– « Ne me tuez pas! » S’écria une voix rauque et terrifiée.
Bébé cessa soudain de faire tournoyer le monstre comme un moulin à vent, et, le tenant suspendu par l’une de ses vrilles, lui cria :
– « Quoi ? Voilà que tu as peur maintenant ? Trop tard! » Puis s’adressant à Linley, il ajouta : « Patron, il faut absolument tuer ce monstre. Laissez-moi m’en occuper! »
Linley hocha légèrement la tête.
Desri et les autres ne disaient rien.
Comment auraient-ils pu épargner si facilement cette créature qui, quelques instants plus tôt, voulait tuer Desri ?
– « Arrêtez! » Hurla le monstre de sa gueule immense.
Bébé le regarda et se mit à rire :
– « Aurais-tu peur de mourir ? »
– « Ne discute pas avec lui », conseilla Linley.
– « Si vous me tuez, vous mourrez tous! » Rugit le monstre d’une voix grave.
Linley, Desri, Fain et les autres se regardèrent puis, amusés, jetèrent un œil à la forme de vie végétale qu’ils venaient de capturer. Fain éclata de rire :
– « Comment ça nous mourrons ? Allez, dites-nous comment vous comptez nous tuer ? »
Le monstre laissa alors échapper un soupir de soulagement. Devant leur attitude, il prit une décision et répondit de sa voix enrouée :
– « Si vous me tuez, je ne pourrai certes plus me venger... mais vous devez savoir qu’à ce septième étage de la Nécropole des Dieux, je ne suis pas le seul de mon genre! »
Linley fronça les sourcils.
Le danger, à cet étage, devait être supérieur à celui du sixième où ils avaient rencontré le Tyran de Feu et ou bon nombre d’entre eux étaient morts. Ils avaient, du reste, pris de grands risques pour le tuer. Cela n’allait certainement pas être aussi simple.
– « Parlez! » aboya Fain en fronçant les sourcils tandis que les experts présents fixaient le monstre.
– « Je ne suis qu’une créature ordinaire », répondit celui-ci avec un soupçon d’arrogance. « La plus puissante des créatures ici est la Reine Mère. Je vous conseille donc de me libérer car si vous me tuez, elle vous massacrera jusqu’au dernier. »
– « La reine mère ?»
Perplexe, Linley fronça les sourcils.
– « Dans les autres plans », expliqua l’un des trois Lions Ni Dorés, « il existe des formes de vie particulières qui sont divisées en une entité “mère” et une entité “enfant”. La “mère” donnant naissance aux “enfants”. Son pouvoir est cent fois supérieur aux leur. Les créatures magiques de type Frelon en sont un parfait exemple. Dans leur clan, il n’y qu’une Reine Mère, les autres étant tous ses enfants. »
Tous demeurèrent surpris.
Si tel était le cas, le pouvoir de la Reine Mère devait-être nettement supérieurs à celui de ses enfants.
– « Donc », reprit le monstre, visiblement confiant, « j’entretiens avec cette Reine Mère la relation qui existe entre une “entité mère” et une “entité enfant”, c’est pourquoi si jamais vous me tuez, elle le sentira et vous encourrez sa colère. Vous feriez mieux de me libérer, sans quoi vous allez sans doute mourir. »
Desri regarda Linley :
– « Que faire ? « Demanda-t-il.
Au sein de ce groupe, le statut de Linley s’était progressivement amélioré, en particulier depuis sa performance au sixième étage. Non seulement il était plus puissant que les autres mais il les avait aidés, même Tulily.
Linley hésitait un peu :
« Faut-il le tuer ou non ? » Se demandait-il, dans l’incapacité de savoir si cette créature disait ou non la vérité.
Il y eut un coup de vent soudain. L’un des Lions Ni Dorés se mit à grossir jusqu’à atteindre la taille d’un dragon titanesque. Il se jeta sur le monstre pour le lacérer de ses griffes recouvertes d’une fourrure d’or qui avaient atteint plusieurs mètres d’épaisseur.
Le monstre laissa échapper un cri de terreur.
Cependant, les six yeux du Lion Ni Doré se mirent à envoyer des rayons de lumière noire qui enveloppèrent la créature et l’immobilisèrent.
Ses griffes acérées, qui semblaient si puissantes qu’elles auraient pu déchirer l’espace, s’abattirent sur le monstre et le déchiquetèrent lentement. Tel un vase qui se brise, le corps de la créature éclata en quatre ou cinq fragments et un liquide vert s’en écoula.
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le Lion Ni Doré avait tué le monstre.
– « Pourquoi avoir fait ça ? » Demanda froidement Rosarie dont les yeux brillaient d’une faible lumière verte. « Ne craignez-vous pas d’attirer l’attention de la Reine Mère ? »
– « Si vous craignez d’être tués par la Reine Mère, suivez-moi », répondit le Lion Ni Doré.
Sans autre explication, il s’envola, aussitôt suivi des deux autres.
Bien que perplexes, Linley, Desri et les autres experts firent de même.
Après avoir parcouru environ une centaine de kilomètres, les trois Lions Ni Dorés à Six Yeux s’arrêtèrent.
– « Que se passe-t-il ? » Demanda Linley.
– « Etant donné que nous l’avons tué, la Reine Mère est probablement à notre poursuite », suggéra Rutherford en fronçant les sourcils.
Le chef des Lions se mit à rire, révélant ses crocs :
– « Vous êtes vraiment stupides. Il suffit que ce monstre vous ait dit n’importe quoi pour que vous le croyiez et hésitiez à le tuer ? »
À ces mots, les autres Lions Ni eurent un regard amusé.
Ils étaient aux côtés de Dylin depuis de nombreuses années et avaient infiniment plus d’expérience que tous les autres experts, y compris Linley.
– « Comment ? » Demanda Fain. « Pensez-vous que le monstre ait menti en affirmant qu’il existait une Reine Mère au septième étage dont il n’était qu’un « enfant » ? »
– « À ce sujet, je ne pense pas », répondit le Lion Ni Doré. « Mes frères et moi avons déjà rencontré cette forme de vie végétale lorsque nous étions prisonniers à Gebados. En général, les créatures de type plantes ont bien une Reine Mère dont le pouvoir est des centaines de fois plus grand que le leur. »
Karossa fronça les sourcils :
– « Et malgré cela, vous l’avez tué ? »
Linley, lui aussi, était perplexe.
Le Lion Ni Doré renifla :
– « Mais enfin, vous ne comprenez pas ? Une Reine Mère peut donner naissance à des centaines de milliers d’enfants. Pour elle, ce ne sont que de petits soldats. Avez-vous déjà vu un Empereur venger la mort d’un seul de ses guerriers ? »
– « Il est vrai qu’au sein des créatures magiques de type Frelon, la Reine Mère fait peu de cas de la mort d’un soldat ordinaire », grommela le Scorpion aux Écailles Noires.
– « Et d’une, en effet », dit le Lion Ni. « Ensuite, ce serait une bonne chose si la Reine Mère se lançait à notre poursuite. »
Tous demeurèrent perplexes.
En quoi cela pouvait-il être une bonne chose ?
– « Vous souvenez-vous du sixième étage ? », renchérit un second Lion Ni. « Au départ, il se trouvait lui-même près du passage. Puis il est parti et a ordonné aux quelques mille Démons du Magma de bloquer l’entrée pour nous empêcher de sortir. À mon avis, la Reine Mère se trouve près de la sortie qui mène au huitième étage. C’est tout simplement logique. »
– « C’est vrai », acquiesça Fain.
Cela semblait évident, cependant, les experts n’y avaient pas songé.
– « Pensez-vous que le simple fait de tuer l’un de ses “enfants” pousserait la Reine Mère à quitter le tunnel ? C’est une plaisanterie! Il faudrait réussir à l’éloigner si nous voulons terpouvoir saisir l’occasion pour trouver le passage qui mène au huitième étage », expliqua le Lion Ni Doré en se léchant les babines. « Remettons-nous à la recherche du tunnel. Mais soyons prudents. La Reine Mère n’est en rien comparable à l’enfant que nous venons d’affronter. »
Convaincus qu’il avait raison, tous se mirent à la recherche de la Reine Mère, qui devait bien se trouver quelque part, aucun d’entre eux n’osant cependant jouer les téméraires.
« Celui qui a créé cette Nécropole n’a pas négligé ses efforts », pensa Linley, admiratif, tandis qu’il volait à la recherche du tunnel.
En effet, il n’avait encore jamais vu de créatures semblables à ce Tyran de Feu ou à ces formes de vie végétales.
« Mais si vraiment il a été conçu par un Souverain, celui-ci s’est peut-être contenté de rechercher ces races étranges et de les ramener ici. »
Ils poursuivirent leurs investigations.
Ce monde désertique était extrêmement vaste et à chaque fois qu’ils apercevaient de loin une oasis, ils volaient aussitôt dans cette direction pour voir s’ils ne trouvaient pas le tunnel. Ils n’avaient pas peur, sachant que si ces oasis devenaient des monstres et les attaquaient, les cinq créatures magiques s’en chargeraient.
Un long moment passa.
Le vent, en soufflant, soulevait le sable. Certaines dunes s’élevaient tandis que d’autres rétrécissaient. Une puissante rafale balaya soudain une grande quantité de sable, révélant un mur noir fait de roches.
– « Regardez! » S’écria Fain en le montrant de loin. « On dirait bien que c’est la sortie! »
Tous avaient une excellente vue et ce mur de pierre noir se détachait particulièrement sur le sable jaune.
« C’est bien le tunnel! »
Linley et les autres se dirigèrent aussitôt dans cette direction.
Le guerrier invoqua une violente rafale de vent qui se mit à souffler sur le mur de pierre, chassa ce qui restait de sable et dévoila la totalité de l’édifice.
Cette structure noire ressemblait à une pyramide sous laquelle se trouvait un escalier haut de dix mètres dont la faible lueur noire et brillante ne laissait pas de place au doute : ils avaient bel et bien trouvé la sortie.
Soudain, d’innombrables plantes rampantes et vrilles jaillirent de sous la pyramide tout autour du tunnel. En un clin d’œil, tout l’édifice en fut recouvert et le passage totalement bloqué.
Les lianes et plantes grimpantes se dressaient vers le ciel sur une superficie de cent kilomètres carrés autour de la pyramide noire.
Linley et ses compagnons frémirent et aussitôt, reculèrent tout en prenant de l’altitude.
Un rire clair venant du sol retentit tandis que du cœur de ces plantes fusait une immense lumière verte. Elle se dirigea droit vers le ciel avant de s’arrêter en plein vol.
Cette créature féminine, qui mesurait plus de dix mètre de haut et avait le corps recouvert de plantes entrelacées d’où partaient des lianes et racines de plus d’un kilomètre de long, restait figée dans les airs.
Très différentes de celles de ses “enfants”, les plantes qui l’entouraient étaient d’un vert si tendre qu’il en était presque translucide. On n’aurait jamais dit des plantes mais une matière lisse et douce, semblable à du cristal.
C’était terriblement étrange.
– « Voilà longtemps que je n’ai pas vu d’étranger ici », dit la femme verte. « En fait, je m’ennuyais. Mais… ce sont des humains! J’aime les corps humains, ils sont magnifiques! D’abord, permettez–moi de me présenter », dit-elle en balayant l’assistance du regard. « Je suis Lachapelle, mais vous pouvez m’appeler Reine Mère. »
« Nous avions raison », se dirent Linley et ses compagnons qui redoublèrent de prudence et l’examinèrent soigneusement.
Les vrilles de Lachapelle, au vert tendre et cristallin, étaient bien plus imposantes que celle de ses “enfants”.
– « Lachapelle », dit l’un des Lions Ni d’une voix forte. « Je suis certain que ce n’est pas la première fois que vous rencontrez des étrangers ici et que votre but n’est pas nécessairement de nous causer des ennuis. J’ose espérer que vous nous permettrez d’emprunter le tunnel car dans le cas contraire, si vous nous obligez à tous nous liguer contre vous, vous risquez de passer un mauvais quart d’heure. »
La Reine Mère regarda les trois Lions Ni Dorés à Six Yeux :
– « Vous osez me menacer ? Comme c’est étonnant. Nous allons voir si vous en avez réellement la capacité… »
Sans attendre de terminer sa phrase… elle fonça soudain vers Linley.
– « Fuyons! » S’écrièrent sans hésiter Linley et ses compagnons qui s’éloignèrent à grande vitesse.
Mais au même moment, les lianes et vrilles de la Reine Mère surgirent telles des flèches pointues. Linley, qui fuyait tout en surveillant ses arrières, réalisa soudain que cette attaque était loin d’être désorganisée.
« Aurait-elle le pouvoir de geler l’espace temps ? » Se demanda Linley, fort étonné.
Bien sûr l’espace n’était pas réellement gelé mais ils avaient l’impression d’être tombés dans un bassin de boue et voler leur devenait extrêmement ardu.
Soudain, les plantes encerclèrent Rutherford et Karossa, qui étaient un peu plus lents que les autres et commencèrent à se contracter.
De grandes quantités de sang jaillirent par les interstices entre les plantes rampantes, aussitôt absorbées par celles-ci.
Linley et les autres experts en fuite blêmirent :
– « Rutherford et Karossa sont morts! »
Rutherford, l’un des Cinq Premiers Saints qui était pourtant puissant, avait été tué sur le coup sans même pouvoir se défendre.
Les lianes et plantes rampantes qui les avaient écrasés se remirent à danser : il ne restait plus rien des deux experts, pas même les os.
– « Mmm, c’est délicieux! » dit Lachapelle, ses yeux verts fixés sur Linley et ses compagnons qui fuyaient du plus vite qu’ils pouvaient.