sensei…
— Salut, Yoshida-chan.
— Merci pour hier, sensei. C’est ton amie, elle ?
Une amie…
Je me lève de ma chaise, pose les mains brusquement sur la table et articule mes syllabes au maximum.
— Ca-ma-rades !
Nous récupérons nos outils, et commençons nos dessins.
J’ai pas envie de bosser…
Anzu termine son affiche en première puis nous interroge.
— Vous en pensez quoi ?
— C’est joli, Anzu.
Yoshida analyse rapidement les efforts d’Anzu et soupire.
— J’aurais largement fait mieux.
— Ah oui ? Alors, fais-en une au lieu de rien faire !
— Si tu veux.
Anzu s’approche de moi et me chuchote.
— Tu vois, elle me gave cette fille.
L’ambiance est électrique.
Anzu à un caractère bizarre, nan ?
Je peux m’en mêler ?
Reste à ta place, toi.
— Tu seras notre juge, Kinari, s’exclame Anzu.
Gé-nial.
Un garçon entre dans notre salle et nous demande si nous avons avancé. Yoshida le dévisage de haut en bas, laisse ses joues s’empourprer et son corps se tortiller sur lui-même.
Bordel qu’est-ce qu’elle fout cette tarée ?
— Nous avons bientôt terminé, Hasegawa-kun.
C’est quoi cette voix mielleuse, là ?
L’air hautain qu’elle porte envers Anzu… son comportement tendre avec moi et Hasegawa… réfléchis, réfléchis.
Mais bien sûr ! Le mépris avec certaines personnes et la douceur avec d’autres, Yoshida n’est pas une fille orgueilleuse ou distante, c’est le cliché de la tsundere ! Donc ça existe bel et bien, même dans cet univers en 3D ? Je pensais que ce n’était qu’une légende qui provenait de certains manga.
— Bientôt ? Pressez-vous, on va pas tarder à commencer !
Alors toi, tu n’aurais jamais dû parler ainsi à Yoshida…
Taïga Aisaka* va s’emparer de son corps.
Yoshida lui saute dessus et crie.
— Dégage !
Mes rêves de voir une réelle tsundere dans ce monde sont réduits à néant.
Je t’ai mal jugé, finalement. T’es pas une tsundere, t’es simplement désagréable.
Une fois que le concours du « qui avait fait la meilleure affiche » eut un résultat, nous avons rendu notre travail à notre professeur d’EPS qui nous a prévenus que la course féminine allait débuter.
Les filles rejoignent la ligne de départ.
Parfait, je suis seul, vaux mieux que je termine rapidement mon manga avant d’être confronté à une vague de spoiler.
J’arrive mon inestimable shōjo !
D’après ma sœur, on doit chérir chaque moment avec ses amis. Moi, je pense que les périodes où l’on peut se retrouver isolé sont bien plus précieuses. Si on doit conclure des enseignements quand un camarade nous accompagne, alors on doit aussi tirer des leçons si on est délaissé. C’était comme les deux faces d’une même pièce et selon moi, elles doivent être jugées de manière égale.
Je termine mon manga avant de désespérer.
— Sérieusement ? Elle lui déclare pas ses sentiments ? Tu te fais de tristes illusions, Yui.*
Les filles en 2D sont largement mieux que celles en 3D. Ça reste la pensée d’un otaku banal, mais est-ce une vérité absolue ? Bonne question.
Mon téléphone vibre.
Anzu ? Elle a déjà terminé ? Sacrée rapidité.
— Allô, allô Kinari ?
Elle semble bien essoufflée, elle doit tout juste finir.
— Oui ?
— Tu m’as regardé sprinter ?
— Nan, je me suis écarté de la course pour lire. Pourquoi ?
— Je suis classée dans les dix premières !
Sérieux ? C’est mon opposée à ce point ?
Je baisse les yeux et analyse mon corps.
J’ai dû me tromper finalement, je dois être plus proche d’un cure-dent que d’une brindille…
— Félicitations, Anzu.
— J’arrive, Kinari.
Elle raccroche.
J’arrive ? Comment elle peut venir vers moi ? Elle peut pas savoir où je suis. C’est l’une de mes autres techniques, je l’ai appelé le flair. Le principe est simple, je suis mon intuition pour trouver un endroit calme et détendu.
Je devrais arrêter les Nekketsu au lieu de balancer des bêtises pareilles, je m’effraie moi-même…
Quelques minutes plus tard, Anzu accourt vers moi, le sourire aux lèvres. Elle saute dans mes bras, m’étreint et s’écrie.
— Merci, Kinari !
Merci ? Qu’est-ce que tu fous, Anzu ?
— C’est grâce à toi si j’ai eu la force de me surpasser pendant cette épreuve ! Alors je compte sur toi pour en faire autant cette après-midi !
Cet après-midi… Bordel, j’ai la flemme…
Je me suis peut-être trompé sur cette histoire de masque. Tout le monde n’en porte pas. C’est le cas de cette fille, devant moi. Elle exprime chacune de ses émotions sans rien dissimuler, se surpassait pour tout et était gentille avec chaque personne qu’elle croisait.
Elle est le jour, et moi la nuit.
Hajime Isayama : Auteur de l’œuvre Shingeki No Kyojin.
Taïga Aisaka : Personnage principal impulsif. ( Toradora )
Yui : Personnage au centre d’un triangle amoureux. ( Oregairu )