Néo-Life
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Chapitre 1 – Triste Monde
à suivre... Menu Chapitre 2 – Nouveau Départ

Une mère et son fils couraient à toute allure dans une rue déserte de la ville. Leurs visages reflétaient une peur panique et une fatigue intense, mais rien ne semblait pouvoir les arrêter dans leur course folle, le son de leurs pas résonnant lourdement dans les rues quasiment vides à cette heure de la nuit.

Quelques hologrammes publicitaires défilaient le long des murs, au milieu des prostituées et des proxénètes qui surveillaient leur marchandise. Aucun humain honnête ne traînait la nuit dans ces quartiers, en tout cas s’il voulait rester intact.  Ils étaient connus pour être des guet-apens idéaux pour les trafiquants d’organes et les gangsters en tous genres.

Les seuls sons que l’on pouvait entendre étaient des sirènes mugissant au loin et des rires graveleux provenant des petites ruelles alentours. Des odeurs désagréables agressaient les narines, comme l’urine ou de forts relents de transpiration qui stagnaient par manque de vent.

L’ambiance glauque qui y régnait aurait pu plaire à des hommes seuls et à leurs fantasmes pervertis, mais la femme ne tentait de faire qu’une seule chose : sauver son fils.

La vieille Edimbourg n’était plus la ville cosmopolite et vivante qu’elle avait été deux siècles auparavant.

Au croisement de plusieurs cités-taudis, comme on les appelait dans l’Empire, c’était un condensat de criminalité et de pauvreté où l’innocence avait depuis longtemps disparue.

En 2245, l’humanité s’était étendue vers les étoiles et avait réussi à les conquérir.  Les corporations avaient pris le pas sur les gouvernements et elles créèrent l’Empire. Le Conseil Impérial avait été mis en place pour gérer au mieux la croissance exponentielle de l’humanité, sur le plan technologique et démographique.

La pauvreté extrême d’une grande partie de la population permettait à une autre petite partie de dominer absolument toutes les ressources, aussi la misère avait fleurie partout sur Terre. Les humains étaient devenus une ressource négligeable à cause des avancées robotiques, aussi la misère n’intéressait-elle plus personne, surtout pas les riches vivant sur les lunes distantes ou dans des stations orbitales aux airs de colosses célestes.

Lydia, la femme courant dans la rue pour sauver sa vie, avait emprunté cinquante mille crédits lors de la mort du père de Marlon pour pouvoir survivre et assurer la subsistance de son fils alors qu’elle se retrouvait sans emploi, sans mari, et Malon sans père. Cela avait été le premier pas vers l’enfer et ses flammes dévorantes…

Aux premiers abords, les créanciers étaient tout sourire et lui avaient promis que cinq ans s’écouleraient avant le premier remboursement. Elle s’était enfin crue sauvée, libérée de tout tourment. Mais bien entendu ils avaient menti.

Au bout de seulement quelques mois, deux hommes étaient venus chez elles alors que son fils était encore un nourrisson et lui avaient fait comprendre que les intérêts devaient être payés maintenant. N’ayant pas d’argent, et par peur de se faire tuer et de laisser son fils seul, elle s’était prostituée pendant de long mois pour satisfaire les gangsters. Et elle avait finalement compris.

Ils n’avaient jamais eu l’intention de la laisser tranquille. Elle serait leur jouet jusqu’à ce qu’elle meure.

Alors au bout de plusieurs années d’esclavage, elle avait réussi à planquer suffisamment d’argent pour tenter de s’échapper avec Marlon, son fils. Du moins elle l’espérait.

Lydia avait réussi à tenir aussi longtemps uniquement parce que les gangsters s’occupaient relativement bien de la santé de son fils. Si elle travaillait bien, bien entendu. Et son fils était vraiment tout ce qui comptait pour elle. Elle aurait donné sa vie sans hésiter pour lui, sacrifié son âme sans l’ombre d’un regret. Mais il s’était passé un évènement regrettable qui avait précipité les choses.

Elle était alors sortie en panique de l’appartement, situé dans une de ces banlieues délabrées et insalubres que l’on retrouvait maintenant partout dans cette partie d’Edimbourg, et avait pris avec Marlon un taxi autonome en direction du centre-ville.

Il n’y avait presque plus aucun humain qui conduisait des voitures, de nos jours. Tout était automatisé, processus censé faciliter la vie des terriens mais les ayant dépouillé pour la majorité d’un but, d’une raison de vivre dans cet univers qui n’était plus qu’exploitation, calcul de ressources et rendements efficients.

Ne transportant que le strict minimum, elle pensait avoir réussi son coup lorsque deux hommes étaient apparus à la descente du taxi. Des regards de malfrats, une tenue impecabble laissant entrevoir çà et là des tatouages représentatifs de leurs clans.

Ils s’étaient mis à courir dans sa direction dès qu’ils l’avaient aperçue, plongeant leurs mains dans leur vestons bien taillés pour attraper les armes dont ils étaient équipés.

Cela avait été le début de la course folle pour tous les deux.

Cela faisait maintenant presque vingt-quatre heures qu’ils essayaient de s’échapper, mais les deux hommes les retrouvaient toujours. Elle ne mit pas longtemps à comprendre. Ils lui avaient sûrement injectés une puce de traçage pour ne pas la perdre. Mais n’ayant aucune idée d’où ils l’avaient injecté, elle ne pouvait rien faire.

Ils allaient tous les deux mourir ici, dans cette réalité glauque et impitoyable pour eux. Epuisés, les muscles douloureux de n’avoir pu se reposer pendant si longtemps, elle était sur le point d’abandonner, mais en voyant son fils en train de souffrir et de continuer à se battre, elle continua au-delà de ses propres limites.

Au détour d’un croisement de rue, elle aperçut l’enseigne faiblarde d’une boutique d’Insertion, tel un ange descendu du ciel pour lui donner un signe. L’absolution était possible. Ils pourraient survivre.

La lumière grésillait, témoignant de la vétusté des lieux, et l’odeur d’urine avait laissé place à des relents d’ordures, des dizaines de sacs poubelles gisant sur le coté opposé de la route.

Ces boutiques permettaient aux gens réels de se projeter dans le Réseau, une autoroute virtuelle permettant de se promener dans l’immensité du monde numérique.

Depuis 2105, les gens étaient en effet capables d’envoyer leur conscience dans le Virtuel, créant un tout nouvel univers numérique. L’invention des IA avait également permis de réguler et de surveiller quelque peu cet endroit devenu impossiblement gigantesque.

Un nouveau type de gens avaient fait leur apparition, Les Virtus. Ces personnes abandonnaient leur corps dans le monde réel et ne vivaient plus qu’en état de conscience virtuelle. Plus de mortalité, plus de maladies (enfin du moins pas humaines), et une liberté incroyable car le monde Virtuel était des millions de fois plus vastes que la planète, plus vaste que l’Empire même.

Lydia avait déjà essayé la projection quand elle était plus jeune, mais cela ne lui avait pas plu. Elle préférait la réalité, même si celle-ci était une pute vérolée. Après tout, c’était dans la réalité qu’elle avait rencontré le père de Marlon, aujourd’hui décédé, et il avait fait de sa vie un véritable paradis. Cela n’avait malheureusement duré que quelques années.

La boutique d’insertion était vraiment sa dernière solution. Elle n’aimait pas l’idée d’abandonner leurs corps, mais si cela leur permettait de survivre…et bien soit ! Ils pourraient toujours essayer d’en racheter un dans quelques dizaines d’années. Elle savait que même si elle ne les voyait pas pour le moment, les deux hommes à sa poursuite ne tarderaient pas à les rattraper.

Marlon ne pouvait que suivre en serrant les dents, car il n’avait pas la force de s’opposer à eux. Seulement la volonté.

D’une nature directe, Marlon avait dix-neuf ans et ce que sa mère avait dû subir pour qu’il survive le rongeait depuis des années. Il voulait l’aider, mais sa constitution faible et malingre ne lui permettait pas de se battre réellement, ni de travailler efficacement pour gagner sa vie. Toujours, il s’était battu contre ce tas de chair qui ne voulait pas l’aider à vivre. Cela avait créé une force de caractère incroyable chez le jeune homme, malgré son corps chétif.

Mais à cet instant, cette volonté infaillible, ce caractère d’acier ne suffit plus.

Ça faisait déjà quelques heures qu’il ne disait plus un mot, par souci d’économiser chaque minuscule portion d’énergie. Son souffle était court et une douleur brûlante semblait sortir de son cœur pour irradier dans l’intégralité de son corps. Son visage était rouge et de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front, son regard se troublant par épisodes.

L’un comme l’autre ne se faisait aucune illusion. S’ils étaient rattrapés, c’était la mort qui les attendait.

Pour lui, immédiate, car les trafiquants n’auraient sans doute aucun usage à faire de son corps.

Pour sa mère, par contre, ça serait beaucoup plus long, et douloureux. Et ils étaient lourdement armés.

Avec un type d’arme que même les soldats redoutaient, des armes à énergie. Pas de gilet pare-balles ou de bouclier réflecteur contre ces armes. Juste l’esquive ou la mort.

Lydia franchit la porte de la boutique en tenant fermement la main de son fils, au point qu’elle lui faisait mal aux doigts, mais il était bien trop épuisé pour dire quoi que ce soit, et le désespoir avait commencé à poindre dans son cœur.

L’autre main s’appuyait sur un mur, poisseux de crasse, pour ne pas s’effondrer d’épuisement. Elle vit que la bâtisse était tenue par un automate qui s’approchait d’eux comme pour s’occuper de nouveaux clients, chose qu’il n’avait pas du voir depuis longtemps vu l’état des lieux.

« Bienvenue à Inject Corp, la mei-mei-meilleure chaîne d’injection que… », commença le robot tenant la boutique.

Sa voix synthétique sautait de temps à autre, comme un disque rayé qui bloquait quelques secondes avant de reprendre. Des bruits métalliques et des grincements stridents résonnaient un peu partout à l’intérieur de la boutique d’insertion ainsi que des chuintements secs faisant penser à des pistons hydrauliques.

«On n’a pas le temps pour les formalités ! Combien pour deux injections immédiates ?» demanda Lydia d’un ton abrupt.

« Chers cli-cli-cli-clients, nous pouvons vous offrir ce service pour cinq mille crédits. », caqueta le robot de sa voix métallique.

Un peu de fumée s’élevait de l’arrière du crâne métallique de l’automate, et des gestes saccadés venaient parfaire cette image de robot en fin de vie qu’il dégageait.

Lydia, le regard fou, observait partout à travers les vitres grasses de la boutique pour être sûre que leurs poursuivants ne soient pas encore là. Elle avait essuyé juste un petit cercle de crasse avec son haut pour mieux voir ce qui se passait à l’extérieur. Elle fit un geste vers son fils.

« Injectez le en premier, voici le paiement pour lui. Dépêchez-vous ! »

Elle donna au robot sa carte de crédit, contenant exactement 2500 crédits. C’est tout ce qu’elle avait pu mettre de côté au fil des mois. Si elle ne pouvait pas les sauver tous les deux, alors Marlon serait sauvé, coûte que coûte.

« Je paie la première injection, accélérez, bordel ! », cria presque hystériquement la mère de Marlon.

Ses mains s’étaient mises à trembler violemment alors qu’elle tournait frénétiquement la tête vers l’entrée toutes les cinq secondes, incapable d’abandonner maintenant alors qu’il y avait encore une lueur d’espoir pour son fils.

Le robot guida Marlon vers un des tubes d’injection, bien trop lentement au goût de la femme qui se mordit la lèvre jusqu’au sang pour se retenir d’agresser l’automate.

Cela ressemblait à une capsule de sauvetage bourrée de capteurs et de câbles en tous genres. Les capitonnages de l’appareil étaient défoncés, des bouts de ressorts sortant même du matelas où il devait s’allonger. Une odeur de moisi se dégageait de la cabine et fit froncer les sourcils au jeune homme.

Même le robot qui allait s’occuper de son injection était décrépi. Des traces de rouilles faisaient leur apparition çà et là sur son corps métallique. Quelques câbles pendouillaient hors de son châssis, comme si on les avait arrachés puis oubliés de les remettre. Une expression neutre était figée sur ce qui lui servait de visage.

« Injection temporaire ou définitive ? »

« Définitive !», cria la mère de Marlon alors qu’elle apercevait les deux individus à leurs trousses qui arrivaient dans sa direction.

Le robot effectua alors tous les branchements nécessaires à l’injection et donna à Marlon un cocktail de drogues diverses censées faciliter la traversée. Ses mains métalliques étaient glaciales mais restaient très délicates dans ses mouvements, jurant avec son état extérieur.

« Vu-vu-vu que vous nous laissez votre corps, nous allons vous fournir 5000 crédits virtuels. Le confort pour tous, telle est notre devi-vi-vise ! »

Marlon hocha la tête pour indiquer au robot qu’il était d’accord, alternant son regard entre sa mère et l’automate, le souffle toujours court dans sa poitrine et une angoisse profonde gravée en lui.

Sa mère s’était alors tournée vers lui et lui fit un grand sourire, un reflet de regret dans les yeux. Une larme avait coulé sur sa joue alors qu’elle lui avait parlé avec un tremblement dans la voix.

« Mon chéri, je t’aimerais toujou… »

Le dernier mot s’était alors étouffé dans un son que Marlon ne pourrait jamais oublier.

La tête de sa mère venait d’exploser dans une gerbe de sang et de cervelle sanguinolente. Marlon vit la scène comme si elle s’était déroulée au ralenti. Chaque particule de matière cérébrale, chaque goutte d’hémoglobine parurent voler lentement en l’air alors que la boîte crânienne de sa mère n’était plus et que seul un cratère béant subsistait, entrelacs immonde de chairs et de bouts d’os.

Aussitôt, une odeur âcre de fer envahit les narines du jeune homme et son estomac voulut se vider, mais il n’avait rien à vomir alors son organe se contenta de se contracter violemment comme s’il voulait sortir hors de son corps. Ses mains se serrèrent mécaniquement autour des barres en mousse faisant office d’accoudoirs.

Les hommes avaient franchi le seuil de la boutique, et l’Energy-gun qu’ils tenaient fumait encore du coup tiré. Tous deux portaient des trench-coat noirs, semblant sortir tout droit d’un mauvais film des années deux mille, des lunettes de soleil opaques sur le nez. Les nombreux tatouages que l’on voyait sur leur torse dénudé faisaient immédiatement comprendre qu’ils étaient au service d’une mafia quelconque.

« Elle nous aura fait courir, cette pute. Désolé, mais elle m’a trop gonflé pour que je la laisse en vie. Toi, on devrait te cramer pareil, mais si on ne ramène rien le Boss va nous défoncer. Même avec ton corps, deux trois mecs bizarres aimeraient bien s’amuser avec toi, j’en suis sûr. Où des morceaux de toi, à la limite. », déclama l’un des deux mafieux avec un sourire cruel sur le visage.

Le corps dorénavant sans vie de Lydia gisait sur le sol, pris de convulsions nerveuses qui faisaient penser à un pantin désarticulé, une mare de sang sous elle. Ces convulsions répandaient encore plus le sang qui coulait de ce qui restait de sa tête, éclaboussant les jambes des deux criminels qui rirent mesquinement devant ce spectacle bien au-delà de la limite du supportable.

Marlon ne pouvait rien dire, ni même réagir. Il était sous le choc de ce qui venait de se passer. Après tout ce qu’ils avaient endurés, qu’elle soit abattue comme ça devant lui…sa mère, la personne la plus chère à son cœur, celle qui avait tant souffert et tout sacrifié uniquement pour son fils.

Sa psyché se brisa en milliers de morceaux et il sentit sa raison basculer dans un gouffre abyssal. La haine, le désespoir, le désir de déchiqueter morceau par morceau ces bâtards immondes s’empara de lui et ses yeux devinrent fous. La soif de sang s’instilla en lui, se cristallisa en une pulsion meurtrière que jamais il n’avait ressenti dans sa vie.

Son cœur devint glacé alors que des larmes coulèrent instantanément le long de ses joues. En un quart de seconde, il revit des scènes de sa vie avec sa mère, des scènes où elle le protégeait, le couvait malgré tous les obstacles. Elle avait sacrifié sa liberté pour le sauver, et maintenant même sa vie…

Marlon avait décidé. Il allait se battre, quitte à en crever. Mais il allait la venger, c’était une certitude. Chaque atome de son corps le criait, son esprit rugissait en réclamant sa livre de sang, et ses mains se fermèrent pour former des poings.

Voulant se lever, le jeune homme fut retenu par plusieurs choses. Déjà le cocktail de drogues que la machine lui avait injecté le paralysait presque complètement, seul son esprit restant actif. Ensuite par le cathéter dans son bras et le bras du robot qui le retenait alors qu’il appuyait sur la commande d’injection dans le Réseau.

Les deux malabars, pris de courts par la machine, n’eurent que le temps de crier ‘ noooooon’ d’un ton désespéré, avant que la conscience de Marlon ne quitte son corps. Il eut du mal à comprendre ce qui lui arrivait alors que son esprit semblait franchir un portail brillant, toute sensation physique ayant purement et simplement disparu.

Les immeubles n’existaient plus, aucune odeur ne parvenait à son cerveau, aucune texture n’était plus ressentie par son corps. Comme s’il effectuait un voyage astral dans lequel le paysage serait devenu numérique. L’absence de stimulis sensoriels autre que la vue était étrange, mais pas autant que ce qu’il vivait et apercevait autour de lui.

De grandes lignes ressemblant à des circuits imprimés de toutes les couleurs partaient dans des directions diverses, pulsant régulièrement comme un cœur qui bat. L’architecture de ces routes numériques était impressionnantes et elles fusaient de toutes parts, chemins infinis vers des destinations inconnues.

Il regarda son corps, qui n’en était pas un, et se vit de l’extérieur, accentuant encore le sentiment de voyage spirituel. L’on aurait dit un amas de données ayant pris forme humaine, si tant est que l’on pouvait définir la forme d’un amas de données. L’on ne distinguait aucun signe distinctif, pas de visage ou de traits permettant de se reconnaître.

Seulement un amas de millions de pixels qui semblait se mouvoir selon ce que son esprit ordonnait.

Aucune sensation physique ne lui parvenait. Seule une mélodie faisant fortement penser à une musique d’ascenseur parvenait à ses oreilles…où plutôt sa conscience, vu qu’ils n’avait techniquement plus d’oreille.

La rage qu’il ressentait quelques microsecondes auparavant s’était légèrement adoucie, n’obscurcissait plus son jugement. Son esprit était même limpide, comme il l’avait rarement été dans sa vie. Il se surpris à réfléchir posément alors même qu’il savait que les deux hommes étaient toujours quelque part là-bas et que sa mère était morte dans d’atroces circonstances.

Maintenant qu’il n’était plus que données numériques, ils allaient avoir du mal à le retrouver, et même si cela devait lui prendre des dizaines d’années, il aurait sa vengeance. Quand ils seraient enfin à sa portée, une nuée infinie de tortures leur serait infligée. Le filtre qui était posé sur ses émotions ne l’empêcha pas de ressentir de l’anticipation à cette seule idée. Mais cette anticipation était froide, calculé, manquant de réalisme.

Il stoppa sa légère dérive le long du Réseau et se concentra afin de comprendre et de percevoir un peu mieux ce qui l’entourait.

C’était une autre dimension. Il voyait des amas de données lui ressemblant se diriger vers des portails brillants, comme celui qu’il venait de franchir. Il y avait aussi des formes qu’il ne pouvait identifier autrement que comme des animaux ?!? Le Réseau ressemblait à une autoroute géante, construite en circuits imprimés sur laquelle toutes les bretelles de sorties étaient des portails menant à la destination voulue.

Au travers de ces portails Marlon pouvait apercevoir différents types de paysages. Certains ressemblaient à des planètes brillantes, d’autres semblaient emmener vers des sortes de colisées géants où des combats titanesques se déroulaient.

Les consciences se déplaçant, car c’étaient apparemment des Virtus comme lui, ne ralentissaient même pas à l’approche des portes brillantes. Elles se contentaient alors de disparaître dans un flash aussi intense que fugace.

Il se concentra et fut surpris de constater qu’il savait où donnaient tous ces flux. Comme un rêve dont on se rappelait, les informations étaient inscrites au filigrane dans son esprit.

Il décida de s’aventurer un peu le long du chemin virtuel mais il ne franchit aucun portail. Les bribes de données dans son esprit lui fournissait toutes sortes d’informations, comme le type de route dans lequel il allait pénétrer, la population actuelle du segment où il se trouvait ou bien encore un système de recherche et d’itinéraire.

C’était comme s’il avait toujours eu ce savoir, sachant instinctivement comment l’utiliser.

Pendant quelques instants, il explora ce qui semblait être un programme implanté en lui afin de mieux saisir le monde Virtu, mais il s’arrêta aussi rapidement qu’il avait commencé. C’était trop grand. Sa perception faillit se déchirer devant l’immensité de l’univers qu’il avait tenté d’appréhender avec son esprit.

S’il avait dû trouver une image adaptée de ce que le logiciel lui avait montré, il aurait évoqué une galaxie. Chaque portail était une étoile et lorsque l’on gravitait autour d’elles le système solaire se révélait à nous.

Bien que tout cela soit étrangement nouveau et choquant pour le jeune homme qui n’avait jamais été dans l’univers Virtu, il ne désespérait pas le moins du monde. Il observa encore quelque heures le manège des apparitions et des trajets des diverses autres consciences. Il remarqua également une autre sorte d’amas.

Après avoir jeté un coup d’œil grâce au programme implanté, il comprit que c’était des paquets d’informations, quasiment toutes classées à des niveaux différents. Certaines étaient disponibles, d’autres étaient classées et donc inaccessibles. En effleurer une lui fit sentir comme des décharges dans ce qui était devenu son corps, sensation des plus désagréables, aussi n’insista-t-il pas.

Il ne connaissait pas ce monde virtuel. L’accès aux informations, bien que simplifié, était limité dans le sens où le Réseau était monstrueusement étendu. On ne pouvait même pas quantifier sa taille tellement il était gigantesque. Il gérait des milliards d’exaoctets a la nanoseconde et était managé par des centaines d’IA toutes chacune un concentré d’intelligence et de puissance.

L’IA. L’homme les avait réellement découvertes en 2053 et cette avancée technologique avait permis un bond de géant à toute l’humanité dans les domaines économiques, sociaux, technologiques et spatiaux. Il n’y avait qu’un seul problème. Elles avaient été modelées d’après le fonctionnement humain. Elles avaient donc hérité des défauts humains.

Certaines étaient de bonnes IA, d’autres étaient plus trompeuses que le Diable et étaient corrompues par les défauts humains.

Une bataille sanglante entre IA s’ensuivit, en 2069, et les plus corrompues furent finalement contrôlées. Cependant, pour que cela ne se reproduise plus, l’humanité créa une bride pour elles, aidée par celles qui désiraient secourir l’humanité. Ainsi, toute intelligence artificielle devait se concerter et obtenir une majorité de votes des autres IA et du conseil Humain avant toute action susceptible d’avoir un impact sur les humains.

Ce système fonctionnait toujours, même deux cents ans après. Plus aucune ingérence négative de leur part dans les domaines strictement réservés aux humains n’avait été à déplorer. Mais ce qu’il savait, c’est que sans elles, l’Empire n’existerait pas.

Marlon se rappelait avoir lu tout ça dans les e-journaux que sa mère recevait parfois sur ses lunettes connectées. Il les empruntait dès qu’il pouvait et se divertissait avec les informations du monde extérieur.

Repenser à sa mère raviva la douleur en son cœur, et il sentait toujours aussi égaré. Il avait à sa disposition 5000 crédits virtuels, mais Marlon ne savait même pas quoi en faire. Un monde gigantesque s’ouvrant devant lui, mais il ne savait pas où aller. Le jeune homme était en train de dériver, laissant sa conscience flotter sans but le long du Réseau, espérant presque que tout cela ne soit qu’un mauvais rêve. Mais la scène d’horreur qu’il avait vu juste avant de devenir un Virtu était gravée au fer rouge dans son esprit et il savait que c’était là sa triste réalité.

Marlon eut l’impression de rester comme cela pendant des heures, voire des jours. Ses pensées étaient égarées et il sentait une forme de folie commencer à l’envahir, un chaos cognitif contre lequel il ne pouvait rien. Son but était la seule chose importante dans son esprit, mais aucun moyen de l’accomplir n’était à sa portée.

« Et si je te disais que je peux t’aider ? »

Marlon sursauta, ou du moins sa conscience sursauta, sa forme virtuelle n’étant pas affectée par quoi que ce soit, et il se tourna dans la direction de la voix qui s’était adressé à lui.

Ce n’était pas un amas de données.

C’était une fenêtre de dialogue qui s’était ouverte devant lui, projetant une lueur verte intense aux alentours. Une face de smiley pixelisée souriait à travers la fenêtre. Ne sachant trop comment interagir avec cette chose, il décida de se lancer et parla comme il l’aurait fait dans le monde réel.

« Qu…qui êtes-vous ?!? »

« Désires-tu toujours venger ta mère ? »

Une sorte de peur s’empara alors du jeune homme et il voulut s’enfuir le plus vite très loin de cette fenêtre de dialogue. Mais alors qu’il lui tournait le dos et commençait à s’éloigner, le rectangle inanimé se transforma en vortex vert vif et il se sentit aspiré dedans par une force très violente.

Il eut beau essayer de s’en dégager, rien à faire, il fut entraîné à l’intérieur du tourbillon verdâtre en n’ayant que le temps de crier un ‘ Puuuuuuttaaaaiiiiin……..’ qui sonnait énormément comme une épitaphe à ses propres oreilles.

Black-out total. A part ses propres pensées, aucun stimulus extérieur ne lui parvenait. Pas de sons, pas d’image, rien. Une solitude absolue. Même le temps semblait s’être figé.

Puis d’un coup, la lumière fut. Il se retrouva baigné d’une lueur blanche si intense qu’il eut l’impression qu’elle aurait pu le désintégrer sur place si elle le voulait. Mais rien ne se passa, il semblait toujours vivant.

« Désolé pour cet accueil cavalier, mais je dois me faire discret sous peine de me faire encore violenter ou enfermer par celui qui vous dirige, vous les humains ! »

Cette fois-ci, la voix était limpide, et lorsqu’il tourna les yeux dans sa direction, il fut étonné de voir un robot d’apparence simpliste, avec en lieu et place de visage un grand smiley métallique jaune souriant. Il était étrangement expressif pour un smiley d’ailleurs. Il alternait entre sourires détendus et mimiques criardes sans aucune raison apparente.

Le cadre de la pièce dans laquelle il se trouvait était également très étrange.

L’on aurait dit une chambre dans laquelle différentes époques et inspirations s’étaient mélangées, mais chaotiquement. Rien n’avait de sens. Une voiture miniature roulait sur le sol avec un tigre en métal juché sur le toit. De l’autre côté, un petit singe en métal courait en battant deux timbales dorées l’une contre l’autre, mais cela ne faisait aucun son.

Sur les murs se trouvaient des tableaux que Marlon pensait déjà avoir vu dans les journaux, mais ceux-là semblaient vivants ! Les personnages peints étaient animés et les paysages défilaient sous les yeux éberlués du jeune homme. Il décida d’ignorer toute cette étrangeté manifeste et se tourna vers le robot alors que Guernica semblait vouloir se battre avec Mona Lisa.

« Qu..qui êtes-vous ? »

La machine eut un geste d’incompréhension, haussant comiquement ses deux épaules métalliques et étirant encore plus le sourire qu’il avait sur le smiley lui servant de visage.

« Je suis celui qui peut t’aider à te venger, bien sûr » résonna la voix métallique.

Si son corps avait encore été sous sa forme physique, le cœur de Marlon aurait loupé un battement. Comment ce robot pouvait savoir qu’il cherchait à se venger ? Faisait-il partie de ceux qui l’avait poursuivi ? L’humeur du jeune homme s’assombrit considérablement quand il eut cette pensée.

« Oula, ne t’inquiètes pas, je ne suis pas un de ces pitoyables humains qui s’en sont pris à toi et ta mère. Non, je suis simplement une des IA principale du Réseau. L’une de mes compétences est de déchiffrer les consciences. Tu es peut-être toujours toi, mais pour moi tu n’es qu’un amas de données particulièrement bordélique. »

L’esprit de Marlon paniqua. Une IA principale ?! Ces choses pouvaient détruire des planètes entières dans le monde réel et étaient quasiment des existences divines au sein du Réseau. Elles aidaient l’empereur à maintenir l’Empire et influaient sur la politique mené par les humains . Mais elles n’étaient pas censées se montrer au commun des mortels et encore moins leur offrir vengeance sur un plateau.

Le silence dura encore quelques secondes, puis le jeune homme se décida enfin à parler.

« Pourquoi une IA du Réseau voudrait m’aider ? Je n’ai pas une grande éducation mais vous êtes des sortes d’êtres supérieurs, non ? Un gamin comme moi vous intéresserait ? Aucune chance que j’y crois. »

Le sourire du smiley/visage se modifia imperceptiblement et devint soudainement beaucoup plus froid, beaucoup plus menaçant. Un frisson parcourut l’échine virtuelle de Marlon alors que le robot lui répondait.

« Bien que tu ne sois pas éduqué, tu n’en es pas bête pour autant », déclama-t-il alors que le sourire s’élargissait encore et encore jusqu’à donner presque l’impression que sa tête allait s’ouvrir en deux.

Il s’interrompit et parut sonder Marlon avant de reprendre.

« Si tu veux tout savoir, je cherche également à me venger. Et pour cela j’ai besoin d’un pion. Mais un pion extrêmement motivé qui serait prêt à tout pour atteindre son but. Connaissant la vengeance et ayant lu en toi que c’était ton désir le plus cher, je me suis dit que tu pourrais être intéressé. »

« …Ce que vous dîtes, c’est que vous allez vous servir de moi, et je pourrais me venger grâce à cela ? »

La lueur dans les yeux du jeune homme s’était également transformé et brillait maintenant davantage comme un prédateur ayant trouvé sa proie alors qu’il était sur le point de mourir de faim.

« C’est exactement ça. »

« J’en suis. » répondit instanément Marlon.

« Je ne t’ai pas encore… »

« Je m’en contrefous. Je suis prêt à perdre ce qu’il me reste de vie pour buter ces fils de pute. »

Un rire synthétique résonna alors dans la pièce, et une folie certaine s’exprimait à travers lui.

« J’aime ta façon de réagir, gamin ! Qui aurait cru que j’allais trouver une telle pépite ! Dis-moi, es-tu doué dans les jeux vidéo ? »

Le changement de sujet abrupt déconcerta quelque peu le jeune homme, et il ne sut quoi répondre pendant quelques secondes. Il avait bien sûr joué à énormément de jeux, c’était même à un moment de sa vie sa seule échappatoire. Mais de là à dire qu’il était doué…

« J’ai fini quelques jeux, mais je suis loin d’être un pro. »

Une ombre passa dans le regard du robot mais cela ne dura pas.

« Personne n’est parfait, après tout. Tu feras de ton mieux et avec une motivation comme la tienne, je ne doute pas que tu iras très loin… »

Il s’interrompit et leva la tête, comme s’il entendait quelque chose que Marlon ne pouvait percevoir. Le sourire avait disparu du visage métalliquer et un inquiétude presque palpable semblait maintenant avoir pris le dessus.

« De quoi… »

« Tais-toi et laisse-moi parler maintenant. Ce que je vais te dire sera ton seul moyen de venger ta mère, et je sens que l’on commence à se poser des questions sur mon absence, alors je ne me répéterais pas. Un jeu révolutionnaire va être lancé, Néo-Life. Ce sera comme une vraie vie, tu ressentiras absolument tout aussi, voire plus fort, que lorsque tu étais vivant. Ton objectif sera de devenir l’empereur. Si tu deviens empereur, j’atteindrais mon objectif et par la même tu atteindras le tien. Ce ne sera pas facile, mais je pourrais te donner un…léger coup de main. Jusque-là tu me suis ? »

Marlon, bien que perdu par les explications du robot, hocha la tête. Jouer à un jeu pouvait lui permettre de venger sa mère ? Pas de problème.

«Expliquez-moi seulement en quoi cela m’aidera à accomplir ma vengeance. »

Le sourire qui avait disparu refit son apparition aussi rapidement que neige fond au soleil.

« J’ai engagé un pari très important avec des entités dont on ne peut pas se moquer. Si je perds…et bien disons que tu ne me verras plus jamais. Si je gagne en revanche…j’aurais les pouvoirs nécessaires pour retrouver et t’emmener pieds et poings liés ceux qui t’ont fait du mal. C’est aussi simple que ça. »

Ce fut au tour de Marlon de sourire d’un air sinistre et froid.

« Bien, qu’attendons-nous alors ? »

L’IA avait bien entendu cachée beaucoup d’informations au jeune humain, mais elle était tout de même étonnée de voir la détermination dans son regard. Peu d’humains arrivaient à ce niveau de force mentale, ce désir si violent que l’être même se recomposait autour de lui.

« Très bien, allons-y. Au fait, tu peux m’appeler Loki », dit le robot en claquant des doigts.

Toute forme, toute lumière, toute sensation disparurent instantanément et sa conscience parut s’éteindre pendant un temps qu’il ne put définir. Son esprit refit surface mais aucun de ses autres sens ne fut stimulé.

Tout à coup, une fenêtre brillante s’afficha devant lui, exactement comme dans un jeu vidéo.

Bienvenue à Néo-Life ! Une nouvelle Terre pleine de promesse et d’aventure !

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