-1-
Léonce
Sous un soleil de plomb, trois petites silhouettes jouaient au milieu d’habitations de bois qui menaçaient de s’effondrer d’un instant à l’autre.
Au milieu des regards ternes des adultes et de la boue résonnaient des rires d’enfants. L’une de ces silhouettes, amoindrie, les jambes et les bras rachitiques, s’arrêta la première, regardant les deux autres courir et bondir plus loin qu’il ne pouvait aller.
Ces éclats de voix se dissipèrent dans les ténèbres.
Baldus : « …Nÿzel, Frem, voilà le plan. »
Les trois hommes ne quittaient pas Mandresy des yeux. Tous avaient remarqué que sa peau, habituellement d’un terne gris, s’assombrissait lentement.
Baldus : « Nÿzel et moi devons absolument réussir à lui trancher le cou encore une fois, et assez profondément pour qu’un coup de masse de Frem puisse lui arracher. »
Les deux personnes visées par cette explication grimacèrent.
Nÿzel : « Tu es sûr de toi, Baldus… ? »
Le charmant bandit plongea son regard dans celui du meneur du groupe. Un sous-entendu non dissimulé s’y lisait, mais Baldus n’hésita pas un instant.
Baldus : « On a pas le choix, c’est en train de devenir une connerie de monstre. Il faut l’arrêter. Et il faudra pas flancher le moment venu parce que ce taré peut régénérer son corps maintenant. »
Frem resserra sa poigne sur la masse, réticent à passer à l’action.
Frem : « Merde ! Merde ! Et MERDE ! »
Porté par ses jambes et sa fureur, Frem se lança malgré tout le premier à l’assaut du terrifiant adversaire.
Mandresy : « Je vais vous montrer le sommet de mon potentiel ! »
Quand Mandresy prit appui sur son pied gauche, la dalle sous ses pieds se fissura. Dans la seconde qui suivit, il était au niveau de Frem. Sa force lui permettait de s’élancer avec vitesse et puissance.
Frem tira sur le manche du marteau pour abattre le massif bloc de pierre en son bout.
Sa cible désarticula tout son corps pour pouvoir éviter cette attaque.
Voir ses membres ployer comme un pantin tenu à des fils était une vision cauchemardesque à plus d’un titre. N’importe quel humain serait mort après s’être retrouvé dans une telle position.
Mais Mandresy souriait. Lui qui ne connaissait plus la douleur fit apparaître une boule d’énergie dans sa main, profitant de l’échec de son adversaire pour contre-attaquer.
Nÿzel : « Quelle tristesse d’atteindre le sommet de son potentiel si jeune ! »
Nÿzel rejoint son allié à temps, et poussa Mandresy à prendre ses distances avant de se faire lacérer par les étripes-chats.
Nÿzel : « Mais je te rassure, ce n’est pas ton plein potentiel. Ce n’est pas ton potentiel du tout, d’ailleurs. C’est celui de la créature misérable qui a souillé ton corps. »
Baldus arriva dans l’angle mort de son ennemi, et l’effleura de sa dague. Mandresy s’était décalé pour l’éviter.
Baldus : « Même s’il est en calbute, il a pas tort : je t’ai jamais vu aussi faible qu’aujourd’hui. »
Une énigmatique lueur violette émanait de la dague tandis qu’il frappait de plus bel.
Mandresy : « …Tu mens. Regarde comme je suis puissant. »
D’une seule main, l’homme au teint noirâtre se protégea du coup qui l’attendait.
Il vit dans un flash ses doigts sombres flotter devant ses yeux.
Mandresy : « … »
Baldus : « Tu devrais le savoir : y a pas plus honnête que moi. »
Mandresy serra les dents de frustration, recula d’un bond et fit apparaître une sphère d’énergie dans sa main. Baldus et ses acolytes choisirent de garder leurs distances.
Mandresy : « Vous n’y échapperez pas ! »
Il projeta son sort sur l’homme à la dague, qui s’esquiva au dernier instant. Cependant, l’énergie contenue dans ce projectile était plus instable qu’auparavant. Il se déforma tandis qu’il passait à côté de sa cible, dévia de sa trajectoire, puis atteint finalement le sol dans une explosion de mana.
La déflagration était aussi bien différente de ce que Baldus connaissait, et le souffle emporta les trois bandits.
L’entrée de la grotte trembla du sol au plafond.
Mandresy : « Alors ? Qui de nous est si faible qu’il s’envole au moindre coup de vent ? »
Baldus se releva sans effort, même si la sensation de brûlure sur sa peau le gênait.
Baldus : « T’as fini de te la péter ? T’as toujours pas compris que tu faisais juste pitié ? C’est pas ta force, tout ça. Et quoi que tu fasses à partir de maintenant, tu ne prouveras rien du tout. »
Frem : « Ouais ! Y a rien de moins cool qu’un type qui dépend d’un monstre pour être balèze ! »
Nÿzel : « Tout ton petit spectacle n’est que de la poudre aux yeux. La seule personne à qui tu caches ta faiblesse, c’est toi et toi seul. »
Le trio se dressait insolemment face à Mandresy, dont l’insatisfaction grandissait.
Mandresy : « Vous n’avez encore rien vu. »
L’air malicieux, il révéla sa main dont on venait de sectionner les extrémités.
De petits os sortaient, comme s’ils poussaient dans sa chair. Cette masse noire qu’il dissimulait sous sa peau s’agita, et pullula davantage, jusqu’à remplacer les doigts manquants.
Pourtant, sa main était loin d’être comme neuve. Ce qui venait de se former n’était pas des phalanges. C’était plus long, plus fin, plus articulé que ne devraient l’être des doigts. Un sentiment de dégoût se propagea chez ses adversaires.
Frem : « Tu fous la gerbe ! »
Le prévint Frem, avant de repartir à la charge. Son but premier était de créer une ouverture pour ses deux compères, mais le jeune homme essayait franchement de le broyer au sol jusqu’à ce qu’il soit six pieds sous terre.
Il peinait néanmoins à l’atteindre, et se méfiait de la force insensée de Mandresy.
Baldus et Nÿzel ne manquaient aucune occasion de frapper, ne parvenant qu’à entailler le corps durci de Mandresy, jusqu’à ce qu’il ne se reforme quelques secondes plus tard.
Le bras droit de Musmak se réjouissait de ce qu’il était devenu. Il était flatté par le regard de ses adversaires.
Malgré le mépris qu’il y lisait, la crainte était là. La peur d’affronter une créature dont la simple existence les dépassent engourdissaient leurs membres.
-2-
Les détonations de plus en plus puissantes attiraient mon attention, ainsi que celle de Lothaire.
Brakmaa avait usé de ses dernières forces pour mettre Duxert et Mamie à l’abri près de l’entrée de la grotte.
Le duel qui se jouait à quelques mètres d’eux était des plus inégales, malgré les lourdes blessures de mon adversaire, son avantage était toujours aussi écrasant.
Lothaire : « Je ne vois plus Laukai, et Mandresy n’est plus le même qu’avant… Je n’aime pas ça. »
J’aurais pu me réjouir de ses paroles, en ce qu’elles sous-entendaient que nous avions le dessus. Pourtant, je reconnaissais dans le regard de mon adversaire que la sensation qui inquiétait Lothaire allait au-delà des enjeux de ce combat.
Léonce : « …Comment ça, plus le même ? »
Alors que je reprenais ma respiration, je lui adressais la parole, tout en restant en garde.
Lothaire resta silencieux. Il laissait ses larmes couler jusqu’à s’être décidé à répondre à mon regard.
Lothaire : « Un jour, toi aussi tu pourras le ressentir, sans doute. »
Léonce : « Ressentir… ? »
Ce type ne donne pas l’impression qu’il compte me tuer… Pourtant il retient pas ses coups le bougre…
Malgré ce constat, je n’avais pu que remarquer qu’il était resté sur la défensive jusque là. Peut-être était-ce là les ordres de Musmak, mais peut-être aussi qu’il peinait à agir sans des consignes claires et directes.
La courte pause prit fin, et je tentai de nouveau de le frapper, mais mes attaques directes se soldaient toujours par des échecs. Il n’était pas fait pour l’esquive, mais savait contrer mes coups avec son épaule, et parfois dévier mes assauts à la force de ses membres.
Il était plus rapide que je ne l’étais, et en un contre un, il m’était difficile de le contourner. J’aurais pourtant préféré l’affronter de front, mais face à lui, je sentais que rien de ce que je pouvais faire ne l’atteindrait.
Même s’il laissait son bras blessé se reposer, un seul des deux était suffisant pour me maintenir en échec. Au sommet de sa forme, il m’aurait envoyé au tapis depuis quelques minutes déjà.
Sur ce constat amer, je continuais de m’acharner. J’encaissais ses contre-attaques, encore et encore, peinant à tenir sur mes pieds. Sa force physique était titanesque.
Il finit par charger une fois de plus. La douleur accumulée dans mon corps me rappelait sans cesse qu’il n’y avait aucun moyen de le contrer quand il était comme ça.
Léonce : « … ! »
Mais j’avais aussi réalisé qu’il ne pouvait pratiquement pas dévier de sa trajectoire dans ces moments-là. Ainsi, je bondis sur sa gauche.
J’étais parvenu à faire de cette impasse une occasion de le prendre à revers.
Au moment où il dérapait sur ses pieds pour ralentir, je savais que son étrange immunité s’estompait.
Comme l’avaient remarqué mes alliés du jour, il était véritablement capable de se rendre partiellement invulnérable, mais il n’était pas pour autant invincible. Et après avoir utilisé un de ces pouvoirs, il ne pouvait qu’être à découvert.
Je saisis ma chance, et frappai en estoc aussi vite que possible.
Quand il fut parvenu à stopper son accélération, Lothaire poussa de nouveau sur ses jambes, bondit en arrière, balaya mon arme d’un pied avant d’élancer l’autre dans mon torse.
La violence du coup me projeta au sol.
D’aussi près, je pouvais observer les motifs pratiquement effacés sur les larges dalles.
Je ne comptais plus les fois où je m’étais retrouvé à terre, mais cela importait peu, tant que je me relevais à chacune d’entre elles.
Léonce : « Yaaah ! »
Je me lançais à corps perdu dans ce duel pour me retrouver à rouler dans la poussière une fois de plus.
Avant même d’être à l’arrêt complet, je me hissais sur mes jambes, prêt à brandir le hachoir.
Lothaire : « … »
Le colosse me fixait. Ses larmes coulaient, et coulaient encore.
-3-
Mandresy se retrouvait face à Frem, et d’une simple pichenette l’envoya valser dans les airs.
Avant qu’il ne puisse l’abattre en plein vol d’un orbe de mana, Nÿzel réceptionna son acolyte en plein vol.
Nÿzel : « Arrête de faire le casse-cou ! Tu as de la chance qu’il ne te prenne pas au sérieux. »
Mandresy était physiquement à l’opposé de Lothaire. Et pourtant, malgré ces membres rachitiques, son corps était plus lourd encore que son allié.
Frem : « Toi, ferme-là ! Et surtout, me touche pas alors que t’es à poil ! »
Nÿzel lui lança un regard noir avant de le laisser retomber sur ses pieds.
Nÿzel : « On a besoin de ta force de brute, alors ralentis sur les pitreries. »
Il repartit d’un bond vers leur adversaire, avec pour seule protection ses étripes-chats et un caleçon.
Frem : « T’es pas ma mère ! Et c’est certainement pas un exhibo dans ton genre qui va me dire ce que j’dois faire ! »
Nÿzel était agacé par tous ces rappels à son impudeur.
Mandresy : « Il s’est lassé de vous… Trop faibles… Trop faibles… »
Le dérangeant personnage attrapa sans effort ni souffrance la lame de la dague de Baldus, qui fut le premier à attaquer.
Mandresy : « Même toi, Baldus. »
Ce dernier grimaçait, pour beaucoup d’autres raisons que d’avoir vu son assaut échouer.
Baldus : « Tu sais à quel point ça me saoule de t’entendre rire. Mais quand tu souris plus, c’est vraiment malsain. On dirait même plus que c’est toi. »
Avant d’encaisser un coup, Baldus sut déloger son arme et s’esquiver sur le côté.
Mandresy : « Peu importe. Je suis moi. Je suis celui qui vous tuera tous. »
Un rire forcé révéla son affreuse dentition.
Frem : « Crève ! »
En réponse au marteau qui s’abattit sur lui, Mandresy se contenta d’élancer son poing contre la surface de l’arme de son adversaire, ce qui suffit à le couper dans son élan.
Frem : « T-tu t’fous de moi ?! »
Le jeune homme se fit agripper le crâne avant d’avoir pu réaliser la différence de puissance entre eux, puis fut projeté sur Baldus alors que celui-ci s’était tenté à le poignarder dans le dos.
Les deux colocataires se retrouvèrent les quatre fers en l’air, ce qui amusait Mandresy.
Malgré tous leurs efforts, ce combat aussi s’éternisait. Le possédé pointa sa paume vers ses adversaires au sol, et de l’énergie s’y accumulait.
Mandresy : « Vous ne contrecarrerez jamais les plans de Musmak. Vous n’en avez jamais été capable, et vous n’en aurez jamais plus l’occasion ! »
Nÿzel : « Que tu crois. On réduira ses plans à néant, mais hélas pour toi, tu ne seras plus là pour y assister ! »
Une trace de lacération parcourut le bras de Mandresy, qui se retourna pour apercevoir le bandit volant.
Nÿzel : « Être aussi peu vêtu me permet de ne faire plus qu’un avec l’air. Je suis plus rapide que jamais. Et surtout… J’ai tellement honte que je suis déterminé à rester en mouvement pour ne pas qu’on puisse trop me voir ainsi. »
Le jeune homme lui montrait la résolution dans son regard. Il y brûlait l’intention d’en finir sans plus attendre.
Nÿzel : Je commence à me sentir mal, et il fait froid. De mes précédents combats, j’ai retenu que mes performances diminuaient à partir d’un certain temps. Je dois créer l’opportunité qu’attend Frem. On ne peut pas se permettre de laisser ce combat durer davantage.
Il transmit d’un fugace regard à ses alliés ce qu’il avait en tête.
Nÿzel : « Mandresy, je n’ai jamais aimé ta façon de prendre les gens de haut. Rien chez toi ne justifie un sentiment de supériorité. Tu représentes tout ce que j’abhorre. J’ai en horreur les effusions de sang inutiles, mais quand je te vois, je dois bien reconnaître que mes étripes-chats tremblent d’impatience. »
Le jeune homme bondit. L’atmosphère qu’il imposait à ce combat étonnait ses deux alliés.
Baldus : « Déconne pas, Nÿzel ! »
Nÿzel : « Je ne déconne jamais, Baldus. Gardez vos distances, et admirez le travail ! »
Ses impulsions le faisaient accélérer progressivement, tandis qu’il tournait autour de Mandresy. Plus il se rapprochait, plus le bandit à la chair noire se sentait encerclé, et ce par un seul homme.
Frem : « Et après c’est moi qui m’expose trop ! »
Nÿzel : « T’en fais pas ! Même si j’ai plus de nouvelle carte à jouer, je peux encore les jouer toutes en même temps ! »
Mandresy : « Tu n’es qu’un moustique. Et tu sais ce qui arrive aux moustiques trop bruyants ? Je les écrase ! »
De ses longs doigts noirâtres, il fit apparaître des boules d’énergie qu’il projeta sur Nÿzel à répétition.
Les orbes de mana étaient de plus en plus instables, et ondulaient de façon imprévisible, finissant par exploser parfois avant même qu’elles ne touchent quoi que ce soit.
Mandresy : « Hahahaha ! »
Une lacération lui ouvrit le crâne. Et dans l’instant d’après, Nÿzel n’était déjà plus dans son champ de vision.
Mandresy : « Euh ? »
Nÿzel : « J’ai attendu ce moment, moi aussi ! Le moment où je pourrais te faire payer pour toutes les atrocités que tu as commises, tous les sévices auxquels j’ai dû assister bien sagement ! Tout ce que tu as dit ! Toute la peine que tu as causée ! »
Lancé à pleine vitesse, Nÿzel tournait sur lui-même, comme un danseur étoile, puis dans une esquive gracieuse, se retrouvait la tête à l’envers sans même ralentir. Il était plus imprévisible encore que les sphères magiques qui cherchaient à l’atteindre.
Le jeune homme supportait difficilement la force centrifuge qui pesait sur tout son corps. Ses bras, ses jambes, sa nuque aussi étaient mis à rude épreuve. Il devait tenir bon. C’était le sprint final, qu’il gagne ou qu’il meurt.
Nÿzel : « Et ce moment… Est venu ! »
Une profonde entaille s’ouvrit dans le mollet de Mandresy, puis sur ses flancs, à l’arrière de son crâne, le long de ses bras. Pris dans une tornade, le sbire de Musmak ne savait plus où donner de la tête.
Son sang ne jaillissait pas, et son poids lui permettait de ne pas perdre l’équilibre, quelle que soit la violence de l’impact. Mais Mandresy se retrouvait malgré tout ballotté par la force impétueuse qui passait tout autour de lui en un éclair, sans s’arrêter, ni même ralentir.
Nÿzel : « Et pourtant, si tu abandonnes maintenant, j’en resterais là ! »
Acculé par la nouvelle prouesse de Nÿzel, Mandresy perdait patience.
Mandresy : « Tu ne te tais donc jamais ? Tu n’es qu’un- »
Dans un coup de vent, la moitié de son cou se retrouva tranchée.
Nÿzel : « Tu ne pourras pas dire que je ne t’aurais pas prévenu. »
Sa cheville se fit profondément lacérée à son tour, forçant Mandresy à tomber sur un genou.
Nÿzel : « Mais je me réjouis de ton choix ! »
Son adversaire ne paraissait toujours pas intimidé. Ses alliés eux étaient bluffés.
Nÿzel plongea une dernière fois, mais les yeux globuleux parvinrent enfin à le suivre.
Nÿzel : « Impressionnant ! Quel dommage que ce soit trop tard pour toi ! Voilà l’impulsion finale ! »
Avec un certain détachement, Mandresy se décala lentement.
Nÿzel : En bougeant comme ça, tu me facilites la tâche !
Le cœur de Nÿzel se serra soudain en apercevant l’expression démoniaque de Mandresy, comme si elle venait de figer le temps.
Nÿzel : Non… !
Les deux étripes-chats se plantèrent dans le torse de Mandresy, laissant les deux spectateurs pantois.
Nÿzel : « T-tu… Tu es fou… ! »
Par ce stratagème insensé, le chétif ennemi de Nÿzel avait volontairement exposé la partie la plus large de son corps. Il s’était laissé poignarder pour pouvoir coincer les armes de son adversaire dans sa chair, et ainsi immobiliser Nÿzel.
Un troisième bras poussa des flancs de Mandresy, et agrippa le bandit à moitié nu.
Mandresy : « Je laisse toujours le moustique se poser sur mon bras… »
De ses deux mains libres, Mandresy fit gonfler une boule d’énergie bien plus massive que jusque-là.
Baldus : « Nÿzel ! Lâche tes armes et barre-toi !! »
Nÿzel était trop secoué par ce soudain arrêt pour réagir à temps.
Mandresy : « …C’est à ce moment-là qu’ils sont le plus vulnérables. »
Frem : « Nÿzel !!! »
Une explosion magique aveugla tous les combattants présents, et la détonation sourde souffla tout sur son passage.
Des débris de pierres claquaient au sol tout autour de Frem et Baldus, tombés à la renverse.
Quand l’éblouissement fut passé, ils purent apercevoir une silhouette calcinée, debout.
Baldus : « Merde… ! »
La sombre forme humaine était vêtue de friches infâmes, ce qui rassura un peu les deux hommes.
Leur regard se tourna vers leur allié, avachi contre une colonne. Tout son corps tremblait.
La brûlure magique était terrible, mais il avait survécu. Il avait même l’air de se réjouir.
Nÿzel : « …Mon caleçon a tenu bon… »
Il lança un regard à ses frères d’armes, leur faisant comprendre que le manque de mana et la douleur l’empêchaient de bouger.
Nÿzel : « Ne vous souciez pas de moi, je ne mourrais pas dans un tel accoutrement. Finissez-le, maintenant ! »
Frem : « Espèce de suicidaire à la con ! Fais pas le fier ! »
Voir son allié dans cet état soulagea suffisamment Frem pour qu’il se mette en rogne contre lui.
Baldus : J’arrive pas à croire que ce gars-là ait réussi à mettre dos au mur Mandresy. Il est méconnaissable.
Baldus montra un large sourire.
Baldus : « Frem ! »
Frem : « Ouais, c’est bon, vos gueules ! Je sais ce qui me reste à faire ! »
Le bandit lança son marteau dans les airs, tout en y restant accroché. Il parvenait à s’élever à plusieurs mètres de hauteur en faisant augmenter la masse de son arme au bon moment.
Frem : J’ai toujours pu rendre ma masse plus lourde à volonté, mais même si je pensais que le pouvoir de la rendre plus difficile à soulever pour moi était débile, j’ai quand même trouvé un moyen de génie de l’utiliser !
Il se retrouvait ainsi au-dessus de son adversaire en une seconde.
Frem : « Je te l’avais promis, et tu vas y avoir droit, Mandresy ! »
Frem plongea sur lui, abattant sa masse à pleine puissance. Mandresy leva un bras vers le plafond et fit gonfler une sphère de mana.
Frem : « C’est pas ta magie de clown qui m’arrêtera ! »
Mandresy : « Eh… Eh eh… »
La déflagration se déclencha au contact du marteau enchanté. Ces deux forces auraient dû se compenser selon l’estimation de Mandresy, mais il avait été trop lent pour la former, et sa taille n’avait pas suffit à endiguer la puissance de frappe de Frem. En plus de subir le revers de sa magie, La masse continua furieusement son chemin, et s’enfonça dans la paume tendue de Mandresy. La violence du choc traversa en une onde tout son corps maudit, et l’on entendit ses milliers d’os craquer à l’unisson. Son bras maudit finit même par se plier dans une position inimaginable. Ses deux pieds s’enfoncèrent d’une vingtaine de centimètres dans le sol, fissurant la dalle sur laquelle il se tenait.
Frem : « Ooh ! Ça fait un bien fou ! »
Frem reposa les pieds au sol, et souleva son marteau pour voir le corps de Mandresy toujours debout, bien que celui-ci soit plus difforme que jamais.
Frem : « Un petit dernier pour la route ! »
Dans un sourire triomphal, Frem tirait son marteau sur le côté, prêt à envoyer la tête de son adversaire droit au plafond. Il ne se souciait pas de voir le sourire diabolique du possédé.
Mandresy : « Tu n’es ni mage, ni combattant. Tu n’es qu’un crétin qui se pavane avec son arme légendaire, mais sans elle tu n’es rien ! »
Le bras que Mandresy cachait dans son dos avait pu générer un orbe magique au moment de l’impact.
Mandresy : « Disparais ! »
Il usa de ses forces restantes pour relâcher le projectile. Frem eut à peine le temps de se cacher derrière sa masse.
Une nouvelle explosion fit trembler ce temple abandonné.
Nÿzel se cacha les yeux pour ne pas être ébloui. Il se tourna ensuite vers le grand fracas à quelques mètres de lui.
Frem et son arme gisaient au sol.
Nÿzel : « … ! »
Le bandit avait tout misé sur cet assaut. Et il ne pouvait même pas blâmer Frem pour ne pas avoir fini ce qu’il avait commencé. Personne n’aurait pu prédire la si prodigieuse vitalité dont faisait preuve Mandresy.
Ce monstre était en charpie. Sa chair était déchirée de part et d’autre. Mais comme s’il était indemne, il sortit ses pieds de ces trous creusés à travers pierre et terre. Nonchalamment, ce corps meurtri se dressait face à eux.
Baldus : « … »
Le chef du groupe restait paralysé face à cette vision de l’enfer.
Il entendait distinctement ces choses qui grouillaient dans le corps de Mandresy. Les plaies que lui avait ouvertes Nÿzel se refermaient. Les dégâts des explosions successives n’étaient déjà plus visibles. Baldus imaginait sans mal que de nouveaux os s’étaient formés sous sa peau intacte.
Même s’il ressemblait de moins en moins à un humain, le trio comprit rapidement que tous leurs efforts jusqu’ici avaient été vains.
Frem se hissait difficilement sur son coude pour voir son adversaire dont la dentition le narguait. Pourtant, il ne souriait pas.
Mandresy : « Il est… Il est de plus en plus… Non… Je suis… Je suis plus fort que jamais ! »
La terreur s’instilla dans le regard des trois bandits. La créature face à eux ne faisait que se renforcer.
-4-
Je dérapais sur le sol. Le coup de poing de Lothaire avait pourtant manqué de portée, mais l’étrange énergie de ses attaques pouvait m’atteindre quelques centimètres au-delà de ses phalanges.
Lothaire : « On dirait que le combat s’équilibre. Bientôt, nous serons deux contre deux. »
La seule réponse qu’il eut fut celle du métal heurtant la pierre, tandis que je m’appuyais sur le hachoir pour repartir à la charge.
Léonce : « Aaah ! »
D’un revers de main, il dévia encore mon arme.
Lothaire : « Et toi ? Jusqu’à quand tiendras-tu ? »
Me voyant revenir de front, il envoya son pied en avant.
J’avais bondi et me retrouvai les deux bottes sur sa jambe levée. Mon poids le fit basculer en avant, tandis que je brandis mon arme.
Il roula sur un côté pour esquiver, et dès la fin de sa roulade, une estocade l’attendait.
Il bascula en arrière pour éviter le coup, se retrouvant le torse parallèle au sol.
Il s’appuya sur sa seule main valide, et tenta de me repousser en élançant sa jambe.
Après m’avoir raté, il se remit en garde, plus concentré que jamais.
Lothaire : J’ai l’impression qu’il bouge de mieux en mieux…
Avec un intérêt non dissimulé, il me toisait, tandis que je revenais à l’assaut.
Lothaire : J’ai cru pendant un moment qu’il fatiguait. Mais depuis quelques minutes, il se mure dans le silence, et ne fait qu’attaquer et attaquer.
Je me décalais précipitamment du côté de son bras brisé, et attaquai encore.
Son poing renvoya la lame de métal, puis il frappa du pied au sol, provoquant une onde de choc qui me déséquilibra. Il s’élança vers moi, projetant son poing massif.
Cette fois-ci, ce fut le hachoir qui dévia son attaque.
Lothaire : Il est bien meilleur qu’au début de notre combat… Et son regard, c’est comme s’il était ailleurs. Ce regard… Il me parle…
Léonce : « … »
Je restais sur l’offensive, inlassablement. Si sa stratégie était bel et bien de me faire perdre du temps en restant passif, ça ne changeait plus rien. Même s’il avait voulu se montrer agressif, c’était désormais moi qui donnais le rythme de ce combat, sans pour autant avoir le dessus.
Lothaire : Ses progrès depuis ces quelques dernières minutes sont surprenants, mais il n’y a pas que ça qui m’étonne.
En se protégeant de mon prochain coup, sa peau impénétrable avait fait vibrer la lame du hachoir, et cette sensation se propageait dans mes bras endoloris, jusqu’au reste de mon corps. Toutes ces sensations, je m’y habituais. Je m’y adaptais.
Léonce : « … ! »
Il para avec son épaule la prochaine attaque que je lui réservais.
Lothaire : « … »
Ses joues étaient couvertes de larmes. Après s’être reculé, il avait senti le sang couler le long de son bras, même si l’entaille était légère.
Lothaire : Je me sens… Plus faible que jamais…
Frem : « Uuuah !! »
Mandresy : « Pathétique ! Minable ! Risible ! »
À l’aide de ses trois bras, Mandresy venait d’intercepter le marteau de guerre magique de Frem. Il le souleva en l’air avant d’envoyer le guerrier au bout du manche face contre terre avec son arme.
Mandresy : « Tu n’es qu’un raté de plus que je tuerai sans même avoir retenu le nom. »
Il généra ensuite un orbe de mana dans sa troisième main. Frem était sonné par le coup, et peinait à reprendre son souffle.
Un son aigu et une lueur violette passa devant ses yeux.
D’un coup de dague, Baldus trancha le bras en trop de Mandresy.
Baldus : « Si t’en peux plus, reste en retrait, Frem ! »
Malgré son style de combat assez terne, Baldus n’avait pas besoin d’impulsion ni d’arme magique pour sectionner les membres de son adversaire.
Frem : « Si j’en peux plus ?! Bien sûr que j’en peux plus ! J’en peux plus de voir ce mec dégueulasse debout ! Je m’éloignerai que quand je l’aurais fracassé, tu m’entends ?! »
Mandresy s’était écarté en voyant le bandit se hisser sur son marteau.
Baldus : « Je sais bien ! Je commence à te connaître, gros timbré ! C’était juste pour t’entendre gueuler ! »
Frem : « Quoi ?! Tu t’sers de moi ?! J’te défoncerai juste après, Baldus ! »
Baldus : « C’est bon, maintenant que t’es regonflé à bloc, ferme-la, tu me déconcentres ! »
Frem : « Mais quel enfoiré !! »
Le jeune homme se projeta, porté par le poids de son arme, droit vers son adversaire. Il dérapa au sol, et se servit de l’élan accumulé pour frapper Mandresy à pleine puissance. Celui-ci envoya son poing une fois de plus pour montrer sa supériorité à Frem.
L’onde de choc parcourut les deux combattants, mais cette fois-ci, le bras de Mandresy s’arracha, épaule comprise.
Mandresy : « Heu ? »
Frem : « Connard de mes deux !! »
Hors de lui, Frem, continua sur sa lancée, et sa masse heurta de toute sa surface le corps de Mandresy qui traversa une colonne de pierre comme un boulet de canon. Le pilier s’effondra dans un grand fracas.
Baldus : « Eh ben voilà ! »
Nÿzel souriait, profitant tranquillement de cette scène qui lui faisait un bien fou.
Mandresy atterrit en boule dans une position qu’aucun contorsionniste n’aurait su reproduire.
Mandresy : « Qu’un faiblard comme toi qui n’a rien éveillé me mette dans un tel état… ! »
Frem : « Mais ta gueule !! Pourquoi t’arrêtes pas de nous saouler avec tes remarques ?! »
Loin d’être satisfait, Frem se ruait sur Mandresy avant que celui-ci ne puisse bouger. Ses insultes se faisaient de plus en plus violentes.
Mandresy : « Tu n’en restes pas moins qu’une petite frappe. »
Un bras poussa précipitamment dans le dos de notre ennemi, lui permettant de générer un de ses projectiles magiques.
Frem : « Pas encore ! »
Avec un tel élan, il n’avait aucune chance de se décaler à temps, et fut une fois de plus contraint d’utiliser son arme comme d’un bouclier.
Frem ricocha sur le sol plusieurs fois, avant de s’immobiliser dans un râle inaudible.
Baldus : « Tu vois quand tu veux, Frem ! »
Baldus félicita son allié au sol, avant de lancer un sourire à Mandresy qui se relevait, et reformait son corps.
Quand le chef de notre groupe s’élança, une traînée de lumière violette suivait la lame de son arme. Son adversaire se mit sur la défensive.
Baldus : « Qu’est-ce qui t’inquiètes ? Crois-moi, au point où t’en es, mourir te fera le plus grand bien ! »
La vitesse de mouvement du bandit à la calvitie naissante surprit Mandresy. Alors qu’il s’apprêtait à se faire transpercer le cœur, le guerrier au corps maudit fit naître une dentition infâme au niveau de sa poitrine.
L’estocade se heurta à ces canines qui n’avaient rien d’humain. Chacune d’entre elles semblait appartenir à une espèce différente.
Baldus pâlit et se retira d’un bond.
Baldus : « C’est vraiment crade ! »
Un sourire tordu protégeait désormais le cœur de Mandresy.
Mandresy : « La seule chose qui m’ait jamais répugné, c’est la faiblesse. Mon apparence importe peu. Je n’ai jamais eu de chance de ce côté-là, de toute façon. »
Baldus : « Tu pourrais au moins te soucier de ton odeur, pourriture ! »
Tandis que Mandresy régénérait son bras d’origine, Baldus jeta un œil en direction de Frem.
Baldus : « Bon, sinon, c’est tout ce que t’avais dans le bide, Frem ? »
Frem : « Attends, boucle-la. »
Le bandit au sang chaud était étrangement calme. Il s’était relevé malgré la brûlure magique, et fixait intensément la pierre taillée au bout du manche de son marteau.
Baldus : « Mais qu’est-ce tu fous ? »
Frem : « …Elle me parle. »
Le regard de Baldus s’éclaircit. Quelque chose était en train de se passer.
Baldus : « …Oh ? »
Frem : « Parfois, avant un combat, ou après, ou même le soir avant de dormir. Enfin, j’ai l’impression que… Dans les moments difficiles, ma masse me parle. Elle a commencé à me parler y a plus d’un an déjà. C’est comme si elle savait ce que j’avais besoin d’entendre. »
Voir Frem parler ainsi décrocha la mâchoire de Baldus, et celle de Nÿzel aussi. Bien sûr, le contenu de son discours était tout aussi surprenant.
Baldus : « Et heu… Elle te dit quoi là… ? »
Un courant d’air traversa la pièce, et caressa les cheveux du bandit à l’arme magique. Son air mélancolique envoûtait ceux qui attendaient sa réponse. Il répondit d’un ton solennel.
Frem : « …J’en sais foutrement rien. »
Il fronça les sourcils davantage.
Frem : « C’est une langue que je connais pas. Je comprends pas un foutu mot ! »
Les visages de ses alliés se décomposèrent.
Baldus : « On dit que les armes légendaires choisissent leur propriétaire, celle-là doit pas être plus maligne que toi… »
Frem : « Mais qu’est-ce t’as, toi ?! Ta dague c’est un génie, peut-être ?! Bon, elle est au moins assez intelligente pour pas te causer ! »
Mandresy les observait, sans bouger un muscle, puis se mit à rigoler entre ses dents.
Baldus : « Bon, on s’en tape ! Vous avez au moins une langue en commun, une langue qui unit tous les peuples ! Alors utilisez-la ! »
Frem : « S-sérieux ?! Quelle langue ?! »
Baldus sourit, fier de lui.
Baldus : « La violence bien sûr ! »
Nÿzel : « Bon, cessez vos âneries, vous deux ! Il faut sauver ton ami écuyer et Lucéard au plus tôt ! »
Frem : « C’est vrai, ça ! »
Comme s’il avait oublié, ce rappel le poussa à se projeter vers Mandresy aussitôt, accompagné par les foulées rapides de Baldus.
Baldus : « T’as entendu l’affreux ? On a consacré assez de temps à cette petite soirée d’adieu ! On va écourter ! »
Frem : « Et pourquoi pas un petit enterrement vite fait, tant qu’on y est ?! J’ai ma petite technique pour inhumer les gens sans creuser, et en une seule seconde ! »
Mandresy : « C’est de mauvais goût d’inviter des bouffons à des funérailles, même si c’est les vôtres ! »
Notre ennemi se prit au jeu, et accourut à son tour.
Baldus : « Oooh ! »
Frem : « Yaaah ! »
Mandresy : « Huhiii ! »
-5-
Après un nouvel impact, Lothaire et moi fûmes repoussés dans des directions opposées.
Il s’étonnait à haleter lui aussi.
Lothaire : Je ne parviens pratiquement plus à le toucher…
Même le souffle court, et le corps endolori, je n’hésitai pas à revenir à la charge aussitôt. Je ne lui laissais aucun répit, et s’il parait toujours mes coups, ses contre-attaques faisaient désormais chou blanc.
Lothaire : Pourquoi l’écart entre nous diminue aussi vite… ? Qu’est-ce qu’il a fait pour s’élever ainsi en si peu de temps… ? Comment expliquer que mes propres performances sont de plus en plus mauvaises… ?
Mes attaques étaient de plus en plus fortes, de plus en plus rapides. Il était contraint de reculer pas après pas.
Lothaire : Il est si concentré… Il se focalise sur notre combat comme s’il n’y avait plus rien autour, et c’est ainsi depuis qu’il a ce regard…
Léonce : « Ggh ! »
Il mit son épaule en avant, et mon estocade fut repoussée une fois de plus.
Lothaire : Mais ça ne justifie pas tout… Il ne peut pas y avoir que ça. Il a un instinct hors du commun, comme un oiseau qui s’envole en tombant du nid pour la première fois.
Une image lui revint en tête.
Lothaire : Je ne le voyais pas comme une menace, mais je n’ai plus aucune raison de prendre des gants avec lui. Il faut que je mette un terme à ce combat avant que la situation ne dégénère du côté de Mandresy.
Lothaire se décida enfin à reprendre le dessus.
Il enchaînait les coups de son seul bras disponible, et bondissait pour exploiter toute la portée de ses jambes. Après avoir évité tous ses coups, je contre-attaquai, sans me laisser surprendre, mais le colosse esquiva d’un mouvement pratiquement surnaturel.
Comme s’il avait laissé une image rémanente derrière lui, il se retrouva dans l’instant d’après à côté de moi.
Lothaire : …J’ai l’impression que quoi que je fasse, je ne parviens pas à me donner à fond…
Son poing s’illumina lorsqu’il m’envoya un uppercut.
J’évitais de justesse ce puissant mouvement, mais le souffle du coup m’avait décoiffé. Sans perdre un instant, je répondis avec le hachoir.
Malgré son esquive, j’étais parvenu à entailler son flanc. Ce type ne pouvait pourtant pas avoir une peau aussi dure. Il y avait autre chose. Rien de censé n’expliquait la vitesse de ses mouvements, la robustesse de son corps, et la force de ses attaques.
Lothaire : Je n’en reviens pas. Je lui ai montré une nouvelle technique, mais il n’a pas eu l’air étonné un seul instant. Serait-il dans une sorte d’état de transe ? C’est impossible… Je ne ressens rien. Il n’a encore rien éveillé.
Léonce : « Aah ! »
La lame était encore passée tout près de son visage. Je persévérais, j’accélérais. La sueur sur mon front n’avait pas le temps de couler sur mon visage qu’un mouvement brusque la faisait virevolter.
Lothaire : Et moi, alors… Pourquoi suis-je devenu aussi faible ? C’est comme si ma force était scellée. Ce ne peut pas être que mon imagination… J’en suis sûr. J’étais bien plus fort que ça.
Léonce : « Yaaah ! »
Après un énième échec, j’envoyais ma semelle droit dans son torse.
Le coup n’avait pas beaucoup d’impact sur lui, mais j’étais parvenu à le déséquilibrer. J’en profitais pour asséner une autre estocade.
Précipitamment, Lothaire souleva sa jambe, et frappa du pied sur le sol, qui s’ouvrit en une fissure de quelques mètres, me coupant dans mon attaque.
Lothaire : « Ooooh ! »
Il étendit son poing et me projeta contre une colonne. Malgré ce vol plané et cet atterrissage brutal, je retombai sur mes deux jambes, et me ruai sur lui.
Lothaire : Toute cette énergie, toute cette force, toute cette volonté… C’est comme s’il les renouvelait en permanence. Comme s’il les puisait en lui. Mais comment… ?
Le gouffre qui nous séparait ne cessait de se réduire. Mes mains commençaient à saigner, à force de brandir sans relâche mon hachoir.
Mon adversaire tentait de voir ce qui se cachait derrière mon regard brûlant de détermination, et put apercevoir la quiétude du printemps, et la douceur de l’été.
Au plus profond de mon esprit, une infinité de scènes se jouaient. Le lieu était pourtant souvent le même : un jardin toujours couvert de ses plus beaux atours où se mélangeaient les saisons. L’air était si bon, les rayons du soleil caressaient ma peau. Je me tenais debout, face à la demoiselle assise sur le banc.
Léonce : « Après avoir encaissé autant de coups, je commençais à mieux lire son style de combat. Je saurais pas trop t’expliquer… Malgré sa force de titan, il avait une certaine rigidité, comme si certains de ses mouvements devaient être réalisés d’une certaine façon pour qu’ils soient vraiment puissants. »
Depuis que je maniais l’épée pour une juste cause, je me perdais à ces mêmes rêveries. Non, bien avant ça. Même dix ans auparavant, j’avais toujours eu ça en moi. Mais depuis plus récemment, je me retrouvais plongé dans ce monde illusoire pendant mes combats, que ce soit à Haven Gleymt, ou pendant le tournoi de Port-Vespère, je n’étais soudain plus concentré sur le combat. Mon corps agissait presque automatiquement, tandis que mon cœur se retrouvait dans ce jardin de mon enfance. Je m’imaginais y raconter mes exploits avant même que ceux-ci n’aient eu lieu.
J’évitais le coup de Lothaire avec plus d’aisance que jamais, et une nouvelle plaie s’ouvrit sur son corps.
Son adversaire était pourtant au milieu des arbres et des fleurs, dont il humait le parfum.
Léonce : « J’ai finalement réussi à le déborder, et après un long combat, je l’ai mis au tapis. Je l’ai épargné, bien sûr, t’en fais pas ! »
Pouvais-je vraiment affirmer n’être pas concentré sur le combat ? Je percevais chacune des actions de mon adversaire, chacune des miennes, comme si je pouvais les observer de l’extérieur pour pouvoir les expliquer au mieux. Peut-être étais-je plus prévisible, je n’en savais rien. Mais je me laissais guider par cette énergie unique qui m’animait.
Une fois lancé, seul la fin du combat pouvait vraiment me ramener à la réalité. Et si l’on m’adressait la parole, si quelque chose d’extérieur au combat, ou quoi que ce soit de surprenant me sortait de ces rêveries, il ne me fallait qu’un instant pour y revenir.
Miléna : « Eh bien, tu ne te ménages pas. Savoir que tu t’es retrouvé dans une situation aussi dangereuse m’inquiète toujours, mais je suis ravie de savoir que tu te débrouilles aussi bien. »
Ce sourire que j’avais gravé dans ma mémoire, je pouvais le visualiser sans effort. Je pouvais voir ses lèvres se mouvoir à l’ombre des feuillages, et la fierté luire dans ses yeux pétillants.
Je ne pense pas que je me complaisais dans ces illusions. Au fond, qu’on me lance des fleurs ou qu’on me brosse dans le sens du poil pour mes actions ne m’intéressait pas. Si tout ne s’était résumé qu’à ça, je crois que je n’aurais survécu à aucun de mes combats.
Mais la douceur de ses réactions, l’engouement dans sa voix, la joie dans son regard… Même si ça n’était que le simple bonheur de sa présence, quand je m’imaginais lui raconter les combats que je menais, les aventures que je vivais, tous les exploits que j’accomplissais, quelque chose brûlait dans mon cœur. Tout ça faisait éclore ces sentiments en moi. Je ne pouvais pas tous les identifier, tant ils se mêlaient les uns aux autres, partageant leurs plus radieuses couleurs. Mais je pouvais en reconnaître certains. Les plus forts et les plus doux d’entre tous.
Quand je me perdais dans ces visions fantasmées alors que ma vie était en jeu, la flamme se renouvelait sans cesse, comme si j’étais toujours tourné vers le soleil des étés de mon enfance.
Les coups de hachoir étaient plus rapides, plus violents. Mon adversaire était captif de ce duel. Quand il plia le genou, il était désormais certain que le cours de ce duel avait basculé.
Quand tout ça sera fini, je pourrais la revoir, et j’aurais tant de choses à lui raconter.
Lothaire bondit les deux pieds en avant, mais mon esquive était parfaite, comme si l’échec de son attaque était inéluctable.
J’aurais tant à lui dire que je pourrais rester avec elle jusqu’à la tombée de la nuit.
Je pouvais imaginer nos deux silhouettes au coucher du soleil.
Les larmes et la sueur coulaient jusque sur l’épais menton de Lothaire.
Si je veux pouvoir la regarder en face de nouveau…
Le colosse fut déséquilibré par ces assauts incessants, tout autour de lui. Il était devenu l’incarnation de tous mes remords.
L’histoire que je lui raconterais devra avoir la meilleure fin possible !
Léonce : « AAAAAAAHH !! »
Et je m’assurerai personnellement que ce soit le cas. Je ne laisserais personne mourir.
Ma lame fendit l’air, comme portée par une force qui me dépassait.
Lothaire fut éjecté en arrière.
Tout le poids de ce colosse de muscle bascula, jusqu’à ce que son dos ne heurte le sol.
Lothaire pouvait percevoir plus que je ne le pouvais, et restait couché, ébahi par ce qu’il avait aperçu un court instant.
Je reprenais mon souffle. Le voir à terre m’avait soulagé, mais le savoir immobile pendant de longues secondes m’inquiéta.
Léonce : « T-tu vas bien… ? »
Quelque peu embarrassé, je regardais l’homme se redresser lentement. Ce débardeur qu’il portait était lacéré en diagonal, et dégoulinait de sang.
Il avait été si patient avec nous, je n’avais aucune intention de l’attaquer maintenant et me contentai de rester en garde.
Lothaire : « Je peux encore me battre si c’est ta question. …Mais soyons franc… »
Je n’avais jamais vu quelqu’un pleurer avec un tel débit.
Lothaire : « …Je n’en ai plus l’envie. »
Les bras le long de son corps, il se tenait debout de nouveau, le regard vers le sol. Mon cœur se serra en voyant l’authentique tristesse dans ses yeux.
Lothaire : « Être le plus fort ne m’a jamais intéressé, mais j’ai l’impression qu’il me manque quelque chose que j’avais autrefois… Quelque chose que tu as… »
Perplexe, je lui montrais mon hachoir.
Lothaire, « Non, pas ça… »
Je réfléchis davantage.
Léonce : « Je te trouve pas mal fort. Soyons francs, si on s’était battu que tous les deux dès le début, j’aurais perdu depuis longtemps. »
Lothaire : « Je n’en suis même plus sûr. »
Il essuya son visage d’un revers du bras.
Léonce : « Bon, ben j’sais pas. Tu nous laisses passer ? Je veux dire, on va aider Lucéard et sauver l’autre gars, mais ce serait sympa que vous nous laissiez repartir par ici après. »
Lothaire : « Les ordres sont les ordres. Je dois vous retenir ici tant que je le peux. »
Je lui lançai un regard mauvais, prêt à reprendre le combat.
Lothaire : « Mais tu n’es plus loin de l’implétion. Une fois atteinte, je ne sais pas si je pourrais encore faire le poids dans mon état actuel… »
Je haussai un sourcil.
Léonce : « Implétion ? De quoi tu parles ? »
Il me dévisagea sans réponse, et se mit finalement en garde.
Lothaire : « Tout bien réfléchi, je vais te battre. »
Léonce : « Eh, mais ça se fait pas ! »
Il chargea sur moi sans crier gare, et je peinai à esquiver à temps.
Lothaire : « Même après cet interlude, cette lueur dans tes yeux ne se meure pas. Ce que tu as nourri pendant tout ce combat, tu dois continuer de l’alimenter. »
Léonce : « Qu’est-ce tu racontes ? Rah, j’aurais dû m’en douter, je peux pas me fier aux sbires de Musmak, vous êtes tous bizarres ! »
Je lui assénai un coup, mais son épaule fit ricocher l’attaque.
Lothaire : « Tu as vu ? »
Je m’interrompis, entre deux fantaisies de mon esprit.
Léonce : « Vu quoi ? T’essaye de me déconcentrer ? »
Lothaire : « Ce que j’ai fait à l’instant. »
Je fronçais les sourcils.
Il est carrément aussi louche que les autres. Dire que je l’ai trouvé sympa pendant un moment.
Léonce : « Tu parles de ton coup de l’épaule invincible ? Je l’ai même trop vu. »
Lothaire : « Mais qu’as-tu remarqué ? »
Tout en continuant le duel, il m’interrogeait.
Il essaye de me faire perdre encore plus de temps ?
Je ne lisais aucune intention de ce genre dans son regard larmoyant.
Léonce : « …Ça me fait le même effet que ta charge, ton uppercut, ton coup de pieds circulaire, et d’autres. »
Lothaire : « En effet, ce sont des techniques spéciales. »
Léonce : « Ouais, j’ai bien compris que c’était tes techniques préférées, merci. »
Lothaire : « Je ne crois pas que tu comprennes. Les techniques de combat ne sont pas toutes spéciales. Il faut un don particulier pour pouvoir les utiliser. Tu vois ton ami à la dague là-bas ? »
Je me tournai vers Baldus, gardant un œil méfiant sur Lothaire.
Léonce : « Le gars à la calvitie, oui. »
Lothaire : « Regarde sa dague. »
Frem et Baldus se battaient contre Mandresy. Malgré la pénombre, je me rendais compte que notre ennemi avait l’air changé. Il bougeait de plus en plus bizarrement, et ce que j’identifiais sur son corps me donnait la chair de poule.
Mais l’arme de Baldus attirait aussi mon attention.
Léonce : « Parfois, quand il donne un coup, je vois comme une lumière violette qui suit sa lame. C’est, comment dire…? Pas normal ? »
Lothaire : « C’est de la magie. »
Léonce : « Je m’en doute bien. Même si j’avoue que je m’attendais pas à ce qu’un type bourru comme lui soit mage. Ça lui va pas du tout. »
Lothaire : « Il ne l’est pas. »
Léonce : « Bon, abrège, où tu veux en venir ? »
Même si je perdais patience, je le respectais assez en tant que combattant pour être intéressé par ce qu’il avait à m’expliquer.
Lothaire : « Même les amagistes peuvent utiliser de la magie. Pas seulement des armes magiques, ni quoi que ce soit d’enchanté. Le mana est l’énergie de la vie, présent en chacun de nous comme dans chaque chose. Il est tout autour de nous. Certains peuvent exploiter la magie qu’ils ont en eux pour la plier à leur volonté : ce sont les mages. Mais il existe aussi des guerriers capables de recourir à la magie sans la contrôler. »
Baldus s’élança dans un bond, et trancha une côte de son adversaire, avant d’atterrir derrière lui, le sourire carnassier.
Lothaire : « Le mana décide de lui-même de leur conférer ses vertus. Quand la magie environnante afflue en toi pour la première fois, on dit que tu atteins l’implétion, ou comme certains l’appellent : l’éveil du combattant. »
Je hochais la tête avec satisfaction.
Léonce : « Et je suis pas loin de ça, moi ? »
Lothaire : « Quand tu m’as envoyé au tapis, je l’ai perçu… Le mana s’est agité autour de toi. Mais il n’y a qu’une seule façon de l’éveiller : tu dois réussir une technique spéciale. »
Je frappais mon poing dans ma paume, insistant sur l’ironie de ma conclusion.
Léonce : « Donc, pour pouvoir utiliser des techniques spéciales, il faut que je m’éveille en tant que combattant, mais pour ça, il faut que j’utilise une technique spéciale. Tu me prends pour une poire ? »
Lothaire : « Un guerrier digne de ce nom peut, avec énormément de détermination, réaliser une attaque qui transcende les lois du monde physique. Le moment où tes prouesses iront au-delà de ce que ton corps peut produire, tu t’éveilleras. »
Je me retrouvais à rêvasser de nouveau, le regard dans le vide.
Lothaire : « Et à partir de là, quand tu auras su plier l’univers à ta volonté pour la première fois, rien ne sera plus jamais pareil. Tes capacités physiques ne feront que s’améliorer, et tes efforts te permettront de développer tes propres techniques. »
Il se tourna face à moi, m’indiquant de la main les entailles sur son torse.
Lothaire : « Même sans technique spéciale, mon corps est capable de résister à bien plus que le commun des mortels. C’est quelque chose qui se développera en toi quand tu auras atteint l’implétion. »
Je hochai la tête, plus qu’intéressé.
Léonce : « Je trouve ça un peu louche qu’un type d’une organisation de trucs obscurs ou je-ne-sais-quoi dise la vérité, mais tu m’as convaincu. »
Lothaire : « Je… »
Après avoir révélé un aspect de sa personnalité plus avenant, le colosse ne semblait plus à l’aise à l’idée de parler.
Léonce : « T’es sûr d’être à ta place, ici ? »
L’interrogeai-je en rangeant mon arme dans mon dos. Ma question l’avait troublé.
Lothaire : « Tu ne comptes plus te battre ? »
Léonce : « Pas avec toi, non. Plus envie. »
Mon regard se tournait vers la dernière bataille de ce temple.
Léonce : « Par contre, contre lui… »
Lothaire : « Hm, avant ça, pourrais-tu toi aussi m’éclairer sur quelque chose ? »
Drôle d’oiseau ce Lothaire, décidément…
Léonce : « Vas-y. Je te dois bien ça. »
Lothaire : « Tes progrès fulgurants pendant ce combat m’intriguent. J’ai l’impression que tu n’as utilisé aucun artifice, et pourtant, tu es devenu bien plus fort en quelques minutes, alors que tu semblais plongé dans tes pensées… »
J’étais soudain rouge d’embarras. Son regard humide me rendait d’autant plus nerveux.
Léonce : « Ah ! Euh… Oui. Euh. Je sais pas. Je faisais rien de spécial. »
Si quelqu’un apprend que je fais ça, je mourrais de honte sur le champ. Et si Miléna venait à le savoir, elle penserait que je suis vraiment un type pire que louche… Et maintenant que j’y pense, elle aurait carrément raison, ça craint !
Lothaire : « Ah… Je vois… Pourtant, la force que tu insufflais dans tes coups, c’était comme si… Comme quand je… »
Les larmes coulaient inlassablement le long de ses joues alors qu’il forçait sur sa mémoire. Une vive lumière l’interrompit dans ses réflexions. Il se tourna vers sa source, et écarquilla les yeux, tout comme moi.
Léonce : « C-c’est… C’est quoi ça ?! »
-6-
Quelques minutes plus tôt, Baldus et Frem luttaient encore, sans pour autant voir une quelconque évolution à ce combat. Leur intention de vaincre n’avait pourtant été ébranlée à aucun moment.
Frem : « Allez, laisse-toi crever, un peu ! »
Mandresy : « Quel gâchis ce serait… »
Notre ennemi esquiva la dague de Baldus, et atterrit quelques mètres plus loin, fissurant le sol autour de lui.
Mandresy : « Ça faisait si longtemps que je ne m’étais pas autant amusé ! »
Son sourire leur parut presque surjoué.
Mandresy : « …Qu’est-ce que je dis ? Je n’ai encore jamais autant pris plaisir à me battre ! Je me sens si puissant ! Je me sens invincible ! »
Baldus : « Et qu’est-ce qu’y a de si marrant à se battre quand on est invincible ? »
Le bandit à la dague venait de trancher une jambe de son adversaire.
Celui-ci en fit pousser deux autres, et accourut vers Frem.
Mandresy : « Tu ne le sauras jamais ! »
Frem : « Arrêtez de prendre votre pied, vous deux ! Vous me saoulez, bande de dérangés ! »
Frem frappa avec son marteau la plus grosse pierre tombée du plafond, qui explosa au contact de Mandresy, sans même le ralentir.
Mandresy : « J’ai espéré si longtemps cette force ! »
Il revoyait l’enfant assis contre un muret, serrant ses deux genoux rachitiques contre lui.
Avant de recevoir le plat de la masse en pleine face, Mandresy se laissa glisser au sol, et faucha les jambes de Frem, porté par son élan.
Il serra ensuite sa poigne, avant de se relever dans le dos de son adversaire.
Mandresy : « Même ma simple petite main est plus puissante que ton arme magique ! »
Frem : « Oh merde ! »
Le bandit roula sur un côté pour éviter l’attaque de justesse. Le poing noir s’enfonça dans le sol, et retourna la terre tout autour de Mandresy dans une onde de choc qui déséquilibra même Baldus.
Baldus : « C’est quoi cette puissance de cinglé ?! »
La poussière soulevée par cette dernière attaque destructrice permit à Mandresy de surprendre le bandit dégarni, qui ne vit son sourire s’extirper de la fumée qu’au dernier instant.
Mandresy : « En te battant aujourd’hui, je deviens celui que j’ai toujours rêvé d’être ! »
Il lut aussitôt dans les yeux de Baldus qu’il n’y avait toujours pas la terreur qu’il voulait lui inspirer. Face au mépris évident de son adversaire, Mandresy était tout proche de réaliser ce qu’il attendait vraiment de Baldus.
Baldus : « Tu vas devoir continuer de rêver ! »
Même s’il était celui qui venait d’être pris de cours, Baldus démontra une vitesse stupéfiante, et lacéra la jambe et le bras que Mandresy avait de trop.
Mandresy : « Toujours aussi têt- »
Baldus ouvrit une profonde entaille dans le cou de Mandresy.
Baldus : « Forcément. Ton point faible est bien plus dur à couper. Mais ça ne te sauvera pas. »
Quelque chose battait encore dans la poitrine de Mandresy. Malgré ce qu’il était devenu, il reconnaissait les sentiments qui le brûlaient toujours.
Mandresy : « …Je n’ai pas besoin d’être sauvé ! »
Une dizaine de bras sortirent de son corps, forçant Baldus à s’éloigner.
Des sphères magiques gonflaient entre chacune de ses mains.
Baldus : « Ohlala ! Mais quelle stratégie de peureux ! »
Même s’il feignait l’indifférence, Baldus était inquiet de voir autant de mana se concentrer autour de Mandresy.
Frem : « Ayaaa ! »
Frem surprit son adversaire en frappant avec sa masse de toute ses forces, mais un champ de force repoussa l’attaque.
Frem : « Hein ?! »
Toute l’énergie accumulée autour du sinistre personnage lui octroyait une bouclier fait de magie pure.
Mandresy : « Hahaha ! Vous ne pouvez même plus me toucher ! Vous ne pouvez plus rien faire contre moi !! »
L’énergie était si intense et instable qu’elle consumait ses bras noircis, rongeait ses doigts, puis ses poignets. Tant que ces orbes de destruction étaient en contact avec son corps, elles ne cessaient de gagner en puissance.
Frem : « Mais c’est pas possible ! »
Frem s’acharnait à frapper avec sa masse, en vain. Il ne savait rien faire d’autre.
Baldus s’essaya à trancher le bouclier avec sa dague, mais la réaction du champ de force magique le découragea aussitôt.
Baldus : « …T’as encore tant de mana en stock, Mandébile ? »
Frem : « C’est pas vrai… ! »
La luminosité autour de Mandresy devenait inquiétante. L’aura éblouissante qu’il dégageait éclairait tout ce temple, accompagnée d’un son strident qui n’allait qu’en s’intensifiant lui aussi.
Frem : « Ma masse peut peser une tonne entière ! Elle peut détruire tout ce que je veux ! Pourquoi je peux pas le toucher ?! Mes combats, je les gagne en un coup ! »
Il ne brillait pas par sa jugeote, mais Frem était redoutable par la simple présence de son arme. Depuis qu’il l’avait, il était inarrêtable. Il ne s’était jamais senti dans une impasse avant ce jour-là.
Mandresy : « De quoi tu t’étonnes ? Je t’avais prévenu. Tu n’es qu’un faire-valoir de Baldus. Tu n’auras jamais ce qu’il faut en toi pour m’atteindre. »
Celui qui avait proféré ces paroles était juste devant lui, mais Frem ne pouvait pas lui donner tort. Chacun de ses coups rebondissait avant même qu’il n’approche le visage au cruel sourire de Mandresy.
Un bras noir sortit du champ de force, agrippa le cou de Frem tout en continuant de s’étendre, et s’éleva assez haut pour que les jambes du jeune homme pendent dans le vide.
Ce nouveau membre particulièrement épais faisait bien deux mètres de long, et ses doigts filiformes serraient son cou. Frem suffoquait.
Frem : « Ugh ! »
Le jeune homme se débattait bien trop faiblement. Il donna quelques coups de masse contre le bras qui le retenait, mais il n’avait aucune force dans cette position.
Nÿzel tentait de se relever, mais ses genoux tremblaient encore, et il retomba au sol après quelques secondes.
Nÿzel : Baldus, fais quelque chose ! Frem va… ! Frem va… ! »
Baldus fit s’illuminer sa dague et tenta de trancher ce membre ignoble. Il ressentit toute la robustesse de celui-ci, qu’il n’avait pu qu’à peine entailler. Cette chose de chair noire était densément osseuse. Une myriade de petites pointes grises proliférait sur cette peau maudite.
Baldus resta immobile après son coup. L’espace d’un instant, il s’était pensé incapable d’en venir à bout. Son rire gras lui revint bien assez vite.
Baldus : « Bah alors, c’est tout ce que t’as ?! »
D’une autre attaque à pleine puissance, Baldus approfondit la lacération. Il lui en fallait encore quelques pour venir à bout de cette chose qui sortait de l’abdomen de Mandresy.
Frem, lui, restait impuissant. Tout ce qu’il pouvait faire était de survivre à l’étreinte de Mandresy tout en fixant du coin de l’œil Baldus qui se démenait pour le sortir de là.
Mais pendant ces quelques secondes décisives, personne n’opposait de résistance à Mandresy, qui avait eu le temps d’accumuler bien assez d’énergie.
Mandresy : « Même avec autant d’énergie, je survivrais à l’explosion ! Je peux aller beaucoup plus loin, Baldus ! Je veux que la dernière chose que tu vois soit le summum de mon pouvoir ! »
Baldus : « J’ai pas envie de voir ta sale gueule pendant mes derniers instants ! »
Après une nouvelle attaque, le bras de Mandresy faiblit, et sa poigne se desserra lentement.
Avant de porter son dernier coup, Baldus se retrouvait ébloui par l’énergie qui s’excitait juste à côté de lui. Si Mandresy l’avait décidé, tous seraient déjà morts.
Le bandit revoyait dans cette lumière magique des souvenirs déjà lointains. Une époque où sa chevelure était encore complète. Il entendait les mots qu’il avait gravés en lui ce jour-là.
Baldus : « Te bile pas pour ça. Je ferai personnellement en sorte qu’il leur arrive rien. T’as ma parole. »
La dague s’illumina. Repenser à cet engagement dans un tel moment était particulièrement difficile pour lui.
Baldus : « … »
D’une frappe impitoyable, il trancha cette immonde excroissance.
Baldus : « …Tout le monde !! Sortez d’ici, maintenant !! On abandonne la mission !! »
Nÿzel resta coi d’entendre une telle directive. La situation s’y prêtait, et le noble bandit n’ignorait pas que Baldus savait faire preuve d’une grande sagesse dans les moments difficiles. Faire des sacrifices pour minimiser les dégâts, c’était la spécialité du guerrier à la dague soporifique. Et pourtant, Nÿzel savait ce à quoi Baldus avait renoncé en prononçant ces mots.
Frem venait de heurter le sol, et peinait à se relever. La colère lui montait au teint en une furieuse grimace.
Frem : Pourquoi je suis toujours derrière… ?! Pourquoi, même avec une arme légendaire, je suis toujours à la traîne ?! Pourquoi ma force ne suffit pas à gagner ?!
Il lui avait fallu tellement de temps pour comprendre les subtilités de cette arme dont il contrôlait le poids ressenti et subi à sa volonté. Mais il s’améliorait lentement, et bien que la force dont il faisait preuve était terrible, elle n’augmentait qu’à peine, malgré tous ses efforts.
Baldus : « Propulse-toi avec ta masse droit vers la sortie ! »
S’écria Baldus avant de partir à toutes jambes.
Frem : Baldus a des réflexes incroyables. Il se déplace super rapidement, il est super résistant, et super fort…! Et le pire, c’est qu’il est capable de gérer une situation et une équipe même dans le feu de l’action… ! Même sans ses gadgets soporifiques, il est extrêmement balèze !
Lothaire et moi restions ébahis par cette puissance éblouissante.
Nÿzel se traînait en caleçon jusqu’en face de la sortie. Il était à une trentaine de mètres encore, et espérait avoir assez de force magique pour la rejoindre.
Frem : Et cet enfoiré de Nÿzel… Il a terrassé Laukai sans problème, alors que lui était seul pour se battre ! Et s’il avait commencé par Mandresy, il l’aurait peut-être eu sans notre aide… !
Frem reprenait son souffle, et relevait lentement son visage, déformé par une colère plus intense que jamais. Il pouvait encore apercevoir les deux sourires de Mandresy qui semblaient se moquer de lui.
Frem : Et moi… ?! Qu’est-ce que j’ai pour moi ?! Je suis pas mage ! Je suis pas combattant ! Je suis rien ! Rien du tout ! Mes muscles ne valent rien face à leurs techniques ! Je n’ai rien à apporter à ce combat !
Malgré la brillante lumière à laquelle il faisait dos, Frem faisait face à son ombre.
Masse : …
Frem : « T-t’as dit quelque chose ? »
Baldus : « Magne-toi, Frem ! On décampe, j’ai dit ! »
Baldus se tourna vers ses alliés qui ne le rattrapaient toujours pas, et s’étonna de voir Frem debout, le regard rivé sur son arme, ignorant l’imminente menace derrière lui.
Masse : … … …
Frem était bouche-bée par ce qu’il venait d’entendre.
Baldus : « Frem !! »
Frem : « Mais boucle-la, Baldus ! »
Baldus : « C’est pas le moment d’écouter ton caillou ! »
Frem : « Mais il a dit un truc super important ! »
Baldus était d’autant plus paniqué de constater l’insouciance de Frem.
Baldus : « Genre quoi ?! »
Frem : « J’en sais rien, j’ai rien capté ! Mais ça avait l’air grave important ! »
Le bandit dégarni désespérait.
Baldus : « Oh bordel, on a pas le temps pour tes conneries ! Tout va péter, t’as pas encore percuté, crétin des bois ?! »
Frem fixait encore sa masse. Elle s’était tue.
Frem : « … »
Il resserra brutalement sa poigne sur le manche.
Frem : « Je pars pas !! »
Nÿzel et Baldus restaient abasourdis par l’attitude de Frem. Ils auraient pourtant dû s’attendre à ce qu’il ne fasse des siennes.
Frem : « Je pensais avoir été clair ! Je partirai pas avant d’avoir défoncé cet enfoiré de Mandresy ! »
Mandresy se réjouissait d’entendre ce choix.
Mandresy : « Oh ouiiii ! Regarde, Baldus, les débiles que tu te coltines ont fini par causer ta perte ! »
Frem : « Mais pourquoi tu l’ouvres encore, toi ?! Je vais te broyer la face !! »
De l’autre côté du champ de force, Mandresy se sentait tout-puissant et lui riait au nez.
Baldus glissa une main dans sa ceinture.
Baldus : « …Toujours la même chose avec toi… »
Masse : … !
Frem : « Hein ? »
En entendant comme une mise en garde, Frem para précipitamment le dard empoisonné que Baldus venait de lui lancer.
Baldus : « Mais depuis quand t’as un tel instinct, toi ?! »
Frem : « Qu’est-ce tu fous, connard ! Tu crois que c’est le moment de m’endormir ?! Et c’est ma masse qui vient de me prévenir, t’as un problème ?! »
Baldus : « Mais tu la comprends, alors ! »
Frem : « Mais nan ! Quand quelqu’un te dit de faire attention, même sans connaître la langue, tu comprends, non ?! »
Baldus : « Rah, on s’en fout ! C’est pas le moment, là ! Magne-toi ! »
Baldus ne parvenait pas à quitter des yeux ces énormes boules de magie brutes qui avaient rongé les bras du mage jusqu’à ses coudes.
Frem : « Je me barre pas !! »
Baldus effleura sa réserve de dards d’urgence, une nouvelle fois.
Frem : « J’ai aussi compris quelque chose d’autre grâce à son intonation. »
Face au regard brûlant de Frem, son allié s’interrompit dans son mouvement.
Frem : « Elle est avec moi. Elle est d’accord avec moi ! Elle est prête à se battre jusqu’au bout, quoi qu’il arrive ! Et je peux quasiment deviner ce qu’elle vient de me dire ! »
Il se recula de son adversaire de quelques pas.
Frem : « C’est pas mon genre de m’apitoyer sur mon sort et d’être en colère contre moi ! Mon truc à moi, c’est d’être en colère contre les autres, et de les tabasser ! Sur ce terrain là, je suis le plus fort de tous ! »
Baldus finit par dégainer sa dague, comme si ne plus l’avoir entre ses mains le démangeait subitement.
Baldus : « Fais pas le mec ! T’es qu’un putain de suicidaire, Frem ! »
Le chef du groupe montrait un sourire belliqueux.
Baldus : « Mais t’as raison sur un point ! Fuir sert déjà plus à rien ! »
Baldus prit une pose de combat, s’élança, et réalisa son estocade la plus puissante sur le champ de force magique.
Après avoir légèrement enfoncé son arme dans ce bouclier d’énergie, la dague fut projetée en arrière, et le bandit se retrouva désarmé, le bras brûlé.
Baldus : « …Même ça… ! »
Nÿzel : « Mais vous foutez quoi, les gars ?! »
Malgré sa panique, Nÿzel n’avait pas osé partir sans eux. Baldus était désemparé. Il ne pouvait plus rien faire pour sauver qui que ce soit.
Frem : « T’en fais pas, Baldus. »
Baldus : « Hein ? »
Il vit la détermination inébranlable dans les yeux de son ami.
Frem : « C’est moi qui lui ferai la peau ! »
Mandresy était hilare.
Mandresy : « Si même Baldus a échoué, qu’espères-tu ?! Tu es faible, infiniment faible ! Tu le seras jusqu’à ton dernier souffle ! »
Frem contenait une rage bouillonnante en lui. Sa haine était prête à entrer en éruption. Il étira ses bras sur un côté. Son marteau raclait le sol.
Mandresy : « Je peux aller plus loin que vous tous ! Même si mon corps finit en lambeaux après cette explosion, je serai toujours là ! Quant à toi, il ne restera plus que de la poussière de ta médiocre existence ! Tu tomberas dans l’oubli comme tous les faiblards qui ont eu le malheur de se retrouver une arme à la main !! »
Frem : « Tu vas fermer ta gueule, bordel ?! C’est pas un type qui complexe sur son corps de lâche qui aura le dernier mot, t’entends ?! Je vais te pulvériser !! Ici ! Et maintenant !! »
Cette grande gueule s’éjecta dans les airs, accroché à sa masse qui s’enfonça brutalement dans le plafond, emportée par la fureur de son manieur.
Frem : « Je suis pas comme toi ! Je me compare à personne ! Et c’est pour ça que je suis le meilleur dans ce que je fais !! »
De Frem émanait une concentration parfaite. Il avait poussé son ego si loin qu’il était prêt à le concéder pour un instant.
Frem : « Mais exceptionnellement, je vais prendre exemple sur Nÿzel pour te botter le cul de manière magistrale ! »
Frem retomba droit sur son adversaire, puis brandit sa masse dans le vide en une attaque circulaire. Dès l’instant où l’arme était élancée, il força le poids du marteau à son paroxysme.
Le bandit se mit à tourner sur lui-même plus vite que ce qu’un homme pouvait endurer.
Nÿzel : « Prendre exemple sur moi ?! »
Nÿzel plissa les yeux pour apercevoir son allié s’extraire de la pénombre.
Nÿzel : « Mais oui ! »
Frem : « OOOOOOoooooOOOOOoooooOOOOOOOAAAAAHHH !!! »
Le jeune homme était devenu une toupie de destruction massive. Plus rien ne pouvait l’arrêter.
Mandresy : « La force centrifuge ? Comme si ça suffisait !! »
L’homme rongé par ses attaques accumulées riait à s’en décrocher la mâchoire.
Mandresy : « Très bon timing ! Avant de raser cet endroit et toute ta bande de ratés, je vais te laisser réaliser que même en utilisant tout ce que tu as, tu n’es même plus capable de m’effleurer !! »
Baldus souriait en prenant ses distances.
Baldus : « Tu n’as jamais été très bon pour les décisions, Mandresy… Celle-là va te coûter très cher. »
Mandresy levait ses yeux exorbités vers Frem, dont il pouvait apercevoir la grimace rouge de colère pendant une fraction de seconde à chacune de ses rotations.
Il ne pouvait pas accélérer davantage, mais Mandresy continuait de s’amuser.
Frem : « Prends toi ça dans ta gueule !! »
Mandresy : « J’attends, j’attends ! »
Une bras épais sorti du champ de force pour bloquer le coup avant même qu’il n’atteigne le bouclier d’énergie.
Frem : « AAAAAAAAAAAAAAAAHH !!! »
La masse se heurta sur la paume levée vers le plafond, et le choc entre ses deux puissances colossales souffla Nÿzel et Baldus. Lothaire et moi sentîmes aussi la bourrasque soudaine.
L’énergie magique s’intensifia autour de Mandresy comme si son mana répondait à la puissance démesurée de l’attaque du simple bandit.
Frem : « AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHH !!! »
Le sol se fissurait sous les pieds de Mandresy, puis ceux-ci s’y enfoncèrent. Ses dents se mirent à claquer, il sentait le poids insensé qui pesait sur son nouveau bras.
Mandresy : « N-non !! Pas comme ça… ! Pas par lui !! »
Frem : « Cette fois, retiens-le ! Retiens-le dans toute ta chair qui schlingue ! Retiens-le dans tous tes os dégueulasses ! Mon nom est Frem !!! »
Rien ne pouvait plus arrêter la masse. Une énergie sans limite parcourut le corps de Mandresy comme s’il n’était plus qu’un liquide traversé par une vague déferlante.
Dans l’instant d’après, un cratère s’ouvrit sous Frem. Une explosion de poussière nettoya tout le champ de bataille dans un coup de tonnerre.
Baldus osait à peine rouvrir les yeux, comme nous tous. La lumière du mana avait disparu. La masse était enfoncée dans le sol.
Sous elle, à plus de deux mètres de profondeur, Mandresy gisait au fond d’un trou comme s’il n’était plus que de la viande hachée.
Le coup formidable l’avait aplati en un amas de chair difforme dont on ne distinguait plus rien, si ce n’est le visage révulsé.
-7-
Frem passa son bras contre son front pour essuyer sa sueur. Il soupira avec allégresse, comme s’il baignait dans la douce lumière du matin.
Frem : « Woah, je me suis jamais senti aussi détendu. Ça fait du bien… »
Baldus se relevait, subjugué.
Baldus : « Tu l’as sérieusement battu, Frem ? »
Nÿzel était aussi choqué que lui. Voir Frem l’air si paisible était aussi quelque chose de surprenant.
Nÿzel : « Mais toute cette énergie magique… Comment… ? »
Baldus : « Le pouvoir d’origine de Mandresy est le contrôle du mana brut. S’il perd ne serait-ce qu’un instant sa concentration, le mana se disperse de nouveau. …Mais peut-être que notre brute épaisse a aussi consommé le mana de Mandresy dans son attaque. »
Sur cette explication, Baldus reprit son sérieux.
Baldus : « Bouge, Frem. »
Sans faire de zèle, Frem se décala docilement, mais son sourire si serein redescendit.
Le bandit avait récupéré sa dague, et se tenait au-dessus du tas de charpie qu’était Mandresy. Il aurait pu descendre dans ce trou juste assez large pour lui, et s’assurer que son ennemi était mort, mais ce ne fut pas la peine.
Mandresy : « …Pas… »
Le trio se raidit en entendant ce râle venu de sous terre.
Mandresy : « …Comme ça… »
Baldus : « Il serait temps que t’arrêtes, mec… »
Un nouveau bras, plus noir que jamais, s’accrocha à une pierre.
Mandresy : « Je suis… Pas faible… ! J’ai tout fait pour être fort… ! J’étais prêt à tout… ! J’ai donné tout ce que j’avais… ! Je… Je lui ai rendu la monnaie de sa pièce ! »
Baldus : « Rends pas ça plus pénible… S’il te plaît… Abandonne. »
Un autre bras se hissait.
Mandresy : « J’ai tant souffert pour acquérir ce pouvoir… ! Je l’ai mérité, non… ?! J’ai mérité tout ce pouvoir… ! C’est le mien… ! »
La pénombre ne révélait que la moitié du visage de Mandresy, qui sortait tant bien que mal de sa sépulture. Cette moitié-ci était un sourire crispé déformé par l’impact.
Mandresy : « …Il va me prendre tout ce qui me reste… Il va tout prendre… ! C’était le prix… ! »
Sa main squelettique s’accrocha au col de Baldus. Ce dernier était pétrifié. Il voyait dans son entièreté la face de son ennemi. L’autre moitié de son visage avait été broyée, elle était ravagée par le désespoir et l’agonie, comme si cette expression insoutenable s’était gravée à jamais dans sa chair.
Mandresy : « C’était le prix… ! »
Baldus n’aurait su dire laquelle était la véritable expression des émotions de Mandresy, mais le mélange effroyable qui résultait de ces deux faces aurait suffit à traumatiser le bandit connu pour son flegme.
Mandresy : « Il veut du sang… ! Si je lui donne le vôtre, il me laissera continuer… ! Il me laissera me battre encore… ! »
L’adversaire défiguré se hissait le long de Baldus. Bien assez tôt, leurs deux fronts se touchaient. Le pauvre bandit n’avait plus d’autre choix que de se plonger dans ce regard brisé. Mandresy tirait sur son col.
Mandresy : « Je vous prouverai… ! Je suis pas faible… ! Je suis… ! »
La masse emporta Mandresy dans son sillage, et il se retrouvait à terre, ce qui ne l’empêchait pas de poursuivre ses élucubrations.
Frem : « Baldus ! Ressaisis-toi ! Faut pas lui laisser le temps de se régénérer ! »
Ce cri avait rendu la raison à Baldus.
Baldus : « …Oh ouais. Ouais ! »
Mandresy se relevait, baragouinant toujours. Son corps était de nouveau quelque chose de purement humanoïde. Et pourtant, il n’avait plus rien d’humain.
Mandresy : « Je suis… »
Frem élança son marteau en direction de Mandresy, puis une fois à portée, envoya tout le poids de l’arme dans le torse de son adversaire, qui ne bougea pas d’un centimètre.
Frem : « …Nan ! »
De minuscules pointes grises sortaient de la chair reformée de ce monstre. Tout son corps était plus densément osseux que jamais.
Mandresy : « Je suis quand même Mandresy. »
Frem le vit à son tour. La moitié du visage de son ennemi montrait une fatigue dont on ne pouvait pas se reposer. C’était peut-être là la preuve qu’il avait été poussé dans ses derniers retranchements, l’assurance que la victoire était à portée de main. Et pourtant, cette vision n’inspira aucun soulagement à Frem.
Mandresy : « …Et je suis toujours plus fort !! »
Alors qu’il étirait son poing en arrière, Baldus tenta de le trancher, mais ne put que le couper à moitié.
Baldus : « Quelle saloperie ! Plus on le fracasse, plus il est dur ! »
Frem eut malgré tout le temps de s’esquiver.
Baldus fit de même après un deuxième coup dans sa nuque.
Baldus : « On change pas la stratégie : on l’attaque quand l’autre est pris pour cible, et surtout, on s’expose pas. »
Depuis le début, ils se battaient ainsi, craignant le moindre coup physique de leur adversaire.
Comprenant qu’il était encore debout, je m’apprêtais à me joindre à eux, mais d’un bras, Lothaire m’en empêcha.
Léonce : « Oh allez, laisse- »
Je m’interrompis en voyant le regard de mon précédent adversaire.
Lothaire : « … »
Des sueurs froides parcouraient le colosse. Lui qui percevait plus que nous tous était terrorisé. Ses yeux écarquillés suivaient chaque mouvement de Mandresy.
Celui-ci accourut vers Baldus. Ses pieds s’enfonçaient dans la pierre à chaque pas.
Baldus : « Oh ? »
Mandresy : « Nous ne jouons plus dans la même catégorie ! »
Maintenant que son corps résistait à l’impact de la masse magique, Mandresy se sentait invincible.
Frem le frappa de nouveau, en vain. Notre ennemi se tourna vers lui, hilare.
Mandresy : « Il n’y a plus rien que- »
Le bras de Mandresy tomba au sol.
Baldus enchaîna les coups, et trancha son ancien allié de toutes parts.
Frem : « Mais tu viens de dire qu’on continuait avec la même tactique ! »
Baldus : Pas la peine. Son poids est en train de devenir trop lourd pour lui.
Baldus : « C’était du bluff ! Toi, fais-lui encore ton inhumation instantanée ! »
Frem : « J’ai essayé ! Mais le seul moyen pour que je puisse le faire, c’est que je sois directement au-dessus de lui. Et s’il bouge, c’est foutu ! »
Baldus : « Eh, mais, c’est ton marteau qui t’a soufflé ça ou tu viens d’éveiller ton cerveau ? »
Frem : « Bordel ! Je te déteste aussi ! »
Frem frappa Mandresy comme si Baldus avait été sa cible, et le bandit encaissa encore un coup sans reculer.
Le guerrier aux dards fit luire sa dague et frappa son adversaire, alors que Frem enchaînait avec une seconde attaque.
Mandresy arrêta le marteau d’une main et la dague de l’autre, qui venait de repousser en une longue griffe.
Mandresy : « Vous voyez bien ! Plus rien ne pourra m’arrêter ! »
Il commençait à reprendre du poil de la bête. Mais son apparence était des plus misérables.
Baldus dégagea précipitamment son arme avant de prendre ses distances.
Mandresy : « Tout compte fait, rien ne me fera plus plaisir de te tuer avec mon propre corps, Baldus ! »
Baldus : « Propre corps ? Je ne vois rien de propre dans ce corps, dans tous les sens du terme ! »
Le bandit s’esquivait, encore et encore. Il savait que son arme serait aussi solide que du verre face aux griffes de Mandresy.
Baldus s’essayait à des attaques aussitôt qu’il parvenait à contourner son adversaire, qui peinait à se déplacer sur ce sol où il s’enfonçait.
Le chef de notre groupe lançait des regards derrière Mandresy de temps en temps.
Mandresy : « Je te l’avais dit, non ? C’est comme ça que ça devait se finir ! Tu ne m’as pas cru ! Tu n’as jamais cru en moi ! »
Baldus : « Qu’est-ce que tu me chantes ? »
La voix du guerrier maudit était de plus en plus étrange, comme si ses cordes vocales étaient compressées par la chair noire.
Mandresy : « Tu pensais que je serais faible toute ma vie, mais regarde ! »
En heurtant l’avant-bras de Mandresy, la lame de la dague rebondit sur sa peau.
Mandresy : « Je n’ai plus besoin de personne ! Tu devrais être content, non ?! »
Il enchaînait les coups de poings, ne se reposant plus que sur sa nouvelle force pour prendre le dessus sur Baldus. Après un dernier sourire, ce dernier s’arrêta face à son adversaire.
Baldus : « Content ? Je n’ai jamais souhaité que ton bien. Même maintenant. »
Baldus poignarda Mandresy en plein cœur, de ses deux mains.
L’homme maudit fixait sa poitrine avec stupeur, puis la seule moitié de son visage qui le pût se mit à sourire de nouveau.
Mandresy : « Si peu profond. Ta technique d’estocade dont tu es si fier n’a même pas atteint mon cœur. C’est pitoyable ! Pitoyable, Baldus ! Hahahaha ! »
Baldus lâcha son arme plantée dans la chair sombre, et se recula. Il feint la stupeur avant de montrer sa dentition victorieuse à Mandresy.
Baldus : « Je vais te dire ce qui est pitoyable, Mandresy : Se faire battre par Frem ! »
Dès qu’il eut prononcé ce nom, le visage à l’envers de Frem apparut face à celui de Mandresy.
Frem : « T’AS DIT QUOI ENCORE ?! »
Lancé en rotation sur un axe horizontal cette fois-ci, Frem s’était projeté en oblique vers son adversaire pendant que Baldus accaparait son attention.
Après un dernier tour sur lui-même, Frem abattit la tête en bas son marteau contre le pommeau de la dague, qui s’enfonça si fort dans le corps de Mandresy que celui-ci dérapa sur quelques mètres.
Il atterrit précipitamment, et se retourna, sonné par sa propre attaque.
-8-
Frem, Nÿzel, et Baldus regardaient dans l’expectative leur adversaire.
Mandresy répondait à leur regard, la moitié de son visage montrait peu à peu de la terreur.
Ils lurent sur ce qu’il restait d’humain dans son expression que tout était fini.
Mandresy sentait grouiller en lui une vie parasite depuis des années. Et après cette lente métamorphose, il eut enfin la confirmation que son cœur avait survécu à tout. Ce cœur était tout ce qu’il lui restait, et il venait d’être perforé.
Mandresy : « Non… »
Son expression était toujours aussi dérangeante, mais quand il tourna son œil fonctionnel vers Baldus, celui-ci lut une lucidité qu’il croyait perdue.
Mandresy : « Je ne veux pas m’arrêter maintenant… Je veux continuer… »
Il attrapa sa poitrine de sa main, les larmes ne coulaient pas.
Mandresy : « Je veux semer la destruction, je veux voir le monde entier souffrir… ! Cette force, c’était la mienne… ! J’ai fait tout ce que tu voulais… ! Laisse-la moi encore un peu… ! »
Mandresy s’écroula finalement sur le dos.
Mandresy : « Tu devais la récupérer après ma mort… ! Pas maintenant… ! Je peux encore me battre… »
Cette complainte qui faiblissait poussa le trio à baisser la tête, malgré leur victoire. Seul Baldus continuait de fixer l’homme au sol, décidé à ne pas le quitter des yeux. C’était la punition qu’il s’infligeait.
La paupière restante de Mandresy se ferma lentement, sa voix n’était plus qu’un murmure.
Mandresy : « Je… Je voulais juste… M’amuser… Plus longtemps… »
Le silence était désormais complet. Chacun des combattants resta muet, n’osant même pas bouger.
Baldus : « …Désolé… »
Avec amertume, notre leader venait de réaliser quelque chose, et adressa ses derniers mots à ce qui n’était plus qu’un cadavre.
Mandresy : « AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHH !!! »
Ce cri déchirant nous fit tous sursauter. Ce que nous pensions être un macchabée s’agita soudainement, et une trombe de chair maudite jaillit au-dessus de lui. C’était bien trop long et bien trop épais pour être un bras. Elle s’éleva à plusieurs mètres de hauteur avant de continuer à se développer en oblique jusqu’à toucher le sol de nouveau. Des doigts poussaient de partout sur ce nouveau membre gigantesque.
Mandresy : « AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHH !!! »
Sa chair pullulante faisait enfler son corps, et d’autres de ces bras géants s’élevèrent au-dessus de lui dans des hurlements atroces.
Ces colonnes de chairs maudites se pliaient et heurtaient les dalles brisées les unes après les autres.
Baldus reculait, imité par Frem.
Nÿzel se relevait lentement, terrifié.
Nÿzel : « On dirait… »
Le corps de Mandresy se souleva dans les airs à la force de ces huit membres géants.
Frem : « …Une araignée… »
Des dizaines de mains de toutes formes s’appuyaient au sol au bout de ses pattes grouillantes.
Le torse boursouflé de Mandresy était toujours tourné vers le plafond, et son cou pivota lentement jusqu’à rompre.
Ce visage déformé par l’effroi faisait face à Baldus, et le dominait. C’était la dernière chose qu’il restait de Mandresy sur le corps immense de ce démon arachnide.
???: « Baaal…. Duuuus… ! »
L’air hagard, Baldus levait la tête, apercevant à peine cette chose dans la pénombre. Ses mains tremblaient.
Il finit par serrer les poings de fureur. Il venait d’apercevoir sa dague tombée au sol.
Baldus : « Tu savais que ça finirait comme ça ! »
Il l’empoigna, et se dressa face au monstre gigantesque.
Duxert s’empressa de soulever Mamie, l’air grave.
Duxert : « … »
Brakmaa : « Qu’est-ce que tu fais ?! Il faut aller les aider ! »
Mamie : « Non… ! »
La grand-mère avait repris conscience. Elle ne parvenait pas à quitter des yeux cette chose. Ils étaient à une cinquantaine de mètres, mais la peur les faisait frissonner.
Mamie : « Dux a raison… Nous ne serions qu’un poids pour eux. Nous n’avons pas d’autres choix… Nous devons nous fier à nos gars. »
Brakmaa serra les dents de frustration.
Lothaire et moi restions pétrifiés face à la créature qui venait de se lever. Je pouvais enfin ressentir ce que Lothaire avait perçu il y a quelques minutes. Ce sentiment infâme rongeait mon esprit.
Nÿzel s’écarta d’un pas en arrière, les lèvres tremblantes.
Frem empoignait sa masse une nouvelle fois, le souffle court.
Cette aberration s’était dressée jusque dans la pénombre de ce temple perdu, et nous dominait de son immense taille et de la menace malsaine qui émanait de ce corps maudit.
???: « …Laukai… …Laukai… ! »
Cet appel lointain, comme venu des tréfonds de sa mémoire, finirent par réveiller le guerrier tout de noir vêtu.
Laukai : « …Qui va là… ?! »
Il avait senti le sol trembler et s’était redressé sur un genou, précipitamment. L’esprit confus, il aperçut la bête démoniaque.
Laukai : « Je dois… »
Malgré la fièvre qui résultait de ses profondes blessures, Laukai se relevait, faisant fi de la douleur. Il prit appui au sol avec le fourreau de son katana, les jambes vacillantes.
Laukai « Je dois… »
Le vêtement opaque qui cachait son visage avait été tranché pendant son affrontement, et ce tissu qui l’entourait se dénoua, puis chut au sol, révélant ses oreilles pointues dressées sur sa tête, et son regard félin, qui luisait faiblement dans l’obscurité.
Laukai : « …Laver mon honneur. »
La mâchoire de Mandresy s’élargit soudainement en un craquement désagréable.
Un cri strident, le hurlement d’une bête tout droit sortie de l’enfer résonna dans le temple de la montagne de Rougonde, faisant trembler la pierre.