Marlon décida de passer à l’offensive alors que le mana continuait de s’accumuler autour du trio les ayant agressés. Il sortit de sa tunique un parchemin [Traqueur de Feu] et l’activa, ciblant Najri, qui était le meneur du groupe. Il sentit un bon tiers de son mana disparaître, presque rempli grâce à son [Armure d’Absorption] lors de la dernière attaque, dans l’activation du sortilège et le parchemin se consuma dans une lueur rougeâtre alors qu’une langue de feu apparut au-dessus de sa tête et se dirigea vers leurs assaillants.
Palkor ne resta pas inactif, et après que la stupeur de la première attaque soit passée, ainsi que la douleur occasionnée par les blessures infligées malgré leurs protections, il activa une de ses Sangsues, un anneau de couleur de lave dont l’aura se projeta autour de la silhouette du jeune homme. Une boule de feu se forma à quelques centimètres de l’artefact et vola en même temps que le Traqueur vers Najri, Talron et Deica.
Les trois jeunes ne bronchèrent pas, un sourire mauvais sur le visage du meneur, alors que les projectiles arrivaient à toute allure dans leur direction. L’instinct de Marlon hurlait dans son esprit, ainsi que les voix qui commençaient à se faire bien plus sonore, déclenchées par la douleur insoutenable qui l’avait envahit quelques secondes auparavant et restait présente dans son esprit même si toute trace physique avait disparue.
Les deux projectiles enflammés, à quelques centimètres du visage des trois assaillants, s’écrasèrent sur une bulle invisible, les flammes se dispersant dans un rugissement sonore dessinant les contours de la protection magique qui avait donné cette confiance narquoise à Najri, Marlon apercevant nettement les filaments de mana s’accumuler encore et toujours dans leurs Sangsues, leur laissant du temps pour préparer leur prochaine attaque.
Avant que Marlon et Palkor ne puissent lancer une nouvelle salve, plus violente, pour détruire leur défense, le trio tendit vers eux leur main droite, en parfaite synchronicité, des mots étouffés par le vacarme du feu qui commençait à grandir autour d’eux, conséquence des multiples attaques élémentaires utilisées par les deux camps, et la magie prit forme devant eux.
Des blocs de roche se formèrent à hauteur de torse, une dizaine, puis une vingtaine, avant d’être projetés en direction des deux jeunes aventuriers, comme éboulis horizontal qui viendrait les faucher sans pitié.
Palkor jura et activa immédiatement une autre Sangsue, une bulle semblable à celle entourant leurs agresseurs se formant autour de sa silhouette.
Marlon, lui, ne réfléchit pas, et activa instantanément une des deux Postures de Combat. La Forme de l’Eau prit place, ses pieds et ses mains de manière à pouvoir anticiper et accompagner le mouvement de ce qui venait vers eux. Il sentit tout de suite le drain conséquent sur son mana et son physique, mais il n’y prêta pas énormément d’attention, préférant survivre à ce qui venait vers eux.
Les premiers blocs rocheux arrivèrent à leur hauteur, et Marlon réussit sans grande difficulté à esquiver les morceaux massifs et bruts de sol qui filaient en ligne droit. La Forme de l’Eau lui permit de se contorsionner, de se mouvoir autour des blocs comme s’il était un cours d’eau contournant un roc monstrueux. Il n’avait pas la maitrise nécessaire encore pour pouvoir agir comme un fleuve et éroder complètement ces attaques, comme le ferait un fleuve impétueux avec une montagne, la creusant et l’aplanissant, mais cela suffit tout de même pour éviter des blessures graves.
Palkor, lui, se contenta d’éviter le gros de la force d’impact des projectiles, son bouclier détournant la force du choc et déviant les rocs comme le ferait un mur solide. Des ondes vibrantes étaient visibles à l’œil nu et apparaissaient sur sa bulle de protection à chaque fois qu’un bloc le percutait, et en quelques secondes à peine, ce bouclier semblait déjà prêt à imploser.
Le runiste, n’étant pas arrivé au niveau de maitrise de Kelko, ne put finalement pas esquiver parfaitement les projectiles, et l’un d’eux le heurta violemment à l’épaule, le déséquilibrant violemment et le faisant presque sortir de sa Posture de Combat. Il se rattrapa in extremis, jurant entre ses dents alors qu’il sentait l’os brisé déchirer ses chairs et entailler muscles et tendons sur son passage. Il retint avec peine un hurlement de douleur, se contentant de maintenir l’effort de Posture alors que d’autres rocs arrivaient sans interruption vers eux.
Ce ballet d’esquive et de déviation dura de longues secondes, et chacune d’entre elles qui s’écoulait voyait Marlon et Palkor s’affaiblir de plus en plus. Le runiste ne pouvait qu’espérer que la magie nourrissant cette attaque allait s’estomper rapidement, car il la voyait s’effilocher de plus en plus grâce à sa [Vision de Mana].
« Je confirme, gamin, encore quelques secondes, tout au plus. Tenez bon ! »
Palkor était blessé également, sa bulle protectrice ayant lâché en plusieurs endroits et de nombreux éclats de pierre ayant traversé à vélocité terminale avant de le heurter et de traverser la peau et les chairs comme si c’était du beurre.
L’apprenti leva alors une main en l’air, et activa une deuxième Sangsue, la magie se mouvant dans l’air de la caverne comme une violente tempête sur le point d’éclater.
Deux murs de terre de deux mètres d’épaisseur sortirent de terre en un clignement d’œil, fournissant une protection de dernière chance face aux derniers projectiles qui arrivaient dans leur direction et menaçaient de les balayer comme des fétus de paille à cause de la fatigue qu’ils ressentaient tous deux.
Le Forgeur sentit la fatigue l’envahir alors que l’effort mental pour approvisionner ces deux Sangsues en si peu de temps et avec peu d’écart entre eux, mais il ne montra rien de cet épuisement. Il se tourna vers le runiste et cria par-dessus le vacarme des rochers se brisant sur la terre sèche :
« Il faut qu’on trouve une faille, Revenge, sinon on va y rester. J’ai encore une option de défense, mais ça sera la dernière ! »
Marlon, sentant son mana se remplir peu à peu à chaque impact de roche, son [Armure d’Absorption] encore active et suçant le mana présent dans les bouts de rochers frolant et frappant le runiste, se prépara à jouer le tout pour le tout quand quelque chose d’impromptu et d’imprévisible se produisit.
Le trio était toujours en plein effort de canalisation, forçant le mana ambiant à pénétrer leurs Sangsues et à nourrir leur attaque ne serait-ce que quelques secondes supplémentaires.
Ils voyaient que le duo était presque au bout de ses forces. L’immigré était blessé, comme le fils du Forgeur Céleste, et leurs gestes se faisaient moins précis, moins utiles.
Mais alors qu’ils allaient les écraser sous les roches incessantes volant dans leur direction, Luna sortit des profondeurs de la jungle, par-derrière le groupe d’assaillants, et se jeta sur celui qui était le plus en arrière.
Trop concentrés sur leur attaque, ils ne purent rien faire alors que le Mantis à taille de tigre sautait et attrapait la gorge de Deica, ses crocs perforants la chair sur le coup et un geyser de sang jaillissant vers Najri et Talron alors que le félin faisait chuter un Deica hurlant et choqué par l’apparition soudaine de la créature.
En bon prédateur, Luna tira de toutes ses forces le Forgecielois à sa merci, ignorant les hurlements de douleur ponctués de borborygmes sanglants à cause des blessures qu’elle infligeait. En à peine quelques battements de cœur, elle avait de nouveau disparue sous la frondaison des arbres et seuls des hurlements de plus en plus espacés faisaient penser qu’elle n’avait jamais été présente.
Puis les hurlements se turent.
Najri et Talron interrompirent instantanément la canalisation du mana, choqués par l’évènement, et l’attaque manaphage de projectiles s’interrompit d’elle-même alors qu’elle asséchait les dernières gouttes de mana qui lui avaient été offertes.
Tout cela ne dura que quelques secondes, à peine suffisantes pour qu’une opportunité soit saisie, mais Marlon la reconnut, et il ne loupa pas le créneau qui lui était présenté.
Alors que le duo avait encore le regard fixé sur l’endroit qu’occupait leur compagnon quelques instants auparavant, le runiste saisit une poche de tissu qu’il avait soigneusement isolé du reste de son équipement, à l’abri entre différentes couches de tissu pour amortir tout choc possible.
Le petit ballotin de tissu blanc que Marlon lança en direction de Najri et Talron n’avait l’air de rien, mais le runiste écouta son instinct, comme à son habitude, et cria à Palkor avant que le sac ne touche une surface :
« A TERRE, PALKOR ! »
L’apprenti forgeur comprit au ton de Marlon qu’il n’y avait pas de place pour l’hésitation et il se jeta au sol en même temps que le runiste.
Najri et Talron, eux, n’eurent pas le temps de réagir.
Et un autre évènement improbable se produisit alors. Sorti de nulle part, un Achaien déboula de la forêt et se plaça entre le morceau de tissu chargé de Lambarde Cristalline transformée et les deux assaillants.
Le choc avec la carapace de l’insectoïde détourna le pochon de sa course initiale, le projetant en l’air, mais l’impact fut suffisant pour déclencher la réaction à laquelle Marlon s’attendait.
Le flash de l’induction fut suivi immédiatement par une déflagration qui fit trembler le sol et le plafond de la caverne, projetant dans tous les sens des morceaux de terre, de roches et de bois prélevés à la jungle et catapultés par la puissance de l’explosion.
L’Achaien, au plus près de la déflagration, fut instantanément réduit en poussière, son cri strident disparaissant dans le vacarme de fin du monde provoquée par l’arme explosive du runiste.
L’explosion resta localisée, pas plus de six ou sept mètres de diamètre, mais l’onde de choc expulsa tout de même l’air des poumons du runiste et de l’apprenti, scotchés au sol, les yeux fermés, attendant que le plus gros du choc ne passe.
La seule raison qui fit que Najri et Talron ne furent pas réduits en morceaux sous l’effet de l’explosion et de son souffle fut leur bulle de protection, qui encaissa la plus grosse partie du choc et leur sauva la vie, ainsi que la majorité du choc initial absorbé par l’Achaien dorénavant poussière.
Mais même cette magie ne fut pas suffisante, et dans un bruit de verre brisé, elle finit par céder, les deux jeunes gens projetés en arrière, roulant sur le sol avec fracas, des shrapnels de roches écorchant leur peau et déchirant leurs muscles, leur arrachant des cris de douleur et des larmes d’incompréhension.
Marlon et Palkor étaient eux suffisamment loin pour ne pas subir de plus amples dommages, mais ils durent attendre que le souffle soit passé pour pouvoir relever la tête et se redresser sur leurs jambes.
A peine debout, Marlon dut faire face à un second insecte, faisant à peu près sa taille, qui sortit de la forêt comme une locomotive et fonça sur le runiste en claquant ses mandibules, désireuse de venger la mort de sa congénère.
Malgré le choc de l’explosion, il réussit à activer un [Traqueur de Feu] qui se matérialisa juste avant que la créature ne le percute. Il sentit la chaleur de son propre sort consumer la chair et la transformer en cendres, une odeur de viande grillée parvenant à ses narines alors que l’air chaud pénétrant dans ses poumons menaça de le faire suffoquer. Il recula de quelques pas aussi vite que possible, et vit que le dorénavant duo leur faisant face n’était pas en meilleure posture. Trois, puis quatre Achaiens sortirent de la forêt, d’autres se devinant derrière.
Le runiste eut un sourire content. Enfin, le véritable massacre qu’il attendait, où le feu et le sang couleraient à flots, où les chairs de l’ennemi contenteraient sa soif éternelle de massacre et où il pourrait enfin démembrer ses adversaires en hurlant sa joie et en riant au…
Il secoua la tête en se giflant, écartant la vague de folie qui menaçait de le submerger, et jeta un œil vers Palkor. Ce dernier fit un signe de tête à Marlon avant de lui dire :
« J’essaie quelque chose ! Par contre, aucune idée des dégâts collatéraux, fais de ton mieux pour éviter de te faire toucher ! »
Le runiste hocha la tête, grognant alors que la voix de son alter ego lui promettait monts et merveilles en interne, le tentant de son mieux pour qu’il abandonne le contrôle. Mais il tint bon, serrant les dents et dégainant sa lame d’un geste rapide avant de s’élancer droit sur un Achaien qu’il empala au niveau du crâne, l’ichor noir dorénavant familier jaillissant de la plaie alors qu’il poussait un cri de rage et de guerre résonnant dans la caverne entière et que le corps de l’insectoïde s’écroulait flasque devant lui.
Alors qu’il allait se jeter sur une seconde créature sortie de la jungle et se jetant sur lui avec furie, le temps sembla se figer pendant un quart de seconde.
Des sphères noires apparurent subitement, une vingtaine, à quelques mètres d’écart les une des autres, flottant à peu près à cinq mètres du sol, l’air crépitant et craquant autour d’elles comme si il allait se déchirer.
Tous les Achaiens se stoppèrent instantanément, tournant leur tête chitineuse vers ces apparitions, et commençant à faire demi-tour, comme si elles sentaient quelque chose que Marlon ne pouvait percevoir.
Puis, aussi soudainement qu’elles étaient apparues, les sphères flottantes libérèrent un torrent d’éclairs noirs comme le jais sur les environs, un chaos sonore et visuel qui faillit bien rendre totalement incapacité le runiste qui se jeta sur le côté pour éviter un éclair qui passa seulement à quelques centimètres de lui.
Là où les éclairs frappaient, des cratères apparaissaient et la terre se mettait à fumer, incandescente, de petits patchs de matière s’étant cristallisés sous l’effet extrême de l’impact.
Beaucoup ne touchèrent que le sol, mais certains d’entre eux, un quart peut-être, frappa les Achaiens qui avaient décidés de débarquer en masse sans se douter qu’ils se feraient massacrer de cette manière.
Les éclairs faisaient fondre la chitine autour de l’impact et les corps insectoïdes se mettaient instantanément à convulser, mourants, alors que leurs organes se consumaient sous l’effet de la chaleur et que leurs nerfs étaient bien trop activés par l’activité électrique des éléments déchainés.
Le runiste parvint à se mettre à l’abri près de la frondaison de la forêt, à l’opposé de là où débarquaient les créatures et remarqua Palkor, les traits tirés, les deux bras tendus devant lui alors qu’un halo noir et menaçant s’était développé autour de lui.
Ça devait être une des fameuses trouvailles qu’il voulait essayer, tout comme sa Lambarde Cristalline. Et vu la mine creusée que portait Palkor en ce moment, le runiste se douta que l’assaut électrique sorti tout droit des enfers ne durerait pas. Il décida donc d’agir, et de tenter également le tout pour le tout.
Najri et Talron étaient toujours aux prises avec des Achaiens, et au grand dam de Marlon, ils s’en sortaient plutôt bien. Un autre bouclier avait fait son apparition. Najri décimait les créatures survivantes de l’attaque de Palkor avec une lance plus grande que lui et recouverte de ce qui semblait être un mélange de runes et de métaux précieux.
Talron, lui, avait une lame semblable à celle du runiste et évoluait entre les insectes avec une grâce légère, malgré la fatigue, provoquant de nombreuses entailles avant de porter un coup fatal sur une zone sensible et de passer à la cible suivante.
Les voyant tous les deux occupés, le runiste saisit deux lames dans la pochette qu’il portait à a ceinture, toute deux enduits de poison paralysant, et il les lança d’un geste souple et rapide, leur donnant autant de puissance que possible et espérant que sa visée serait correcte.
La première érafla Talron au niveau de l’épaule gauche alors qu’il repoussait un énième Achaien. Najri dut voir du coin de l’œil ce qui se préparait et réussit à esquiver la lame venant vers lui en faisant deux pas rapides en arrière, évitant par la même occasion un coup de patte d’un insectoïde déchainé qui lui faisait face.
Ces types n’étaient pas des Forgecielois pour rien, après tout.
Le runiste jura, dépité de l’esquive de Najri, mais il continua tout de même sur l’ébauche de plan d’action qu’il avait dessiné dans sa tête.
Il sortit un parchemin vierge ainsi qu’une des dernières fioles de sang de Mecar, activant [Main Véloce] et se mettant à tracer avec une vitesse presque indiscernable pour l’œil nu une rune triple de [Projectile de Terre], soutenue par des petites runes de liaison et de renforcement.
Il imprima également une intention de fer au sort qu’il tentait de créer, l’imaginant parfaitement et y projetant toute la volonté dont il était capable. Quand il atteignit l’étape finale, il se concentra pour injecter non pas son mana, mais celui contenu dans la Sangsue de Mana.
Il sentit la succion intense imposée sur l’artefact alors que le parchemin se consumait dans un éclat ocre qui lui fit plisser les yeux malgré la lueur des flammes alentours.
Talron, entre-temps, s’était figé dans une posture improbable, au milieu d’un pas, et ses traits étaient tirés comme s’il se battait contre un ennemi invisible. Le poison avait fait son effet.
Najri, au lieu d’attaquer, voulu aider son compagnon, mais il était trop tard.
Dans l’air chaud et asséché par les flammes de la jungle, des lances de roches compactes se formèrent puis s’élancèrent vers les deux assaillants, sans discontinuer. [Projectile de Terre] était activé, et vu la quantité de mana incroyable injectée dedans, les dégâts allaient être colossaux.
Najri se jeta à terre en voulant sauver sa peau, et cela eut l’effet escompté, même s’il ne pouvait agir de quelque manière que ce soit.
Talron, lui, fut projeté par une lance de pierre contre un arbre massif ayant résisté aux assauts de la magie et des Achaiens jusque-là.
La lance traversa le corps du jeune homme et l’empala promptement contre le bois massif du géant immobile, aucun son ne sortant de la gorge paralysée de Talron mais une lueur d’effroi et de douleur visible dans son regard, pour ceux qui se seraient trouvés assez près pour l’observer.
Des éclairs continuaient de s’abattre çà et là sur la jungle dévastée autour des combattants, mais leur fréquence avait fortement diminué, ainsi que leur puissance, à peine une menace désormais.
Mais les Achaiens survivants ne furent pas épargnés par les lances faites de roc. Certains furent empalés, d’autre projetés, les moins chanceux se faisant broyer par l’impact de deux lances qui se percutèrent dans un bruit crissant faisant serrer la mâchoire de ceux présents.
Des morceaux de roches volaient dans tous les sens, ricochant sur les carapaces ou les transperçant pour ceux qui étaient le plus solides et le plus véloces.
Deux autres lances de terre vinrent empaler Talron, et le sang coulait à flots de sa silhouette suspendue, toujours silencieuse à cause du poison paralysant.
Quelques secondes plus tard, les éclairs s’interrompirent purement et simplement, et Palkor se retrouva un genou à terre, épuisé par la canalisation intense qu’avait dû lui demander sa Sangsue expérimentale.
« Je suis à sec, Revenge ! A toi la suite… »
Marlon hocha la tête et profita du chaos encore semé par son sortilège pour s’avancer, épée au poing, vers Najri, toujours au sol, les mains sur la tête.
Sa Sangsue de Mana était vide, et il ne lui restait qu’un peu plus de la moitié de son propre mana. Bien qu’il sache que ce soit risqué, il réactiva la Forme de l’Eau et profita de la magie de la Posture pour accélérer encore, tirant sur la corde avec l’état de son corps et son endurance.
Mais en à peine quelques secondes, il était arrivé au niveau de Najri, son propre sortilège de [Projectile de Terre] ayant rempli son office et commençant à se disperser doucement alors que les rares Achaiens survivants se dispersaient dans les profondeurs de la forêt, effrayés par ces ennemis qui ne voulaient pas se laisser dévorer en paix.
Le runiste abattit son épée sur NAjri, mais celui-ci réussit à dévier au dernier moment avec la hampe de sa lance le coup aurait dû le décapiter. Il n’arriva pas cependant à dévier le second impact qui s’ensuivit et le frappa à la tempe avec une violence sèche, impitoyable.
Il aurait du pouvoir se défendre mieux que ça, mais sa posture allongée et l’effet de surprise de l’attaque au corps à corps de Marlon suffirent pour rendre cet affrontement purement physique totalement impossible à remporter pour le jeune homme arrogant.
Ses yeux se révulsèrent, et le haut de son corps qui s’était redressé se tordit pendant un instant avant de retomber mollement au sol, toute résistance disparue, l’inconscience ayant pris possession de Najri et le laissant à la merci de Marlon, assoiffé de sang et de mort.
Le runiste se débattit quelques secondes avec sa colère, mais il réussit à rejeter l’envie de mort.
Ne pouvant tout de même pas en retenir la totalité, il ramena son pied en arrière et frappa avec toute la violence dont il était capable dans le ventre de Najri, qui se réveilla sous l’impact et se mit à vomir le contenu de son estomac, une quinte de toux violente prenant le relais et des flots de sangs s’écoulant des diverses blessures dont il avait été victime.
Sortant de son sac la corde nécessaire pour immobiliser Najri, Marlon se dépêcha de le ligoter proprement, ignorant les gémissements douloureux et les insultes sortant de la bouche du jeune Forgecielois.
Enfin, voyant que Palkor s’était relevé et avait commencé à décrocher Talron de son arbre et le soignait grâce à sa Sangsue, après lui avoir retiré toutes les Sangsues qu’il portait et son arme, le runiste se résigna, désarma également l’acolyte au sol et sortit un parchemin de [Soin] avant de l’activer et de diriger l’aura vers Najri qui se tortillait au sol.
Quelques secondes plus tard, et alors que les deux jeunes gens regardaient leurs attaquants attachés devant eux, les ayant réduits au silence grâce à des baillons de tissu, Luna sortit de la frondaison de la forêt, le museau recouvert de sang et de morceaux de chair, qu’elle fit disparaître de quelques coups de langue après s’être assise à quelques mètres du runiste.
Aucune trace du corps de Deica, mais Marlon se doutait fortement de ce qui lui était arrivé, et il n’éprouva aucun remords ou regret quelconque, si ce n’était que sa fin avait sûrement été bien trop rapide et indolore comparée à ce qu’il aurait mérité.
Un pic de colère envahit le runiste et il laissa libre cours à sa colère en frappant violemment le visage de Najri, éclatant sa pommette et le faisant chuter sur le côté alors que son bâillon s’imbiba de sang frais et qu’un cri étouffé traversait le morceau de tissu.
« Revenge, arrête ! »
Palkor s’avança pour empêcher Marlon de passer à tabac Najri, mais le runiste le repoussa violemment, agacé par le manque de tripes du Forgeur.
« Ces deux types viennent d’essayer de nous tuer, Palkor. NOUS TUER ! Alors arrête de te comporter comme une chiffe molle, parce que si je n’avais pas été là, on serait certainement tous MORTS ! »
Les mots de Marlon et la violence qu’ils contenaient fit reculer l’Apprenti de quelques pas, le regard écarquillé, avant que le runiste ne relève Najri et l’adosse contre l’arbre sur lequel son ami avait été empalé. Il se tourna vers Palkor et lui dit avec dureté :
« Maintenant, je veux comme toi savoir ce qu’il s’est passé, mais ça m’étonnerait que tu aies les tripes pour faire ce qui doit être fait. Alors tiens-toi sur le côté et n’interviens pas, Palkor. Je te dis ça pour ton propre bien… »
La rage pulsait dans les temps de Marlon, des voix résonnaient dans son cerveau, sa folie exacerbée par l’affrontement et l’adrénaline du combat. Lorsqu’il enleva le bâillon ensanglanté recouvrant la bouche de Najri, il vit que ce dernier n’était plus du tout d’humeur pour rire et semblait partagé entre effroi et colère.
« Najri, réponds simplement. Pourquoi est-ce que vous nous avez attaqués ? Et ne mens pas, ça finirait très mal pour toi. Je n’ai aucun souci avec le fait de te découper en morceaux avant de te tuer… »
« Tu ne peux pas me tuer, sale immigré. Tu ne connais rien de nos lois, et si tu nous tues, l’enfer s’abattra sur toi avant que tu ne puisses t’en rendre… »
Un coup violent de la garde de l’épée de Marlon fit tomber tête la première le jeune homme sur le sol, des dents brisées se plantant dans le sol, et la voix du runiste prit une tournure beaucoup plus menaçante quand il s’adressa de nouveau à celui qui avait tenté de le tuer.
« Espèce de petit connard. Ça m’étonnerait que quiconque sache officiellement que vous êtes là, sinon vous n’auriez pas pu vous en sortir avec notre mort. J’ai raison, non ? »
Il vit le regard de Najri changer alors qu’il lui parlait, et il sut qu’il avait visé juste. Les lois si rigides de Forgeciel n’épargnaient personne. Riches et puissants y étaient également soumis, et la peine de mort s’appliquait pour ceux qui tuaient d’autres personnes. Mais si ces personnes avaient un alibi en béton…
Mais cela ne fut pas suffisant pour faire parler Najri, qui continua malgré la douleur et la peur de regarder Marlon avec dédain et mépris. Derrière lui, c’était par contre une tout autre histoire. Talron regardait la lame de Marlon avec une terreur non dissimulée, et sous lui on pouvait deviner une flaque s’étant formée et qui provenait de son entrejambe.
Ce type s’était littéralement pissé dessus…
« Tu peux me frapper, tu n’auras rien, fils de chienne. Et ne crois pas t’en tirer comme… »
Le runiste leva son épée, le visage déformé par une haine qui le consuma entièrement pendant l’instant d’un battement de cœur, et il décapita Najri en plein milieu de sa phrase, un véritable geyser de sang jaillissant de la nuque tranchée du jeune alors que son crâne roulait comme une boule de bowling sur le sol retourné.
Elle vint se caler contre Talron qui se jeta en arrière et frappa des deux jambes pour s’éloigner le plus possible du regard mort de son camarade, des hurlements étouffés traversant l’épaisseur du bâillon et des morceaux de terre volant en l’air sous l’effet de ses coups de pieds.
Palkor, lui, était choqué, mais alors qu’il allait parler, un regard de Marlon suffit à le faire taire, mais il recula tout de même de quelques pas, se sentant lui aussi menacé par la lueur de folie présente dans les gestes du runiste.
Ce dernier inspira profondément, savourant les notes de cacao se mélangeant à celles plus ferreuses du sang frais et l’âcreté piquante de l’urine répandue par Talron.
« Gamin, reprends le contrôle, tu es en train de t’égarer… »
« Non, Loki, tout va bien. Je ne me suis jamais senti aussi…vivant ! Hahaha ! »
Empli d’une énergie nouvelle, Marlon se dirigea vers Talron qui tenta d’échapper à son emprise mais n’y parvint pas.
L’attrapant par les cheveux, le runiste le redressa et lui mit une gifle avec violence pour calmer la peur panique qui s’était emparée du dernier survivant.
« Calme-toi ! Si tu me réponds, je t’épargnerais, d’accord ? »
Les yeux s’écarquillant alors que son esprit crut à une possible échappatoire, Talron hocha frénétiquement la tête et se tint tranquille alors que le runiste retirait son bâillon.
« Pourquoi nous avez-vous attaqués ? »
Talron s’avéra être une balance incroyablement bavarde, sûrement motivé par les circonstances particulières de la scène qui s’offrait à lui.
« Maleterre ! C’est Maleterre qui nous a envoyé ! Il fallait qu’on t’élimine à tout prix, et si Palkor devait mourir par la même occasion, alors il s’en foutait ! Il nous a donné des Sangsues supérieures à notre rang pour qu’on puisse vous avoir par surprise, mais il ne savait pas que vous pouviez déjouer une embuscade ! »
Palkor s’avança, les sourcils froncés devant l’annonce de Talron, mais il se figea quand Marlon posa sur lui un regard fiévreux.
« Pour…pourquoi Maleterre voudrait ça ? Je comprends que vous n’aimiez pas Revenge et que vous ayez un problème avec moi, mais de là à bafouer la règle sacrée de Forgeciel ? »
Talron se mit à pleurer à chaudes larmes, des sanglots violents secouant son corps alors qu’il s’expliquait en bafouillant à moitié.
« C’est à cause de Romuald…Il est humilié depuis le Défi et son père a perdu énormément d’argent car des clients ne supportent plus d’être associé à la débacle de son fils. Najri, enfin son père, est un ami proche d’Esclan et ils ont mis au point cette embuscade pour se venger de l‘honneur bafoué de sa famille. Pour toi, Palkor,si ton père ne mettait pas autant de bâtons dans les roues du Conseil, on n’en serait pas là…c’est tout ce que je sais, je vous le jure…vous allez me laisser partir, hein ? Tu me l’as promis ! »
Palkor regarda avec un œil incrédule Talron, comme si le ciel lui était tombé sur la tête, puis il jeta un œil à Marlon, dont le visage était resté fermé mais dont la main était toujours fermement serrée sur la lame de son épée. Il secoua la tête puis recula de quelques pas, restant silencieux et évitant le regard de leur captif.
« Pourquoi tu ne dis rien ? Je vous ai dit tout ce que je… »
Un sourire dément vint fleurir sur le visage de Marlon alors que sa lame trancha la tête de Talron et qu’elle rejoignait celle de Najri en roulant mollement sur le sol terreux, le sang venant arroser copieusement le runiste qui sembla se délecter de cette scène.
Palkor savait que quelque chose clochait avec Marlon, cette soif de sang, la personne invisible avec qui il avait parlé quelques minutes auparavant, ainsi que cette joie qu’il semblait éprouver en donnant la mort.
Il pensait connaître le runiste qui lui faisait face, mais il semblait qu’il s’était trompé, lourdement.
Alors que Marlon se tournait vers lui, le sourire de dément toujours sur le visage, un instinct provenant du fin fond de son être lui cria de courir, de sauver sa peau.
Mais ses jambes ne voulurent pas répondre, et tout ce qu’il put faire, c’est regarder avec peur son compagnon et lui demander :
« Mais qui es-tu, putain… »