Nefolwyrth
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Chapitre 3 – Ce jour-là
Chapitre 2 – Enlevée Menu Chapitre 4 – Les deux apprentis

-1-

Sans un bruit, je fermais la porte des cachots derrière moi. Mon cœur battait si fort…

J’y étais. J’étais effrayé à l’idée de ce que je pourrais y découvrir.

C’était une pièce froide, silencieuse, et triste.

Aucune autre lumière que celles des épaisses chandelles ne parvenait à mes rétines. En face de moi, une porte se tapissait dans la pénombre, c’était sans doute la voie pour se rendre à l’étage supérieur. Et à ma gauche, une grande allée séparait les geôles. En son centre, un jeune homme se tenait debout et se coiffait encore et encore, comme pour tromper l’ennui. Il ne semblait pas voir d’intérêt à garder une telle pièce. Après tout, qui aurait pu passer les deux premières salles ? Il était seulement là pour s’occuper des prisonniers.

Ainsi, quand il m’aperçut, plutôt que de se méfier, il me salua joyeusement.

Bandit : « Eh, toi là ! Tu es venu me remplacer ? Je m’ennuie tellement ici. J’irai bien prendre l’air. »

Ses traits étaient fins et son apparence soignée en disait beaucoup. Lui n’avait vraiment rien d’un bandit. Ses mots et sa façon de parler trahissaient ses bonnes manières.

Mais cela ne m’amadouait pas. Je m’étais à peine retenu de l’attaquer sans préavis. Je n’étais plus d’humeur à tergiverser.

Lucéard : « Je suis venu pour que tu libères ma sœur ! »

Je pointais un index vengeur dans sa direction. Ma tentative d’intimidation était un échec cuisant.

Bandit : « Je vois. Je vais lui ouvrir, mais ça m’étonne quand même. Je ne devais pas la laisser sortir. Enfin bon, il n’y a qu’une prisonnière ici donc j’imagine que c’est de la princesse dont tu parles. »

Il acceptait gracieusement, sachant qu’il serait libre pour la journée une fois que les cachots seraient vides.

Bandit : « Oh, mais tu dois être le Prince Lucéard, du coup. C’est quand même étrange. Enfin, si Mamie t’a laissé passer, j’imagine que tu as été autorisé à venir la chercher. »

Tout le monde appelle cette vieille sadique Mamie… ?

Ce n’était pas la seule chose qui m’inspirait un soupir. Il ne semblait guère envisager que j’ai pu réchapper à la salle aux monstres. Alors qu’il fouillait dans ses clés, il s’interrompit, perplexe.

Bandit : « Non, vraiment, je devrais m’en assurer auprès du chef. C’est vraiment ridicule de la relâcher après tous les risques que j’ai pris pour la capturer. »

Je repensais alors aux traces de sang dans la chambre de Nojù.

Lucéard : « Ça suffit ! »

Le charmant bandit sursauta. Il constatait que j’étais à bout de nerfs.

Lucéard : « Relâchez ma sœur immédiatement. J’en ai plus qu’assez de tout ça. Vous êtes qui à la fin ? De quel droit vous faites ça ? Voir vos visages de malfrats au rabais me met hors de moi. Je ne pardonnerai jamais à des déchets comme vous de vous en être pris à ma petite sœur, vous entendez ? Vous n’avez pas idée à quel point les quelques petites heures que j’ai passé au palais en son absence ont été insoutenables. Quoi que vous tentez, je vais la sauver, et c’est pas des débris de votre espèce qui vont m’en empêcher ! »

Ce cri du cœur précédait l’entrée en scène de ma lyre. Le dernier bandit qui se mettait entre Nojù et moi accueillait ces mots les bras ouverts, enchanté d’avoir un peu de défi.

Bandit : « Intéressant… Mais ne va pas croire que- »

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

Bandit : « Euh ?! »

Sans lui laisser le temps de me répondre, je lui assénai une attaque qui l’expédia au tapis. Il se heurta la tête et perdit conscience.

Plutôt que de me réjouir de cette victoire instantanée, je m’empressai de lui prendre son trousseau.

Faites qu’elle aille bien.

Mon cœur battait à tout rompre quand j’aperçus la cellule fermée. Il y avait derrière les barreaux un banc en pierre où dormait Nojù, inconfortablement. Elle était vêtue de son pageame, la tenue que de plus en plus de nobles portaient pour dormir, et qui consistait d’un haut et d’un bas, simple pour certains, élaborés pour d’autres. Les pageames avaient en commun d’être aussi confortables que possible. De la même façon, ses cheveux étaient lâchés, et recouvrait la pierre qui lui servait d’oreiller.

La voir ainsi ne pouvait que me chagriner. Mais je pouvais confirmer qu’elle n’était pas blessée.

Lucéard : « Nojù… Nojù ! »

Ma gorge s’était nouée, taisant mon premier cri.

Aucune réponse.

Je m’empressais de déverrouiller la porte. C’est à ce moment-là qu’elle se mit à bouger, avant même que je ne touche la poignée. La demoiselle ouvrit difficilement les paupières. La pénibilité avec laquelle elle se redressa en disait long sur l’inconfort de cette sieste douloureuse. La jeune fille paraissait au comble du désespoir. Elle poussa un long soupir avant de croiser mon regard.

Nojùcénie : « Qu-qui êtes-vous ? »

Elle plissa ses yeux encore brumeux, et ces derniers retrouvèrent ainsi leur lueur inimitable. Finalement, ils se remplirent de larmes.

Nojùcénie : « Lucé… ? Lucé ! Je… Mais… ! »

Ses lèvres tremblantes ne parvenaient pas à trouver de mots.

Lucéard : « Content que tu n’aies rien. »

Cette façon que j’avais de toujours nuancer mes propos la rassurait. Sa voix était encore faible.

Nojùcénie : « Tu…es venu me sauver ? »

La porte s’ouvrit.

Lucéard : « Évidemment. »

Ma sœur était une grande amatrice d’héroïsme, et prenait énormément plaisir à me voir prononcer ce mot avec autant de panache. Elle souriait à nouveau.

Je posai son sac devant le banc, puis je m’y assis. Elle se colla à moi, encore somnolente.

Nojùcénie : « Quand je me suis réveillée ici la première fois, je t’imaginais faire irruption dans la salle et me sauver… »

Son visage reprenait lentement des couleurs. Un doux rire lui échappa.

Nojùcénie : « Il n’y avait vraiment que moi qui aurait pu penser que tu fasses quelque chose comme ça. »

J’écoutais attentivement, savourant ce soulagement. Dans tout autre scénario, je n’aurai jamais plus pu entendre sa voix. Son regard plein de tendresse se tourna vers moi.

Nojùcénie : « Mais tu l’as fait… »

Jamais de toute ma vie, je ne m’étais senti aussi fier. Ce n’était qu’une succession de choix, mais c’était aussi le reflet d’une volonté inaltérable. C’était ma victoire.

Elle s’essuya encore les yeux avant de reprendre un ton plus habituel.

Nojùcénie : « Et j’ai raté ton entrée ! »

La demoiselle venait d’avoir une terrible révélation.

Nojùcénie : « Tu as dû débarquer ici à la surprise générale et étaler le garde après une réplique cinglante, et moi je dormais comme un loir ! C’était LE moment à ne pas rater ! »

Plutôt que de se réjouir, elle en était venue à serrer les poings en laissant couler ses larmes de frustration. Après m’être retenu quelques instants, je ne pus réfréner mon rire.

Ce n’était pas tous les jours que je m’entendais rire, et certainement pas d’aussi bon cœur. Nojù en était enchantée, elle devait se dire que m’avoir vu ainsi compensait le fait d’avoir raté mon entrée.

Lucéard : « Ne t’en fais pas, ce n’était pas très glorieux comme arrivée. »

Mon hilarité retomba bien trop vite.

Lucéard : « Et puis… C’est de ma faute si tu t’es faite enlevée. Ils en ont visiblement après moi. Je m’étais enfui la dernière fois, et ils sont revenus… Si j’avais dit la vérité sur ma disparition, tout le monde aurait été sur le qui-vive… Et par-dessus le marché, je t’ai fait croire que tu m’as recherché pour rien. Tu t’es retrouvée dans cet endroit insalubre par ma faute… Je suis désolé, Nojù… »

Je laissais parler mon cœur, ce qui était encore une expérience inédite pour la jeune fille qui écoutait, stupéfaite. Elle finit par agiter la tête de gauche à droite. Ses cheveux, qui avaient le rare privilège de ne pas être captifs en deux couettes, accompagnaient gracieusement son mouvement. Elle prit un ton affectueux.

Nojùcénie : « Ne sois pas bête. Si tu n’as pas dit la vérité, c’est pour me protéger. Et je suis sûre qu’ils auraient trouvé un moyen de m’enlever. Ça devait leur tenir à cœur. »

Elle finit par baisser la tête.

Nojùcénie : « Moi, je n’ai même pas été capable de te retrouver… »

Je n’avais pas pu entendre ce dernier murmure.

Un bruit attira mon attention. Quand je me retournais vers Nojù, je pus comprendre dans son regard que ce n’était pas mon imagination. Lyre à la main, je m’apprêtais à sortir de la geôle.

Nojùcénie : « Sois prudent… »

Ma sœur aussi était sur ses gardes.

Je me retrouvais de nouveau face au gardien des cachots. Il semblait passablement irrité.

Bandit : « Tu pensais m’avoir battu, n’est ce pas ? »

Il affichait une certaine confiance alors qu’il passait sa main dans ses cheveux.

Bandit : « J’ai compris d’où tu tires cette force. Tu utilises de la magie avec ton ins- »

Lucéard : « LAMIN- »

Ne souhaitant pas l’écouter davantage, je levai ma lyre vers les cieux en prononçant l’incantation, mais je me retrouvai l’instant après la main vide.

Lucéard : « M-ma lyre ?! »

Je fixai mes paumes, dans la plus grande incompréhension. Un rire distingué s’élevait derrière moi. Je me retournai précipitamment.

Bandit : « Se pourrait-il que ce soit ça que tu cherches ? »

Il agitait mon arme magique devant moi d’un air railleur. Il avait réussi à attraper au vol la lyre avant d’atterrir derrière moi.

Ce type aussi est un mage, la poisse !

Bandit : « Et voilà, c’est ce qui arrive quand on se bat de façon déloyale. Il faut s’attendre à ce qu’on tombe sur pire que soi. Et maintenant, que vas-tu faire ? Agenou- »

Nojùcénie : « ANGUEM IRIDIS »

Coupant court à son élan de confiance, un éblouissant ruban magique se fraya un chemin entre les barreaux et frappa de plein fouet notre adversaire.

Celui-ci venait d’être la première victime de la magie surpuissante de Nojù. Il s’écrasa tête la première contre le mur, et tomba inconscient, le visage ensanglanté.

Si ma magie était aussi puissante, je serai arrivé sans mal jusqu’ici…

La demoiselle, fière de son attaque surprise, sortait de sa demeure provisoire en posant dramatiquement.

Nojùcénie : « Tu as vu ça ? »

Je soupirai en allant chercher ma lyre, qui avait été épargnée par le sort.

Lucéard : « Il ne se réveillera pas de sitôt cette fois-ci. »

Nojùcénie : « On rentre ? »

Visiblement impatiente de retrouver son chez elle, la jeune fille me rejoint. Cela ne serait hélas pas aussi facile que sa question ne le suggérait.

Lucéard : « L’étage du dessous est condamné. Si nous voulons redescendre, il va sûrement falloir monter encore pour pouvoir rejoindre une autre pièce du premier étage. »

La princesse était déçue et grimaçait. Elle finit cependant par proposer une stratégie.

Nojùcénie : « Il vaudrait mieux que tu te reposes, alors. Je suis sûre que ceci pourra t’aider à récupérer ! »

Elle retirait son collier, puis le plaça autour de mon cou. C’était une belle pierre d’un vert envoûtant. Je restai immobile tandis qu’elle se débattait maladroitement avec le fermoir.

Nojùcénie : « Voilà ! Avec ma pierre, je suis sûre que tu récupéreras de la magie plus vite. Quand nous nous sommes entraînés avant-hier, je l’ai vue scintiller. »

Je constatai qu’elle venait en effet de se mettre à luire faiblement. Le ton de Nojù s’adoucit, sa voix était empreinte de nostalgie.

Nojùcénie : « Tu sais ce que ça signifie? »

Je hochais la tête, surpris d’avoir atteint la même conclusion qu’elle.

Lucéard : « C’est le collier de Mère… »

Si cet objet détenait de telles propriétés magiques, alors nous avions de nouvelles informations sur celle qui le portait à l’origine.

Nojùcénie : « Parfois, quand je me sens pas bien, j’ai l’impression que sa présence m’apaise. C’est vraiment un gentil caillou. »

Je n’avais jamais vu ma sœur s’en séparer jusqu’alors. Je supposais même qu’elle dormait avec. Elle avait dû casser le fermoir un nombre incalculable de fois.

Lucéard : « Tu es sûre… ? »

Elle acquiesça avec vivacité.

Nojùcénie : « Je n’ai pratiquement pas utilisé de magie, je n’en ai pas besoin. D’ici une heure, on sera prêts à repartir, je pense ! »

Mais si l’on attend moins, peut-être qu’on pourra s’épargner quelques combats. Il est possible qu’ils nous attendent tous en haut. Dans tous les cas, nous réaffronterons sûrement le trio de l’étage d’en dessous. Cet endroit étroit nous donne probablement l’avantage. Il suffit de garder un œil sur la porte qui mène au prochain étage.

Je pouvais parler librement avec ma sœur, savourant cette paix provisoire. La tension dans mon corps se dissipait petit à petit. Je m’endormis rapidement, malgré moi.

Nojù me réveilla une ou deux heures après, quand la lueur du collier s’était tue. C’était un drôle de réveil. Et bien que je me sentais plus alerte, le début de journée me paraissait déjà lointain.

La jeune fille avait pris le temps de se changer, et portait à présent la même tenue que moi.

Nojùcénie : « Allons-y ! »

La demoiselle s’était forgée une résolution à toute épreuve pendant ma sieste. Elle ne montrait aucune hésitation. Ce n’était bien sûr pas mon cas. Je redoutais de la voir exposée au danger des combats. Et pourtant…

Lucéard : « Oui, on ne va pas s’éterniser ici ! »

Nojùcénie : « Ne t’inquiète pas, je te protégerai ! »

Comme si elle lisait en moi, la jeune fille se donnait de grands airs pour me rassurer.

Lucéard : « Ce n’est pas vraiment le moment de plaisanter. »

Elle gonfla les joues pour condamner mon attitude.

Nojùcénie : « J’essaie juste de détendre l’atmosphère. »

Lucéard : « Si ça te chante. Allez, quittons cet endroit. »

Je poussais la porte métallique avec détermination. Les escaliers menant au troisième étage nous attendaient au bout de ce sombre couloir.

Nojùcénie : « Lucé… Je… »

La princesse avait encore quelque chose à dire avant que nous partions, mais elle ne parvenait pas à continuer sa phrase. Elle finit elle-même par s’impatienter.

Nojùcénie : « Oh, et puis oublie ! On verra ça plus tard ! »

Lucéard : « Quoi ? Je suis curieux, maintenant. »

Mon élan héroïque avait été freiné par son intervention qui n’avait finalement pas abouti.

Nojùcénie : « Après ! »

Nojù passa à côté de moi et monta énergiquement les marches.

Arrivés au troisième étage, une lourde porte se dressait face à nous.

Discrètement, nous la poussâmes jusqu’à pouvoir apercevoir l’immense pièce qui était de l’autre côté.

Le plafond était une dizaine de mètres au-dessus de nos têtes.

De l’extérieur, cette tour semble faire plus d’une dizaine d’étages, mais il est désormais clair qu’elle n’en fait pas plus de cinq.

J’analysais cette lugubre salle. De simples vitraux avaient été installés en hauteur, là où on ne pouvait les atteindre. La lumière du jour n’éclairait rien, mais nous permit de constater que la pièce était pratiquement circulaire, et étrangement vide. Je ne pouvais m’empêcher de me demander dans quel but cette tour avait été érigée.

Mais plus important, je m’assurai qu’une porte menait au deuxième étage, et c’était le cas.

Nojùcénie : « Je la vois, Lucé ! Et celle à l’autre bout doit mener au quatrième niveau. »

Elle partageait fièrement sa déduction avec moi. En effet, l’issue au fond était plus soignée et semblait suggérer que l’étage du dessus était important.

Nojùcénie : « Et j’ai trouvé une pierre en forme de canard, regarde ! »

Elle me tendait ce minéral à la forme discutable comme s’il s’agissait d’un trésor.

C’est pas le moment de tout fouiller, non plus !

Nojùcénie : « Tout bien réfléchi, je vais peut-être le laisser ici. »

Ignorant ses élucubrations, je plaçais ma main devant elle, comme pour la mettre en garde.

Lucéard : « Il y a quelqu’un… »

Je ne l’avais pas remarqué jusque-là, mais la silhouette au centre de la pièce avait attiré mon attention.

La jeune fille derrière moi tentait de discerner le visage de notre ennemi en plissant des yeux.

???: « Alors vous voilà… »

Il ne suffit que de ces quelques mots pour que nos cœurs ne se serrent. Cette voix masculine était si douce à l’oreille, et pourtant, plus ténébreuse encore.

???: « Mes deux très chers invités, en liberté dans ma tour. Je dois reconnaître que c’est impressionnant. Je n’en attendais malgré tout pas moins de vous. »

Sa présence suffisait à nous pétrifier tous deux. Il dégageait quelque chose de bien différent de tous ceux que j’avais croisé jusque là. Une profonde aura maléfique semblait émaner de lui.

Ses cheveux étaient plus sombres que cet endroit, et tombaient jusqu’entre ses omoplates. Je pouvais deviner la pâleur de sa peau, mais pas la couleur de ses yeux. Il était assez grand, et bien qu’il me parut maigre, sa carrure suffisait à m’intimider.

???: « Je constate que je ne peux pas me fier à mes sbires. Mais cela n’a plus d’importance. Je voulais vous rencontrer au plus vite. Et vous voici, Nojùcénie, Lucéard. »

Celui-là… Il n’a absolument rien d’un bandit. C’est quoi cette sensation… ?!

La crainte qu’il m’inspirait croissait à mesure qu’il avançait, marchant à pas lents. Sa longue robe noire était particulièrement raffinée. Ses manières, sa voix, ses mots, tout était distingué chez lui. J’apercevais à présent un inquiétant motif sur ses vêtements. La prochaine chose qui m’apparut était son air supérieur qui lui collait au visage. Il étendait les bras des deux côtés pour nous accueillir.

???: « Il est grand temps que vous fassiez la connaissance de votre hôte. Je suis Lusio, le maître des lieux pour ainsi dire. Je suis l’un des cinq empereurs de la fin obscure. »

Ses traits si fins cachaient une profonde amertume. Il ne semblait pourtant n’avoir qu’une dizaine d’années de plus que moi, si ce n’est moins. Sa manière de se présenter était extrêmement intimidante…mais malgré tout…

Nojùcénie : « De la fin obscure… ? C’est vraiment embarrassant comme titre ! »

Ma sœur se sentait insultée qu’une telle idée ait pu voir le jour sur la même planète qu’elle.

Lusio : « N’est ce pas… ? »

Notre “hôte” ne démentait pas ses propos. Il ne semblait pas plus enthousiaste à l’idée de porter ce titre. Plutôt que d’avoir pitié, j’engageai sèchement la conversation.

Lucéard : « Pourquoi avez-vous enlevé ma sœur ? Vous êtes bien le chef, non ? »

Lusio : « Seulement ici. Je ne suis pas celui qui a commandité votre enlèvement, et je ne compte pas vous en dire plus. Vous savez déjà tout ce que vous avez à savoir : vous ne reviendrez jamais plus à votre vie d’avant. »

Contrairement à moi, Nojù ne se laissait pas impressionner.

Nojùcénie : « Et de quel droit retenez-vous des innocents comme ça ?! On ne vous laissera pas faire ! »

Elle sortit alors sa flûte-double, prête à en découdre. Je la rejoins.

Lucéard : « Parfaitement, ce que vous faites est impardonnable, et vous serez jugés et condamnés pour ça ! »

Il ne répondit à nos provocations que par un sourire en coin.

Lusio : « Ne me faites pas rire. Notre organisation n’a que faire de vos lois. Et ce n’est certainement pas deux enfants qui jouent de la musique qui pourront contrecarrer nos projets. »

Il n’a pas l’air de mentir. Nojù y met de la bonne volonté, mais personnellement, j’aimerai éviter de me battre. Il va nous écraser… Si nous faisons vite, nous pouvons encore…

Alors que je me tournais vers notre issue de secours, je la vis se recouvrir lentement d’une substance noire et brumeuse. La masse noire avait enseveli toutes les portes, nous étions piégés.

Lucéard : « Arrh… »

Je grimaçais à l’idée d’être enfermé ici avec ce dangereux personnage.

Lusio : « Vous ne vous enfuirez pas. »

Son regard glacial nous transperçait de part en part. Il venait de montrer son vrai visage.

Il n’avait pas l’air très loquace. Pourtant, il se forçait à discuter avec nous, comme si des sentiments contraires l’animait..

Lusio : « Si vous ne voulez pas vous battre, alors rendez vous. En m’affrontant, vous prenez le risque que je vous tue. J’éprouve quelques difficultés à me retenir une fois un combat lancé, mais je dois absolument garder au moins l’un d’entre vous en vie. »

Son hostilité était toujours aussi oppressante. Il savait par avance que nous n’allions pas capituler. Nojù était déjà en garde.

Nojùcénie : « Pas le choix, montrons-lui ce que nous valons, Lucé ! »

Elle fixait son adversaire, prête à lutter.

Lucéard : « Tu as conscience que nous ne sommes que des débutants… ? »

Je n’arrivais pas à considérer affronter un tel adversaire. Lusio se mit à avancer vers nous, il ne portait toujours aucune arme.

Lusio : « J’ai déjà une idée de ce que vous valez. »

Il n’était plus qu’à une dizaine de mètres lorsqu’il s’arrêta. Son aura s’intensifiait dangereusement. La menace qui émanait de lui était plus terrifiante encore.

Lusio : « …Et ce sera loin d’être suffisant. »

De la sueur coulait le long de ma tempe. Je déglutis péniblement. Je ne voyais plus d’autre issue : l’affrontement était inévitable.

-2-

La grande salle du troisième étage s’annonçait comme la scène d’un combat décisif.

Nojùcénie : « LAMINA EIUS »

La princesse s’était décidée à lancer les hostilités. Au son de la flûte-double, une lame magique, bien plus épaisse et rapide que les miennes, jaillit en direction de Lusio. Celui-ci n’eut qu’à éviter, mais il ne fallait surtout pas lui laisser de répit. En étant en supériorité numérique, nous pouvions peut-être le déborder en attaquant inlassablement.

Lucéard : « LAMINA EIUS »

Je cherchais encore une stratégie alors que je frappais les cordes de ma lyre. Ce n’est qu’à ce moment-là que je me rendis compte que la cible de mon sort n’était autre que Nojù. Elle était aussi surprise que moi de se retrouver là où Lusio se tenait il y a encore quelques instants. Elle fut touchée à l’épaule et tomba en arrière. La jeune fille se retrouvait de nouveau à côté de moi, assise.

Lucéard : « Nojù ! Tu n’as rien ?! »

La jeune fille se releva d’un bond, pleine d’énergie.

Nojùcénie : « Rien de cassé! Ton sort n’était pas si fort que ça. »

Plutôt que de me rassurer, elle dénigra ma puissance magique. Mais j’étais surtout préoccupé par ce qui venait de se passer.

Ce Lusio peut se substituer à ses adversaires et les renvoyer à leur place d’origine après qu’ils aient encaissé une attaque ? S’il détient vraiment un pouvoir de ce genre, ça risque d’être insurmontable…

Lucéard : « Nojù, utilise A-E à mon signal, d’accord ? »

Ce n’était pas le moment de paniquer. Comprendre le style de combat de notre adversaire était sans doute indispensable pour pouvoir le vaincre. Il ne faisait déjà aucun doute qu’il recourait à la magie. Une fois la nature de son pouvoir identifiée, nous pourrions éventuellement trouver une ouverture.

Nojùcénie : « A-E ? C’est quoi ? »

La demoiselle ne comprenait pas où je voulais en venir.

Lucéard : « Réfléchis un peu… »

Nojùcénie : « Aenor enragée ? »

Qui utiliserait ça ?

Lucéard : « Réfléchis en silence. »

Sans que je ne sache pourquoi, Nojù me souriait. Elle donnait l’impression d’être fière de moi. Lusio, par contre, restait impassible, il ne bougeait ni ne parlait.

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

Mon sort qui avait pour cible notre ténébreux ennemi se retrouvait face à ma petite sœur. Toujours déboussolée de se retrouver ici, Nojù réussit à conserver sa concentration.

Nojùcénie : « AUXILIA EIUS ! »

Le bouclier encaissa la lame sans difficulté. Puis ma sœur revint à sa position d’origine, indemne.

Lusio : « … »

Que sa combine ait échoué si tôt semblait lui faire de la peine. Non, c’était autre chose. Pour une raison que j’ignorais, il était mélancolique.

Lucéard : « On y retourne, Nojù ! LAMINA EIUS ! »

Je devais encore m’assurer de certaines choses qui me paraissaient confuses. Qu’importe la raison qui le poussait à nous laisser mener les hostilités, c’était notre chance de le percer à jour.

Quand Nojù me fit face pour la troisième fois, elle était plus prête que jamais.

Nojùcénie : « AUXILIA EIUS ! »

Un bouclier plus large l’entourait. Cependant, le sort le traversa comme s’il n’avait même pas existé. Et frappa Nojù de plein fouet.

Lucéard : « Nojù !! »

Ma petite sœur était à présent sur le dos, couchée à côté de moi. Heureusement, même s’il s’agissait d’une lame de lumière, les lamina avaient tendance à projeter leurs cibles plutôt que les lacérer. On entendait souvent que les magies dont l’affinité principale était la lumière donnaient la possibilité au lanceur de ne pas blesser gravement ses adversaires. Et la magie musicale était l’une d’entre elles.

Nojùcénie : « Aïïïe~ ! Qu’est ce qu’il s’est passé ? J’ai eu une de ces peurs ! »

Elle se relevait en se tenant le ventre, sa volonté de se battre était toujours indemne.

Lucéard : « Je suis désolé… C’était vraiment trop risqué. Je n’aurai pas dû te mettre en danger. CURA EIUS ! »

La lumière enveloppa la jeune fille, ainsi qu’un léger souffle qui semblait l’apaiser.

Nojùcénie : « C’est agréable comme sensation ! Mais ne t’en fais pas, des attaques comme ça, je pourrais en encaisser au moins…trois ! »

Elle me montra ce chiffre fièrement, laissant son autre main sur ses hanches.

Cette attitude lui ressemblait. Ma sœur était clairement du genre téméraire. Mais la pression qu’elle devait ressentir était bien trop lourde à supporter pour une fille d’à peine quatorze ans. Je ne m’en rendais pas réellement compte, mais tout ce qu’elle cherchait à faire était de me donner du baume au cœur. Je me tournais de nouveau vers notre adversaire, dont on ne pouvait ignorer la présence.

Il ne fait rien… Pourquoi ? Je ne pense pas qu’il se donne l’air intimidant juste pour nous décourager, il doit avoir de la force à revendre. Il pourrait nous anéantir. Alors pourquoi ?

Lusio regardait dans le vide, il semblait en pleine réflexion.

Nojùcénie : « Je vais vérifier quelque chose. C’est moi qui attaque cette fois-ci, d’accord ? »

Ce murmure s’adressait à moi. Sans même la regarder, je hochais la tête pour acquiescer. Je pense qu’elle voulait confirmer la même chose que moi.

Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »

Sa lame fusa au milieu de la pénombre de cette pièce. Lusio resta immobile quelques instants avant de finir par esquiver avec aisance.

L’attaque se désagrégea au loin.

La déception était instantanée.

Nojùcénie : « Il pourrait jouer le jeu jusqu’au bout… »

Lucéard : « Il fallait s’y attendre…mais c’est rageant… »

Devant nos mines déconfites, notre mystérieux ennemi restait de marbre. Il se contentait de nous écouter, passivement.

Nojùcénie : « Tant pis, évite ça ! LAMINA EIUS ! »

Stratégiquement, elle n’avait aucun intérêt à le prévenir. Mais cette fois-ci, à ma grande surprise, je fus celui qui se retrouvait en face de Nojù.

Aussitôt qu’elle se rendit compte que j’étais la cible de son attaque, je pouvais lire dans son regard un étrange mélange d’étonnement et de chagrin. Cette vision me fit de la peine.

Surpris d’avoir fait les frais de cette substitution, je m’empressai de prononcer l’incantation.

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Cette fois-ci, le bouclier avait pu me protéger. Mais il y avait eu quelque chose d’étrange, encore une fois. Je me retrouvais là où j’étais à l’origine.

Il n’y a vraiment aucun moyen de lutter contre une magie de ce niveau. Pouvoir téléporter des gens sans restriction est complètement déloyal. Nous revenons systématiquement au même point après quelques secondes, et le bouclier fonctionne parfois. De plus, je ne comprends pas pourquoi il garde autant ses distances. Est-ce aussi une contrainte de son pouvoir… ? Ou alors… ?

Nojùcénie : « Lucé, c’est bon, j’ai eu ce que je voulais ! »

Alors que j’étudiais sérieusement notre situation, ma sœur me tira de mes réflexions.

Nojùcénie : « Quand tu étais à la place de Lusio, Lusio était bien à ta place ! »

Logique, oui… Mais ça nous permet de tester une nouvelle tactique !

Lucéard : « On y retourne ! LAMINA EIUS ! »

Ma bravoure feinte suffisait à motiver Nojù, qui souffla dans le bec de son

instrument.

Nojùcénie : « AUXILIA EIUS »

Une fois sur la trajectoire de mon sort, un dôme de lumière l’entoura. Je me tournais vers le nouvel emplacement de Lusio.

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

La première lame disparut pour laisser place à la seconde. En effet, la magie musicale ne permettait qu’on ne lance qu’un sort à la fois. Du moins, la tournure cryptique de certaines explications me rendait dubitatif sur ce point.

Mais dans le cas présent, l’attaque qui visait ma sœur l’aurait probablement touchée, du moins, c’était mon intuition.

Mon intuition me disait aussi que mon attaque à bout portant échouerait. Et en effet, sans même que Lusio ne se tourne dans ma direction, le sort se rompit à quelques centimètres de lui.

Il utilise aussi un bouclier ? …Qu’est ce que ça signifie ?

Nojù était revenue à sa place, contrariée.

Nojùcénie : « Lusio, tu crois qu’on ne voit pas clair dans ton jeu ? »

Elle semblait fière de sa déduction. Pourtant, la frustration de s’être faite menée en bateau perdurait sur son visage.

Nojùcénie : « Tu nous fais utiliser des sorts pour nous épuiser pendant que tu ne bouges pas d’un pouce ! Mais est-ce que ton tour de passe-passe fonctionne au corps à corps ? »

La jeune fille retroussait ses manches, faisant mine de pouvoir se battre à mains nues.

Passe-passe… ?

Elle se tourna vers moi. Ce que manigançait ce Lusio était plutôt évident en réalité. Il n’attendait que le bon moment pour nous cueillir. Il pouvait nous capturer sans prendre le risque de nous tuer.

Nojùcénie : « Tu n’es pas d’accord, Lucé ? Il se joue de nous. Si on le laisse donner le rythme tout le combat, on va finir par s’épuiser ! »

Je lui lançais un regard profond, avant de répondre nonchalamment.

Lucéard : « Hm non, je pense qu’on devrait continuer comme ça. »

Même Lusio semblait navré de me voir aussi docile.

Lusio : « C’est plus sage, en effet. Vous n’aurez pas le temps de faire vos incantations interminables si vous vous approchez trop. »

Il sous-entendait que nos attaques étaient lentes. Ce qui était sûrement le cas contre lui. La raison qui faisait que nous ne l’avions pas approché en premier lieu était que nous avions peur. Je souhaitais personnellement ne pas rester à portée d’un individu aussi dangereux. Ma sœur n’était pas non plus hermétique à l’effroyable aura qui émanait de Lusio. Mais elle ne se laissait pas faire.

Nojùcénie : « Et pourquoi ce ne serait pas toi qui te rapprocherait ? Tu as peur ? »

Lusio : « Ce n’est tout simplement pas la p- »

Nojùcénie : « Peureux ! »

Elle coupa la parole à notre ennemi de manière si irrespectueuse que mon cœur s’emballa.

Lucéard : « Nojù ! Ce n’est pas le moment d’envenimer la situation, ce type peut nous massacrer à tout moment ! »

Nojùcénie : « Et alors ? C’est déjà notre ennemi de toute façon. Je ne m’attends pas à me réconcilier avec lui. »

Le visage boudeur, elle déclama cette étrange conclusion.

D’une certaine façon, ça a du sens.

Je me rapprochais d’elle pour lui murmurer à l’oreille, donnant l’impression à Lusio que je tentais de la raisonner.

Nojùcénie : « Bon… Euh, désolé, monsieur. Je ne recommencerai plus. »

Lusio fronçait les sourcils, comme s’il se retenait de nous dire que notre attitude était incongrue.

Nojùcénie : « Par contre, je vais vous envoyer un sort pleine puissance et c’est tout ce que vous avez mérité !  MAGNUS LAMINA EIUS ! »

Je me retrouvais bien assez tôt devant ce sort qui ne semblait pas différent des autres.

Lucéard : « AUXILIA EIUS »

Mon bouclier se brisa au contact de l’attaque de ma sœur. J’étais paré à cette éventualité. J’avais recroquevillé tout mon corps pour absorber le choc, qui me fit malgré tout reculer.

Je cachais mon sourire derrière mes bras armés. J’étais revenu à ma position initiale, et pouvais constater que mon dérapage avait laissé une trace juste devant mes bottes. Autrement dit, ce n’était pas là-bas que j’avais bougé.

Lucéard : « Nojù, vas-y moins fort, tu as oublié que c’était moi qui devait encaisser tes attaques ?! »

Ce jeu de comédien n’était toujours pas convaincant, mais ma sœur avait compris le signal. Tout s’était passé comme prévu.

Se battre avec acharnement comme nous étions supposés le faire est vraiment trop dangereux. Il préfère nous épuiser plutôt que nous mettre au tapis lui-même, si nous tombons à court de mana, il n’aura pas à employer la force pour nous emprisonner. Et tant que l’on reste dans son jeu, il ne changera pas d’objectif. Il ne nous fera pas de mal tant qu’il pense que l’on envoie nos sorts dans le vide.

Je fis un hochement de tête à Nojù. L’heure était venue.

Contre un adversaire avec une telle différence de puissance, la seule solution pour un novice est de saisir la meilleure occasion de le prendre à revers.

Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »

Difficile de ne pas sous-estimer ses ennemis quand on est aussi fort. C’est bien là le point faible des plus grands. Même les meilleurs peuvent perdre à la première inattention.

Je m’étais retrouvé face à son attaque, qui s’approchait de moi. Mes doigts rejoignaient lentement les cordes de ma lyre.

Lusio, tu as été négligent. C’est parce que tu nous as pris de haut que j’ai compris ta supercherie. Et maintenant, tu vas en payer le prix fort !

Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »

Une lame bien plus massive que les précédentes naquit des ténèbres et frappa le sort de ma sœur de front. Mais le choc révéla sa véritable identité, et Lusio, qui avait reçu le coup de plein fouet, fut soufflé dans les airs, dans la plus pure incompréhension.

Lusio : « C-comment ? »

Des étoiles brillaient dans les yeux de la princesse qui venait d’assister à l’attaque la plus héroïque que j’avais pu faire de ma vie.

Nojùcénie : « Dans le mille ! »

L’empereur s’échoua sur le dos. J’affichais à présent une confiance insolente.

Lucéard : « Depuis le début, aucun des lamina n’a jamais frappé. C’était toujours toi. Tu n’as pas de pouvoir de substitution. Tu en as un bien plus vil encore. Tout ce que tu peux créer avec ta magie n’est qu’illusion ! »

Il sourit en entendant ce mot.

Lucéard : « Ce qui m’a mis la puce à l’oreille a d’abord été que le lamina basique de ma sœur ne soit pas plus fort que mon bouclier. Tu ne pouvais pas le savoir, mais la force magique de ma sœur est largement supérieure à la mienne. De plus, tout laissait penser que nous ne bougions pas vraiment. Et c’était bien le cas. Le deuxième indice était l’auxilia inefficace de Nojù. Il ne pouvait pas la protéger pour la simple raison que ma sœur a tendance à faire des boucliers de zone plutôt que des boucliers individuels. Ils n’ont pas la même forme. Ceux individuels ciblent des personnes. Celui de Nojù ciblait l’endroit où elle pensait être. C’est aussi pour cette raison que son bouclier l’a protégé quand j’essayais de te frapper pendant ta “substitution”. Je pensais que tu utilisais aussi un sort de défense, mais c’était en réalité celui de ma sœur. »

Aussi terrifiant que ça puisse paraître, je n’avais pu trouver qu’une seule conclusion : Lusio était capable d’abuser de nos sens. Il avait trompé nos vues en l’occurrence.

Lucéard : « Et troisièmement, tu as été contraint d’éviter une attaque sans raison apparente. Là aussi, tout est clair. Tu n’as pas eu le temps d’organiser ton illusion. Même avec tous tes pouvoirs, pour vraiment nous blesser, il te fallait te déplacer toi-même en te faisant passer pour le sort, tu devais donc courir à une vitesse exceptionnelle. Ce qui est d’ailleurs plutôt effrayant. Nous ne faisions que tirer nos lamina dans le vide pendant que tu accourais vers l’un d’entre nous pour nous frapper. Et dernièrement, quand Nojù a fait semblant d’utiliser un sort puissant, tu as cru que celui-ci pourrait détruire aisément mon bouclier, et tu m’as touché. Tu ne pouvais peut-être pas le savoir, mais j’ai encaissé pas mal des attaques de Nojù pendant que nous nous entraînions, et la sensation est totalement différente ! »

Repenser à tous les sorts qui avaient brisé mes auxilia quand nous étions sur le terrain d’entraînement me poussait machinalement à me tenir le ventre, comme si je ressentais encore cette douleur.

Nojùcénie : « Je…je me suis déjà excusée. “

La culpabilité la rongeait encore.

Ma tirade avait trouvé sa conclusion dans une situation assez pathétique.

Lucéard : « Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même de nous avoir pris à la légère. Dis-moi, ce ne serait pas un peu minable de faire une telle erreur de débutant quand on se dit empereur de lapin torture ? »

J’avais seulement réussi à faire rire Nojù.

Nojùcénie : « Haha, empereur de lapin torture ! »

Le principal intéressé ne réagissait pas. Il se redressait à peine.

Lucéard : « Qu-quoi qu’il en soit, je ne te laisserai pas te relever, navré. »

Je lui lançais un regard noir tandis qu’il tentait de se remettre sur pied.

Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS »

Alors que je pensais l’avoir frappé de plein fouet, je vis mon attaque le traverser avant d’exploser au sol.

Lusio : « L’atelier découverte prend fin ici. »

L’origine de cette voix revancharde était juste derrière moi.

Il était là. Sans qu’on ait pu déceler son mouvement, il s’était faufilé derrière moi, et m’avait prouvé une fois de plus que l’écart de force entre nous était tout bonnement gargantuesque.

-3-

Je me retournais en panique. Lusio, lui, était étrangement calme.

Lusio : « Je veux bien croire que vous êtes plutôt malins. Mais est-ce que vous n’oubliez pas quelque chose ? Vous avez compris que je peux me déplacer extrêmement vite, frapper aussi fort que je le veux, et créer des illusions où vous pourriez vous perdre pour l’éternité. Alors pourquoi s’entêter à combattre ? »

Nous n’avions absolument rien à répondre à ça. Je n’avais pas pensé qu’il puisse se relever après avoir encaissé un tel sort. Par la force des choses, j’avais effectivement déduit la vraie nature de son pouvoir. Mais je n’avais absolument aucun plan pour le vaincre dans le cas où il s’avérait suffisamment robuste pour ne pas être mis au tapis après le magna lamina.

Son aura me caressait presque, ce qui suffit à me faire frissonner.

Lusio : « Où est passée toute cette arrogance que tu brandissais avec orgueil il y a un instant ? »

Je n’osais même plus le quitter des yeux. Son hostilité était bien trop virulente. Tout mon corps se raidissait. Il aurait pu nous abattre dans la seconde qui suivit.

Nojù s’interposa devant moi.

Nojùcénie : « Je ne te laisserai pas faire de mal à Lucé ! »

Son attitude cavalière était tout ce que j’attendais d’elle. Mais plutôt que d’être admiratif, je me méprisais de ne pas être aussi courageux.

Lusio : « Tu n’y pourras rien. »

Lusio se laissait absorber par les abysses. Le monde se distordait lentement autour de nous. La lumière se brouillait, tandis que notre adversaire disparaissait.

L’univers entier se désagrégeait. Tous nos sens nous indiquaient que nous n’étions plus dans la tour. Nous étions à présent dans ce qu’il avait créé de toute pièce. Un enfer illusoire où la nuit était totale.

Tout en sachant que ce que je voyais était un mensonge, mes yeux ne pouvaient quant à eux pas échapper à cette vision. Le rire assourdissant que nous entendions nous pétrifia instantanément.

Il n’y avait qu’une seule créature, au-dessus de nous, ainsi qu’au loin. Elle s’étendait à l’infinie. C’était la plus grande horreur qu’on ait pu imaginer. Celle-ci leva sa main par-dessus nos têtes. Je tournais la tête vers Nojù. Nous n’étions plus que tous les deux, perdus dans le néant.

La main gargantuesque allait s’abattre froidement sur nous. Elle était si volumineuse qu’elle nous semblait prête à nous aplatir à chaque instant. Elle était peut-être à des centaines de kilomètres. La terreur de l’appréhension était si grande que nos jambes finirent par lâcher.

Nojùcénie : « L-lucé ? »

La pauvre demoiselle était terrorisée et se rapprochait de moi, complètement paniquée. Nous n’avions plus qu’à attendre la mort, perdus dans le vide sidéral. Il n’y avait rien à faire pour fuir ce cauchemar qu’il nous imposait.

Notre vision revenait progressivement à la normale. Nous étions assis dans la pénombre, pétrifiés d’effroi, face à Lusio. Tromper rien qu’une poignée de nos sens s’avérait suffisant pour que nos esprits créent d’eux-mêmes une terreur authentique.

Lusio : « Vous en avez de la chance… »

Du sang coulait le long de son front.

Lusio : « Je ne peux plus utiliser d’illusion quand je saigne. »

Avec un certain détachement, il nous annonçait que ce supplice était fini.

Je haletais encore sans pouvoir répondre quoi que ce soit. Sans nos sens, plus rien ne pouvait nous sauver. Il était capable de nous montrer ce qu’il voulait, sans qu’on ne puisse plus accéder à la réalité. Personne ne pouvait vaincre quelqu’un avec un tel pouvoir.

Ce personnage démoniaque s’adressait directement à moi, à quelques centimètres de mon visage.

Lusio : « Je ne contrôle pas aussi bien mon autre pouvoir, et j’ai peur de m’emporter. Aussi, il serait plus sage de vous rendre, quand pensez-vous ? »

J’en étais presque venu à acquiescer de la tête, mais mon corps ne répondait toujours pas. Un cri me sortit de ma torpeur.

Nojùcénie : « ANGUEM IRIDIS ! »

La demoiselle avait pris ses distances avec son ennemi, et invoqua le ruban de lumière, qui prit pour cible Lusio. Ce dernier esquiva sans difficulté. Son corps se mouvait avec une aisance qu’aurait pu jalouser n’importe qui. Le serpent irisé s’enroula autour de moi et me souleva dans les cieux avant de me ramener à côté de ma sœur, qui s’était éloignée encore davantage de notre adversaire.

Nojùcénie : « N’y compte pas trop ! Je ne laisserai pas les efforts de Lucé partir en fumée. Et comme je viens de te le dire, je ne te laisserai pas lui faire de mal ! »

Lusio était aussi étonné que moi. Ma sœur s’était déjà remise de cette expérience cauchemardesque. Le regard intense de Nojù la rendait encore plus étincelante que jamais. Elle avait ça dans le sang, et c’est ce que venait de réaliser notre ennemi.

Lucéard : « Nojù… »

La princesse ne se retourna dans ma direction que pour me sourire. Elle ressentait sans l’ombre d’un doute la même terreur que moi. Mais elle avait simplement décidé de l’ignorer. Non. Elle avait décidé d’y faire face.

Nojùcénie : « En garde ! ANGUEM IRIDIS ! »

Après un simple souffle, le ruban s’étendait autour d’elle avant de prendre pour cible Lusio qui se montrait plus agile que le sort. Avant qu’elle ne parvienne à le contraindre, l’anguem s’évanouit.

Nojùcénie : « Il va vite… ! »

Lusio : « Décidément… »

Sans grande conviction, il se rua dans la direction de ma sœur. Même ainsi, sa vitesse n’avait rien d’humain.

Nojùcénie : « AUXILIA EIUS »

La jeune fille para sans problème le coup de pied qui l’attendait. Dans le même mouvement, Lusio changea sa trajectoire pour s’en prendre à moi.

Nojùcénie : « Oh non ! »

Dans cette situation, elle ne pouvait plus rien faire pendant quelques secondes. Elle se retrouvait prisonnière de son bouclier. Et le pire était à venir.

Lusio : « Jambière des ombres. »

Lucéard : « AUXILIA EIUS »

J’essayais d’anticiper ses actions, mais je ne pus finalement que créer un bouclier. J’avais l’impression d’être une proie facile dans ce qui était devenu pour moi une cage. C’était pourtant la seule chose sensée à faire.

Il leva la jambe et brisa le sort à la force de son genou. J’avais seulement eu le temps de bondir en arrière. Aussitôt qu’il eut prononcé ce que j’identifiai comme une incantation, je m’étais focalisé sur sa jambe, où une armature en métal noir était apparue, comme si son aura ténébreuse s’était rigidifiée.

C’est avec ça qu’il a attaqué précédemment. Il peut renforcer son corps à l’aide de cette magie.

Lusio : « Hache d’arme des ombres. »

En l’entendant murmurer de nouveau, mon sang ne fit qu’un tour. Son pouvoir s’avérait encore plus dangereux que prévu.

Une hache de métal se matérialisa, comme si elle était née de l’obscurité. Je n’allais pas avoir le temps de réagir, je pouvais encore voir les fragments de mon sort de protection.

Nojùcénie : « AUXILIA EIUS ! »

La lame sombre s’arrêta net sur le bouclier. C’était moins une.

Notre ennemi se retira plus loin encore qu’il ne l’était au début du combat.

Lusio : « Si je continue ainsi, je risque de vous tuer par mégarde. »

Nous le savions bien. En un seul assaut, il aurait pu réduire notre défense en miettes et nous achever tous deux. Je ne pouvais même plus lui reprocher de nous sous-estimer. Il fallait absolument qu’il continue d’attendre notre reddition.

Il s’essuyait le front avec un vieux mouchoir en tissu.

Lusio : « Garde des ombres. »

Une armure entière s’élevait à côté de lui, et semblait s’animer. Entre les différentes pièces métalliques, on pouvait apercevoir les ténèbres qui remplissaient cette créature.

Lusio : « Espadon des ombres. »

L’arme tomba entre les gants du garde. Je déglutis en voyant notre prochain adversaire s’avancer.

Lusio : « Peut-être que le combat sera plus intéressant contre un adversaire de votre niveau. »

Il espérait nous épuiser avec sa marionnette de métal. Je commençais à penser qu’il me sur-estimait.

Nojùcénie : « LAMINA EIUS »

Sans tergiverser, Nojù attaqua. Cependant, le garde se servit de sa lame noire pour parer le coup, bien qu’il fut déséquilibré. Si les attaques de ma sœur échouaient contre lui, nous nous retrouvions encore dans une impasse.

Lusio : « Hélas pour vous, la lumière est faible face aux ténèbres. Votre affinité ne vous donne pas non plus l’avantage. »

Ma sœur ne pouvait rester de marbre face à sa remarque.

Nojùcénie : « Tu te trompes. La lumière est bien plus forte. Elle transcende les ténèbres de son éclat majestueux ! L’espoir ne s’arrêtera jamais de luire !»

Son discours fut accueilli par un silence embarrassant.

Nojùcénie : « D-dites quelque chose… »

Personnellement, j’ai entendu dire que les deux versions étaient vraies.

Lusio : « Je crois que personne n’est de ton avis. »

La jeune fille baissait la tête, déçue.

Lucéard : « LAMINA EIUS »

Une lame surprit le garde des ombres et lui arracha la tête. Celle-ci tomba en silence sur le sol.

Nojùcénie : « Lucé ! »

L’espoir était revenu dans ses yeux.

Lucéard : « Affinité ou non, il suffit d’utiliser ses pouvoirs le plus intelligemment possible pour gagner, non ? »

C’était à mon tour de prouver que je pouvais être son héros. J’accourus vers la tête qui commençait à revenir vers son corps d’origine, comme si les ténèbres cherchaient en permanence à se rassembler. Je la serrai entre mes bras.

Lucéard : « Tu ne t’échapperas pas ! »

Lusio : « Oh, tu es réactif. »

Cela ressemblait plus à un jugement qu’un compliment. Par la force des choses, j’avais senti que ma petite victoire allait se révéler vaine, une fois de plus. Mais tant que je gardais en main ce casque, son armure était hors compétition.

Je sentis de lourds pas derrière moi. L’espadon se levait vers le ciel. Je me retournais lentement pour confirmer mes soupçons. Le chevalier sans tête était prêt à me pourfendre dans l’instant qui suivit. Nojù s’apprêtait à lancer son prochain sort.

Lucéard : « Laisse-moi faire ! »

Mes paroles l’avaient intriguée. L’espadon frappa violemment la roche.

J’étais moi-même au sol, je m’étais jeté entre les jambes métalliques de mon assaillant en tenant le casque contre moi. Nos boucliers se seraient révélés inutiles contre une attaque aussi forte. Il fallait absolument se débarrasser de lui le plus tôt possible.

Lucéard : « La matière sombre dans l’armure doit lui permettre de se régénérer quand un de ses membres est coupé. Tu dois pouvoir la détruire avec de la lumière ! »

Je n’avais pas son esprit combatif, c’était un fait. Mais réfléchir à outrance, c’était ma spécialité, et même si mon aide s’avérait inutile, cela lui donnait l’assurance qu’elle ne se battait pas seule.

Nojùcénie : « Tu as raison ! La lumière est plus forte que tout quand elle a de quoi submerger les ténèbres ! »

Personne n’a dit ça.

Nojùcénie : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »

Un ruban extrêmement robuste fusa vers l’armure qui s’apprêtait à parer le coup. Cependant, le sort prit un virage en angle droit et se dirigeait à présent vers le plafond. L’anguem retomba de tout son éclat à l’intérieur du trou qu’avait laissé l’absence du casque.

J’en profitais pour m’éclipser.

Le ruban continuait de plonger à l’intérieur de l’armure. Nojù arrivait à remplir entièrement cette créature avec la lumière colorée qu’elle produisait. Le garde gonflait, et gonflait encore. Il ne pouvait plus rien faire d’autre qu’attendre sa fin, et se disloqua dans une explosion éblouissante.

Nojùcénie : « Victoire ! »

La demoiselle bondit en prenant une pose.

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

Lusio esquivait aisément mon attaque. Je pensais pourtant le prendre au dépourvu.

Lusio : « Tu es opportuniste. Mais ce n’est pas la façon de se battre la plus noble qu’il m’ait été donné de voir. Hélas, mes armures ne me demandent quasiment aucun contrôle. Je peux toujours me concentrer sur vous. »

Il avait raison d’être confiant. Cette ordure ne laissait plus aucune ouverture.

Lusio : « D’ailleurs, je vais vous le prouver de ce pas. Apparais, armée des ombres ! »

Plutôt que d’essayer d’imaginer le prochain supplice qui nous attendait, je revins vers Nojù.

De nouveaux gardes apparaissaient. Le terme d’armée n’était pas exagéré. Il y en avait une centaine, tous munis d’armes. Les armures s’étaient proprement alignées tout autour de nous trois, laissant un vaste cercle dont nous étions le centre. Il n’y avait bien que dans cette pièce qu’il pouvait recourir à un pouvoir aussi déloyal. Je ruminais notre impuissance.

Pourquoi… ? Il ne fait que piétiner nos espoirs depuis le début… !

L’air suffisant, Lusio observait notre réaction. Il devait sûrement attendre que l’on rampe vers lui en le suppliant de nous épargner.

Cette fois-ci, ma combativité était réduite à néant. Il n’y avait pas que cette armée. Nous commencions tous deux à ressentir de la fatigue magique. Il ne nous restait plus beaucoup de sorts pour nous en sortir.

Lucéard : « Il n’y a vraiment pas… »

Je m’apprêtais à partager mon désespoir alors que je me tournais vers ma sœur. La demoiselle avait encore les yeux rivés sur les rangées d’armures. Je pouvais le voir sur son visage : il ne fallait pas qu’elle entende ce que j’avais voulu dire. J’avais fait tout ce chemin pour la sauver, je ne pouvais pas reculer.

Nojùcénie : « Ne baisse pas les bras, Lucé ! »

Elle avait quand même fini par me devancer.

Nojùcénie : « Il doit bien y avoir un moyen de s’en sortir ! Nous n’avons pas d’autre choix… »

Sa voix faiblissait à chacun de ses mots. Elle réalisait la cruelle réalité de notre situation, mais, comme si elle ne pouvait faire autrement, la demoiselle gardait la tête haute.

Nojùcénie : « Ensemble, je suis sûre qu’on peut gagner ! Alors battons-le et rentrons au palais ! »

Sa détermination était spectaculaire. D’où puisait-elle toute cette force ? Lusio grimaçait face à la jeune princesse. Il savait qu’il ne pouvait pas la faire capituler.

Lucéard : « Oui ! »

Je me déteste d’être aussi lâche. Quoi qu’il arrive, je dois lui montrer que je suis à ses côtés dans des moments comme celui-ci.

Lusio : « Oh non, vous n’irez nulle part. Mais rassurez-vous, je n’ai pas prévu de vous regarder vous faire massacrer. Je dois vous- »

Soudain, son aura s’intensifiait malgré lui, il semblait en souffrir.

Lusio : « Je dois… ! »

Il tendit la main face à nous.

Lusio : « Hallebarde double-lame des ombres ! »

Un sourire carnassier se dessinait sur son visage. Ce qui devait être son arme de prédilection entra en scène. Ce long instrument de souffrance pouvait être redoutable de bien des manières.

Lusio : «Votre hôte se charge de vous reconduire dans vos appartements, personnellement. »

-4-

Il avançait vers nous à son rythme. Sa présence nous intimidait toujours. Mais nous ne pouvions plus reculer.

Lucéard et Nojùcénie : « ANGUEM IRIDIS ! »

Deux rubans jaillirent de nos instruments. L’illusionniste évitait les coups avec aisance, et les parait si besoin. Mon anguem ne pouvait pas tenir aussi longtemps que celui de Nojù. Son arme aussi était impressionnante.

Lucéard et Nojùcénie : « ANGUEM IRIDIS ! »

Nous tentions une fois de plus de le repousser. Mais il parvenait à se rapprocher, encore et encore.

Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »

Quand elle le pensa à portée, Nojù envoya un sort plus rapide.

Je n’avais pas autant d’espoir qu’elle. Son attaque était vouée à échouer. J’en avais suffisamment vu pour deviner ce qui pouvait l’atteindre ou non. Il fallait plus que ça… Quelque chose de plus élaboré qu’un simple sort…

Et si… ?

Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »

Alors que Lusio évitait une fois de plus la lame de lumière, celle-ci se heurta au bouclier derrière lui, qui absorba le coup et le renvoya dans la direction opposée, frappant notre ennemi dans le dos avec une force toute autre.

Lusio : « Graaaaah ! »

Il réussit à rester debout, même après avoir encaissé une telle attaque.

Nojù resta coi quelques secondes avant de réaliser ce qui s’était passé, elle s’apprêtait déjà à crier victoire.

Lucéard : « C’est pas fini ! Ne lui laisse pas un seul moment de répit ! LAMINA EIUS ! »

Je hurlais toute ma fureur, et continuais frénétiquement d’attaquer pour pouvoir le déborder. Nojù ne me reconnaissait plus, mais m’assista dans ce dernier assaut désespéré.

Nojùcénie : « MAGNA LAMINA EIUS ! »

Lusio : « Ne rêvez pas trop ! Vous ne faites toujours pas le poids ! Prison des armes des ombres ! »

La pénombre lui procura toutes sortes d’armes, qui s’agglutinèrent autour de lui pour former un bouclier opaque. Même le sort de Nojù s’y rompit.

Nous étions à bout de souffle, et un nouvel échec venait de nous stopper dans notre élan. Cependant, nous l’avions touché pour la deuxième fois.

Faire rebondir le lamina n’avait pratiquement aucune chance de réussite, mais ça a marché. Nous ne pouvons plus qu’y croire !

Lusio : « Haha… Hahahahaha… »

Sa magie semblait lui monter à la tête. Le jeune homme posé qui nous avait accueilli était déjà bien loin. Je n’aimais pas ce changement d’attitude.

Lusio : « Pluie des armes des ombres ! »

Le cri retentissait depuis le dôme noir cerclé de lames.

Nojùcénie : « Lucé ! Rapproche-toi de moi ! »

Son attaque ne pouvait pas être plus explicite, et si aucun d’entre nous n’avait entendu l’incantation, nous y serions restés.

Nojùcénie : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »

Effrayés à l’idée que le bouclier magique ne tienne pas jusqu’à la fin de cette averse métallique, nous restions sur nos gardes, fixant le sommet de l’auxilia qui commençait à se fissurer.

Toutes ces sueurs froides m’épuisaient davantage encore. L’armée nous regardait toujours en silence, immobile.

Lusio était à nouveau devant nous, son hilarité lui laissait le souffle court.

Lusio : « Haha…hahahahahahahahahahahahahaha ! Armure géante des ombres ! »

Son regard était terrifiant. Une violente folie dormait en lui, et la perversité de ses ténèbres l’avait finalement réveillée.

Nojù commençait elle aussi à perdre son calme.

Nojùcénie : « Des ombres, des ombres, toujours des ombres ! Pourquoi tes armures géantes ne sont pas en chocolat ?! »

Lucéard : « Nojù… Ce n’est pas le moment… »

Je ne pouvais rien faire pour la rassurer. Je ne pouvais rien faire pour me rassurer moi-même. Cela ne faisait toujours qu’empirer.

Une armure géante se dressait, presque à l’étroit dans cette immense salle. La machette que ce géant portait était si massive qu’elle ne pouvait plus qu’être une arme contondante. Il commençait à la lever. Il aurait pu toucher le plafond avec.

Transis d’horreur, on ne pouvait plus que contempler le pouvoir impressionnant de Lusio.

Lucéard : « Non…pas comme ça ! MAGNA AUXILIA EIUS ! »

Le bouclier ralentit à peine l’arme effroyable du garde géant. Il se heurta au sol et le traversa aussi dans un grand fracas. Nous fûmes tous deux projetés par l’impact.

Je m’étais retrouvé couché sur le dos, et sentais une vive douleur dans mes côtes. J’essayais de retrouver mes esprits. Alors que je me redressais dans la souffrance, une soudaine angoisse me prit au cœur.

Lucéard : « Nojù ?! Nojù ?! Tu n’as rien ?! »

J’entendais encore les gravats chuter alors que l’armure relevait son arme.

Derrière la pénombre et la poussière, je pouvais voir ma sœur, debout. Du sang coulait le long de son épaule.

Nojùcénie : « Ne t’en fais pas pour moi ! Je peux encore combattre ! »

Terrifiée par notre funeste adversaire, elle se devait de faire face avec plus de hardiesse que jamais auparavant. Toute notre existence se jouait sur le dénouement de cet affrontement.

Lucéard : « Il ne se retient presque plus. Il faut que nous en finissions au plus vite… Mais mon corps est tout engourdi… ! »

Il aurait pu nous massacrer tous deux si l’attaque de sa marionnette géante avait fait mouche. Je ne sais pas si j’ai encore assez de mana pour tenter quoi que ce soit… Si ça continue comme ça… Nojù et moi allons mourir…

L’abandon n’était cependant plus une option. Je le sentais au plus profond de moi : le temps n’était pas venu de céder au désespoir.

Nojùcénie : « Lucé, je pense que c’est le moment ! »

La demoiselle était revenue auprès de moi, la détermination dans son regard forçait l’admiration. Je devinais immédiatement quelle était son idée.

Nojùcénie : « Utilisons le sort qui ressemble à ton nom. »

Lucéard : « Tu réalises que nous n’avons pas réussi à le lancer une seule fois pendant l’entraînement ? »

En réponse à mes inquiétudes, elle acquiesça avec une ferme résolution.

Nojùcénie : « Mais cette fois-ci, ça doit marcher. Je ne vois plus d’autres solutions. »

Pour lancer cette attaque, il nous fallait jouer un morceau simultanément. C’était d’ailleurs un morceau que notre mère nous chantait dans notre enfance. Nous le connaissions par cœur, mais même ainsi, nous avions échoué. Toutes les conditions n’avaient pas dû être remplies. Qu’est-ce qui garantissait notre réussite aujourd’hui ?

Nojùcénie : « Je suis sûre qu’à nous deux, nous pouvons le faire. On forme une équipe de choc, tu ne penses pas ? Rien ne peut nous résister aussi longtemps que nous sommes ensemble ! »

La douceur surprenante de ses mots raviva l’espoir que je croyais perdu. Un miracle nous séparait de la victoire. Mais en l’entendant, j’eus l’impression que nous étions capables de le provoquer. Nojù me parut plus resplendissante que jamais.

Nojùcénie : « Je ne laisserai pas cette histoire se terminer comme ça… Je suis prête à tout, pourvu que tu vives et que tu sois heureux, Lucé ! »

Sa flûte-double brillait faiblement. En laissant parler son cœur, la demoiselle pouvait réussir ce sort ultime. Et il fallait que je puisse en faire autant. Je ne pouvais pas douter. Nos battements ne faisaient plus qu’un.

Lucéard : « Ne dis pas des choses pareilles ! Nous repartirons ensemble, c’est la seule chose à faire ! »

La princesse esquissa un maigre sourire, et murmura des mots que je ne pus entendre.

Nos regards se tournaient vers Lusio dont la curiosité l’avait poussé à rester inactif. Au milieu de l’armée des ombres, nos instruments s’illuminaient.

Nojùcénie et Lucéard : « LUCEAT AMICITIA ICTUS ! »

L’incantation résonna à travers l’obscurité. Un cercle lumineux de toute beauté se dessina au sol, sous les pieds de notre adversaire.

Nous commencions à jouer cette mélodie chargée de nostalgie. Nous ne pouvions pas craindre une seule fausse note, tout se décidait maintenant.

Lusio : « Cette mélodie à elle-seule me fait bien trop souffrir. Mais qu’en est-il de votre fameux sort ? »

L’étrange mélancolie avait provisoirement remplacé sa folie, et ne voulait plus quitter son visage. Pourtant, sa confiance en lui demeurait intacte. Il ne sentait pas encore le danger qui le guettait.

Un portail d’énergie s’ouvrit au sommet de la pièce, c’était le passage entre le monde des hommes et celui des dieux, j’en étais convaincu. De la lumière s’y concentrait, tellement de lumière. Lusio levait lentement la tête, éblouit par ce mystérieux phénomène.

Lusio : « Qu-qu’est ce que… ?! »

L’empereur de cette tour bondit quelques mètres en arrière pour sortir du cercle sur lequel il se trouvait. Mais cela s’avérait inutile. La clarté divine était toujours sous ses pas. Il finit par s’arrêter, comprenant qu’il ne pourrait jamais y échapper. Avec un certain recul, il se résigna et continuait de regarder vers le haut, au centre de la grande cible.

Lusio : « On dirait que rien ne peut tromper cette lumière… »

L’armure géante se positionna au-dessus de son maître, prête à tout encaisser.

Quand l’éclat céleste arriva à son paroxysme, un immense rayon jaillit dans un tumulte éblouissant. Tous ceux présents dans la pièce se sentirent absorbés par la quantité astronomique d’énergie qui venait d’être libérée.

Lusio : « Prison des mille armes des ombres ! »

Réalisant pleinement la puissance de la frappe qui l’attendait, notre ennemi forma un bouclier bien plus robuste que le précédent. Une forteresse des ténèbres. Le garde géant se désintégra sans avoir pu lutter, et la raie de lumière continua sa route pour frapper le dernier rempart de Lusio.

En un flash, tout fut balayé dans une explosion sans précédent. Après cette onde de choc éblouissante, il n’y avait plus que du noir et du silence.

-5-

Ai-je perdu conscience ?

Nous avions joué ce morceau avec toute notre âme, et nous avions à peine pu profiter de ce spectacle angélique.

Mon corps tout entier était endolori, mes oreilles sifflaient, mais mon cœur battait encore.

Des débris recouvraient les pierres grossièrement taillées qui pavaient cette salle. J’aperçus enfin Nojù, qui était étendue par terre. Mon esprit s’apaisa quand je la vis se relever malgré ses blessures.

C’est…fini… ?

Nojùcénie : « Lucé… On l’a… ? »

Elle n’en revenait pas non plus. Tout était inerte autour de nous. Nos chances de succès étaient si minces que le désespoir aurait pu nous happer à chaque instant. Mais bien que ce fut difficile à croire, tout indiquait notre victoire.

Lucéard : « Oui… Je crois bien… »

Toujours abasourdi, je fixais ma petite sœur. Les larmes montèrent à ses yeux. Elle avait tenu bon jusqu’à la fin. Elle était restée forte bien assez longtemps. Nojù pouvait à présent relâcher tout ce qu’elle avait accumulé.

La jeune fille se jeta dans mes bras avant même que je n’ai eu le temps de me relever, et éclata en sanglots.

Ses grands cris me brisèrent le cœur, et bien assez tôt, mes yeux me piquaient. Pour moi aussi, cela avait été beaucoup d’émotion. Je l’étreignais à mon tour, délicatement.

On resta ainsi une minute entière. Nous n’avions plus besoin de mots. Nous comprenions nos sentiments respectifs comme si nous les partagions. C’était cette force qui avait rendu ce sort possible.

La demoiselle s’essuyait les yeux tandis que je me relevais. Il était temps pour nous de rentrer. Je constatais l’état déplorable de nos vêtements et soupirais. Je savais mes réserves magiques au plus bas, et mon corps engourdi avait besoin que je le motive à bouger.

Lucéard : « Allez, ce n’est pas tout à fait fini, nous devons quitter cet endroit. »

Je me tournais vers les portes.

En les apercevant, je me retrouvais instantanément pétrifié. Mon regard était rivé sur les ténèbres qui scellaient encore la seule sortie possible.

Mon sang se glaça.

Autour de nous, les armures se rassemblaient. Leurs corps et leurs membres revenaient à leurs places. L’armée avait été décimée, mais une quinzaine de gardes avaient survécu.

Non…

Il y avait un homme debout parmi elles. Son corps svelte se démarquait de ceux de ses invocations. Au sommet de cette robe en piteux état, le visage ensanglanté de Lusio nous observait, les ténèbres l’avaient corrompu. Son aura néfaste s’agitait autour de lui.

Non… Après tous nos efforts…

Lusio : « C’est trop tard… C’est trop tard ! »

Une terrifiante démence transparaissait dans ses mots. Il ne se contrôlait plus. Notre ennemi attrapa sa tête d’une main.

Lusio : « GUERRIER GÉANT AUX MILLE ARMES DES OMBRES ! »

Nojù regardait atterrée les armes qui s’élevaient au-dessus de Lusio. Il y en avait de toutes les formes, de toutes les tailles. La créature qui en résulta n’était pas loin de toucher le plafond. Elle souleva une hache démesurée.

Nous n’avions plus de raison d’espérer. Quand la créature se mit à courir, le moindre de ses pas nous fit perdre notre équilibre. Elle abattit précipitamment son arme sur le sol. Nous fûmes à nouveau séparés par l’onde de choc.

Ma sœur avait réussi à esquiver les débris projetés. Derrière elle, à l’autre bout de la pièce, Lusio se rapprochait lentement, son visage était inhumain. La pointe de sa hallebarde s’était tournée dans la direction de Nojù.

Nojùcénie : « Lucé ?! »

Elle poussa un tragique cri de détresse, priant pour que j’aie survécu. La pauvre demoiselle était sous le choc.

A une vingtaine de mètres, je gisais au sol parmi les décombres. L’horreur gigantesque levait une fois de plus sa hache, j’étais sa cible.

Nojùcénie : « Lucé !! »

Se refusant à pleurer, elle serrait la flûte-double dans sa main gauche.

Je rampai misérablement en direction de ma lyre qui n’était pourtant qu’à une dizaine de pas.

Lucéard : « …Ne t’occupe pas de moi, Nojù. Fuis par la brèche qui s’est ouverte dans le sol ! Il va te tuer ! »

Je ne voyais plus d’issue pour moi. Je pouvais peut-être lancer un dernier sort pour faciliter son évasion. Seulement si j’étais capable d’atteindre mon instrument à temps.

Nojùcénie : « Ne dis pas ça ! Je ne t’abandonnerai jamais ! »

Terrorisée par la cruauté de cette scène, elle restait immobile, tiraillée par un dilemme dont j’ignorai tout.

Lucéard : « PARS ! »

Ma supplication était rendue inaudible par l’hilarité démoniaque de Lusio qui tendait son bras armé derrière lui, prêt à lancer la hallebarde.

La hache du guerrier ne pouvait pas aller plus haut. J’assistai impuissant à ma fin tandis que je me débattais pour m’approcher de ma lyre. Je ne pus l’atteindre à temps.

Lusio : « Adieu !!! »

La lame tomba de tout son poids comme la foudre de mon jugement. Je savais au plus profond de moi que ce sentiment terrible était mon tout dernier.

Nojùcénie : « GIGA AUXILIA EIUS ! »

Ce hurlement fit trembler mon corps entier. Je pouvais ressentir toute la douleur qu’éprouvait ma sœur. Non, c’était bien plus que sa douleur.

Un majestueux dôme de lumière orné de mille couleurs m’entourait. Ce joyau serti des pierres les plus précieuses me recouvrait. L’arme de l’immense guerrier se désintégra au contact de ce monument à la beauté inégalable. L’éclat du bouclier repoussa le titan désarmé. Cette lumière sans faille formait la protection absolue.

Tout autour de moi, je pouvais voir des formes, et des teintes éblouissantes. Cette vision angélique avait quelque chose d’apaisant. Pendant quelques instants, les ténèbres n’étaient plus. Quand le calme revint, l’obscurité s’installa sans un bruit.

J’entendis ensuite le son du bois frappant la pierre. Et ce son résonna, encore et encore.

La flûte-double était au sol, fendue.

Je me tournais vers ma sœur, bouleversé. Elle se tenait encore debout, mais tout son corps était paralysé et tremblait. Elle était allée au-delà de ses limites magiques.

Mon regard rencontra le sien. Des larmes coulaient le long de ses joues, mais un maigre sourire se dessinait paisiblement sur son visage.

Lucéard : « No…jù… ! »

La gorge nouée, mon cri n’atteint pas ses oreilles.

Nojùcénie : « Je ne peux…plus…bouger. Je suis… désolée… ! »

La vision qui suivit se grava dans mes yeux. La hallebarde transperça le cœur de Nojù.

Poussée par l’élan du projectile, elle se laissait tomber en arrière. L’arme des ombres se désagrégea dans le silence, elle avait rempli son rôle.

Ma sœur était au sol, elle ne bougeait plus. Le monde s’arrêta.

Perdu, je me hissais à la force de mes bras pour tenter de la rejoindre. La terreur qui m’animait était sans précédent. Les gardes des ombres se mirent en travers de mon chemin. De là où j’étais, je pouvais encore la voir une dernière fois.

La jeune fille tournait la tête vers moi dans un ultime effort. Je n’oublierai jamais le visage qu’elle me montra ce jour-là. Le tout dernier sourire de ma sœur.

Nojùcénie : « Ne t’en fais pas… »

Avec toute la délicatesse qui la caractérisait, elle étendait son bras dans ma direction, comme pour me consoler.

Nojùcénie : « Lucé… Lucé… Vis… »

Sur ces mots, elle ferma les yeux et laissa sa tête reposer contre la pierre.

Je hurlais alors de toutes mes forces, moi qui pensais avoir perdu la voix à jamais.

Ce hurlement était si féroce qu’il en fit frissonner Lusio. Une partie de lui semblait se rendre compte de l’horreur qu’il venait de commettre. Son regard froid était chargé de culpabilité.

Lusio : « J-j’espère que ça t’aura servi de leçon… ! »

Il n’osait pas interrompre ce sanglot déchirant.

La raison m’avait abandonné. Je n’étais plus capable de penser. Mais, sans que je ne sache pourquoi, ma main attrapa l’instrument encore chaud qui était arrivé jusqu’ici.

Lusio : « Qu’est ce que tu fais… ? »

Il semblait se blâmer lui-même en m’interrogeant. Le guerrier titanesque s’interposa entre Lusio et moi. Je m’apprêtais à souffler de toutes mes forces dans la flûte-double.

Lucéard : « GIGA…ANGUEM IRIDIS !!! »

Jaillissant dans un torrent de lumière et de larmes, un cobra irisé s’élevait dans les airs, et se retrouvait à l’étroit dans cette pièce qu’il illuminait de toute sa puissance. L’empereur restait sans voix. La majesté de cette créature magique semblait même intimider le guerrier géant. Elle se fit l’émissaire de la tourmente qui assaillait mon âme. La dernière attaque de celui que j’étais.

Le reptile dont les écailles se teignaient d’un rose éclatant prit pour proie l’assassin de ma sœur. Il savait d’instinct la menace que représentait cette ultime incantation.

Lusio : « PRISON DES MILLES ARMES DES OMBRES ! »

La morsure de la bête pulvérisa les ténèbres sous toutes leurs formes. Réduisant l’intégralité des créations de Lusio à néant. Une explosion retentit dans toute la forêt d’Azulith.

Tout le village s’interrompit dans leurs activités en entendant la détonation qui accompagna la percée de la tour par le giga anguem. De lourdes pierres frappèrent le sol. Tout n’était plus que désolation au troisième étage.

Je n’avais pas assisté à cette dernière scène. Ma conscience m’avait abandonné après l’arrivée du cobra éthéré. Sur mon visage, on pouvait lire que je venais de perdre ce que j’avais de plus précieux.

La douce chaleur de l’été pénétrait à présent dans la pièce. Le soleil éclairait un homme seul au milieu de la destruction.

-6-

Quand la fumée fut dissipée, une porte s’ouvrit.

Frem : « Chef, chef ! »

Le sbire de Lusio venait d’apercevoir ce dernier, il resta sous le choc en voyant l’étendue des dégâts, ainsi que l’état déplorable de son chef qu’il considérait comme invincible.

Lusio : « Voilà, tu as eu ce que tu voulais… »

Après m’avoir observé quelques secondes, l’empereur repartit vers le quatrième étage, le visage fermé.

Frem : « Tout va bien, chef ?! Me dites pas que c’est ce gars ?! »

Le bandit débordait d’énergie, et ne comprenait pas ce qui s’était passé pendant son sommeil.

Lusio : « Je me retire pour le moment, je te laisse le commandement, Baldus. Et ramène-le au donjon. »

Baldus : « Allez-y chef… On s’occupe du prince. »

Mon premier adversaire baillait ouvertement devant son supérieur, qui s’était à peine retourné pour transmettre ses consignes. Il laissa ses deux hommes pour rejoindre ses appartements.

Frem ne remarqua que maintenant la présence de son binôme.

Frem : « Baldus, t’es vraiment qu’un salaud ! Tu m’aurais laissé le massacrer, on n’en serait pas là ! »

Baldus faisait la sourde oreille aux accusations de Frem.

Baldus : « Ils le voulaient en vie, non ? Et puis, c’est pas une faiblarde comme toi qui aurait pu tenir tête à un gars qui a mis le chef dans cet état. »

L’homme aux somnifères admirait le chaos autour de lui.

Baldus : « Quel foutoir. Et dire que quand je l’ai affronté, ça avait l’air d’être son premier vrai combat. »

Frem : « On aurait eu une chance alors ! »

Baldus garda pour lui le fait qu’il m’avait laissé passer. Il se mit à fouiller parmi les gravats.

Frem : « Eh, tu m’écoutes ?! Mais…qu’est ce que tu fous ? »

Plutôt que d’attendre une réponse, Frem se mit à soulever des pierres avec lui.

Baldus : « Je cherche. Il devait être avec sa sœur pour ce combat, je me trompe ? »

Quelque chose semblait inquiéter ce barbu malodorant.

Frem : « Eh, j’en sais rien, moi, je DORMAIS ! Après… Le chef avait l’air de dire qu’on devait ramener le prince au donjon, mais il a rien dit concernant la fille. »

Le jeune bandit sa calma en comprenant les raisons qui poussaient son compagnon à déplacer des roches.

Frem : « Oh… Tu t’inquiètes pour ta sœur, c’est ça ? T’en fais pas, va ! On demandera au chef de nous laisser lui rendre visite à Lucécie. Ressaisis-toi, bon sang de bois ! »

Malgré sa tentative, Baldus était toujours contrarié.

Baldus : « Regarde, il tient une flûte. Et y a un sac à côté de ce gros tas de débris. C’est sûrement celui de la fille… »

Frem : « Oh, bah ça c’est cool, tu vois ! On fait moit-moit par contre ! »

Baldus soupirait. Il n’essaya même pas de lui expliquer la raison de sa remarque.

Baldus : « Crève, je vais tout mettre dans celui du Prince. J’ai toujours rêvé de mettre un sac sans fond dans un sac sans fond. »

Plein d’amertume, Baldus se rendait à l’évidence, et tourna ça à la plaisanterie.

Frem : « Rah, mais quel rabat-joie ! »

Frem avait arrêté de fouiller et croisait les bras, mécontent.

Un nouvel arrivant pénétra dans la pièce par l’autre entrée. La porte lui resta entre les mains.

Bandit : « Frem ? Baldus ? Mais qu’est ce qu’il s’est passé ici ? »

Plutôt que de lui répondre, Frem éclata de rire en voyant le visage de son complice.

Frem : « Nÿzel ?! Tu t’es fait tabasser ou quoi ?! »

Nÿzel : « M’en parle pas ! Ces deux fourbes m’ont attaqué pendant que je parlais. Mais on dirait que le chef les a remis à leur place. »

Le bandit bien trop raffiné regardait autour de lui, hochant la tête avec satisfaction. Il était toujours agacé par ce qui lui était arrivé.

Nÿzel : « Dire que je gardais tranquillement la princesse en prison. J’en connais une qui va jeûner tant que c’est mon tour d’être aux geôles. Déjà qu’elle m’a mordu au sang quand je l’ai enlevée ! »

Frem se retourna vers Baldus, qui tirait une tête d’enterrement. Puis revint vers Nÿzel, gêné à l’idée d’annoncer lui-même la nouvelle.

Frem : « Ah ben, en vrai, Nÿzel, elle mangera plus grand chose la fille. Elle a dû mettre le chef en rogne, lui qui parlait de tuer personne si possible. »

Plutôt que d’apprécier la réflexion du bandit à la masse d’armes surdimensionnée, le gardien des geôles semblait indigné au plus haut point.

Nÿzel : « Mais elle avait quoi…quatorze ans ?! Dis-moi que tu ne parles pas sérieusement ! »

Frem semblait prendre le reproche pour lui et ne savait pas quoi répondre. Ils s’interrogèrent sur les actions de Lusio pendant quelques instants.

Baldus : « Bah, l’autre gamin est en vie… »

Loin d’être sustenté par cette vérité, Baldus me lançait un regard empli de culpabilité.

Ils me ramenèrent à l’extérieur de la tour et me déposèrent dans une charrue.

Frem : « Eh hop, direction la prison ! »

Toujours peu soucieux de l’atmosphère ambiante, Frem parvenait à garder sa bonne humeur.

Trois personnes vinrent à leur rencontre.

Mamie : « Baldus, mon petit Baldus, vous emmenez le prince au donjon ? »

Désinvolte comme à son habitude, la grand-mère fumait encore sa pipe avec satisfaction.

Ce fut Frem qui répondit le premier, surpris de réaliser que la grand-mère m’avait aussi affronté.

Frem : « Mais comment vous avez-pu le laisser passer, Mamie ? »

Mamie : « Eheheheh, eh bien, il était tenace le bougre, et nous, nous voulions un peu d’exercice. »

Les deux grands gaillards qui la suivaient ne paraissaient pas aussi détendus que la vieillarde. Ils étaient au comble du désespoir.

Duxert : « Mamie… Alors, elle est vraiment… »

Brakmaa : « Mamie… Il est peut-être pas trop tard… »

Leurs interrogations confirmaient les craintes de Baldus.

Baldus : « Vous avez tout vu… ? »

Mamie : « Tout. »

Le visage de la vieille dame se fit solennel.

Baldus : « Et qu’est-ce qui est arrivé à la princesse… ? »

Duxert : « … »

Brakmaa : « …Mamie… »

Leur faible moral disait tout sur ce qu’il s’était passé.

Mamie : « Oh, ça suffit ! Duxert, Brakmaa ! Vous avec l’air de deux chiffes molles qui se laissent taper dessus ! »

Ses réprimandes semblaient injustifiées. Les deux hommes n’étaient plus prêts à encaisser quoi que ce soit. Leur comportement avait créé une atmosphère de gêne parmi les bandits présents.

Mamie : « Ah, je n’aurai pas dû vous montrer ça. J’imagine que le quatrième spectateur est le seul à avoir apprécié… »

D’un air sévère, elle fixait le haut de la tour. Après un temps, elle se tourna vers la forêt.

Mamie : « Et toi, qu’en as-tu pensé ? »

Ce n’était que des pensées à voix haute, mais cela attisa la curiosité de Frem. Avant qu’il ne dise quoi que ce soit, Baldus lui fit signe de monter dans la charrette.

Nÿzel les observa s’éloigner, puis fixa le sol, pris de dégoût.

Ce fut à peu près à ce moment-là que je me réveillai. Je sentis en premier lieu que l’on m’avait fait boire quelque chose. Certainement dans le but de me forcer à survivre au contrecoup de mon attaque. J’allais sûrement me rendormir pour quelques jours et me retrouver captif.

Les derniers moments avant ma perte de conscience étaient confus, mais ils occupaient mon esprit. Je finis par entendre le bruit de l’eau. Je me rendis compte que j’étais ligoté. C’était assez sommaire et rien ne pouvait m’empêcher de bouger. Mon prochain choix était instinctif. Je me jetai de la charrue en marche.

Frem : « Baldus ! Le prince ! Il vient de se jeter dans la rivière ! Arrête la charrue ! »

L’expression que lui rendit le chauffeur était infiniment complexe. Il ne semblait cependant pas surpris.

Baldus : « Bah, c’est trop tard. Il y a une cascade juste après le pont, il sera mort bien avant qu’on puisse le rattraper. »

Il paraissait avoir accepté la fatalité sans difficulté, ce qui révoltait encore plus son binôme.

Frem : « Nan mais quoi ?! Tout ça pour ça ?! On s’est tués à la tâche et on n’en a gardé aucun en vie ?! »

Il rapprocha autant que possible sa bouche de l’oreille de Baldus qui était passablement irrité par sa gueulante.

Baldus : « Bah, le chef pourra toujours faire comme si on les détenait en otage, ou un truc du genre… »

Le bandit dégarni fronçait alors ses sourcils broussailleux.

Baldus : « Eh puis surtout, toi t’as rien foutu, espèce d’ordure ! Alors la ramène pas ! »

Frem : « La faute à qui ?! »

Frem ruminait sa frustration en réfléchissant aux conséquences de ce dernier imprévu.

Frem : « Me dis pas que t’as encore laissé le sac du prince sur lui ?! C’est comme ça qu’il a pu s’échapper la dernière fois, j’suis sûr ! A cause de tes conneries, on va passer un sale quart d’heure ! »

Baldus considéra cette affirmation, avant de hausser les épaules.

Baldus : « Bah, m’en fous. »

Et la charrue continua son chemin.



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