Linley retourna dans le manoir du comte Wharton. Il s’enferma ensuite dans sa résidence privée, pour interdire l’accès à tous . Bien que ce fût le jour du mariage de Wharton et de Nina, après avoir appris que Reynolds était tombé au champ d’honneur, Wharton comprenait bien l’état d’esprit dans lequel devait être Linley.
Personne au sein du manoir du Comte n’osait aller déranger Linley.
La porte de sa résidence restait fermement close.
À l’intérieur, Linley était assis, seul, devant une table en pierre. Une bouteille de vin et deux verres se trouvaient sur la table. Un verre se trouvait devant Linley, l’autre devant la place lui faisant face. Seulement… personne n’était assis en face de lui.
Linley remplit les deux verres, puis leva le sien pour porter un toast.
– Quatrième frère… Linley avait le regard fixé droit devant lui, semblant voir au-delà des murs de la réalité. Ses yeux, cependant, étaient rouges. – Bon voyage.
Levant la tête, Linley avala d’un coup son verre de vin.
Son quatrième frère était mort.
Linley ne pouvait tout simplement pas l’accepter comme cela.
D’abord, il avait interrogé l’Empereur Johann, puis les gens du clan Dunstan et il avait même fait très attention à leurs expressions, lorsqu’ils s’étaient exprimés. Il était toutefois maintenant arrivé à la conclusion… Que peut-être, son quatrième frère était véritablement tombé au combat avec honneur. Peut-être que ce n’avait été la faute de personne.
Mais ce qu’il ne savait pas, c’était que seuls trois ou quatre membres les plus importants du clan Dunstan connaissaient la vérité. Néon Dunstan savait que Linley ferait attention à leurs expressions, et c’était pour cela qu’il n’avait dit la vérité à personne d’autre.
Il n’y avait qu’une seule autre personne qui connaissait la vérité. La mère de Reynolds !
C’était ladite « Madame » dont parlaient les gardes à son arrivée. La mère de Reynolds avait eu le cœur brisé en apprenant la nouvelle. Néon savait bien que face à Linley, la mère de Reynolds n’aurait pas réussi à garder un visage neutre, et c’était pour cela qu’aucune femme n’avait été présente dans le hall principal. Naturellement, la mère de Reynolds n’était donc pas là non plus.
– Quatrième frère, tu étais le plus jeune d’entre nous. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit toi qui parte le premier. Il avait l’impression de sentir son cœur se faire poignarder par des couteaux, et ses larmes se mirent à couler incontrôlablement.
Attrapant la bouteille de vin d’une main, Linley leva la tête, et se mit à boire.
– Cof, cof. Après avoir bu aussi vite, Linley se mit à tousser. Mais juste après cela, il leva de nouveau la tête, et se remit à boire.
Bébé et Haeru se tenaient dans un coin de la cour, n’osant pas perturber Linley.
– C’est la quatrième fois que je vois le Boss aussi triste, se dit intérieurement Bébé. La première fois avait été lors de sa rupture avec Alice. La seconde, lors de la mort de son père. Puis la troisième fois, lors du départ de Papy Doehring…
Des membres de la famille. Des amis. L’un après l’autre, ils l’avaient quitté.
Linley avait mal, mais il savait… qu’il devait être fort. Il lui restait de la famille et des amis encore vivants. Il devait être fort, autant pour ceux qui l’avaient quitté que pour ceux qui étaient encore là.
– Laissez-moi juste m’apitoyer sur mon sort pendant trois jours, alors.
Linley ouvrit péniblement ses lèvres pour rire. Alors, sans plus se retenir, il pleura autant qu’il le voulait, but autant qu’il le voulait, rit autant qu’il le voulait, marmonna autant qu’il le voulait, se rappela autant qu’il le voulait … et parla même à Reynolds comme s’il était là.
Trois jours plus tard !
*Craaaac.* La porte de sa cour s’ouvrit. Délia avait attendu à l’extérieur de la résidence de Linley durant tous ces derniers jours, et avait même demandé à un serviteur de lui amener un banc pour se reposer. Elle s’était assise là, à lire, en attendant silencieusement Linley.
Trois jours !
Linley s’était enfermé dans sa cour pendant trois jours, et Délia avait attendu tout ce temps à l’extérieur.
En entendant la porte s’ouvrir, Délia tourna la tête, plaisamment surprise. Linley portait une longue robe bleue. Son dos était toujours aussi droit, et il avait l’air de s’être remis en partie de la mort de son ami.
– Linley… Délia s’avança immédiatement vers lui pour l’accueillir.
Linley la regarda, et ce faisant, dans son cœur, il fut reconnaissant envers elle Au niveau actuel de Linley, comment n’aurait-il pas pu savoir que Délia avait attendu devant sa cour pendant trois jours entiers ?
Bien qu’il ait été à l’intérieur de sa cour, et qu’ils aient été séparés par une porte, Linley pouvait sentir sa présence à tout moment.
Linley s’avança soudainement et prit Délia dans ses bras.
Délia fut stupéfaite.
Auparavant, Linley ne l’avait jamais prise dans ses bras de sa propre initiative !
Délia dans ses bras, Linley baissa la tête. Le bout de son nez effleura les doux cheveux de Délia. Leur odeur était enivrante. Respirant son odeur, Linley sentit son cœur se calmer.
C’était comme si un petit bateau solitaire venait finalement d’accoster dans un port.
– Délia, merci. La voix de Linley résonna près de l’oreille de Délia.
Entourée des bras de Linley et la tête reposant contre sa poitrine, Délia se sentit heureuse comme jamais. Elle avait passé des années à l’Institut à rêver de cet instant, puis après dix années d’attente… maintenant, il lui semblait que ses rêves devenaient bien plus proches que jamais.
…..
Les jours suivants, Délia et lui devinrent encore plus proches. Quelque fois, ils pouvaient dire ce à quoi pensait l’autre d’un seul regard. Seulement, Linley ne brisa pas les dernières barrières qui les séparaient, et Délia n’essaya pas non plus de son côté.
– Comment se porte sa Seigneurie ?
Gates demanda cela doucement à Wharton sur le terrain d’entraînement dans le manoir.
Un soupçon de sourire se trouvait sur le visage de Wharton.
– Après avoir quitté sa cour, mon frère s’est beaucoup rapproché de Mademoiselle Délia. Lorsque je l’ai vu, à l’instant, il était même en train de sourire. Il doit très probablement se sentir beaucoup mieux maintenant.
Gates hocha légèrement la tête.
– Lorsque sa Seigneurie n’était pas sortie pendant trois jours, ça devenait vraiment très inquiétant.
– Cinquième frère, tu penses vraiment que sa Seigneurie est comme toi, à s’abandonner aussi facilement au désespoir ? dit un autre homme effroyablement grand et puissant, avec un rire.
– Deuxième frère, pourquoi te moques-tu de moi ? ronchonna Gates.
Le manoir du Comte était très calme. Linley continuait de vivre une vie paisible en s’entraînant, tout en continuant à se préparer à se diriger vers les Terres Chaotiques.
…
– Votre Majesté Impériale, Maître Linley semble avoir repris sa routine quotidienne. Il est de nouveau concentré sur son entraînement. Il n’y a aucune activité de sa part qui semble anormale. Il n’y a que le jour du mariage du Seigneur Wharton qu’il a été voir le clan Dunstan, rapportait respectueusement un serviteur du palais.
Le visage de l’Empereur Johann était fendu d’un grand sourire.
– Merveilleux. Tu peux partir maintenant, dit calmement Johann.
Maintenant qu’il savait que Linley n’avait pas changé ses habitudes, l’Empereur Johann se sentait rassuré.
– C’est parfait. Heureusement que Linley m’a cru.
– Le clan Dunstan a aussi su se comporter comme il faut . L’Empereur était très satisfait.
Il savait qu’avec l’influence qu’avait le clan Dunstan sur les affaires militaires, ils avaient forcément découvert la vérité sur ce qu’il s’était réellement passé. Il était même probable qu’ils l’aient appris avant même que l’Empereur Johann en ait entendu parler.
Mais il était clair que Linley n’avait rien appris d’eux et qu’il croyait toujours que Reynolds avait péri au combat aux pieds des murs de la ville de Neil dont les soldats avaient été dans l’impossibilité de le sauver.
…..
Délia regardait fixement la lettre qui était entre ses mains. Elle s’arrêta finalement et regarda Linley. Elle avait un air triste sur le visage.
– Délia, que se passe-t-il ? Linley la regarda avec un regard interrogatif.
Délia secoua la tête, impuissante.
– C’est une lettre de mes parents. Ils disent que ma grand-mère est sérieusement malade et ils veulent que je rentre immédiatement à la maison. Ma grand-mère… Une expression inquiète et triste était visible sur son visage.
Linley tendit la main pour prendre celle de Délia. Il la regarda et essaya de la consoler,
– Ne t’inquiète pas. Ta grand-mère ira bien.
– Linley, je dois me dépêcher de rentrer avant qu’il ne soit trop tard. Délia eut un regard d’impuissance. J’avais prévu de partir avec toi pour les Terres Chaotiques, mais maintenant….
Linley sourit, tout en la consolant,
– C’est bon. Rentre d’abord chez toi et assure-toi que tout va bien. Au vu de la puissance de notre groupe, nous ne devrions avoir aucun mal à établir une base dans les Terres Chaotiques. Comme cela, quand tu me chercheras plus tard, nous serons faciles à trouver.
Délia regardait Linley, réticente à le quitter ainsi.
Mais sa grand-mère avait l’air d’aller sérieusement mal. La lettre de ses parents l’avait rendue très inquiète. Il n’y avait rien qu’elle puisse faire d’ici… elle n’avait pas d’autres choix que de rentrer jusqu’à l’Empire Yulan…
C’est ainsi que le matin suivant, Délia se mit sur le dos du Faucon Mésocyclonique avant de s’envoler directement vers l’Empire Yulan.
….
Au sein de la Province Administrative Centrale de l’Empire O’Brien. À l’intérieur de la cour d’un luxueux hôtel. Yale parcourait nonchalamment le grand nombre de missives qu’il avait reçues.
– Hrm ? Une lettre à propos de quatrième frère ? Que lui est-il encore arrivé d’autre ? Se pourrait-il qu’il ait accompli quelque chose d’autre et qu’il soit sur le point de se faire promouvoir ? Une pointe de sourire était visible sur le visage de Yale.
Par le passé, Yale et Reynolds avaient toujours été les playboys du groupe. Ils avaient pourchassé les filles ensemble. Ils avaient fait toutes les bêtises possibles ensemble tandis que Georges et Linley avaient toujours été plus contrôlés.
Après avoir ouvert la lettre, Yale se mit à lire.
Et tout en lisant…
Le visage de Yale devint immédiatement blanc. Son corps se mit à trembler de manière incontrôlable. Il se prit la tête entre les mains et ferma les yeux. Après un long moment… Yale ouvrit finalement les yeux.
Son visage était totalement blanchâtre. Pas une goutte de sang n’était visible.
– Impossible.
Les yeux de Yale étaient humides. Rapidement, ils devinrent rouges. Après avoir ravalé de force son chagrin, Yale se remit à lire.
Après avoir fini…
– Quatrième frère !!!! Les larmes de Yale se mirent à couler.
Si quelqu’un avait demandé à Yale quelles étaient les personnes auxquelles il tenait le plus, il n’aurait définitivement pas dit son grand frère biologique. Les relations entre eux étaient relativement froides. Après tout, au sein du Conglomérat Dawson… il y avait de nombreuses luttes de pouvoir.
Dans les dix ans qui avaient suivi la chute de l’institut Ernst, bien que Yale s’était mis à faire confiance à plusieurs personnes, il n’avait jamais traité aucun d’entre eux comme des amis proches. Dans son cœur, il n’y avait que ses trois amis pour la vie de l’institut. Les trois qu’il avait eu dans sa jeunesse.
George. Linley. Reynolds !
Yale se tenait debout, son corps tremblant de manière incontrôlable. Soudain, un flash d’électricité apparut entre ses mains. Il transforma la lettre en cendres.
Yale était un mage de l’élément Foudre. Il était le plus faible des quatre frères de dortoir, n’étant lui-même qu’un mage du sixième rang.
– Le Prince… Julin ? Yale grinça des dents, le corps toujours tremblant.
– Tu es juste resté là et tu as regardé et laissé mon frère mourir !!! Je me fous de qui tu es. Je vais m’assurer que tu meures ! Yale prit une grande inspiration avant de fermer les yeux.
Il se força à se calmer.
Le Conglomérat Dawson était très influent parmi la population, et les villes frontalières comme celle de Neil les considéraient avec une importance encore plus grande que les autres villes. Les marchands et les nobles avaient énormément d’échange avec le gigantesque Conglomérat.
Peut-être que le secret avait pu être gardé à l’écart des oreilles de Linley, mais c’était impossible qu’il soit gardé de la toute-puissance du Conglomérat Dawson !
– Mon père ne voudra jamais mobiliser les forces du Conglomérat pour s’occuper d’un prince en mon nom. En plus, même s’il essayait, rien ne dit qu’il y arriverait. Yale comprenait très bien cela.
Le Prince Julin était l’administrateur de la Province Administrative du Sud-Est. Il contrôlait une énorme quantité de soldats. Comment le Conglomérat aurait-il pu se battre contre lui ?
– Troisième frère ! Soudain, Linley vint à l’esprit de Yale.
– Troisième frère n’a pas encore vengé quatrième frère ? Yale savait très bien à quel point chacun d’entre eux tenait aux autres. Il était certain que si Linley avait appris comment Reynolds avait péri, il aurait définitivement cherché se venger. Je suppose que le Prince Julin et l’Empereur de mes deux lui ont caché ça. Troisième frère n’a pas de réseau propre à lui qui lui fournit des renseignements comme nous en avons nous.
À chaque fois que Yale repensait à son camarade de beuverie qui l’avait suivi si souvent au Paradis de l’Eau de Jade, il ressentait une pointe de douleur.
– Quatrième frère, je te fais cette promesse, troisième frère et moi allons définitivement te venger, murmura Yale pour lui-même.
Soudain, Yale se mit à crier dans la cour.
– À moi ! Préparez tout ce qu’il faut immédiatement. Je pars pour la Capitale Impériale. Dépêchez-vous. Je m’en vais maintenant !
En cinq petites minutes, Yale s’était fait préparer un bel étalon ainsi que deux gardes à ses côtés. Il partit immédiatement, fonçant vers la capitale à toute allure. Sur le chemin, Yale ne s’arrêta à aucun moment, voyageant nuit et jour, sans jamais manger ni boire.
Sur le chemin, il dut changer plusieurs fois de monture, mais il ne s’arrêta jamais dans sa folle chevauchée jusqu’à la capitale.
Après deux jours et une nuit, Yale et ses hommes arrivèrent enfin à la Capitale Impériale. Les yeux des Yale étaient injectés de sang et son visage était gris, comme s’il était sérieusement malade.
– Nous sommes arrivés.
Au loin, Yale vit le manoir du Comte Wharton. Après deux jours et une nuit, Yale voyait enfin une lueur d’espoir.
– Seigneur Yale ? Les gardes du manoir reconnurent naturellement Yale. Il était venu souvent par le passé discuter avec Linley. Il n’y avait aucun besoin pour eux de l’annoncer. Ils étaient toutefois curieux de connaître la raison pour laquelle Yale semblait si hagard, même s’ils ne dirent rien.
– Troisième frère !
Yale chargea à l’intérieur du manoir, avant de crier de tous ses poumons,
– Troisième frère, viens ! Troisième frère, vite, viens ! Dès que Linley entendit les premiers cris de Yale, il accourut à toute vitesse.
En voyant l’état de son ami, Linley fut stupéfait.
À cet instant, le visage de Yale était extrêmement pâle et ses cheveux étaient tout emmêlés. Où était passé l’impeccablement habillé, le magnifique et joyeux, boss Yale ?
En voyant Linley arriver, Yale se précipita vers lui avant de l’attraper par les épaules. Ses yeux injectés de sang fixèrent Linley et il dit d’une voix malheureuse,
– Troisième frère, tu dois absolument venger notre quatrième frère !