-1-
Lucéard
Dans la pénombre, au bout de ces longs couloirs à peine éclairés par le bleu de ces étranges bougies, une immense cathédrale se dressait sous la pleine lune.
En son sein, dos aux marches qui menaient à l’autel, le prince de Lucécie restait immobile, le visage fermé.
Chacun de mes alliés luttait pour leur vie en ce moment même. Ils m’avaient permis de partir devant, tout ça pour me retrouver ici, face à elle.
Les rouages du destin venaient de s’emballer. Sur le même tapis où je venais de poser mes pieds, à une quinzaine de mètres de moi, une jeune fille était parvenue jusque sous les rayons lunaires.
Ce visage si familier était bien plus pâle que dans mes souvenirs, et sa tenue si sombre mettait en valeur ses traits cruels.
Sur sa robe était cousue la marque des empereurs, et dans ses mots résonnaient de terribles desseins.
Au moment où elle s’était entièrement révélée à la lumière de la nuit, j’avais revu ce sourire éclatant, joyau de mon passé.
L’éclat de cette époque perdue se noya dans les ténèbres. Seul son regard impitoyable luisait.
L’ultime adversaire ne pouvait plus qu’être elle.
Ça n’était pas un énième mensonge de mon esprit, pas une tromperie, ni même une illusion. Il n’y avait qu’une seule explication à cette vision, et il suffisait de voir son visage pour s’en rendre compte : ma sœur était vivante.
Je tombais à genoux, dans un silence indifférent.
Un rire familier, pourtant malveillant, parvint à mes oreilles.
Nojùcénie : « Excellent ! Je craignais que tu n’acceptes pas la réalité, mais ton air pathétique m’assure que tu as compris. Enfin… ! J’ai attendu ce moment si longtemps… ! »
Sa voix était distordue par de sombres sentiments, mais ce timbre inimitable sut me renvoyer à la plus douce des époques. Quand je l’entendis, ce passé figé depuis des mois se remit en marche.
Nojùcénie : « J’ai passé toutes ces années à prétendre, à mentir, à me cacher. Je tenais cette imposture devant tous sans jamais faillir. Mon seul réconfort était que ce jour viendrait. Ce jour où la vérité éclaterait. Ce jour où je verrais ton visage se décomposer de la manière la plus pitoyable qui soit. Ce jour où après avoir suffisamment profité de ton agonie, je finirais par t’achever. Et ce jour… Est venu. »
Son allégresse s’incarnait dans chacun de ses gestes. Avec une grâce que je lui connaissais, sa joie prenait la forme d’une danse légère. Elle avait toujours agi ainsi. C’était sa façon de s’exprimer, et elle n’avait jamais pu le dissimuler.
Je gisais au sol comme un pantin aux fils rompus, les bras ballants, la tête basse.
Mes cheveux couvraient mes yeux jusqu’à mon nez. J’avais perdu tout contrôle. Le choc avait été aussi brutal qu’instantané. Rien n’émanait plus de moi. Je n’étais plus qu’une statue au milieu des fresques et du marbre. Elle ne pouvait qu’à peine percevoir ma respiration irrégulière.
Nojùcénie : « Je me suis imaginée tant de fois ce moment. Je me faisais toujours une certaine idée de comment tu réagirais, mais je ne m’attendais pas à ça. J’espérais quelque chose de plus dramatique, de plus bruyant. Fais un effort. Dis-moi à quel point tu es désespéré. Dis-moi que ta vie n’a plus aucun sens ! »
Elle ne pensait plus qu’à profiter de ce que j’avais de plus misérable à montrer. Mais mes sentiments m’avaient totalement immobilisé, et je n’étais pas à la hauteur de ses attentes. Cela dit, ses mots étaient teintés de l’enthousiasme que je lui connaissais, et quand je l’entendais, de précieux souvenirs se bousculaient en moi.
Nojù chérissait la vie comme personne. Elle se montrait attentionnée envers tous, qu’importe le rang, qu’importe l’âge, qu’importe l’espèce : animal, végétal, parfois même minéral.
Elle rayonnait en présence de n’importe qui, et de n’importe quoi. Même avec moi… Je la revoyais dans le prisme de ma mémoire. Tous ces jours banals qu’elle avait su illuminer par son sourire et son engouement. Les souvenirs de ce minois enjoué me revinrent si nettement qu’il se supplantèrent à la réalité.
Nojùcénie : « Je vois… Tu ne dis rien. C’est dire à quel point la vérité est dure à digérer. Tu as été si crédule ! Je te félicite d’être arrivé jusqu’ici avec le peu de jugeote dont tu fais preuve. »
Nojù ferma les yeux pour s’enivrer de cet instant, puis baissa la tête, et la secoua de gauche à droite, lentement.
Nojùcénie : « Mais la route s’arrête ici. Et quelle ironie. Celle que tu voulais sûrement venger sera celle qui te tuera. Non seulement tu vas mourir des mains de ta chère sœur, mais tu seras aussi tué par ce que tu as toujours aimé ! »
Elle révéla dans une de ses mains un rebec, et dans l’autre l’archet qui allait avec, qu’elle agitait comme s’il s’agissait de la baguette d’un chef d’orchestre. Son sourire pervers se redressait.
Nojùcénie : « Il ne manque plus que la mélodie de tes cris désespérés pour que je puisse jouer le meilleur des requiems. »
Elle me fixait intensément, ne voulant pas rater l’instant précis où j’allais craquer, et lui donner entière satisfaction. Le moment où je lui dirais que je ne pouvais accepter que les choses soient ainsi. Le moment où je me résignerais à croire que tout ce que j’avais traversé n’avait été qu’une mascarade, que mon combat n’avait jamais eu de sens. Viendrait ensuite le moment où je renoncerai à l’image que j’avais d’elle. Le moment où je reconnaîtrais que tout ce qui m’avait aidé à tenir le coup n’était qu’une cruelle farce.
Nojùcénie : « Allez, ne te retiens pas, Lucéard. Décris-moi l’horreur de ce que tu ressens. Dis-moi que même si je m’amusais à t’épargner, tu ne t’en remettrais jamais. Tu n’as même pas à prononcer un mot, tu sais ? Un hurlement fera très bien l’affaire. »
Ma respiration était de plus en plus saccadée. L’émotion me nouait la gorge.
Je pouvais encore revoir tous ces jours paisibles en sa compagnie, et toutes ces épreuves en son absence. Ces deux vies convergeaient en moi à cet instant précis.
Qu’en était-il ? Nojù était-elle la personne que je haïssais le plus au monde ? La considérais-je comme le cerveau malade à l’origine de cette organisation ? Pouvais-je rompre ce lien profondément ancré dans mon passé ?
Je n’avais réalisé que superficiellement tout ce qu’impliquait la présence de ma petite sœur face à moi. Néanmoins, dès l’instant où je l’avais reconnue, une seule certitude s’était imposée à moi.
Mon visage blafard se relevait lentement. La demoiselle en face de moi crut m’entendre renifler, ce qui la réjouissait. Elle posa un pied en avant pour mieux voir ce qui allait suivre.
Nojùcénie : « C’est ça ! Cris tout ton malheur, Lucéard ! »
Elle pouvait apercevoir la lueur sous mes yeux. C’était les larmes que je ne voulais pas lui montrer. Mais plutôt que ce regard ravagé par d’intenses émotions, ce qui surprit Nojù fut mes mots étouffés dans un sanglot.
Lucéard : « Nojù… »
Elle reconnut dans cette grimace douloureuse ce qu’elle identifia comme un sourire.
Lucéard : « Je suis si heureux que tu sois en vie… ! »
Je jetai un dernier regard à ces jours où je la croyais perdue à jamais. J’avais eu tant de mal à accepter qu’elle ne serait plus jamais là, et aujourd’hui, réaliser qu’elle était revenue était infiniment difficile. Qu’importe si tout ce que j’avais enduré n’avait plus de sens, j’avais tant appris de cette période. J’y avais notamment appris ce qui, à ce moment précis, peu importe à quel point mes jambes tremblaient, me permit de trouver la force de me relever.
Lucéard : « …Tu n’as pas idée à quel point ça a été dur sans toi… Tu m’as… Énormément manqué… ! »
Je déglutis, passant mon bras devant mes yeux pour les sécher.
Je pus voir plus distinctement la mine de ma sœur s’assombrir. Elle était visiblement déçue, voire outrée.
Nojùcénie : « Tu es bien plus simplet que dans mes souvenirs. Tu n’as donc pas compris… ? La personne que tu appelles Nojù n’a jamais existé. Ce n’était qu’un jeu en attendant l’heure. La véritable Nojùcénie, prophète de la fin obscure, s’apprête à te tuer. »
Après cette froide mise en garde, Nojù apporta l’archet contre les cordes du rebec, mais je ne pouvais rien dégainer en retour. Je me contentais de rester debout, immobile, sans savoir comment réagir.
Nojùcénie : « LAMINA EIUS. »
Après l’incantation, le son grave du rebec fit naître une lame de lumière bien plus grosse et rapide que ce que je pouvais produire moi-même.
Je me retrouvais projeté contre les marches grossièrement taillées qui menaient à l’autel.
Le fracas de l’impact résonnait à travers toute la cathédrale.
Je me retrouvais paralysé de douleur. La puissance de ses attaques était toujours aussi terrible, et son désir de mort s’était fait ressentir dans ce sort. Je me recroquevillais progressivement.
Il ne m’était pas venu à l’idée d’éviter. Répondre à ses attaques aurait signifié que j’allais réellement affronter ma sœur, et il n’en était pas question.
Je ne parvenais pas à penser avec lucidité. Je ne faisais que ressasser ma toute première conclusion : Nojù était en vie. Mieux encore, elle semblait en parfaite santé.
Il n’y avait pourtant pas de quoi se réjouir. Elle se décrivait comme le Mal absolu, mais je ne parvenais pas à accepter qu’il en soit ainsi.
Nojùcénie : « Alors ? Ça t’a aidé à revenir à la réalité ? Tu as constaté que je ne me suis aucunement retenue ? Tu aurais pu mourir de cette simple attaque sur une mauvaise chute. Qu’en sera t-il d’un Magna à ton avis ? Si tu ne m’implores pas maintenant, tu le découvriras bien assez tôt. »
Fière d’avoir l’ascendant, elle me regardait de haut, préservant malgré tout ses distances avec moi.
Je me hissais péniblement contre les marches.
Elle a raison…
Ses intentions meurtrières m’étaient parvenues à travers ce lamina. Je ne me l’expliquais pas, mais je ne pouvais plus le nier. Elle me détestait intensément. Il n’y avait plus qu’une chose à faire…
Nojùcénie : « Voyons voir combien de temps tu tiens avant de me haïr enfin. LAMINA EIUS ! »
D’un mouvement ample, comme si elle tranchait le cou de son frère, Nojù fit glisser l’archet contre les cordes dans un accord funeste.
Les marches explosèrent dans la seconde qui suivit. Elle avait pratiquement vu le moment où je me serais broyé les os contre le marbre.
Mais j’avais esquivé, avec une vélocité qu’elle ne me connaissait pas.
Nojùcénie : « Q-quoi ? Mais comment ? »
Mes yeux rencontrèrent à nouveau les siens. Même si elle était encore chancelante, une résolution s’était embrasée dans mon regard.
Lucéard : « Je n’ai aucune idée de ce qui est en train de se passer… Je ne comprends absolument rien… Mais je sais une chose : Nojù… Je vais te sauver ! »
Un frisson parcourut sa nuque.
Elle s’en voulait de s’être laissée surprendre par ma vitesse et par mon attitude.
Nojùcénie : « Ha ! Minable ! Qu’espères-tu ? La seule personne à sauver, c’est toi ! Et tu en seras incapable ! LAMINA EIUS ! »
J’évitais l’attaque, la forçant à reconnaître que la première fois n’était pas un coup de chance.
Si je m’entêtais à ne rien faire, je mourrais sous ses coups. Après avoir compris ça, je dus me résoudre à faire un choix difficile. La main tremblante, je décrochai de ma tenue la lyre retenue par un fil de nylon à ces vêtements qu’elle avait en partie cousu. Cette lyre usée m’avait accompagné pendant tout ces mois où je m’étais entraîné.
J’étais pourtant toujours sous le choc, et rien que d’apercevoir son visage faisait se troubler ma vue. Mais il n’y avait pas d’alternative, le seul choix possible s’imposa à moi.
J’aurais préféré affronter n’importe qui d’autre que toi, Nojù…
Je me mis en garde, ne la quittant pas des yeux.
-2-
Me voir prêt à répliquer rendit sa bonne humeur à ma petite sœur.
Nojùcénie : « Enfin ! Le combat fratricide dont j’ai tant rêvé ! Voilà qui est bien plus amusant que d’assister à la fin passive d’une âme brisée ! »
Dans un sourire carnassier, elle resserra sa poigne autour de l’archet.
Nojùcénie : « ANGUEM IRIDIS ! »
Le ruban magique s’étendit jusqu’à moi.
Lucéard : « AUXILIA EIUS. »
Avant même que le sort ne m’atteigne, un bouclier gonfla autour de moi.
L’anguem s’enroula autour de celui-ci et se resserra autour de mon auxilia, sans parvenir à le briser.
Aussi puissante soit sa magie, un simple Anguem n’a pas le tranchant suffisant pour transpercer mon bouclier, ni même la force de le briser par constriction.
La confiance en mes propres pouvoirs se lisait dans mes yeux. Malgré l’écart de puissance magique, l’expérience que j’avais glané au fil des mois me permettait d’aborder ce duel avec sérénité, même face à elle.
Nojùcénie : « Ne va pas croire que tu as la moindre chance contre moi ! Rien qu’à voir ton bouclier, j’ai l’impression que tu es plus faible encore que la dernière fois ! Tu ne m’atteindras jamais avec des sorts de ce niveau ! »
Son ruban finit par fissurer mon bouclier, avant de se rompre. Elle n’avait cependant pas pu ébranler la confiance en moi que j’avais développée à la sueur de toutes les épreuves que j’avais surmonté pour me tenir ici.
Lucéard : « Tu n’as rien à craindre. Je n’ai jamais eu l’intention de te faire du mal. Je t’en ai déjà bien assez fait pendant toutes ces années… »
Ce n’était ni la réponse, ni l’attitude qu’elle espérait.
Nojùcénie : « Tu ne serais quand même pas devenu plus bête aussi ? »
Me voir insensible à ses remarques l’irritait. Pire encore, je lui lançais un sourire chaleureux.
Nojùcénie : « Bah, on verra si tu tiens encore ce discours quand tu baigneras dans ton sang ! »
Son regard empli de haine était plus douloureux à confronter que le sort qu’elle s’apprêtait à incanter.
Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »
Pour une raison que j’ignorais, elle me détestait vraiment. Chercher une raison à tout cela me déboussolait.
Son sort avait beau être rapide, j’aurais pu l’éviter, mais, ballotté par mes émotions, j’avais bêtement frappé les cordes de ma lyre.
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Comme je m’en doutais, l’écart de force entre nous était terrible. Il m’aurait fallu un Magna pour contrer sa plus simple attaque.
Ma protection se brisa, et je me retrouvais éjecté jusque contre l’autel.
Je me redressais lentement.
Pourquoi me regarde-t-elle comme ça… ?
Je m’accoudais à la table d’autel, cet épais bloc de marbre recouvert d’un tissu gris déchiré et d’un calice renversé.
Ma sœur me fixait sans rien dire. Elle me laissait une nouvelle occasion de la haïr en retour. Je pouvais voir dans ses yeux qu’elle était prête à me tuer dès qu’elle aurait satisfaction.
Nojùcénie : « Tu me déçois. Je te pensais assez malin pour accepter la réalité. Ta naïveté va vraiment causer ta perte. C’est ta dernière chance. »
Ces mots ne parvenaient toujours pas à m’intimider. Au contraire, entendre sa voix me donnait la force d’endurer tout ce que le destin pouvait encore me réserver.
Tous ces mois n’ont pas été vains. Je me suis entraîné sans relâche. J’ai surmonté tant d’épreuves. Je ne savais pas exactement où diriger tous ces efforts, je voulais juste être assez fort pour déjouer de nouvelles tragédies.
Mes yeux encore humides luisaient de la même flamme qui m’avait permis d’arriver jusqu’ici.
Et aujourd’hui, j’ai la chance miraculeuse de pouvoir sauver celle que je n’ai pas pu sauver ce jour-là.
Je levais lentement ma lyre devant mon torse. Nojù souriait avec arrogance, persuadée que je m’étais décidé à répondre à la violence.
Mais elle déchanta très vite. L’énergie qui émanait de moi était bien différente de ce qu’elle connaissait. Dans mon regard, malgré l’intensité de ma détermination, elle pouvait lire une tendresse qui n’aurait pu être l’énergie d’aucun sort qu’elle connaissait.
Si je suis incapable de faire taire la tourmente en moi, j’échouerais encore, sans l’assurance d’avoir une nouvelle chance. Je ne laisserais passer cette opportunité pour rien au monde. Je suis plus fort que ce jour-là. Je suis plus fort que jamais !
Ma sœur vit le collier qu’elle m’avait confié s’illuminer. La peur de ce pouvoir qu’elle ignorait la poussa à se mettre sur ses gardes.
Je vais trouver une issue. Il le faut. Tout ce que j’ai traversé jusque là, c’était pour ce moment. Tout ce que j’ai appris jusque-là, c’était pour la sauver maintenant ! Et ce sort qui me colle à l’âme, c’est l’expression de tous les espoirs qui m’ont porté jusqu’ici !
Lucéard : « Tu as parfaitement raison, Nojù… »
Le calme de ma voix l’étonna. La lueur de mon regard défiait pourtant les ténèbres de cette cathédrale. Une tempête se déchaînait en moi, mais dès cet instant, j’étais aussi paisible que le lac autour duquel je m’étais entraîné, encore et encore, pendant des mois.
Lucéard : « …C’est sûrement ma dernière chance. »
Je posai la lyre contre mon cœur, ramenant mon autre main jusqu’à ses cordes.
Nojùcénie : « Ce n’est pas trop tôt… »
Elle se pensait prête à ce qui allait suivre, mais la fureur qui émanait de moi la fit douter.
Ma résolution s’était gravée au plus profond de moi, et à présent, le feu se propageait en moi. Il brûlait jusqu’au bout de mes doigts.
Lucéard : « Et je ne la laisserai pas passer ! ANIMA EIUS !! »
Je frappais les cordes d’un coup magistral.
Nojùcénie : « A-anima ?! »
Des flammes roses nébuleuses prirent pour cible ma sœur. Celle-ci retrouva son sang froid en apercevant le sort.
Nojùcénie : « Qu’est-ce que c’est lent… Ne me dis pas que c’est tout ce que tu as ? AUXILIA EIUS. »
D’un air supérieur, elle s’attendait à voir mon Anima se briser vainement contre son bouclier, mais à sa stupéfaction, mon sort traversa le sien sans effort, et la toucha en plein cœur.
Nojùcénie : « Qu-qu’est-ce que ?? »
Sa voix monta dans les aigus. Le choc profond l’avait déséquilibrée, et son bouclier s’était évanoui dans le vide.
Je ne l’ai pas souvent vu à l’œuvre, mais je sais qu’il n’est ni rapide, ni douloureux. Cela dit, j’ai pu constater qu’il était sûr d’ébranler l’assurance de n’importe quel adversaire à coup sûr !
Nojùcénie : « …Qu’est-ce que tu m’as fait… ? »
La prophète auto-proclamée me lançait un regard noir. Elle était bien assez maligne pour comprendre que les effets de ce sort ne se limitaient pas à faire perdre l’équilibre et la concentration. Et maintenant qu’elle en avait fait les frais, elle savait presque mieux que moi ce dont ce sort était capable.
Lucéard : « C’est le tout premier sort que j’ai appris par moi-même. Enfin, c’était un peu bizarre… D’ailleurs, tu auras du mal à croire tout ce qui m’est arrivé pendant ton absence, mais je te raconterai tout en détail quand on sera rentrés chez nous. »
Je conclus cette tirade sur une perspective qui me donnait la force de sourire.
-3-
Mon attitude et mes mots la firent grincer des dents.
Nojùcénie : « Ma parole, tu rêves éveillé ! »
Elle s’approchait de moi agacée. Elle se méfiait visiblement du fourreau que je portais à la ceinture, et avait préféré garder ses distances jusque là. Mais elle me voyait enfin comme une menace, et se décida à être plus incisive.
Il vaudrait mieux que je reste à au moins cinq mètres d’elle. Éviter ses sorts de trop près s’avèrerait compliqué.
Une partie de moi était tentée de me rapprocher d’elle, mais mon instinct de survie me poussait à être raisonnable. Il fallait que je reste prudent le temps de comprendre la situation actuelle dans son entièreté.
Me défendre indéfiniment ne me mènerait à rien, et l’attaquer est hors de question.
J’observais ma sœur tout en restant attentif aux alentours.
Pourquoi est-elle dans cet état ? Je ne crois pas du tout en son baratin, mais elle semble sincère. Elle doit être sous l’emprise de quelque chose de magique, je ne vois que ça. Ce qui me laisse avec deux stratégies envisageables : la première serait de la cibler avec l’Anima Eius en espérant que ça suffise à lui faire perdre sa volonté de se battre. Mais je ne suis pas sûr que ça fonctionne comme ça… Et la seconde option…
Alors que jusque-là, je m’étais montré assez statique, je la surpris en courant droit sur elle.
Nojùcénie : « Tout ce que tu tenteras sera vain ! Tu ne fais pas le poids ! MAGNA LAMINA EIUS ! »
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
La lame qui sortit du rebec fut d’une brutalité extrême. Son simple souffle faisait grincer les bancs entre lesquels elle fusait. Sa largeur ne me permettrait pas de l’esquiver, et son éclat éblouissant présageait sa force létale.
Mais c’était ce que j’attendais d’elle, et j’avais fait apparaître le bouclier magique sous mes pieds, et l’utilisai comme tremplin pour m’élancer bien au-dessus d’elle. L’Auxilia fut pulvérisé au contact de son Lamina.
On entendit tous les deux l’explosion qu’avait provoqué son sort au niveau des marches de l’autel.
Nojùcénie : « Musmak m’avait parlé de ta façon d’utiliser ce sort. Hélas pour toi, tu signes ton arrêt de mort une fois dans les airs ! Adieu, mon frère ! »
En effet, son analyse était pertinente, mais elle s’entêtait à me sous-estimer, ce qui ne pouvait que saboter ses efforts.
Nojùcénie : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
La demoiselle me fixait d’un large sourire comme si c’était le dernier visage qu’elle souhaitait que je vois. Cette vision me peina, mais je ne comptais plus me laisser abuser par mes sentiments.
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Je rebondis sur le bouclier apparu sur ma trajectoire, pour me propulser vers le sol, décrivant un angle à 45°.
Sa lame détruisit mon bouclier sans effort, et fissura le plafond en s’y heurtant.
Alors que des débris tombaient sous ses yeux, je me retrouvais à quelques mètres d’elle, dans son dos.
J’avais mis un temps fou pour parvenir à atterrir en douceur sans l’usage de sort, à l’aide d’une roulade. Et même après ça, j’avais perfectionné le mouvement pour pouvoir réaliser ces atterrissages en toute circonstance, et sous le plus d’angles possible. Mais surtout, j’avais fait en sorte de savoir exécuter cette technique assez vite pour surprendre mes adversaires.
Nojùcénie : « D-d’où tu sais faire ça ?! »
Je pus voir à nouveau son air surpris, alors qu’elle se retournait vers moi.
La stupéfaction lui avait rendu les couleurs habituelles de son teint, et d’aussi près, je pouvais voir que derrière ses airs de reine du mal se cachait toujours la candeur de ma petite sœur.
Sans me laisser attendrir, j’anticipai sa prochaine action.
Nojùcénie : « N-n’approche pas ! »
Mes pas rapides suffirent à la faire paniquer.
Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »
Son incantation la plus courte ne suffit pas à me prendre au dépourvu. Jambes devant, j’avais glissé au sol dès son premier mot. Le souffle du sort fit danser mes cheveux, et me donnai l’impression d’avoir ralenti, mais je repris aussitôt appui sur mes pieds sans perdre mon élan.
Nojùcénie : « Au-au-auxilia- »
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »
Intimidée par cette offensive, elle ne sut finir son incantation, et le ruban d’un rose lumineux lui arracha l’archet des mains.
Mon anguem emporta cette partie de l’instrument jusqu’au bout de la pièce, avant même que Nojù ne puisse réagir.
J’étais face à elle, à quelques centimètres. La fureur de cet assaut lui avait fait perdre tous ses moyens, et elle ne pouvait plus que me fixer avec terreur. J’aurais pu en finir à n’importe quel instant si ç’avait été mon intention. Elle n’avait manifestement aucune compétence en combat au corps-à-corps.
D’aussi près, je pouvais voir ses lèvres trembler. Je venais de lui donner un avant goût de tous les progrès que j’avais fait depuis que nous avions été séparés.
Alors que je tendais la main vers son front, elle me fit précipitamment dos, puis frappa d’un coup sec sur les cordes du rebec.
Nojùcénie : « AUXILIA EIUS ! »
Son bouclier gonflait autour d’elle subitement, et me repoussa.
Heu ?
Déséquilibré, je reculais de quelques pas en arrière pour ne pas basculer.
Aussitôt que le bouclier disparut, ma sœur se retourna vers moi, furieuse.
Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »
De son incantation la plus rapide surgit une lame de lumière qui m’expédia quelques mètres plus loin après m’être heurté à plusieurs bancs sur mon passage.
J’avais été pris de court par sa vivacité d’esprit. La sous-estimer venait de me coûter cher à mon tour.
La jeune fille haletait, trahissant les rapides battements de son cœur.
Nojùcénie : « C-c’était moins une… ! Mais qu’est-ce que tu fichais ?! Tu refuses de me frapper ?! »
Je peinais à me relever. Le banc sur lequel j’avais finalement atterri craquait quand je m’y cramponnais.
Il était un peu plus faible que les autres… Comme quoi, la qualité de l’instrument et son utilisation influent aussi sur la puissance du sort…
Nojùcénie : « Bon, j’ai été suffisamment patiente. Si tu comptes te borner à nier la réalité, tant pis pour toi ! Disparais ! »
Elle inspira un grand coup.
Nojùcénie : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Une lame se matérialisa et jaillit comme un éclair du rebec. Elle brisa tous les bancs dans son sillage.
Je bondis sur le côté, misant tout sur cette esquive.
Même sans me faire atteindre par la puissante lumière, le souffle du coup était si violent que je fus éjecté contre une colonne.
Je m’écroulais au sol contre cette dernière. Le silence revint soudainement.
-4-
Mes oreilles sifflaient. L’espace d’un instant, j’avais eu une absence.
Quand je pus apercevoir son regard glacial de nouveau, un liquide chaud coulait le long de mon visage.
Après un tel coup, mes pensées n’étaient plus claires, et par instinct, je rampai jusque derrière le pilier pour profiter d’un court répit.
Cette vision pathétique sut calmer mon adversaire.
Nojùcénie : « Haha ! C’est grotesque ! »
Je reprenais mon souffle, tant bien que mal.
Lucéard : « …Nojù. »
De là où elle était, elle ne pouvait plus me voir, mais mon ton suffit à l’agacer.
Lucéard : « …Tu avais donc survécu, ce jour-là… »
Ce constat m’était enfin venu à l’esprit. Même si Lusio créait de puissantes illusions, je n’avais à aucun moment douté avoir été trompé sur ce point là. Sa mort m’avait paru si réelle…
Nojùcénie : « Bien sûr, pauvre crétin. Lusio a joué la comédie sur mes ordres, est-ce que tu vois une autre explication ? Tu comprends maintenant ? Dire que tu l’as cru quand il a dit ne plus pouvoir utiliser d’illusions. Pff ! Quelle naïveté ! »
Je m’attendais à une réponse de cet acabit. Elle essayait vraiment de me persuader qu’elle était à la tête des empereurs, et je pouvais certainement jouer sur ça pour gagner du temps, et reprendre mes esprits.
Lucéard : « Tu y crois sérieusement ? Tu penses qu’une gamine de 14 ans est à la tête d’un groupe de criminels qui sévit depuis plus de 10 ans ? C’est toi qui est naïve, ma pauvre. »
Je l’entendis soupirer, puis marcher vers moi.
Nojùcénie : « Tu t’es décidé à tout nier en bloc, j’ai bien compris… C’est franchement affligeant. »
Lucéard : « Tu veux savoir pourquoi je ne te crois pas ? »
Cette proposition avait attiré son attention, car je n’entendais plus ses pas.
Nojùcénie : « Hmm, laisse-moi réfléchir… Non. MAGNA LAMINA EIUS ! »
Ce manque de subtilité était caractéristique de ma petite sœur, et j’étais resté prêt à faire face à cette éventualité.
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
J’avais passé des jours et des nuits à faire de mon Auxilia un sort d’esquive, plutôt que de défense. Il gonflait rapidement, et me projetait jusque sur le grand tapis central.
La colonne explosa dans un flash lumineux.
Nojùcénie : « Ingénieux… ! Mais moi aussi j’ai quelques nouveaux tours dans mon sac ! MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »
L’immense ruban irisé s’éleva dans les airs, puis se scinda en deux, puis quatre bandes qui me prirent pour cible de tous les côtés.
Elle peut diviser son Anguem sans le trancher ? Juste à la force de son esprit ? Non… Elle a frappé les cordes du rebec pour obtenir cet effet.
L’effet de surprise aurait pu être décisif, et mon bouclier n’ayant pas encore disparu, je ne pouvais plus compter sur la magie pour me sortir de ce mauvais pas.
Lucéard : « C’est plutôt impressionnant ! Dommage que ça soit inutile contre moi ! »
Je lâchais la lyre, dont la fibre élastique qui la liait à ma tenue la ramena contre mon torse.
Lucéard : « On dirait que le moment est venu… »
Je dégainai mon cimeterre.
Lucéard : « …Caresse ! »
Si mes esquives ne suffisaient pas, la faible épaisseur de ces rubans me permettait de le trancher d’un seul coup.
J’évitais, puis je coupais au moment opportun, et cette danse étrange se conclut quand la dernière bande fut détruite. Nojùcénie levait les sourcils avec intérêt.
Nojùcénie : « Je dois avouer que j’étais sceptique quand on m’a dit que tu savais manier le sabre. Et maintenant je suis presque épatée. »
Elle ne cherchait pas à me complimenter mais je lui répondis avec fierté.
Lucéard : « Ce n’est pas un sabre, c’est un cimeterre ! »
Nojùcénie : « Tu m’en diras tant ! MAGNA LAMINA EIUS ! »
Elle avait accourut vers moi avant de frapper sur les cordes. Elle ne prenait pas de gant et n’avait pas l’intention d’économiser son mana.
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Surpris par son offensive, je bondis en arrière, puis rebondis sur le bouclier qui me projeta assez haut pour être à l’abri.
Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »
J’apercevais depuis ma position le sourire torve qui se dessinait sur ses lèvres.
Elle sait ce que je vais faire. Mais je ne tomberai pas dans ce piège grossier !
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Elle avait intentionnellement incanté le sort le plus faible qu’elle pouvait pour que celui-ci se brise contre mon Auxilia, lui permettant d’attaquer juste après. Hélas, je ne m’étais pas projeté dans la direction qu’elle attendait, et je disparus derrière la colonne la plus proche d’elle.
Nojùcénie : « Toujours aussi perspicace ! MAGNA LAMINA EIUS ! »
Avec son endurance et sa puissance, Nojù n’avait pas à faire dans la dentelle, et détruisit le pilier de marbre derrière lequel je me cachais.
L’explosion projeta des débris dans toute la cathédrale.
Dans ce nuage de poussière, elle m’avait totalement perdue de vue.
J’étais caché derrière une autre colonne. Celle-ci s’était déjà effondrée il y a bien des années. Je ne me permettais qu’un rapide coup d’œil pour m’assurer qu’elle ne s’était pas blessée.
Et en effet, elle se tenait la main, grimaçant face à la coupure qu’elle s’était faite.
Je me retenais de lui adresser la parole.
Nojùcénie : « Où te caches-tu ?! »
Cette douleur l’avait énervée davantage. Elle s’était persuadée depuis bien longtemps qu’elle me battrait sans effort.
Tandis qu’elle tournait dans un sens et dans l’autre pour tenter de m’apercevoir, je fixais ma lyre.
-5-
Je revoyais cet instrument, couvert de terre, éclairé par le soleil de cette fin d’hiver.
Heraldos : « Intéressant. Qui aurait cru que tu te montrerais digne d’apprendre un nouveau sort ? Mais fonctionne t-il vraiment comme les autres ? »
Le maître me toisait avec intérêt, je venais de lui avouer ce qui m’était arrivé.
Lucéard : « Oui, je le ressens. Outre le fait que ce soit un Eius, j’ai un peu cette même sensation que lorsque j’utilise la magie musicale. »
Heraldos : « C’est présomptueux de ta part de parler de sensation, alors que tu n’as jamais utilisé que la magie musicale. »
Lucéard : « Avec le froid de ces derniers mois, je me suis essayé à faire du feu… »
Heraldos : « Le fait que ce soit de la magie musicale ne signifie pas qu’il fonctionne de la même façon que tes autres sorts… Mais as-tu testé ses déclinaisons ? »
Lucéard : « Je n’arrive pas à lancer de Magna, non… Même utiliser la forme simple ne marche que si je cible un être vivant. »
Je reçus un coup de bâton.
Heraldos : « …Mais alors qu’est-ce qui te fait penser qu’il fonctionne comme les autres ? »
Je me frottais la tête, sans répondre.
Heraldos : « Vu les effets visibles de ce sort, il n’est pas étonnant qu’il ne puisse être utilisé que contre des adversaires… Mais le Magna pourrait être un sort de tension. »
J’en étais venu à la même conclusion.
Lucéard : « …Si c’est le cas, il sera certainement plus gourmand en mana qu’un autre Magna. »
Heraldos : « Tu m’as dit l’avoir testé sur des bêtes qui t’ont attaqué, n’est-ce pas ? »
Lucéard : « Oui. Que ce soit contre elles ou contre ce bandit dont je vous ai parlé, j’ai eu l’impression que le sort les avait calmé, comme si…. Comme si j’avais pu les atteindre avec mes sentiments. »
Le grand homme me toisait, toujours impitoyable.
Heraldos : « Je vois… Si les sentiments que tu insuffles dans tes incantations peuvent influencer autant tes autres sorts, peut-être que celui-ci repose encore davantage sur ce principe. Je ne serais pas surpris que la tension ne suffise pas à le lancer. Il va te falloir un affrontement plus… Intense. »
Je l’imaginais déjà mettre en rogne une créature magique pour me mettre à l’épreuve. Mais il semblait se douter qu’il fallait quelque chose d’autre pour produire la variante de ce sort.
Heraldos : « Quand le moment sera venu, il sera facile pour toi de le savoir. C’est bien là l’un des avantages de la magie musicale. »
Lucéard : « Comment ça ? Vous me cachez encore des choses sur la magie musicale ? »
Je me fis aplatir le crâne une fois de plus.
Heraldos : « C’est censé être la grande affinité magique de ta famille, ce n’est pas à moi de tout t’expliquer. Et surtout, tu aurais déjà dû le remarquer depuis le temps. »
Face à ma perplexité, le maître soupira.
Heraldos : « As-tu déjà eu l’impression que ton instrument brillait ? »
Je n’eus même pas à réfléchir.
Lucéard : « Oui, c’est arrivé ! Mais toujours à des moments où je n’avais pas le temps d’y faire attention… »
En prononçant ces mots, la vérité m’apparut.
Lucéard : « Attendez ! Ça ne se produit qu’au beau milieu de combats difficiles, et souvent longs… Autrement dit… ! »
Le vieil homme hocha la tête avec satisfaction.
Heraldos : « Les catalyseurs magiques comme tes instruments sont parcourus par la tension magique en toi. Ils se mettront à luire quand ils en auront accumulé suffisamment. Et quand tu as assez de tension pour un Giga… »
Lucéard : « …Ils s’illuminent. »
Fasciné par cette découverte guidée, j’observais ma lyre à la lumière du soleil, mais c’était bel et bien mes yeux qui brillaient.
Dans l’obscurité de la cathédrale, ce souvenir m’avait fait esquisser un sourire.
Avec vos enseignements, je suis sûr de revenir victorieux.
Mes yeux étaient rivés sur l’instrument dans ma main. Il luisait intensément.
Ma poigne se resserra.
Je vais le faire.
Nojùcénie : « Décidément… Tu as voué ta vie à me décevoir ? Il n’y a rien de moins épique qu’une partie de cache-cache, Lucéard. »
Elle haussait le ton pour être sûre que je l’entende, et eut la réponse de son écho, suivie de la mienne.
Lucéard : « Ce qui est décevant, c’est d’entendre ça de la part d’une amatrice de cache-cache. »
Mon attitude l’agaçait, et elle se tourna aussitôt vers l’origine de cette voix.
Je m’avançais sur le grand tapis central. Le regard pénétrant que je lui lançai la poussa à se mettre en garde. Ces yeux brûlants de résolution étaient contrastés par le sang sombre qui couvrait mes traits.
Nojùcénie : « …Tu es prêt à en découdre, je vois ! »
Lucéard : « Je te l’ai déjà dit : tu n’as pas à avoir peur de moi. Je ne veux que ton bien. »
J’ai encore pas mal de mana en stock, mais me voilà déjà presque prêt à lancer un sort de tension. Outre le fait que j’ai dû progresser, une journée aussi intense ne peut qu’aider à accumuler la tension plus facilement.
Une conclusion me vint.
Mes sentiments ont dû aussi accélérer le processus, et si l’Anima Eius est plus lié à mes émotions qu’à ma magie, alors j’ai bon espoir de pouvoir le lancer.
Lucéard : « …Cela fait des mois… »
Après une grande inspiration, je lançais le dialogue une fois de plus. Je pariais sur le fait qu’elle souhaitait m’entendre me lamenter sur mon sort avant de me tuer, ce qui me laissait le temps de laisser libre cours à mes sentiments.
Lucéard : « …Des mois que j’essaye de devenir un frère dont tu aurais été fière, un frère à la hauteur de tous les efforts que tu as fait pour moi. Tu n’as pas idée à quel point t’avoir perdu a été difficile. Il y a un an encore, je n’aurais pu imaginer que souffrir autant était possible… »
Le chagrin et la douleur sur mon visage et dans ma voix n’étaient pas feints. J’avais fait la paix avec ces sentiments, j’étais parvenu à les accepter, mais tout ce malheur qui m’avait frappé, je ne l’oublierai jamais.
Me voir tenir un tel discours la divertit.
Lucéard : « J’ai traversé beaucoup de choses depuis. Mais l’obstacle le plus terrible a été d’accepter que tu sois partie pour de bon… Et pourtant… Tu es là… »
Il m’aurait fallu encore des semaines pour réaliser pleinement tout ce qu’impliquait qu’elle soit en vie. Considérer qu’elle était là, sous mes yeux, était une source intarissable d’émotions.
Lucéard : « D’une façon ou d’une autre, tu as survécu, et aujourd’hui, tout peut redevenir comme avant… Alors, je t’en prie, Nojù… »
Les larmes me montaient aux yeux malgré moi.
Lucéard : « …Rentrons chez nous… ! »
Ses lèvres se délièrent lentement.
Nojùcénie : « Tu vois quand tu veux… ! C’est ça que je voulais voir avant d’en finir avec t- »
Lucéard : « Mais tout ça n’a pas été qu’une épreuve pour moi, tu t’en doutes. Tu manques à tout le monde, encore aujourd’hui. Notre père, nos tantes, nos oncles, nos cousins et cousines, nos grands-parents. Tous ceux qui tiennent à toi. Je suis sûr que comme moi, ils ont dû renoncer à ce futur où ton sourire faisait partie de leur vie. Aujourd’hui, j’ai l’unique chance de pouvoir rendre à tous ce que nous avons perdu… »
Nojùcénie : « Oh, ça commence à bien faire toutes ces niaiseries ! Je les méprise autant que je te hais, rentre-toi ça dans le crâne ! Et crois-moi, quand j’en aurais fini avec toi, je leur rendrais visite personnellement, et je me ferai une joie de les massacrer jusqu’au de- »
Lucéard : « TU MENS ! »
Ce cri la coupa dans son élan.
Lucéard : « Outre les contradictions évidentes dans ton histoire, si j’ai su qu’il s’agissait bel et bien de toi quand tu es entrée dans la cathédrale, pense bien que j’ai aussi compris que tu étais ensorcelée. »
La fureur dans ma voix la contraint au silence.
Lucéard : « J’ai vécu 14 années avec toi. Il n’y a aucune chance pour que tu aies eu une double-vie. Mais surtout, il y a autre chose qui ne colle pas du tout. »
Avant même qu’elle ne réponde, je poursuivais.
Lucéard : « Et c’est extrêmement simple. Je te connais mieux que quiconque. Je crois sincèrement que ce sont tes sourires et ta bonne humeur qui m’ont aidé à devenir qui je suis aujourd’hui. Tu as toujours été adorable, à ta façon, bien sûr, mais tu l’étais, et ce, avec n’importe qui. Même quand tu pensais que personne n’était là, que nul ne se doutait de ce que tu faisais, tu œuvrais toujours pour le bien de chacun. Même si tu as fait ton lot de méfaits, tu avais toujours les meilleures intentions du monde. Et c’est précisément ça qui cloche : tu n’avais certainement pas à aller aussi loin si tout ça n’était qu’une imposture. La façon dont tu as toujours agi révèle qui tu es vraiment. Réfléchis quelques secondes, et tu te rendras compte que tout ça n’a aucun sens. Tu t’es faite embobinée ! Repense à toutes les fois où tu as pris soin des autres sans même qu’ils ne le sachent ! Si tu nous détestais vraiment, pourquoi aurais-tu fait tout ça ?! »
Nojùcénie : « J’explique ça par ton manque d’observation, débile. »
Sans se laisser déstabiliser par mon argumentation, elle soupira sa réponse.
Nojùcénie : « Tu peux bien penser ce que tu veux, mais, comment expliques-tu que Musmak me considère comme son chef ? Que j’essaye de te tuer ? »
Mes mots avaient pourtant réussi à l’agacer.
Nojùcénie : « Tu vois bien que j’en veux à ta vie, non ?! Tu vois bien qu’essayer de me ramener avec toi est stupide ?! Tu vois bien qu’à ce rythme-là tu vas juste mourir bêtement ! Ouvre les yeux ! Pourquoi tu t’acharnes autant à ne pas m’attaquer alors que je te hais plus que tout au monde ?! »
Lucéard : « Parce que je t’aime !! »
La lyre se mit à rayonner.
Nojù écarquilla grand les yeux. Sa mâchoire se décrocha. Jamais je ne lui avais dit ces mots. Pas une fois.
Dans ce cri, j’avais laissé échapper mes sentiments les plus profonds, ils s’étaient embrasés en moi, et gravés dans la lyre qui irradiait tout autour de moi.
Lucéard : « Et je te sauverai ! Je te le promets !! MAGNA ANIMA EIUS !! »
Un torrent de flammes roses déchira les ténèbres de la cathédrale. Contrairement à sa forme basique, cette nébuleuse brûlait de toutes mes émotions les plus violentes, en une déferlante majestueuse. Nojù ressentit la puissance de ce sort mystérieux.
Nojùcénie : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Après avoir constaté l’impuissance de son bouclier, ma sœur s’essaya à détruire le sort à l’aide d’une attaque.
Mais le Magna Anima passa outre. Rien ne pouvait stopper la force que j’y avais insufflée.
Quand il l’atteignit, elle se retrouva noyée dans un torrent de lumière. Cette fumée d’un autre monde s’imprégna en elle, comme si elle pénétrait chacun de ses pores.
Le choc avait fait vaciller Nojù, qui, avant de pouvoir s’appuyer sur une colonne, tomba sur ses genoux, totalement confuse.
Ma sœur ressentait encore cette chaleur quelques secondes après, comme si elle avait élu domicile en elle. La jeune fille peinait à retrouver son souffle.
Nojùcénie : « Encore… Ce truc… ! »
Elle se releva lentement, déboussolée.
Nojùcénie : « Anima Eius… ! »
Elle frappa les cordes du rebec en vain.
Nojùcénie : « Anima Eius ! Anima Eius ! Aah ! »
Elle ne parvenait pas à reproduire ce sort insupportable. Furieuse, elle me cherchait des yeux. Les flammes roses l’avaient éblouie et elle se réhabituait lentement à l’obscurité.
Nojùcénie : « Pourquoi ça ne marche pas ?! C’est quoi ce sort à la fin ?! Réponds ! »
Le silence de la nuit était particulièrement oppressant. On n’entendait que le bois craquer par moment, et le vent s’engouffrer entre les pierres.
Ma sœur finit par apercevoir la silhouette couchée au sol, devant les grandes portes, à plus de vingt mètres d’elle.
Elle réalisa que l’attaque destinée à parer mon sort m’avait atteinte, et que si j’avais survécu à la violence d’un tel coup, ce n’était que pur hasard.
Nojùcénie : « Ah… C’est terminé, alors… »
-6-
Je tremblais encore. Le contre-coup de mon propre sort avait laissé mon corps atone, et mon esprit languissant.
Nojùcénie : « Puisque tu es encore en vie, explique-moi ! Comment tu fais ce sort ?! »
Je n’avais pas le souffle pour lui répondre, ni l’énergie, ce qui l’agaçait. Toute ma volonté semblait s’être envolée.
Nojùcénie : « Ah ! Quelle plaie ! Quand je t’ai vu arriver, j’espérais que ma soirée serait des plus plaisante, mais ton attitude a tout gâché ! Fichu pour fichu, je m’amuserais peut-être plus en te gardant prisonnier ! »
Je levais la tête péniblement, et réalisai avec amertume.
Le Magna Anima… Il n’a eu aucun effet…
Je sentis un sentiment de dégoût monter en moi, accompagné d’une douleur terrible.
Je me hissai sur mes avant-bras et crachai une faible quantité de sang. Cette sensation infâme me terrorisait.
Je haletais, tout en m’essuyant la bouche, désespéré.
C’est comme si elle m’avait toujours détesté… Me voir ainsi ne lui fait absolument rien…
Nojùcénie : « ANGUEM IRIDIS. »
Le ruban de lumière traversa toute la pièce, s’enroula autour de ma jambe, puis me tira brutalement vers les airs. Je me heurtai plusieurs fois au tapis avant d’être ramené à ses pieds.
Dans ce dernier impact, le fil qui reliait la lyre à ma tenue s’était rompu, et l’instrument roula avant de s’arrêter deux mètres plus loin.
Je me suis trop avancé… J’ai cru dur comme fer que ma sœur était revenue…
Je posai mon avant-bras devant moi et hissai mon corps pour ramper vers l’instrument.
C’est son corps, c’est son sourire… Et pourtant, cette nouvelle personnalité a très bien pu remplacer l’ancienne. Ce n’était peut-être pas le sortilège que j’imaginais… Peut-être qu’une nouvelle âme néfaste anime le corps de Nojù… Peut-être que finalement, ma petite sœur est belle et bien morte… Il ne reste plus que sa chair, réceptacle de l’ennemi que je devais vaincre…
Elle s’amusait à me voir me traîner dans la poussière, faiblement.
Alors tout ce que j’ai tenté était vain… La dernière chance de sauver ma sœur, je l’ai déjà laissée s’échapper ce jour-là…
Même si ma volonté était vacillante, en proie au désespoir, je tendais la main devant moi, aussi loin que possible, sans pour autant atteindre cette lyre, dont la vue me rappelait sans cesse mes entraînements acharnés, et la promesse de surpasser toutes les épreuves qui m’attendaient.
Nojùcénie : « LAMINA EIUS. »
En deux mots et un son, l’instrument se brisa sous la lame de lumière.
J’avais assisté à cette scène éblouissante, hagard. Les cordes de l’instrument avaient cédé les unes après les autres. La fine table d’harmonie en métal s’était scindée en deux, et chacun des morceaux se heurtait au marbre, dans un bruit dissonant.
J’écarquillai les yeux, atterré.
Je me souvenais encore nettement de la première fois où j’avais vu cette lyre. À ce moment-là, elle se trouvait déjà entre mes mains.
Le maître me l’avait lancé, et dans un réflexe gauche j’avais su la rattraper.
J’étais au plus bas quand elle avait commencé à m’accompagner partout. Quand j’avais besoin de puissance, je ne l’utilisais pas, mais tout le reste du temps, lors de chacun de mes entraînements depuis plus de huit mois, c’était contre ses cordes que j’avais insufflé mes sentiments, ma résolution, tout ce que j’avais de meilleur en moi. C’était à ses côtés que j’avais pu développer ma magie pendant tout ce temps.
Même s’il était trop tard, j’attrapais un des bouts de ce qui restait de la lyre, entre mes mains tremblantes. Mes yeux se firent humides. Mes lèvres se contorsionnaient, comme pour résister à l’émotion qui me revenait enfin.
Face à cette vision pitoyable, un rire moqueur s’éleva au-dessus de moi.
Nojùcénie : « Décidément, toi et tes instruments, c’est toujours une sacrée histoire d’amour, Lucé ! »
Elle n’entendit en réponse qu’une toux étouffée. Mes épaules tremblaient à leur tour.
Sans pouvoir encore prononcer un seul mot, elle entendit dans la voix qui s’élevait ce qui ressemblait à un rire.
Lucéard : « Haha… Hahaha… »
Mon hilarité n’allait qu’en s’amplifiant, ce qui rendit Nojù perplexe.
Nojùcénie : « Ça y est ? Ton esprit amoindri a fini par céder ? »
Malgré cette pique, elle ne supposait pas que j’avais perdu la raison, et devinait que mon rire était le plus sinistre des présages aussi longtemps qu’elle était mon adversaire.
Par curiosité, elle me laissait me relever. Malgré la douleur, je lui fis face de nouveau. Elle reculait lentement, préférant garder ses distances. Néanmoins, elle voulait à tout prix savoir ce qui m’avait permis de m’extirper du désespoir.
Nojùcénie : « Tu n’as plus que ton épée bizarre pour te battre, qu’est-ce qui te réjouis tant ? Tu es fini ! »
Je n’étais pas si joyeux qu’elle le pensait. Ce que représentait cet instrument pour moi allait au-delà d’un simple attachement matériel, mais autre chose m’avait pris au cœur.
Lucéard : « …Premièrement, ce n’est pas une épée bizarre, c’est un cimeterre. »
J’avais encore ce goût ignoble de sang dans la gorge, mais je poursuivis.
Lucéard : « Et deuxièmement, il me reste aussi ça. »
Ce qu’elle vit dans ma main la perturba. Elle ne pouvait tout simplement pas rester insensible face à sa propre flûte-double.
Ce moment de faiblesse me permit d’apporter l’instrument à ma bouche.
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »
Le ruban s’accrocha à autour d’une colonne, et me hissa, quelques mètres en arrière, me permettant de me retrouver à bonne distance d’elle, sans la quitter du regard.
Lucéard : « Et si je me réjouis, ce n’est pas parce que tu as brisé le premier cadeau de mon maître, mais parce que tu viens de m’appeler Lucé. »
Je lui annonçais ceci avec satisfaction et amertume. Je pouvais ainsi m’assurer en lisant sur son visage qu’elle n’avait jamais eu l’intention de m’appeler par ce sobriquet.
Tout comme les sœurs Nefolwyrth, les surnoms que l’on se donnait Nojù et moi étaient exclusifs. Sauf pour diverses plaisanteries, elle ne m’appelait jamais Lucéard.
En ce petit lapsus de sa part, j’avais décidé de placer tous mes espoirs, et trouvais la force de rester debout, malgré la douleur.
De toute façon, il n’a jamais été question d’abandonner. Après ce choc, j’ai les idées un peu plus claires. Tous les autres sont en train de se battre actuellement, ils risquent leur vie. Même si ça m’est sorti de la tête en arrivant ici, je n’oublie pas que je suis ici pour sauver Ceirios.
Avoir libéré mes sentiments dans ce Magna Anima était peut-être ce qui m’avait permis cette soudaine lucidité.
Nojùcénie : « Tu es prêt à te raccrocher à tout ce que tu peux pour ne pas avoir à accepter la réalité. Comme c’est triste. Mais rien n’y fait, tu ne retrouveras jamais cette sœur qui t’a aimé, car elle n’a jamais existé ! »
Lucéard : « Pour quelqu’un qui me déteste, je trouve que tu te soucies un peu trop de moi depuis le début. »
Ses sourcils se froncèrent. Je mettais sa patience à l’épreuve.
Nojùcénie : « J’en ai assez… ! Ta gentillesse navrante m’a toujours écoeurée ! »
Encore une fois, sa tentative de me blesser eut l’effet inverse. Ma mâchoire se décrocha en entendant ces mots. Une chaude émotion me rendit des couleurs.
Lucéard : « Alors… C’était bien vrai… Malgré mon comportement, malgré tous mes propos, tu n’as jamais pensé que j’étais quelqu’un de mauvais… Tu as toujours vu en moi quelqu’un de gentil… ! »
Nojùcénie : « Qu’est-ce qui te prend encore ? T’es lourd, là. »
Ma sœur se mit en garde, méfiante. Elle venait de comprendre que ses remarques ne faisaient qu’alimenter ma résolution.
Lucéard : « Maintenant que j’y pense, je vais enfin pouvoir te dire ce que je pensais ne jamais pouvoir te dire, Nojù. »
Je lui montrais un sourire bienveillant.
Lucéard : « Merci pour tout ! »
Nojùcénie : « …Arrête… ! »
Sa voix était toujours aussi sévère, mais quelque chose avait changé.
Nojùcénie : « Aah ! Tu me saoules ! MAGNA LAMINA EIUS ! »
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »
C’était le moment. Le moment de changer les choses. Le moment de sauver ma sœur pour de bon.
-7-
Je me hissais au-dessus de son sort qui ravagea une fois de plus la cathédrale. Ses réserves magiques étaient prodigieuses, mais il me suffisait d’un sort contre lequel elle ne pouvait rien pour changer le cours de ce duel.
Je retombais tout près d’elle.
Lucéard : « Tu sais, un peu grâce à toi, et je t’en remercie, j’ai su me faire pas mal d’amis. Et aujourd’hui, nous nous sommes tous rassemblés pour venir au secours de l’un de nos compagnons. »
Nojùcénie : « Jamais tu te tais, bon sang ?! MAGNA LAMINA EIUS ! »
Cette fois-ci, un simple bond sur le côté me permit d’éviter l’attaque à bout portant. Ma force physique, ma technique, et mon endurance étaient supérieures à ses propres capacités. Dans l’état où j’étais actuellement, personne ne pouvait m’arrêter.
Nojùcénie : « Quoi ?! »
Lucéard : « …Depuis ce qui nous est arrivés, Père est devenu bien moins strict qu’avant… Quelque part, c’est pratique, mais ça me brise le cœur de le voir ainsi… Il t’a cherché pendant si longtemps, tu sais…? ANIMA EIUS. »
D’un souffle dans la flûte-double, le sort apparut. Je puisais dans les sentiments de chacun, et les faisais miens. Puis, je lui transmettais.
Nojùcénie : « Pas encore ça ! »
Elle s’essaya à une esquive, mais le sort dévia de sa trajectoire et la heurta en plein cœur. Rien n’échappait à l’Anima.
Nojùcénie : « Ton sort ne sert à rien mais il me gave ! Un peu comme toi, maintenant que j’y pense ! »
Je l’ignorai totalement, et poursuivis cet assaut verbal.
Lucéard : « Quand j’ai revu Brynn juste après qu’il ait appris ton décès, il m’est apparu sous un jour nouveau. Je n’imaginais pas qu’il tenait autant à sa famille, mais il restait toujours aussi fort et digne en présence des autres. Il faisait ça en partie pour nous, et en partie pour toi, je pense. ANIMA EIUS ! »
Avant que la flûte ne retentisse, Nojù contre-attaqua.
Nojùcénie : « Même si je ne peux l’éviter, tu es vulnérable pendant que tu le lances ! LAMINA EIUS ! »
Elle reçut la nébuleuse rose sans chercher à lutter, mais de mon côté, j’esquivais son attaque. Je restais en mouvement pour ne plus être une cible facile.
Lucéard : « Eira aussi s’est montrée forte, tu t’en doutes. Elle a accepté de partager son secret avec certains d’entre nous, ce qui a dû lui demander bien du courage. Je suis sûr que c’était quelque part une sorte d’hommage pour toi. ANIMA EIUS. »
Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »
Tout ce qu’elle tentait était vain. Je tournais autour d’elle. J’étais rapide et imprévisible. Mais mes sentiments, eux, la frappaient de plein fouet, systématiquement.
Lucéard : « Ceilio est resté Ceilio. Mais pour protéger les nôtres de nouvelles tragédies, il est devenu un combattant redoutable. ANIMA EIUS. »
Nojùcénie : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Mon sort lui avait fait perdre l’équilibre avant qu’elle ne puisse finir son incantation, et la lame de lumière partit de travers.
Lucéard : « Dilys a reconnu que tu lui manquais, et rien que ça, tu conviendras que c’est impressionnant. Elle a aussi porté la robe que tu lui as offerte l’an dernier. Je suis sûr qu’elle l’adore. ANIMA EIUS. »
Nojùcénie : « LAMINA EIUS… ! »
Sa voix venait encore de faiblir.
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »
Je me hissais rapidement sur une des voûtes, perché bien assez haut pour me sentir en sécurité.
Nojùcénie : « …Dilys a dit ça… ? »
Elle m’écoutait, ça ne faisait plus aucun doute. Une partie d’elle voulait savoir. De là-haut, la cathédrale me faisait écho.
Lucéard : « Talwin et Meloar redoublent d’efforts pour être de bons grands frères, chacun à leur drôle de façon… Mais ils ont donné ce qu’ils ont de meilleur pour que leur famille se relève de la tragédie qui nous a frappé. ANIMA EIUS. »
Nojùcénie : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »
Mon sort était bien plus lent que les autres, et je ne pouvais pas en incanter d’autres tant qu’il ne l’avait pas atteint.
Je remarquais la colonne légèrement penchée, assez proche de moi pour que je puisse y bondir.
Les rubans de lumière se scindèrent en deux, puis en quatre, et cette fois-ci, ils purent se diviser jusqu’en huit.
Je m’élançai contre le pilier, et glissai tout son long, tout en dégainant Caresse.
Je tranchai les différentes bandes qui cherchaient à m’atteindre dans ma descente. Quand j’atteins le sol, accroupis, il n’en restait plus une seule.
Lucéard : « Efflam m’a offert la dernière aventure de Valronde sortie pour la fête de fin d’année. On a pu en parler tous les deux. D’ailleurs, je suis sûr que tu n’en croiras pas tes oreilles, mais il a éveillé sa magie, lui aussi. Et ce pendant le tout premier tournoi de combat de notre famille, alors qu’il affrontait Ceilio. Tu aurais adoré y participer, c’était vraiment quelque chose ! ANIMA EIUS ! »
Nojùcénie : « Je m’en contrefiche ! MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »
Son visage disait le contraire.
Le ruban disparut derrière elle, et huit bandes semblèrent sortir de son dos comme les pattes d’une araignée, fusant droit sur moi.
Sans m’arrêter de parler, ni de courir, Caresse répondit à cette nouvelle attaque.
Lucéard : « Crois-le ou non, mais je suis devenu ami avec Kana. On s’écrit régulièrement tous les deux. J’ai l’impression de l’avoir totalement redécouverte. Elle est parfois un peu nunuche sur les bords, c’est vrai, mais elle déborde toujours de bonne énergie et de gentillesse. ANIMA EIUS. »
Nojùcénie : « Ah… ? MAGNA ANGUEM IRIDIS. »
J’entendais de la douleur dans sa voix, mais je continuais de lutter, la flûte-double dans une main, et Caresse dans l’autre. Certaines bandes parvenaient à me blesser. Elle les maîtrisait de mieux en mieux, accompagnant ses attaques de coups sur le rebec.
Lucéard : « Je suis sûr que tu te demandes qui a gagné notre tournoi. Eh bien, c’est Goulwen, rien que ça. Il a vraiment de la ressource quand il veut. ANIMA EIUS ! »
La princesse bondit derrière une colonne, dans un dernier espoir de parvenir à déjouer ce sort, mais rien n’y faisait, le coup la frappa en plein cœur, et elle en resta troublée.
Tout comme moi, elle commençait à manquer de souffle, mais tentait de rester en mouvement pour pouvoir reprendre le dessus sur moi.
Lucéard : « …La pauvre Klervi s’est retrouvée suspectée de meurtre cet hiver… Mais elle a été innocentée pendant son procès, et cette nuit-là, on a appris le secret des disparitions de Yuna. ANIMA EIUS. »
Nojùcénie : « Klervi ? Suspectée de meurtre ?! Ma parole, tu inventes au fur et à mesure, en fait ! J’aurais dû me douter que tu mentais ! »
Ma sœur avait tenté de sortir de mon champ de vision avant l’incantation, elle ne voyait plus que ça pour espérer échapper à mon Anima, mais ce fut tout aussi vain.
Nojùcénie : « Allez… Juste pour rire, c’est quoi qui explique que Yuna réussit toujours ses évasions ? »
Elle avait beau prendre un air hautain, elle me semblait embarrassée à l’idée de poser cette question.
Lucéard : « Yuna est une passe-muraille. Elle peut traverser n’importe quelle matière à sa guise. »
Nojùcénie : « Pff ! Débile… ! »
Hurla-t-elle, indignée.
Nojùcénie : « …Même si ça expliquerait pas mal de choses… »
Concéda-t-elle juste après, dans un murmure.
Lucéard : « Aenor… »
Rien que d’entendre ce nom suffit à faire frissonner Nojù.
Lucéard : « Je lui dois énormément… Cette fille est si forte. Et elle s’est encore endurcie depuis que tu n’es plus là… Elle a appris ta disparition le jour de son anniversaire, tu sais… ? ANIMA EIUS. »
Nojùcénie : « Aenor… »
Elle ne contre-attaqua pas. J’avais senti une pointe d’émotion dans sa voix. Quand le sort l’avait touchée, elle avait vu le visage de sa cousine, comme elle avait vu le visage de chacun des membres de notre famille en étant atteinte par mes précédents Anima.
Je me rapprochais du but, mais mon endurance magique était mise à rude épreuve. Ces sorts étaient coûteux, et les lancer devenait de plus en plus difficile.
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Lucéard : « Jagu est de plus en plus ingénieux. Et il commence à grandir mine de rien. J’espère que tu pourras bientôt le revoir. J’espère que tu pourras les revoir tous très bientôt. Tante Luaine, Oncle Evariste, tous nos cousins. ANIMA EIUS ! »
La jeune fille tomba sur un genou après avoir encaissé ce sort.
Nojùcénie : « …Arrête… »
Sa voix faiblissait encore, et ses lèvres tremblaient.
La voir ainsi fit se serrer mon cœur. Quand elle réalisa le spectacle qu’elle montrait, elle se ressaisit.
Nojùcénie : « Qu’est-ce que tu me fais ?! Je ne te laisserai pas continuer ! MAGNA LAMINA EIUS ! »
Toujours en mouvement, je bondissais entre les obstacles, et évitai ses attaques à la seule force de mon corps jusque-là. Mais ce sort parvint à dévier de sa trajectoire, et même s’il ne réussit qu’à m’effleurer, le souffle m’entraîna au sol.
Même si elle est ne peut qu’à peine à courber sa trajectoire, cette prouesse complique les choses pour moi. Elle progresse si vite… !
Nojùcénie : « Tu pensais que j’allais me laisser faire indéfiniment ?! MAGNA LAMINA EIUS ! »
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Je m’élançai sur mon bouclier avant même d’être entièrement debout. Mais sa lame de lumière, comme si elle était soudain en proie à la gravité, s’écrasa sur le marbre dans une détonation éblouissante.
Nojùcénie : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Elle a fait dévier son sort pour qu’il s’écrase au sol dans le but de pouvoir en renvoyer un juste après ?!
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Alors que j’étais dans les airs, je me fis rebondir in extremis jusqu’à une voûte sur laquelle me percher.
Nojùcénie : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »
Elle avait compris qu’il ne fallait me laisser aucun répit.
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »
Je me hissais vers une autre voûte. Hélas, une seule de ses bandes suffit à trancher mon ruban.
Lucéard : « Non ! AUXILIA EIUS ! »
Je rebondis précipitamment sur la sphère de lumière pour éviter une autre ramification de son sort. Mais celle-ci était un leurre. Son véritable but était de se hisser jusqu’à mon niveau.
Non ?!
Ma sœur était face à moi, à quelques mètres seulement. Je lus dans son regard assassin qu’elle savait que sa tactique était infaillible, et qu’elle mettrait cette fois-ci toutes les chances de son côté.
Nojùcénie : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Lucéard : « AUXILIA EI- »
C’était trop tard. Le coup m’emporta droit au sol. Je m’écrasai brutalement sur le marbre dans l’explosion, puis valdinguai sur quelques mètres avant de finir cette glissade dans la froide pénombre.
La demoiselle atterrit en douceur sur un Auxilia, l’air victorieux.
Mais quand elle m’aperçut au loin, immobile, son souffle se coupa. Une soudaine terreur la paralysa. Sa bouche s’ouvrait malgré elle. Elle était perdue.
Avant qu’elle ne cède à la tentation de m’appeler, elle me vit me relever, comme si la douleur ne m’atteignait plus.
Lucéard : « …Madeleine… …Et Ernest… »
Le prince face à elle peinait à lever la tête, et ses genoux restaient fléchis, comme si supporter son propre poids lui était presque impossible.
Un sourire échappa à la princesse, mais elle se maudit aussitôt de s’être inquiétée.
Lucéard : « Ils ont tous les deux étaient durement touchés par ta disparition. Ta pauvre gouvernante a perdu la fonction qui lui tenait tant à cœur. Elle vit malgré tout dans le palais, aujourd’hui encore. C’est elle qui a amélioré la tenue que tu m’as offerte. J’ai aussi récupéré toutes les babioles de ta chambre qu’elle n’a pas eu le cœur à jeter. Enfin… Ce ne sont pas des babioles, n’est-ce pas… ? ANIMA EIUS… »
Mon sort l’atteint, et sa vision se brouilla en ressentant l’étrange chaleur. Elle avait aperçu la bonne dame qui s’était occupée d’elle toute sa vie.
Le garçon en face d’elle était en piteux état. Il écartait davantage ses pieds pour ne pas céder à la gravité. La dernière force qui me permettait de tenir debout était ces sentiments que j’exultais autant que possible.
Lucéard : « Je suis aussi devenu ami avec Miléna. Enfin, c’est un peu vite dit, mais… Bref, je l’aime bien. Je me demande même comment j’ai pu ne pas me rendre compte à quelle point cette fille est exceptionnelle. Mais plus étonnant encore, l’un de mes meilleurs amis est le fils de son jardinier. »
Ce qui ressemblait à une plaisanterie retint son attention avant qu’elle ne contre-attaque.
Lucéard : « C’est d’ailleurs l’ami d’enfance de Miléna. Et si tu veux mon avis, c’est même plus que ça… Mais quoi qu’il en soit, il m’accompagne partout. Même aujourd’hui… À l’heure qu’il est, il doit se battre contre les sbires de Musmak. Je commence à bien le connaître. Ce type ne sait que gagner. Crois-moi, je suis content de ne plus avoir à être son ennemi. ANIMA EIUS ! »
L’impact de l’Anima la déboussola encore davantage. Elle avait aperçu ce jeune homme dont elle ne savait rien, comme s’il avait été son plus fidèle allié l’espace d’un instant. Sa confusion se mua en colère aussitôt.
Nojùcénie : « J’en ai assez ! Qu’est-ce que tu me fais ?! Tu essayes de me laver le cerveau avec ton sort ?! Je sais très bien ce que j’ai vécu jusqu’ici ! Ce que tu me fais ressentir, ce n’est pas à moi ! »
Elle se rua dans ma direction, décidée à mettre fin à ce combat dès maintenant. Cette fois-ci, je la terrifiais.
Résolu à tenir bon le temps qu’il faudrait, j’apportais la flûte à mes lèvres, sans la quitter des yeux.
Nojùcénie : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Nojùcénie : « AUXILIA EIUS ! »
Elle réussit encore l’exploit de saboter son premier sort après m’avoir contraint à prendre mon envol.
C’était impressionnant de la voir se mouvoir ainsi. Il m’avait fallu un temps fou pour oser combattre dans les airs, mais Nojù, elle, avait su s’adapter immédiatement.
Brillant, Nojù. Mais je ne te laisserais pas m’approcher. Je ne survivrais pas à un coup de plus…
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »
Le ruban se fit une fois de plus le grappin au bout duquel je me balançais, contournant une colonne pour fausser compagnie à ma sœur.
Je sens que je suis tout près du but. Même si j’utilise les Anima à l’autre bout de la cathédrale, ils toucheront. Je ne dois plus prendre de risque. Et je dois conserver le peu de magie qu’il me reste pour les Anima.
Nojùcénie : « AUXILIA EIUS ! »
Elle venait de rebondir pour couper ma trajectoire.
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »
Je choisis un autre point où m’accrocher, et le ruban s’étendit.
Nojùcénie : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »
Son sort se divisa instantanément en huit rubans. Une des bandes suffit à rompre mon sort, et je me retrouvais dans les airs, pris pour cible par les sept autres.
Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »
Je fis apparaître un bouclier massif qui m’éjecta puissamment, et assez vite pour fuir son Anguem. Je n’avais plus le temps de tergiverser. Le mana n’était pas ce qui me manquait le plus.
Des gouttes de sang heurtaient le marbre froid quelques mètres en dessous de nous.
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Arrivé face aux grands vitraux brisés, sous le vaste trou depuis lequel la lune nous observait, je déviai ma trajectoire pour sortir de la cathédrale.
Même depuis l’extérieur, je peux l’atteindre, aussi longtemps qu’elle entend mes mots.
Nojùcénie : « AUXILIA EIUS ! »
Un bouclier gonfla comme s’il englobait l’astre nocturne. Je m’y heurtais de front, et fus renvoyé dans la direction opposée.
Quoi ?!
Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »
Après m’avoir renvoyé à l’intérieur de la cathédrale, elle attaqua de nouveau. Ce ballet aérien n’était pas encore fini.
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Le bouclier me permit de rebondir, tout en ralentissant assez son sort pour qu’il m’épargne.
Nojùcénie : « ANGUEM IRIDIS ! »
Elle se raccrocha à son ruban pour monter plus haut que jamais dans les airs, diminuant la distance avec moi.
Lucéard : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »
Il est temps d’en finir !
De ma main libre je dégainais Caresse.
Nojùcénie : « Tu ne m’échapperas pas ! MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »
Nojù était devenue une véritable machine de guerre. La haute voltige était terrifiante, mais elle rivalisait déjà avec moi sur ce terrain. Elle y était même plus à l’aise.
Les bandes irisées du sort se démultiplièrent encore dans son dos comme des pattes d’araignées.
Elles étaient plus rapides que la mienne, et mon propre sort fut tranché avant que je ne puisse m’accrocher à la voûte.
Nojùcénie : « C’est fini, mon frère ! »
Elle avait attendu le dernier instant pour rompre mon sort, s’assurant que je ne pourrais rien incanter de plus avant que ses autres bandes ne me dilacèrent.
Lucéard : « …Tu as d’excellentes prédispositions… »
Quand j’apparus dans son champ de vision, une autre bande de mon sort s’était accrochée à une voûte.
Lucéard : « Mais tu n’as pas mon expérience du combat. »
Les situations désavantageuses étaient mon terrain de prédilection, et personne n’aurait su me l’enlever.
Nojùcénie : « T-tu as coupé ton propre sort avec ta lame pour copier ma technique ?! »
Tout juste.
En faisant cette action dans son angle mort, j’avais pu utiliser ma première bande comme leurre.
Je m’étais extrait de la trajectoire de ses rubans, qui dévièrent pour pouvoir me suivre. Ils me rattrapaient rapidement.
Lucéard : « Je ne suis pas près de pouvoir en faire huit d’un coup, mais je peux bien en faire plus que deux ! »
Nojùcénie : « … ?! »
Une bande surgit de derrière une colonne, et lacéra le rebec, le dérobant des mains de ma sœur.
Nojùcénie : « Non ! »
Elle réalisa à son grand désespoir que j’étais moi-même parvenu à diviser le ruban par la seule force de mon esprit.
Les bandes de son sort se dispersèrent avant de m’atteindre. Elle avait totalement perdu sa concentration, et l’instrument étant détruit, l’Anguem se désagrégea.
La jeune fille chutait de plusieurs mètres. Elle réalisa avec horreur qu’elle ne survivrait probablement pas à une telle chute. Elle qui ignorait qu’elle pouvait se sortir de ce mauvais pas en un claquement de doigt n’avait plus l’espoir de vaincre, et ferma les yeux attirée inexorablement vers une douloureuse conclusion.
Lucéard : « …Je peux même en faire quatre. »
Une dernière ramification de mon sort s’accrocha autour de la taille de ma petite sœur et la déposa au sol en douceur.
Nojùcénie : « … »
Après cette joute acrobatique, Nojù me parut vaincue psychologiquement. Elle avait sensiblement blêmit, et fixait ses pieds en silence. Je l’avais humiliée.
Qu’importe la force magique dont elle était si fière, maîtriser avec autant de précisions quatre bandes tout en prenant en compte ce qui était dans le champ de vision de son adversaire relevait du génie de son point de vue.
Le prince atterrit à l’autre bout du tapis central.
Autour d’elle, Nojù constatait les nombreuses gouttes de sang qui étaient dispersées sous la lumière de la lune. Elle comprit aussitôt ce que ça signifiait.
Le liquide chaud et poisseux coulait de mon crâne jusqu’à mon menton, puis jusqu’au sol.
Nojùcénie : « …Arrête… »
Je haletais quelques instants. Mon regard n’était plus aussi perçant que jusqu’ici. Il s’emplissait progressivement de brume.
-9-
Lucéard : « …Tu manques aussi à la famille Nefolwyrth… Nos grands-parents, notre oncle, notre tante… Nos cousines… »
Désarmée, la demoiselle ne pouvait plus que me dévisager avec terreur et tristesse.
Lucéard : « Deryn et moi sommes devenus si proches aussi. Je lui dois tant. Tout comme je pense devoir ma vie à Eilwen. …Elle m’a tendu la main au moment où j’en avais le plus besoin… ANIMA EIUS. »
Le sort la toucha avec une certaine douceur. C’était la mes dernières forces magiques. Mais le souvenir de cette matinée fatidique entretenait la flamme dans mon cœur. Nojù aperçut Eilwen se tourner au sommet des escaliers. Ses joues rougirent, comme si elle partageait les sentiments qui me maintenaient éveillé.
Nojùcénie : « …Arrête… »
Lucéard : « …Ce n’était que quelques mots. Mais sans elle, je pense que Musmak aurait eu raison de moi ce jour-là… Ou peut-être que ç’aurait été la créature tapie en moi. »
Nojùcénie : « … »
Lucéard : « Mais à cause d’une des sbires de Musmak, Eilwen a reçu un sortilège dont elle ne s’est pas remise… »
Nojùcénie : « Je… Je n’étais pas au courant de ça… Je n’ai jamais donné un tel ordre… »
Ma pauvre sœur était perdue. Et à bout de force, elle aussi.
Lucéard : « C’était un dommage collatéral… C’est parce qu’elle a tenté de protéger son père qu’elle a fini dans cet état… »
Nojù semblait plongée dans la tourmente qui sévissait en elle. Sa volonté de se battre s’en était presque allée, jusqu’à ce que…
Nojùcénie : « Haha… Hahaha ! Hahahahaha ! »
Elle riait triomphalement face à son frère qui peinait à rester conscient. Le manque de mana engourdissait mon corps. Non… C’était l’anémie qui paralysait chacun de mes muscles.
Nojùcénie : « …C’est toi qui essaies de m’ensorceler ! Je ne te pensais pas aussi vicieux, mais c’est sûr, maintenant ! Tes sorts essayent de corrompre mon esprit ! J’ai failli me laisser avoir, je te l’accorde ! Mais ça n’a pas suffit ! »
Lucéard : « Ce combat est terminé… Tu n’as plus d’arme… »
Nojùcénie : « Que tu crois… ! »
Ma vue se troublait un instant. J’étais pris d’un violent vertige, puis je l’aperçus.
Nojùcénie : « Il n’y a pas que toi qui garde des surprises pour la fin. »
Quelque chose brillait intensément dans sa main. Assez pour éclairer mon visage.
Lucéard : « Mais c’est… »
Elle tenait entre ses doigts ma propre lyre. Ce joyau orné de pierres précieuses qui m’avait été offert il y a bien longtemps. L’instrument avec lequel j’avais jeté mon premier sort. J’étais persuadé qu’il avait disparu dans les débris de la tour de Lusio, en même temps que ma sœur.
Elle s’y était accrochée pendant tous ces mois. Et même si je retrouvais avec nostalgie cette vieille amie, sa présence signifiait ma défaite. Avec de quoi utiliser à pleine puissance son mana prodigieux, Nojù était sûre de me vaincre. Sans compter que sa tension magique ne demandait qu’à être libérée.
Je ne pouvais plus bouger.
Nojùcénie : « ANGUEM… IRIDIS. »
Le ruban s’enroula autour de moi sans que je ne puisse réagir. Puis, dans l’instant d’après, se resserra subitement, broyant mon corps entier.
Dans un son funeste, je m’écroulai au sol. Je n’étais plus qu’un martyr de plus au milieu de ces grandes fresques immobiles.
…
La princesse de Lucécie me fixait sévèrement. Elle ne s’autorisait pas à crier victoire. Elle avança de quelques pas, jusqu’à n’être plus qu’à trois mètres de moi.
Un bruit étouffé lui annonça que je n’étais pas encore mort.
Je rampais. J’étalais ce qui me restait de sang sur ce long tapis.
La demoiselle restait sous les rayons de la lune, et m’observait paisiblement.
Nojùcénie : « Enfin… C’était de ça dont je rêvais… Ce moment où tu ramperais vers moi par désespoir, pour que je puisse t’achever à mes pieds… »
Elle expira longuement, soulagée. Ce souhait si intense ne pouvait être que ses véritables sentiments.
Nojùcénie : « Et maintenant, comment vas-tu finir ? Que dirais-tu de disparaître à tout jamais dans la lumière d’un Giga ? »
Elle tendait devant elle la lyre rayonnante. La tension qu’elle avait accumulée était prodigieuse.
Je parvins lentement jusqu’à elle, avec les dernières forces d’un mourant.
La lumière de la lyre éclairait mon corps mutilé avant même que la lune ne le révèle entier.
Nojùcénie : « Maintenant que tout est rentré dans l’ordre, laisse-moi entendre tes tous derniers mots. »
Cette scène me ramenait encore dans le bois de Sendeuil, et le miracle qui m’avait permis de survivre. Aujourd’hui, c’était ma petite sœur qui me regardait de haut tandis que j’agonisais.
Sans trouver la force de lever la tête, je tendais ma main vers elle, en souffrance.
Lucéard : « …ra…e…s… »
La gorge emplie de sang, je n’avais pas pu prononcer distinctement ces deux mots, mais Nojù avait compris.
Nojùcénie : « … ?! »
En un frisson, ses épaules s’étaient tendues. Ses lèvres tremblaient.
Je répétais ces mots, avec tout ce qu’il me restait.
Lucéard : « Cura… Eius… »
Un claquement de doigt résonna dans toute la cathédrale.
Une faible lueur illumina la main de ma sœur, dont la blessure se referma lentement.
Nojù était sous le choc. Ses yeux devinrent humides.
Dans un dernier effort, je lui montrais mon plus doux sourire.
Nojùcénie : « …Arrête… Pourquoi tu fais ça… ? »
La lyre lui tomba des mains. De grosses larmes roulaient le long de ses joues. Sa voix n’était plus qu’un gémissement.
Nojùcénie : « Arrête… ! Je t’en prie… ! »
Sa réaction me brisait le cœur. Puis les ténèbres se refermèrent lentement sur moi. Mon corps devint froid.
Nojùcénie : « Pourquoi je suis si triste… ? J’ai toujours détesté les autres… Toi plus que quiconque… ! Alors… Pourquoi je m’imagine encore vivre heureuse avec vous tous ?! »
Je perdais les sensations dans chacun de mes membres, mais ma main essayait toujours de l’atteindre pour la réconforter.
Elle la balaya du pied, puis s’esquiva farouchement pour reprendre la lyre.
Nojùcénie : « …J’ai si peur. Si peur à chaque fois que tu souffres. Je te hais ! Alors pourquoi j’ai eu si peur quand je t’ai cru mort ?! »
Je n’avais jamais vu ma sœur aussi terrifiée. La lyre luisait plus fort encore que la lune. Son sanglot était incontrôlable.
Nojùcénie : « Qu’est-ce qui m’arrivera si cette peur ne disparaît pas après ta mort… ? Qu’est-ce qui m’arrivera si je reste aussi triste après t’avoir enfin tué ?! »
Ses souvenirs étaient de plus en plus confus. C’était comme si elle avait vécu deux fois cette vie, et cette dualité la déchirait. Une souffrance que personne ne pouvait connaître la tiraillait.
Lucéard : « …Tu n’as pas… …À avoir peur… Nojù… »
Ses yeux humides se plongeaient dans les miens. La lueur de ma résolution n’était pas prête de s’éteindre.
Lucéard : « …Je te l’ai promis, après tout… Je t’ai promis… Que je vivrais… »
À ce moment-là, la vérité lui apparut. Nojù se retrouvait des mois en arrière. Elle assistait encore à ce qu’elle avait cru être sa propre mort. Elle vivait une fois de plus ce moment où elle avait pensé ne plus jamais me revoir. Elle se souvint de ce dernier instant avant que la vie ne la quitte. Elle ne voyait plus que moi. Elle se souvint de son dernier souhait.
La lyre illuminait toute la cathédrale.
Nojùcénie : « GIGA… »
Ses larmes flottaient autour de son visage, brillantes comme des étoiles dans les plus noirs des cieux. La puissance qui émanait de l’instrument compensait la gravité.
Nojùcénie : « …CURA EIUS !! »
Une lumière plus éblouissante encore que le soleil à son zénith irradia la bâtisse en ruine, qui disparut toute entière.
Je me perdais dans la blancheur de ce monde. Il n’y avait plus que ma sœur, à genoux face à moi.
Une douce chaleur m’enveloppait, et s’immisçait en moi. Je sentais que ce corps voué à mourir se régénérait rapidement. Toutes les impuretés, qu’elles soient sur ma peau ou mes vêtements, se désagrégèrent. Je me sentais en paix, et l’énergie vitale et magique, qui s’était tarie en moi, ressurgit à la source de mon cœur.
Une chaleur plus forte me ramena à mes sens. Nojù me tenait entre ses bras.
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Nojùcénie : « …Je me souviens de tout… ! Je suis vraiment désolée, Lucé… ! Tout ce que j’ai dit est faux ! Je t’aime aussi ! Je t’ai toujours aimé ! »
Elle me serra de toutes ses forces, et colla son visage humide contre mon torse. Elle pleurait à chaudes larmes, sans parvenir à s’arrêter.
Je finis par répondre calmement à son étreinte. Je peinais encore à réaliser. Ce fut in extremis, mais j’avais tenu suffisamment de temps pour qu’elle revienne à elle.
Je posai une main sur son front, et m’écartai un peu, pour enfin l’apercevoir distinctement.
Lucéard : « …Tu n’aurais pas un peu grandi ? »
Elle leva les yeux, surprise. Son regard était embué par bien des souffrances.
En partageant mes émotions, je lui avais fait vivre un enfer durant notre combat, mais j’avais aussi pu partager ma mémoire avec elle.
Je ne peux expliquer ce qu’il s’est passé que d’une seule façon. La dualité qui affecte sa mémoire est sans doute un pouvoir de la même nature que celui qui a fait oublier l’existence de Kynel à tous. Et je devine aisément qui détient ce pouvoir monstrueux.
Mon expression se fit furieuse un instant, avant de redevenir sereine.
Nojùcénie : « Tu as bien plus grandi que moi, tu sais… »
Elle s’essuyait les yeux avant de continuer. Malgré tout, son sourire était toujours aussi rayonnant que ce monde de lumière.
Nojùcénie : « Et pas que physiquement… La dernière fois où je t’ai vu, tu n’étais encore que le sauveur de ta petite sœur qui t’admire. Mais aujourd’hui, tu as vraiment tout d’un héros ! »
La douceur qu’elle cachait derrière toute son énergie, je l’avais enfin retrouvée.
Je me rendais compte que la lumière de son sort se dissipait progressivement, et bien assez tôt, les ténèbres revinrent dans la cathédrale. Seul le visage radieux de Nojù illuminait encore cet endroit.
Nojùcénie : « C’est la première fois que tu me dis des choses comme ça. Ta déclaration était peut-être un peu trop embrasée pour une relation de frère et sœur, mais ça m’a quand même fait chaud au cœur sur le coup. Pourtant… J’avais totalement oublié à quel point j’avais souhaité entendre ces mots de ta bouche… Et je n’aurais jamais imaginé que ce soit dans de telles circonstances, haha ! »
J’entendais dans sa bonne humeur la promesse que le futur que je croyais perdu m’attendait encore. Que nous pouvions revenir à notre vie d’avant.
Lucéard : « T’habitues pas trop. Dans tout autre contexte, je serais mort de honte après avoir dit quelque chose d’aussi mièvre. Même si j’ai un peu évolué depuis la dernière fois qu’on s’est vu, c’est toujours trop me demander. »
Nojùcénie : « Il s’est vraiment passé plein de trucs pendant mon absence, alors… Quand on sera rentrés, tu as intérêt à tout me raconter sans oublier le moindre petit détail ! Ça devait être l’aventure du siècle ! »
Lucéard : « Même si j’omets volontairement certains détails, prévois un bon mois pour que je puisse tout te raconter. »
Nojùcénie : « Je ne sais même pas comment tu as survécu après notre combat ! Euh… »
Une soudaine pensée lui avait sapé ce soudain enthousiasme.
Nojùcénie : « …D’ailleurs, tu voulais savoir pourquoi tu me croyais morte, pas vrai ? »
Je me souvins aussi de ce moment avec mélancolie.
Lucéard : « C’est vrai… J’en étais absolument persuadé… Mais ce n’était pas qu’une mise en scène de Lusio et toi quand même… ? »
Nojùcénie : « Haha ! Non, pas du tout ! …Je n’ai pas joué la comédie… En fait, je croyais que j’allais mourir aussi… Seule la hallebarde était une illusion. Et j’ai dû m’évanouir en croyant que mon heure avait sonné… »
J’étais rassuré d’entendre le fin mot de l’histoire. Je n’avais pas prêté serment de vivre auprès d’une illusion ce jour-là…
Nojùcénie : « Ah, et maintenant que j’y vois un peu plus clair, le moment est pas mal choisi pour te dire que hmm… Je suis désolée… »
Elle baissa la tête, honteuse.
Nojùcénie : « Désolée de t’avoir frappé… Désolée d’avoir essayé de te tuer… Désolée d’avoir failli réussir… Je suis vraiment la pire petite sœur au monde… »
La culpabilité de ce qu’elle avait pu dire ou faire dans cet état second finit par la submerger.
Lucéard : « Oh, tu n’as pas à t’inquiéter ! Tu sais, me faire rouer de coups, c’est un peu mon quotidien ! …D’ailleurs, il faudra que je te parle d’Heraldos, un vieux terrifiant qui m’a pris sous son aile et qui m’entraîne au combat dans une forêt reculée. »
Comme je l’attendais, ses yeux se remplirent d’étoiles en entendant le résumé de mon quotidien actuel. La culpabilité était déjà lointaine.
Nojùcénie : « Dis-moi que tu plaisantes pas ! Oh ! C’est trop bien ! On croirait que ça sort d’un livre d’aventures ! »
Le sang lui monta à la tête tant son imagination s’emballa.
Lucéard : « Tu peux le dire, oui. J’espère que tu pourras le rencontrer. Je t’amènerai aussi à mon paradis secret, et à la Bougie de Sucre ! »
Nojù hochait la tête à toute vitesse. Elle ne tenait déjà plus en place, même après son sort Giga.
La voir ainsi m’apaisait. Sans m’en rendre compte, je lui lançais un regard plein de tendresse.
Nojùcénie : « Hm… Lucé ? »
Ma sœur détournait les yeux, embarrassée.
Nojùcénie : « Je suis aussi heureuse de te revoir, mais je ne suis pas habituée à ce que tu me regardes comme ça, c’est gênant… »
Je détournai le regard, gêné à mon tour.
Nojùcénie : « Héhé, je plaisante, grosse andouille ! »
Elle se jeta sur moi pour me gratifier d’un autre câlin.
Nojùcénie : « Hahaha, j’aurais aimé pouvoir dire que ton odeur m’avait manqué, mais tu pues le sang ! Même après mon sort de soin… »
Étrangement, elle proféra ces remarques en sanglotant.
Lucéard : « Sympa… Tu penses que tu peux te lever ? »
Elle bondit sur ses jambes avant la fin de ma phrase, puis réalisa quelques étirements.
Nojùcénie : « Sans problème ! »
Toujours infatigable…
Nojùcénie : « C’est pas tout ça, mais cette histoire m’a donné une faim obscure ! »
Son jeu de mot était de très mauvais goût, mais j’en souris pendant quelques instants, avant de reprendre mon sérieux.
Lucéard : « Il va falloir attendre un peu. On n’est pas encore en sécurité. »
Pour l’instant, le plus sage serait de rejoindre Léonce et les autres, puis d’aller chercher Ceirios. Mais je ne tiens pas à ce que Nojù nous accompagne, je ne veux pas prendre le risque que…
???: « Je vous confirme que vous êtes loin d’être sortis d’affaire. »
Cette voix éveilla aussitôt un traumatisme en moi. Nojù aussi était pétrifiée par ce que lui évoquais ce rire macabre.
Musmak : « Décidément, tu surpasses encore mes attentes, Lucéard. »
Il était juste à côté de nous.
Je pouvais presque deviner les raisons de l’effroi de Nojù tandis qu’elle se tournait vers cette silhouette. Elle n’osait pas le regarder directement.
Musmak : « Parfait… Tout se passe mieux encore que ce que j’aurais pu imaginer ! J’aurais été déçu de tomber sur le cadavre de l’un de vous deux sans avoir pu assister à ces retrouvailles dramatiques ! »
Mon cœur battait à tout rompre. L’horreur et le dégoût se diffusaient dans tout mon corps.
Ça recommençait.
Cette scène de bonheur éphémère venait brutalement de prendre fin. La mâchoire impitoyable du destin se refermait encore sur nous.
Un sourire monstrueux tirait les traits de notre ultime adversaire.
Au cœur de la cathédrale, il se dressait face à nous. Il prenait plaisir à entendre son rire démoniaque résonner entre les murs. Il n’y avait aucune échappatoire possible.
Musmak léchait goulûment l’un des sabres qu’il venait de dégainer, comme pour tenter de nous intimider davantage. Il ne pouvait contenir son excitation, et serra son poing devant lui, révélant sous la lune la marque funeste des empereurs.
Musmak : « Qu’espérais-tu, Lucéard ? Je serai celui qui en finira avec toi, personnellement. Ta dernière nuit ne fait que commencer.»