— Il est 5 h du matin. Hors de question, dis-je en essayant de lui faire lâcher ma porte.

— C’est urgent !

— Qu’est-ce qui peut bien être si urgent ?

— J’ai perdu ma chouette.

— Ton père la retrouvera en un instant, c’est son domaine, pas le mien.

— Il est en train de dormir.

— Je vais faire de même.

— Je te trouverai un bon roman en échange.

— Un bon roman ? Vraiment ?

— N’oublie pas que je suis aussi la déesse des artistes ! J’ai des goûts irréprochables.

Dans un long soupir, je me résolus à écouter ma colocataire raconter sa journée et comment elle avait perdu la trace de son animal de compagnie. Ce n’était qu’en rentrant après avoir passé la matinée à lire à la bibliothèque et l’après-midi à donner cours, qu’elle avait découvert la disparition de sa chevêche. La cage avait apparemment été ouverte pendant son absence.

Mon alibi ? J’étais à l’hôpital pour voir mon médecin personnel. Guérir des séquelles du regard de pierre d’une gorgone n’était pas une chose facile.

Pour avoir gâché le week-end d’un Héros, le coupable mériterait au moins de se casser le bras. Ou de se noyer dans le Styx. Ou pire, se casser le petit orteil.

— Dans le pire des cas, utilise un peu de ta Divinité, dis-je.

— Je n’ai plus de Crédits.

— Fais un prêt. Tu ne voudrais pas que ton piaf se fasse manger.

— Ce n’est pas un piaf, c’est mon Symbole.

Je haussai les épaules. Vu l’état de son Symbole, elle gagnerait à le refaire faire.

— Je vais chercher de quoi faire.

— Merci, je te le revaudrai, promis.

— Prépare plutôt ce roman.

Je sortis ma boussole préférée du tiroir de mon bureau que j’avais acquise à une vente aux enchères. Elle était capable de localiser tout objet ou être-vivant sur une distance de 40 000 km, donc tant que son oiseau n’avait pas eu d’inspirations extraterrestres, il ne devrait pas y avoir de problèmes.

Je la posai sur la table à manger et traçai les runes qui allaient me servir. Je ne pensais pas que j’allais écrire un jour “chevêche” dans le langage Zéro.

“Nura, prête-moi un peu de ta force et trouve-moi ce pigeon”, chuchotai-je en claquant dans mes mains.

L’aiguille se mit à tourner, lentement mais sûrement. Elle fit un tour, puis deux et ensuite trois, avant de s’arrêter subitement. Et elle plongea, perçant le socle et la table, et par la même occasion mon cœur. Réparer le socle allait me coûter une fortune.

— Tu comprends ce qu’il vient de se passer ?

— C’est la première fois que je vois une aiguille de boussole qui transperce son propre socle pour indiquer le sol. Que ferait ma chouette aux Enfers ?

— On va le découvrir bientôt.

— Je vais aller chercher des cadeaux pour mon oncle et ma tante dans ce cas-là. C’est la première fois qu’on y va ensemble en plus.

— Génial, dis-je faiblement. Dépêche-toi, sinon elle va cramer.

— Au moins, tant qu’elle est là-bas, mon oncle pourra sauver son âme.

— Justement, une personne veut peut-être faire disparaître ton symbole dans le Léthé.

— Ne me fais pas peur, grogna-t-elle avant d’aller chercher sa veste.

— Il va falloir qu’on prenne l’avion.

— Pourquoi ? entendis-je de sa chambre.

— Je ne suis pas sûr d’avoir assez d’énergie pour me battre si j’ouvre un portail maintenant.

— Ne t’inquiètes pas.

— Tu es sûre que ça va aller ?

— Mais oui, dit-elle la voix assurée. Ce n’est rien.

Pendant qu’elle regardait quels cadeaux elle pourrait amener pour son oncle, je fouillai dans ma chambre et trouvai deux pièces d’or pour le passeur, et ma carte de Crédit. Si l’on devait faire face à des dieux, autant que la personne à côté de moi puisse avoir accès à sa Divinité. Heureusement que le métier de Héros payait bien.