Néo-Life
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Chapitre 5 – Excursion en Forêt
Chapitre 4 – Mort et Respect Menu Chapitre 6 – Retour à Akranio

-Es-tu un descendant de l’Archimage ?

Marlon vit que l’assistance au complet s’était figée, comme suspendue dans le temps. Tous étaient pendus à ses lèvres, dans l’attente d’une réponse.

Il réfléchit avant de répondre mais ne voulut pas risquer de se faire démasquer si son mensonge était dévoilé, surtout pas maintenant qu’il avait une bonne relation avec Selia.

-Pas à ma connaissance. Je suis orphelin et ne connaît pas mes origines. Mais c’est la première fois que ce genre de choses arrive…

La Chasseresse réfléchit, mais sa joie semblait demeurer malgré l’ignorance de Marlon.

-Il n’y a que les descendants de Magnus qui invoquent les Runes du cadavre de leurs ennemis. Même si tu ignores tes origines, elles parlent pour toi, jeune homme !

Marlon se dit qu’il devrait avoir une discussion à propos de cet archimage avec Selia, plus tard, lorsqu’ils seraient dans un lieu plus adapté à une discussion normale, sans tête tranchée et sans flaque de sang frais coulant à leurs pieds.

Selia invita ensuite la foule à se disperser, et ils le firent sans attendre, non sans adresser un salut respectueux envers l’aventurier debout sur l’estrade d’où s’écoulait un filet de sang, accentuant le côté plus que solennel du moment. Le jeune homme se sentit presque gêné par cette sorte de ferveur qui émanait dorénavant d’eux, mais il devait reconnaître que c’était assez grisant.

Ils retournèrent ensuite tous trois à la maison de Selia et de son père, Svein, comme il l’apprit enfin de sa bouche. Depuis qu’il avait séparé la tête du corps de sa victime, ce dernier était devenu bien plus aimable et respectueux envers lui.

Comme quoi, des fois, il ne fallait pas grand-chose pour faire changer les gens, pensa ironiquement Marlon.

Les odeurs de pain chaud et de métal fondu envahirent les narines du jeune homme alors qu’ils traversaient la rue des artisans. Les coups de marteaux résonnaient dans leurs oreilles et les discussions étaient vives alors que les habitants s’attardaient et créaient de ce fait une ambiance joviale. Chose étrange après une exécution, mais la nature humaine était ainsi faite.

La Chasseresse fit patienter Marlon devant l’entrée et redescendit quelques minutes plus tard, entièrement changée pour une tenue plus confortable. Elle portait maintenant un pantalon de tissu bleu ample qui épousait parfaitement ses courbes musclées. Un haut en laine blanche jurait avec sa tenue précédente mais lui donnait un air bien plus abordable. Recouvert d’un simple gilet léger en cuir, elle était magnifique.

Elle portait dans ses bras une pile de vêtements qu’elle tendit à Marlon. L’odeur de fleur vint immédiatement chatouiller ses narines et ses yeux s’humidifièrent à l’idée de porter des vêtements propres. Le tissu était doux au toucher et ressemblait presque à de la soie.

-Allons à l’auberge, tu pourras te changer avec ça au lieu de continuer à porter ces frusques teintées de sang. Elles ont été faites avec des fils d’Arachnide, tu devrais apprécier, ajouta-t-elle avec un clin d’œil.

Ce qu’ils firent donc. Une fois lavé et changé, Marlon se sentit bien mieux, et il en profita pour jeter un œil à l’Interface, ce qu’il avait reculé trop longtemps maintenant.

Lorsqu’il pensa à l’interface, une fenêtre s’afficha devant ses yeux et il remarqua quatre onglets différents.

Le premier, Statut, il le connaissait déjà et il le mit de côté pour plus tard.

Le second, Carte, donnait accès à ce qui ressemblait fortement à une minimap de jeu, vue du dessus, mais seuls les endroits visités par Marlon étaient visibles, exception faite des alentours d’Akranio, ce qui était surement dû à sa récompense de quête.

Il pouvait voir les champs de blé, le terrain d’entraînement, ainsi qu’une partie de la foret alentours, nommé la forêt des Milles Lieues.

Il hocha la tête, décidant que cet onglet se révélerait surement très utile par la suite, puis passa au suivant.

Il s’agissait d’une sorte de codex. Un recueil des informations qu’il récoltait lors de son aventure, seules quelques entrées visibles pour le moment. Il y avait une rubrique Akranio, une autre sur Selia, et pareil pour les Rats des Champs et l’archimage dont avait parlé la Chasseresse. Encore une fois, seul ce qu’il avait déjà entendu était marqué dans les différentes rubriques.

Cela lui serait également très utile, mais seulement lorsqu’il aurait vécu et exploré beaucoup plus dans ces contrées virtuelles.

Le dernier onglet était nommé Classe et Compétences.

Pas grand-chose n’y était indiqué, si ce n’était la rune absorbée lors de l’exécution, la rune Course, et le nom de sa classe, Runiste des Temps Anciens. Il débloquerait sûrement plus de contenu lorsqu’il aurait rencontré le fameux Drevos, aussi prit-il son mal en patience et ferma-t-il l’Interface, n’ayant plus rien à en tirer pour le moment.

Maintenant vêtu de ce qui ressemblait fortement à une tenue de camouflage en soie, il se trouva bien plus présentable. Des motifs verts et kakis se chevauchaient sur le pantalon et le chemisier qu’elle lui avait donné, et des chaussures en cuir venaient compléter cette panoplie. Il avait même eu droit à une paire de chaussettes ! Le jeune homme était vraiment ravi.

Tous mangèrent ensuite comme des ogres à l’auberge, le pauvre aubergiste courant comme un dératé pour réussir à tenir le rythme qu’on lui imposait. Mais les pièces de cuivre pleuvaient de la part de Selia, aussi avait-il, malgré la sueur et la difficulté, un sourire bienheureux accroché sur le visage. Entre deux assiettes, ils parlèrent beaucoup de la situation sur Gaïa.

C’était le nom que donnaient les Akraniens à leur planète. Il s’avérait que la vie était loin d’être aussi simple que ce à quoi pensait Marlon au début.

Il entendit des histories d’empereur fou, de dragons chassant dans les grandes villes humaines sans que quiconque puisse s’y opposer, ou bien encore des armées d’inhumains se massant aux portes du royaume humain pour tenter de le conquérir. D’après ce qu’il avait compris, seul l’archimage, Magnus, avait empêché les Necros d’envahir et de détruire les terres vivantes, mais il avait disparu depuis des millénaires et son héritage s’effilochait siècle après siècle.

Il avait été une des figures fondatrices de l’Empire, un territoire couvrant plusieurs continents et existant depuis plusieurs milliers d’années. Magnus avait aussi été réputé pour se renforcer sur le corps de ses adversaires, comme Marlon lorsqu’il avait décapité le joueur. Il apprit également que quelques personnes avaient eu ce pouvoir au fil des siècles mais que tous avaient finis par disparaître dans les méandres de l’Histoire.

Svein lui raconta même quelques histoires de bataille épiques, lorsqu’il était encore général dans une cité creusée dans un volcan nommée Forgeciel, et son rire de brigand résonna à de nombreuses reprises dans l’auberge alors qu’il mimait certains passages de ses grands combats, mais il changeait de sujet à chaque fois que Marlon lui demandait de lui apprendre à se battre, comme s’il ne voulait pas dévoiler ses techniques.

Pendant quelques heures, Marlon put ainsi se sentir comme chez lui, oubliant la douleur et la colère, profitant juste de l’instant présent.

Une fois le repas pantagruélique terminé, tous regagnèrent leur pénates, car le soleil s’était entre temps couché derrière l’horizon et les émotions de la journée avaient épuisés tout le monde. Selia s’arrêta à l’entrée de l’auberge, le regard un peu trouble d’avoir tant bu et mangé.

-Veux-tu me raccompagner ? demanda-t-elle à Marlon, un air gourmand sur le visage.

Le jeune homme n’avait jamais été initié aux plaisirs de la chair dans son ancienne vie, et bien que tout son être souhaitât dire oui et se laisser faire par cette femme impressionnante, un éclair de conscience lui souffla que ç’aurait été une mauvaise, très mauvaise idée. Du moins pour le moment.

-Crois bien que j’y prendrais grand plaisir, mais il est tard et la journée sera longue demain, se justifia-t-il en essayant de cacher son trouble

Bien que légèrement étonnée par son refus, elle comprit et ne lui en voulut pas le moins du monde. Ce n’est pas comme s’il allait quitter Akranio tout de suite. Elle aurait bien d’autres occasions de s’amuser avec lui.

-J’aurais une requête, si cela ne te dérange pas ? Pour l’excursion, puis je emmener la soigneuse qui s’est occupée de nous aujourd’hui, ainsi que celui que tu as épargné aujourd’hui ?

Interloquée, elle réfléchit quelques secondes avant de répondre.

-Aucun souci pour la soigneuse, mais pourquoi veux-tu du voleur ? Il ne te sera d’aucune utilité.

Marlon haussa les épaules d’un geste désinvolte.

-Disons que je préférerais le faire avancer en première ligne, au cas où il y ait de mauvaises surprises. Ça éviterait quelques tracas…

Le rire tonitruant de Selia résonna et fit sursauter les quelques personnes traînant encore dans le coin.

-J’adore ta manière de penser. J’irais le faire chercher. D’après les soldats il s’est réfugié près des terrains d’entraînement et je ne pense pas qu’il partira de nuit. Compte sur moi pour faire le nécessaire ! Demain je risque d’être occupée en reconnaissance à l’ouest. Alune, la soigneuse, aura tous les détails dont tu auras besoin pour ta mission. On se revoit dans quelques jours, Revenge Drelor, conclut-elle avec un clin d’œil.

-Appelle moi simplement Revenge…à dans quelques jours, Selia.

Elle lui plaisait beaucoup, il fallait bien le reconnaître, aussi voulut il lui faire comprendre qu’il ne la rejetait pas. Il l’invitait plutôt à patienter un peu. Et il venait de se sécuriser une carte joker au cas où il se passerait quoi que ce soit : la soigneuse.

Vu le réalisme de Néo-Life, avoir à ses côtés une guérisseuse pouvant faire disparaitre les blessures était quelque chose de vital.

Son ventre avait doublé de volume et la seule chose qu’il fut capable de faire une fois salués Selia et son père, puis l’aubergiste, fut d’aller s’effondrer dans le lit et de se mettre à ronfler comme un sonneur.

Le lendemain, il se rendit au terrain d’entraînement aux aurores, ayant passé une nuit merveilleusement réparatrice et paré pour aller trouver Drevos.

Alune l’attendait sous une des tentes stationnées près des terrains. Elle tenait une corde au bout de laquelle se trouvait l’infortuné joueur, l’air plus résigné qu’autre chose. Un bâillon lui avait été mis pour éviter toute effusion de paroles inutiles. Marlon trouva tout cela très bien. Il ne comptait pas réellement l’utiliser comme éclaireur, mais plutôt le tuer dès qu’il en aurait l’occasion.

Sous ses airs d’aventuriers vertueux, il n’avait toujours qu’un but : devenir plus fort et aller détrôner l’empereur. L’exécution de la veille lui avait prouvé qu’il avait tort. Il pouvait se mettre à chasser des joueurs dès maintenant ! L’utilité des runes ne se révélerait qu’une fois trouvé un instructeur, mais ça ne l’empêchait en aucun cas de commencer sa collection dès maintenant.

Son seul souci était qu’Alune ne se doute de rien. Mais il y réfléchirait au fur et à mesure, ne s’inquiétant pas outre mesure des conséquences.

-Bonjour, Alune, comment-allez-vous ?

Un sourire resplendissant faillit l’aveugler alors qu’elle lui répondait.

-Très bien, c’est un honneur de vous accompagner, sire Revenge !

Il tourna plusieurs fois ce nom dans sa tête et sourit intérieurement. Sire Revenge. Il était très plaisant d’être appelé comme ça.

-Une dernière chose…avez-vous des sacs de voyage dans lesquels nous pourrions stocker des affaires ?

Alune se leva et pointa du doigt deux paquetages imposants qui étaient derrière elle.

-Selia a pensé à tout, sire. Elle a également laissé une épée pour vous.

Marlon leva un sourcil alors qu’il apercevait l’épée posée délicatement contre un des deux paquetages. Il l’empoigna, la soupesa, mais ne refit pas l’erreur de passer son doigt sur le fil de l’arme. La qualité était bien meilleure que la sienne évidemment, et il se débarrassa aussitôt de l’ancienne, la laissant sur la table située au fond de la tente.

Décidemment, s’être lié d’amitié avec la Chasseresse était la meilleure chose qu’il ait faite. Il n’avait fait qu’une seule quête de débutant, et déjà il possédait de nouveaux habits, un équipement convenable et surtout un sac pouvant transporter bien des ressources.

Il ouvrit d’une pensée sa fenêtre de statut et vit que ses stats avaient bien évidemment augmentées. Ses réflexes étaient montés de quelques points, ainsi que sa force et son endurance. Mais surtout, son influence alors à 0 avait passé le cap des 10 points. Bien entendu, il ne se reposa pas du tout sur ce qu’il voyait, car il avait compris que dans Néo-Life seul le vécu comptait.

Preuve en était les deux jours écoulés. Ces stats ne reflétaient que l’expérience qu’il vivait dans ce monde, aussi avait-il décidé d’en faire totalement abstraction pour ne pas se reposer sur des lauriers virtuels.

-Parfait…je crois que l’on peut se mettre en route alors !

Alune acquiesça d’un signe de tête et mis son paquetage sur le dos. Marlon fit de même et après avoir accroché son épée à sa nouvelle ceinture, il s’empara de la corde au bout de laquelle était attaché son ‘éclaireur’. Il se pencha vers lui et chuchota de sorte que seuls lui et son prisonnier pouvait entendre ce qu’il disait.

-Marche en premier, ne joues pas au con, et je te libèrerais dès qu’on rentrera. Compris ?

Le jeune homme, les larmes aux yeux, hocha la tête frénétiquement pour faire comprendre son acceptation et sa totale soumission. Satisfait, Marlon le mit debout et ils se dirigèrent à l’orée de la forêt.

-Le sentier est juste devant nous. Il faudra le suivre pendant une demi-journée voir plus, suivant notre rythme.

-Des dangers en particulier ? demanda le jeune homme, soucieux de s’éviter un maximum d’ennuis.

-Aucun, si ce n’est quelques créatures de rang inférieur. Mais elles ne s’en prennent qu’aux gens seuls en général. Si cela peut vous rassurer, je sais également me défendre, je ne suis pas qu’une soigneuse.

Entendre cela rassura en effet Marlon, car il n’aurait pas à la défendre en plus de se protéger lui-même. Il préférait la ramener en un seul morceau à Akranio. Personne ne parla du détenu, et l’inquiétude put alors se lire dans son regard.

Devant l’entrée du sentier, le jeune homme s’immergea quelques secondes dans ce décor de conte de fées. Des arbres à perte de vue, une canopée recouvrant le ciel et emplie de vie, et un simple chemin en terre menant vers l’inconnu. Personne sur Terre n’avait vu cela depuis des centaines d’années. Il n’aurait jamais pu rêver de cela tellement c’était incroyable, et intérieurement il bénit son bienfaiteur en se promettant qu’il irait jusqu’au bout de sa quête.

Résolu, admiratif et profondément reconnaissant de cette nouvelle vie qui s’ouvrait devant lui, ils s’engagèrent alors dans le sentier, leur prisonnier prenant la tête et la soigneuse fermant la marche.

Le bruit de la faune était omniprésent, du pépiement d’oiseau jusqu’au feulement de ce qui devait être un chat sauvage. Il se retournait sans cesse en entendant les petits animaux se promener et surement traverser le sentier pour observer ces humains venus sur leur territoire.

Les odeurs de bois mort et de terre envahissaient leur nez, et Marlon se délecta de ces senteurs. Il sentait les feuilles mortes craquer sous ses pas ainsi que les racines sortant des fois de terre, obligeant ses pieds à s’adapter à leurs contours.

Pendant quelques heures, ils ne parlèrent pas beaucoup, économisant leur énergie et se concentrant sur la marche et l’environnement. L’air qu’ils respiraient était devenu plus lourd, plus humide. Après avoir interrogé Alune, il eut confirmation que c’était quelque chose de normal dans une forêt aussi dense que celle-ci.

Enfin, ils arrivèrent à une intersection et Marlon laissa la soigneuse prendre la tête. Il n’avait pour le moment eu aucune occasion de se débarrasser de leur poids mort, mais celui-ci ne les ralentissait pas, donc ce n’était pas une gêne trop grande pour le moment. Il trébuchait simplement de temps à autre sur des racines qui sortaient çà et là de terre.

Ils aperçurent quelques petites créatures traverser furtivement le sentier devant eux et Alune lui expliqua que c’était des rongeurs plutôt peureux qui adoraient dérober les possessions des voyageurs insouciants, des Delmix. Inconsciemment il resserra sa main sur la garde de son arme, comme si cela pouvait changer quelque chose.

Il apprit également que la soigneuse n’était pas d’Akranio, mais de Delia, la capitale du continent. Elle n’expliqua pas les raisons qui firent que son séjour devint permanent mais d’après ce qu’il comprit sa vie à Akranio lui plaisait énormément.

-Sommes-nous encore loin de là où réside Drevos ?

-On devrait y arriver d’ici une heure ou deux vu le rythme auquel nous avançons, répondit Alune.

Marlon eut l’impression qu’ils s’enfonçaient dans le cœur de la forêt. Les arbres se faisaient plus denses, le sentier se rétrécissait alors que les bruits d’animaux allaient en diminuant. Il vit qu’Alune se tendait imperceptiblement, aussi lui demanda-t-il de repasser derrière alors que son prisonnier repassait en tête.

Même les oiseaux se faisaient plus silencieux et cela rajoutait à l’ambiance angoissante en train de se créer.

-Pourquoi ai-je l’impression que tout ne va pas comme prévu, Alune ?

-Désolé, ce n’est pas grand-chose mais…j’ai juste un mauvais pressentiment.

Le jeune homme hocha la tête et son attention se fit encore plus perçante, observant attentivement les profondeurs de la forêt pour ne pas se faire surprendre par quelque créature que ce soit.

L’heure qui suivit fut éprouvante pour leurs nerfs. Chaque son les faisait presque sursauter, et la tension s’accumula en eux doucement mais sûrement. Ils aperçurent même une sorte d’ours au loin, son pelage brun le faisant paraître bien plus gros qu’il ne l’était en réalité. Des griffes imposantes sortaient de ses pattes avant et le jeune homme déglutit en pensant à ce qui se passerait si jamais il s’en prenait un coup.

La soigneuse rassura Marlon qui était devenu très nerveux à la vue de la créature.

-Ce n’est qu’un herbivore sans danger. Un Brunus. Il nous suffit de ne pas l’attaquer et il nous ignorera. Si jamais un jour il vous attaque, montez dans un arbre. Il est trop lourd pour se hisser en hauteur et sa tête ne peut se lever complètement, ce qui en fait une cible parfaite depuis une position élevée.

Le jeune homme buvait chacune de ses paroles, s’imprégnant des connaissances qui pourraient peut-être un jour lui sauver la vie. Alune avait une connaissance exhaustive de toute la forêt et il sourit en vérifiant son Codex qui se remplissait doucement mais sûrement d’informations qui pourraient lui servir ultérieurement.

Drelammote, plante qui interrompt les saignements. Palfir, champignon provoquant des nausées violentes mais inoffensives. Et ce qui lui plut beaucoup de par son incongruité, le Glasin, une liane utilisée par les alchimistes pour créer des bougies aphrodisiaques.

Quand enfin Marlon aperçut ce qui semblait être une clairière, il ne se relâcha pas un instant. Les arbres disparaissaient pour laisser place à un cercle de prairie d’à peu près une centaine de mètres de diamètre.

-C’est dans cette clairière que Drevos habite normalement. Mais l’un de ses familiers aurait dû venir nous accueillir. Il y a quelque chose qui cloche, dit-alors Alune.

Une odeur lourde, métallique, planait dans l’air. C’était l’odeur du sang, ils le savaient tous.

Marlon donna la corde au bout de laquelle était attaché le joueur à la soigneuse et dégaina son épée sans plus attendre. Ils approchèrent de la frondaison de la forêt à pas de loup, et grand bien leur en fasse. Un grondement sourd parvint aux oreilles du jeune homme et s’intensifiait alors qu’il se rapprochait de la clairière. Aucun autre son ne leur parvint, la faune alentour s’étant totalement tue.

Il était maintenant presque accroupi tellement il se baissait pour se faire discret, et la scène qui s’offrait à ses yeux était pour le moins surprenante.

Une cabane en pierre se trouvait quasiment au milieu de la clairière, et autour de cette cabane des dizaines de cadavres gisaient au sol, dans des mares de sang. D’après ce que Marlon arrivait à voir, c’était des sortes de chiens à six pattes, légèrement plus gros que ce qu’il avait pu voir sur terre. Chacun d’entre eux devait peser au bas mot une centaine de kilos. Mais ils s’étaient fait éventrer ou démembrer par la chose qui émettait ce grognement sourd qu’ils entendaient depuis quelques minutes.

Cependant il vit deux d’entre eux bouger faiblement, tentant tant bien que mal de se relever mais l’état de leur corps ne leur permettait pas de faire une telle chose. Ils poussaient des gémissements plaintifs qui auraient fendu le cœur de n’importe qui, mais Marlon resta de marbre.

Le contraste avec les profondeurs de la forêt était choquant, presque trop extrême pour être accepté par le cerveau du jeune homme. Il passait d’un paysage de rêve à une scène de cauchemar.

Puis Marlon la vit. La chose qui grognait.

C’était un félin qui devait faire quasiment deux mètres de haut au garrot et avait un pelage brun incroyablement épais. De grosses blessures étaient visibles sur ses flancs et du sang s’écoulait en continu de ses plaies. Sa gueule, elle, ressemblait beaucoup plus à celle d’un lion qu’à un chat, si ce n’était les yeux rouges semblant provenir tout droit de l’enfer. Ce truc devait peser dans les six cent, voir sept cent kilos !

Il boîtait lourdement, une de ses pattes arrière entamée jusqu’à l’os. Mais il tournait autour de la cabane en pierre comme un derviche boiteux et de temps en temps, il donnait un coup de patte rageur contre les murs, qui tremblaient dangereusement sous l’assaut.

Le jeune homme recula de quelque pas, toujours accroupi, et vint se poster aux côtés d’Alune.

-C’est quoi cette horreur ?

Les yeux de la soigneuse semblaient sur le point de lui sortir de la tête alors qu’elle ne pouvait plus lâcher le monstre du regard.

-C’est un Mantis, et il n’a strictement rien à faire ici ! C’est un monstre qu’on ne trouve qu’au cœur des Monts d’Argent…Devros a encore dû avoir une idée à la con !

Entendre la guérisseuse jurer fit lever un sourcil à Marlon, mais il pensait déjà à un moyen de se débarrasser de cette créature. Même si elle était massive, elle avait l’air gravement blessée, et il suffisait d’un seul coup bien placé…

-Tu connais des sorts autre que le soin qui pourrait distraire cette…ce Mantis ? demanda le jeune homme.

Elle secoua la tête d’un air désabusé.

-Non, personne n’a de magie offensive à Akranio depuis des années. Seul Devros pourrait éventuellement en connaître, mais on ne sait toujours pas où il est.

-Je pense qu’il est dans la cabane. Sinon, le Mantis ne resterait pas là à essayer de la détruire. Ce type a vraiment dû l’énerver pour en arriver là…

Il réfléchit à tout ce dont ils disposaient, et pendant quelques minutes seul le grondement du Mantis et les coups infligés à la cabane résonnaient dans leurs oreilles.

-Dis-moi, le sort de soin met combien de temps à agir sur des blessures graves ?

Alune réfléchit un court moment avant de répondre.

-Quelques secondes, tout au plus. La gravité de la blessure n’est pas si importante que ça. La magie se contente de remettre dans un état antérieur toute matière organique blessée. Pourquoi tu me demandes ça ?

Marlon eut un sourire glacé et Alune frissonna sous son regard dont n’émanait rien de bon.

-Je crois qu’on peut se débarrasser de cette chose. C’est un peu risqué, mais heureusement on a un appât, dit-il en montrant leur prisonnier du doigt avec ce même sourire carnassier.

Ce dernier se mit à trembler et ses yeux s’emplirent de larmes, se doutant que les prochaines minutes risquaient d’être très longues pour lui.

Le jeune homme expliqua son plan a la soigneuse à voix basse sans que le prisonnier ne puisse les entendre, et elle fut surprise par sa justesse et son ingéniosité. Marlon et elle-même ne prendraient pas tant de risques que ça si tout se déroulait bien.

Elle hocha la tête et elle alla se poster à l’orée de la clairière, le plus près possible de la cabane.

Le jeune aventurier, lui, traîna son détenu plus au sud de la clairière en longeant la frondaison le plus discrètement possible. Il arriva en quelques minutes au sud de la clairière, et les grognements du Mantis ne faiblissaient pas le moins du monde. Il choisit un gros arbre et sortit de son paquetage une corde encore plus longue que celle qui attachait son appât.

Il fit le tour de l’arbre et finit par joindre les deux liens, donnant une dizaine de mètres de mou au prisonnier. Puis il s’accroupit et attrapant sa tenue, ils s’avancèrent tous deux dans la clairière sans que le Mantis, à une cinquantaine de mètres de là, ne se doute de quoi que ce soit.

Marlon se tourna vers le leurre et lui sourit froidement.

-Désolé, mais il va falloir que tu endures encore un peu, ok ? On te sauvera dès que l’on pourra.

Sans plus attendre, le jeune homme frappa sèchement l’appât avec la garde de son épée, ce qui le mit groggy pendant quelques secondes.

Raffermissant sa résolution, il enleva le bâillon qui l’empêchait de parler. Puis il passa derrière lui et leva son épée très haut avant de l’abattre avec force sur la jambe droite du joueur malchanceux.

La douleur raviva sa conscience et il se mit soudain à hurler de tous ses poumons. Son très disgracieux s’il en était, mais qui, vu le volume sonore, allait accomplir son objectif.

Le Mantis, alerté par ce bruit, rugit et se retourna vers sa source. Marlon avait disparu depuis longtemps sous la frondaison de la forêt, et il put voir Alune qui se précipitait pour accomplir sa mission.

Se jetant littéralement sur les corps des chiens qui gémissaient encore, elle invoqua sa magie de soin aussi vite qu’elle le put alors que le félin géant s’avançait doucement vers l’appât. Il ne l’avait pas tout à fait atteint que deux chiens furent remis sur patte et n’hésitèrent pas un seul instant avant de se jeter sur le Mantis.

Ils parcoururent la distance qui les séparait du monstre en à peine quelques secondes ! Les six pattes qu’ils possédaient semblait leur permettre d’atteindre des vitesses pharamineuses en un laps de temps très court. Le grognement qui sortait de leur gorge lors de leur sprint n’avait rien à envier à celui du Mantis.

Beuglant de douleur alors que l’un d’eux prit une de ses pattes valides dans la gueule et serra si fort que l’on entendit distinctement un craquement, la créature était verte de rage. Elle se secoua aussi fort qu’elle le put, mais la centaine de kilos de muscle qui composait le premier chien ne lâchait rien.

Le deuxième arriva pile à ce moment et lui sauta à la gorge, attrapant de sa mâchoire prédatrice presque la moitié du cou du félin. Le grognement rauque se transforma en chuintement sous l’effet de la pression exercée. C’était ce moment qu’attendait Marlon pour agir.

L’attention du Mantis était complètement détournée par les deux créatures canines, aussi courra-t-il aussi vite qu’il le put vers le félin, approchant par derrière pour qu’il le vit le plus tard possible. Ce dernier, d’un coup de griffe très violent, sectionna presque en deux le chien accroché à sa patte arrière. Il aperçut Marlon mais heureusement, il n’avait plus de pattes arrière valide et un des chiens était toujours en train de l’étouffer fermement. Il sauta aussi fort que lui permettait ses jambes et comme un forcené, son arme s’abattit sur le museau du Mantis.

La lame s’enfonça profondément, traversant les chairs et en fissurant les os de la boîte crânienne. Le Mantis s’effondra net, mais avant cela, il avait eu le temps d’envoyer un coup de patte en direction de Marlon qui ne put rien faire pour l’éviter. Alors que la créature s’écroulait pour ne plus se relever, une douleur déchirante fit crier le jeune homme et en baissant les yeux, il faillit s’évanouir à la vue de ses propres entrailles voulant s’échapper de son corps.

Un froid tétanisant s’empara de lui, et son esprit se fit vide. Il sentit sa conscience faiblir et dans une dernière pensée il se dit « une vie en moins… », avant que le noir total ne se fasse.

Il se crut mort, mais la douleur ne voulait pas s’éteindre, toujours lancinante et intense.

Bordel, on n’est pas censés ne plus rien sentir quand on meurt ?

Une chaleur intense lui fit rouvrir les yeux en même temps que le pic de douleur s’atténuait très progressivement. Il vit Alune penchée sur lui, le visage pâle, les deux mains projetant une lumière blanche bien plus puissante que ce qu’il avait déjà vu.

Cela ne dura que quelques secondes, et ce fut comme si tout cela avait été un mauvais rêve.

Il se redressa, sidéré par la puissance de ce sortilège de soin, et aida la guérisseuse à se relever également car elle s’était accroupie pour le soigner mais n’arrivait plus à se redresser par manque d’énergie.

-Reste ici, je dois finir quelque chose.

Elle hocha la tête et ferma les yeux quelque secondes, paraissant avoir un peu de mal à garder l’équilibre. Marlon courut vers le joueur qui avait cessé de crier et il fut profondément soulagé de le voir encore vivant. Pas très vaillant, la mine grise et les yeux vitreux, mais vivant tout de même.

-Ho, tu es venu me sauver, merc…

L’épée de Marlon sépara sa tête de son corps d’un seul geste brusque et le jeune homme soupira de soulagement. Il n’avait pas perdu cette opportunité ! Il avait cru qu’il se viderait de son sang avant de pouvoir le tuer lui-même, et ç’aurait été un terrible gâchis !

Alors que la tête roula quelques mètres plus loin, le sang forma une rune comme celui de sa dernière victime, et il sut qu’il s’en rappellerait aussi longtemps que nécessaire.

Ding

Vous venez d’apprendre le mot runique Etincelle. Un instructeur est nécessaire pour pouvoir utiliser les Runes.

En remontant vers Alune, il vit que celle-ci s’appuyait contre le cadavre du monstre et le regardait en souriant faiblement.

-ça va aller ?

-Oui, j’ai juste un peu trop forcé sur le sort de guérison. Ça ira mieux dans une heure ou deux. Allons chercher Drevos.

-Pour le priso…

Alune l’interrompit en levant la main et en secouant la tête.

-On savait tous qu’il ne reviendrait pas vivant. Ne t’inquiète pas pour ça, même Selia m’a demandé de faire en sorte que tu le tues pour gagner en puissance comme hier.

Le jeune homme fut glacé par cette révélation. La Chasseresse avait vu clair dans son jeu depuis le début et pourtant elle l’avait laissé faire. Être un descendant d’Archimage était-il si important que ça?

Alors qu’il se posait quelques questions sur leur motivation réelle, la porte de la cabane s’ouvrit sur un beuglement désespéré.

-Noooooon, mon bébé ! Vous avez tué mon bébé !

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