Interlude I : Héros de la Malchance, 12 avril de l’année 421 avant J-C.
“Damnation ! Ça ne doit pas être si difficile !” cria une voix de la cuisine.
Ce n’était pas possible. Elle ne pouvait pas se calmer, un moment. Je savais bien que les dieux n’avaient pas besoin de dormir mais il fallait penser aux autres aussi. Je n’étais qu’un pauvre humain.
Je jetai un coup d’œil à l’horloge que m’avait offert Héphaïstos : il était une heure vingt-quatre. L’obscurité venait tout juste de s’épaissir et mon songe de s’évanouir.
Un long soupir m’échappa, puis mes lèvres se retroussèrent. Il n’était pas difficile de deviner ce qu’était en train de faire Athéna.
‘Je suppose qu’on peut être considérés comme des amis maintenant’, pensai-je en mettant des bouchons d’oreille.
“Il me faut plus d’espace. Je savais que j’aurais dû demander une plus grande cuisine.”
Cette odeur, ça sentait le brûlé, non ?
Je sortis de mes draps en roulant à contrecœur et j’entrouvris discrètement la porte.
Des livres de cuisine pleins de poussière étaient éparpillés partout dans le salon. Mais ça importait peu, la pauvre responsable était déjà trop occupée à essayer d’arrêter le feu pour se préoccuper de l’air invivable.
Voyant son air déterminé, je décidai de ne pas intervenir. Elle s’en sortira. Au pire, il y avait de la place à l’Olympe. Un appartement de moins, ne changerait pas grand-chose au décor.
Après avoir arrêté l’incendie et jeté ce qui avait brûlé, elle se remit aux fourneaux. Vu la tête du machin sur la table à manger, elle devait être en train d’essayer de faire une pâtisserie. Rond, plutôt épais et compte tenu des ingrédients qui traînaient autour d’elle, il s’agissait sûrement d’un gâteau au citron.
Un gâteau au citron. C’était possible de rater ça à ce point-là ?! On dirait un bloc de charbon pur.
Par Nura, j’allais devoir manger ça ? Pour mon bien, j’effaçai cette scène de ma mémoire et retournai dans mes draps. Quitte à mourir empoisonné, autant profiter de cette dernière nuit de sommeil.
Toc. Toc. Mmmghrl… Qu… Quoi ?
“Est-ce que tu es réveillé ? demanda la meilleure pâtissière de l’Olympe.
– Quelle heure ?
– Midi.
– Je me ramollis vraiment au fur et à mesure, grommelai-je.
– Viendras-tu manger ? s’enquit-elle en ouvrant la porte.
– J’arrive, dis-je en faisant mon lit.”
Une marmite géante nous attendait. Cette odeur familière indiquait clairement que c’était du curry mais la couleur du bouillon me rappelait plus le goudron qu’on utilisait pour les autoroutes. La volonté et le cœur y étaient, il n’y avait aucun doute là-dessus et l’attention me touchait, mais la question était : est-ce comestible ?
D’un sourire gêné, elle me servit une petite assiette et m’invita à goûter. Je savais qu’elle avait fait des efforts, elle qui ne cuisinait jamais, mais était-ce suffisant pour laisser mes papilles se faire brutaliser ?
Qui sait, peut-être que l’apparence de son plat est trompeuse, il ne faut pas juger avant d’avoir goûter, me rassurai-je.
Je pris une longue respiration et avalai une cuillère de ce fameux curry.
Une goutte de transpiration parcourut sur mon front. Une cascade acide et visqueuse traversa ma gorge mais je ne laissai rien paraître. Même l’arrière-goût de pomme sucrée ne me fit pas céder. Je restai de marbre, du moins, je l’espérais.
Je ne savais pas ce qu’elle avait mis dedans, mais ce n’était définitivement pas ce à quoi je m’attendais. Quelle recette avait-elle pu choisir pour avoir de la pomme dans un curry ?
En levant la tête, je rencontrai son regard sincèrement désolé. Je ne pouvais pas trahir sa gentillesse. Il fallait que je réussisse à être conciliant tout en restant honnête. De plus, je ne voulais pas ruiner notre amitié toute nouvelle.
“Tu peux être franc. Je ne m’attendais à rien. Néanmoins, pour tout te dire, je suis déçue de ce que j’ai fait.
– Disons qu’il y a des choses que l’on peut améliorer, dis-je lentement. Par exemple, tu peux m’expliquer pourquoi est-ce que tu as mis de la pomme dans du curry ?
– Cette idée vient de Dionysos. Étant donné qu’il s’occupe des banquets, je me disais qu’il aurait de bonnes propositions.
– Je ne sais pas ce qui est le plus étonnant, le fait que tu aies demandé conseil à Dionysos ou qu’il ait proposé de mettre de la pomme dans du curry.
– Est-ce à ce point peu comestible ? Ne me ménage pas.
– Oui… ce n’est pas exactement ce que j’appelle comestible, mais je t’apprendrai si tu veux, proposai-je.
– Mmh, acquiesça-t-elle sur un ton dépité. Je te débarrasse dans ce cas-là, nous commanderons à manger chez Demeter.
– Désolé… et merci.
– Mmh, le gâteau est pire, dit-elle en sortant un large caillou marron.
– Au moins, ça a l’apparence d’un gâteau, fis-je remarquer.
– Un compliment ? Ça valait le coup, finalement, lâcha-t-elle en gloussant doucement. Joyeux anniversaire.
– Merci, Athéna. Pour la peine, je vais en manger un morceau.
– Tu n’es pas obligé, je l’ai déjà goûté. Le curry était spécial mais il s’agit là d’une erreur divine.”
Gloup. Brrlgh. Mon estomac me fit tout de suite comprendre que ce corps étranger n’était pas le bienvenu.
“On va rester sur le curry, mais ça me touche, vraiment, merci, Athéna”, déclarai-je maladroitement en filant aux toilettes.