-1-
J’entendais les cloches au loin. C’était encore une matinée pluvieuse, et une forte odeur d’humidité embaumait ma chambre.
J’en déduis que j’étais réveillée. Néanmoins, je restais blottie contre mon coussin, recroquevillée sur moi-même pour conserver le plus possible la chaleur confortable sous ma couverture.
Je n’avais jamais été très matinale, et sans réfléchir davantage, je décidais de prolonger le plaisir. Cependant, ma conscience remontait déjà à la surface, et des images de ces derniers jours me revinrent.
Je me redressais subitement, l’esprit presque alerte. S’en suivit un long bâillement et une pandiculation accompagnés d’un petit gémissement.
Je constatai encore des nœuds dans mes cheveux, et tendis le bras pour attraper ma brosse. C’était le moment de mettre les choses au point.
Lucéard ne s’est toujours pas réveillé. Nous ne savons toujours pas l’identité du garçon qui est décédé, et les Nefolwyrth vont bientôt repartir.
J’avais croqué les portraits des cinq suspects dans mon carnet. J’étais la seule à les avoir tous identifiés, mais cela ne m’avançait pas à grand-chose. Ce qui ne m’empêchait pas de fixer chacun des dessins.
Vu l’extrême rigueur des corps armées de Lucécie, on ne craint probablement plus une autre attaque-surprise. Mais ils n’en resteront pas là. Que veulent-ils à cette famille ?
J’enfilais une robe avant de m’attacher les cheveux, puis me regardai dans le miroir, perplexe.
Lloyd : « Pucette chérie ! Nous avons des invités ! »
Le ton guilleret de mon père m’interpellait depuis le bas de l’escalier. Les patients qui attendaient assis derrière lui étaient habitués à l’entendre parler ainsi. Mais ces pauvres vieillards, toujours fidèles au poste, avaient été témoins de toutes sortes de choses cette semaine, et avaient vu des membres de la noblesse de très près, à plusieurs reprises.
Ellébore : « J’arrive ! »
Les invités en question étaient manifestement dans cette catégorie. Une fois présentable, je rentrais dans le salon où Ceirios et Baldus, qui pétillaient déjà d’énergie, discutaient avec un homme bien habillé dont le visage m’était familier. Quand la jeune fille qui l’accompagnait m’aperçut, elle se leva, comme il est coutume de le faire chez les gens de la haute société.
Miléna : « Bonjour Ellébore. »
J’aurai pu la reconnaître rien qu’à la présence qu’elle dégageait. Il suffisait qu’elle se trouve dans notre salon pour que celui-ci paraisse plus lumineux. Son sourire courtois et sa révérence parfaitement exécutée m’honorait au point que j’en sois intimidée.
Ellébore : « B-bonjour. »
Mon père m’avait sûrement fait descendre pour m’occuper des invités puisque j’étais la maîtresse de maison pendant ses heures de travail.
Ellébore : « Monsieur de Sendeuil, bonjour. Désirez-vous boire quelque chose ? »
Hectorius : « Bonjour, mademoiselle Ystyr. Mais ce sera sans façon. »
Il ne semblait pas à son aise ici. Il se retrouvait dans une maison mal isolée, à discuter avec deux roturiers, dont un ex-bandit. Nul doute qu’il n’était pas à l’origine de l’idée de venir chez nous.
Miléna : « Je suis soulagée de vous voir en pleine santé. Ce qu’il s’est passé avant-hier nous a beaucoup inquiété. Je suis navrée que votre père ait été blessé durant cet incident. »
La pureté de cette demoiselle me déboussolait toujours autant.
Ellébore : « Il ne faut pas ! Il va très bien ! »
Miléna : « Je regrette aussi ce qui est arrivé à Lucéard, ce pourquoi nous sommes venus lui rendre visite. Pourriez-vous lui donner ses fleurs ? »
Elle me montrait un magnifique bouquet, qui hélas était plus resplendissant entre ses mains que dans notre maison. La jeune fille semblait peinée.
Miléna : « Ce jour-là, nous avons attendu sans nous douter de rien, tandis que le pauvre Lucéard vivait de telles atrocités. Quelque part, je ne peux que m’en vouloir… C’est la seconde fois qu’il disparaît juste avant de nous rendre visite. »
Même quand elle exprimait ses sentiments, plutôt que de la sentir vulnérable, elle semblait dégager une force intérieure qui jurait avec sa faible constitution.
Ses paroles me firent réfléchir.
Miléna parle certainement de la première disparition de Lucéard, à l’époque où sa sœur m’avait contactée. Il est vrai que monsieur de Sendeuil reste hélas un suspect tout trouvé, puisqu’il était indubitablement au courant de la visite du prince, et que le groupe qui a attaqué Lucéard devait nécessairement savoir qu’il emprunterait ce chemin.
Ça ne peut pas être un hasard. Des gens aussi déterminés à tuer mon ami n’auraient pas pu le croiser sur la route de Sendeuil sans raison. Soit il a été espionné, soit ces gens sont en contact avec un proche de Lucéard. Dans tous les cas, il y a bien une personne qui peut nous permettre d’en avoir le cœur net.
Miléna : « Ellébore ? »
L’air inquiet de mon interlocutrice me rappela à la réalité.
Ellébore : « J-je suis désolée, j’avais la tête ailleurs. »
Miléna : « Nous devrions vous laisser, vous avez certainement beaucoup à faire. »
Ellébore : « Heu ? Mais ne vouliez-vous pas voir Lucéard ? »
Miléna : « Je ne sais pas s’il apprécierait que des gens extérieurs à sa famille viennent lui rendre visite pendant son sommeil. Nous irons à sa rencontre quand il sera sur pied. Bientôt, je l’espère. »
Cette fille est vraiment un ange.
Ellébore : « C’est rudement attentionné de votre part ! »
Son sourire était si doux et sincère qu’il envoûtait toute l’assistance.
Miléna : « C’est tout naturel. »
Le baron se levait, son calvaire allait prendre fin.
Nous échangeâmes des salutations. Ils ne semblaient pas au courant de ce qui était arrivé à Eilwen. Peut-être que ce genre de choses ne devait pas se savoir.
Une fois partis, je me retournais vers les deux personnes restantes. Le premier se leva d’un bond.
Ceirios : « Où va t-on, mademoiselle ? »
Il lui avait fallu un regard pour comprendre. Ou plutôt, il attendait ça. Ces deux-là semblaient encore avoir leur dernière défaite en travers de la gorge. Ils auraient pourtant dû s’estimer heureux d’être encore en vie, et déjà presque rétablis.
Ellébore : « Comme prévu à la base : direction la Confrérie des Chauffeurs ! Et ensuite, j’aurai quelqu’un d’autre à interroger. »
Baldus se leva en soupirant.
Baldus : « Qui donc ? »
Ellébore : « Toi, Baldus. »
Nos regards se croisèrent. Il comprit qu’il ne pouvait plus y couper. Pas après ce qui s’était passé.
Ceirios : « Ah ! Peut-être que si c’est vous, cette tête de mule va enfin parler ! »
Celui-ci interrompit Ceirios d’un rire gras et saccadé.
Baldus : « C’est pas une gamine qui me fera cracher le morceau. »
Ellébore : « C’est ce qu’on verra ! »
Baldus : « Tu as pas intérêt à manquer ton coup, parce que c’est certainement notre dernière virée ensemble. »
Ces propos m’interpellèrent. Je le fixai avec curiosité, voire inquiétude.
Ellébore : « Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Baldus : « Le Doc m’a dit que j’étais libre à partir d’aujourd’hui. Mon traitement est fini, et je vais quand même pas finir ma vie dans la même chambre que ce rouquin. »
Ceirios : « Eh ! Vu le bruit que tu fais en dormant, c’est pas moi le problème de nous deux ! Et puis, je reprendrai officiellement mes fonctions dans une semaine, de toute façon. »
Je fis la moue après cette soudaine annonce.
J’avais beau m’y attendre, j’aurai aimé que ça dure plus longtemps…
Ellébore : « Tu vas vraiment me manquer, Baldus. Ça ne sera plus pareil ici, sans toi. »
Il ne s’attendait pas à ce que je partage mon ressenti avec lui, et semblait déstabilisé.
Baldus : « Tch. J’suis pas ton animal de compagnie ! »
Je lui souris affectueusement, malgré tout.
-2-
Guichetier : « Oui, je vous écoute. »
Un homme d’un certain âge nous attendait de l’autre côté d’un comptoir dans les locaux de la Confrérie, il était vêtu comme un des chauffeurs.
Ellébore : « Pourrions-nous rencontrer l’un des vôtres ? »
Guichetier : « Un chauffeur de rang S qui aurait été affecté à un membre de la noblesse, n’est-ce pas ? »
Avec lassitude, il se tenta à deviner.
Ellébore : « Oui… »
Guichetier : « Ce ne sera pas possible, vous vous en doutez. Si vous êtes au courant de l’affaire, vous comprendrez que son identité doit être protégée. Sa vie est menacée par ceux qui ont attaqué notre ville avant-hier. »
Ceirios et Baldus fixaient le sol, mécontents.
Ellébore : « Autrement dit, nous ne sommes pas les premiers à venir. »
Je ne pense pas que ceux qui veulent le faire taire iraient demander son nom à la confrérie. D’autres personnes doivent suivre cette affaire.
Guichetier : « Je ne pourrais pas vous dire non plus les noms des personnes qui sont venus pour le même motif que vous. »
Mais si quelqu’un d’impliqué pensait n’avoir aucune chance d’être suspecté, il pourrait peut-être tenter cette approche…
Nous finîmes par repartir sans plus d’information.
Baldus : « Pas trop triste d’avoir perdu ta piste ? »
Lui semblait satisfait de la tournure des événements. Je lui répondis à mon tour avec le sourire.
Ellébore : « Loin de là. Nous savons qu’il y a un chauffeur qui n’est plus en service. Ça ne va pas être facile, mais je ne pense pas qu’il y ait plus d’une cinquantaine de chauffeurs de classe S. »
Baldus : « Tch. »
Ellébore : « À nous deux, maintenant. Comment est-ce possible que l’on ait pas retrouvé l’endroit où ton ancien groupe retenait prisonnier les enfants du Duc ? »
Sans transition, je commençais l’interrogatoire dans une ruelle déserte. Ceirios écoutait avec attention.
Baldus : « Satané Mandresy. Il aurait pu se la fermer. »
Ce n’était pas seulement la discussion d’hier. Je le savais depuis longtemps déjà. Je ne voulais juste pas lui en parler quand il a commencé son traitement. Ce qui m’avait poussé à enfin aborder le sujet était une autre raison : je lui faisais à présent confiance.
Ellébore : « Lucéard avait pu être retrouvé grâce à notre enquête, mais les équipes envoyées là-bas n’ont rien trouvé de plus, pourquoi ? »
Ce n’était pas ce que je voulais savoir le plus, mais je n’en étais pas moins curieuse.
Baldus : « C’est un véritable bois aux illusions là-bas, si vous n’étiez pas les bienvenus, vous n’aviez aucune chance de trouver le village. »
Il ne semblait vraiment pas enclin à cracher le morceau. Si cette information se savait, les conséquences pour le groupe dont il faisait partie était dans de beaux draps, c’était le moins qu’on puisse dire.
Ellébore : « Tu n’es plus des leurs, si ? »
Le regard de Ceirios et le mien se firent plus insistants. Baldus devint sérieux.
Baldus : « Si je savais où ces rats se terraient, vous pensez pas que je vous l’aurais déjà dit ? »
Il alla droit au but, et le dégoût avec lequel il prononça ces mots ne laissait aucun doute sur sa sincérité. Il était à l’opposé de la délicatesse de Miléna, mais au moins, le message était passé.
Baldus : « J’espère que le prince aussi a compris qui était son véritable ennemi. Et toi, gamine, il faut que tu comprennes que continuer ton enquête ne va t’attirer que des ennuis. À toi, et à tous ceux que tu connais. »
Il en savait encore beaucoup sur eux. Sur leurs pouvoirs, sur leurs noms. Je suis sûr qu’il savait tout, et qu’il taisait toutes ces informations pour éviter qu’on ne parte à leur recherche.
Même s’il savait où ils étaient actuellement, il ne me le dirait sûrement pas. Au mieux, il préviendrait directement le Duc.
On s’échangea des regards intenses pendant quelques instants. Je finis par lâcher prise.
Ellébore : « Tu as gagné. Garde tes secrets si tu penses que c’est mieux ainsi. »
Le barbu ne s’attendait pas à ce que je me montre aussi raisonnable.
Baldus : « Quoi ? »
Ellébore : « S’il le faut, je me débrouillerai sans ton aide. »
Ajoutai-je pour le taquiner.
Baldus : « Ah, je suis même pas capable d’empêcher ma sœur de rejoindre des bandits de grand chemin, c’est certainement pas à une gamine entêtée comme toi que je ferai entendre raison. »
Il ponctua d’un rire cynique.
Ceirios : « Des raisons pour tuer des nobles, il y en a toujours. »
Ce qui ressemblait à une pensée à voix haute attira notre attention. Baldus, tout comme moi, étions choqué d’entendre ça de la bouche d’un apprenti chevalier.
Ceirios : « Euh ! Mais pas de bonnes raisons, hein ! »
Paniqua-t-il en réalisant l’étrangeté de sa tournure de phrase.
Ceirios : « Ce que je voulais dire, c’est que vis-à-vis du pouvoir qu’ils exercent, les nobles sont des cibles privilégiées pour un assassinat. Mais vouloir tuer juste un prince et une princesse à tout prix, alors qu’ils n’ont pratiquement aucun poids en politique, c’est étrange. »
Je jugeais au regard de Baldus qu’il n’avait pas l’air de savoir quoi que ce soit à ce sujet.
Si on savait ce qui était arrivé à leur mère, si on savait pourquoi elle était morte, on serait déjà tout près de la vérité.
Sur le chemin du retour, nous parlions d’autres choses. Mais je restais légèrement à l’écart, tentant de planifier la suite des événements. Pour l’instant, l’enquête pouvait attendre, mais demain, une nouvelle mission m’attendait. Deux nouvelles missions pour être exacte.
Mon père venait de raccompagner un patient dehors et le saluait. Il nous vit arriver.
Lloyd : « Ohoh ! Belle gosse à l’horizon ! »
La main en visière, il scrutait dans notre direction avec un sourire idiot.
Baldus : « Arrêtez de me fixer comme ça, doc, c’est gênant. »
Se plaignit-il, comme s’il était la véritable cible de ce regard intense.
Lloyd : « Vous arrivez juste à l’heure ! Devinez qui a préparé un super déjeuner ? Le vrai trésor du docteur ! »
Papa débordait d’énergie même avec tout son boulot, et avait totalement ignoré la plaisanterie de Baldus.
Une fois rentrés, je m’arrêtai dans la salle d’attente vide et fixais mon père.
Ellébore : « Papa, j’aimerais te parler de quelque chose. »
Je n’avais peut-être pas choisi les mots les plus rassurants, mais sa réaction était inappropriée. Il suait comme si j’allais faire la plus grande révélation de sa vie.
Lloyd : « Ne me dis pas ! Tu ne me veux plus comme père ?! »
Il prit un air boudeur. J’espérais qu’il plaisante.
Ellébore : « Meuh non, enfin ! J’aimerai passer beaucoup plus de temps avec toi, papa ! Mais là n’est pas vraiment la question. »
Après lui avoir fait un large sourire, je poursuivis.
Ellébore : « De toute évidence, Lucéard ne sera pas sur pied avant encore quelques jours, je devrais aller prévenir son mentor qui doit l’attendre dans la forêt. Et… Je pense rester là-bas quelques jours, peut-être. »
Mon père reniflait, il avait les larmes aux yeux, et même s’il me désespérait un peu, j’eus un peu de peine sur le moment.
Ellébore : « Ce n’est qu’une poignée de jours tout au plus, papa… »
Lloyd : « Ma fille veut passer plus de temps avec moi… C’est sûr, maintenant. Je suis l’homme le plus heureux du monde. »
Je soufflais faisant mine d’être blasée, mais je ne pouvais m’empêcher de rougir légèrement.
Tant mieux s’il le prend comme ça, au fond.
Lloyd : « C’est dangereux de voyager seule, prends Ceirios avec toi, tu pourrais en avoir besoin. »
Il avait attrapé le jeune garde par les épaules et le présenta face à moi.
Ce n’est pas une façon de traiter un être humain, papa !
Ceirios : « Je ne vous décevrai pas, monsieur Ystyr ! »
Bon, tant que ça ne gène personne…
Lloyd : « Les antagonistes qui ont attaqué Lucéard ne doivent pas être loin, même s’ils ne peuvent pas rentrer dans la ville, ils guettent sûrement. »
Ellébore : « Je me doute bien… »
Mais arrête d’utiliser le mot antagoniste, s’il te plaît.
Lloyd : « Tu comptes encore emprunter les chevaux de Tonton Hélier ? »
Ellébore : « Non, ça ira, on se débrouillera pour rentrer. Je préfère prendre un chariot. »
Même si ça revient plus cher, c’est une occasion d’avoir des informations, et de pouvoir voyager confortablement.
Lloyd : « Soyez prudents, hein ! Ne laissez pas embarquer des seniors louches avec vous. »
J’aurai préféré qu’il garde cette mise en garde pour lui. Rien que l’idée que ça puisse arriver à nouveau me donne envie de changer de plan.
Ellébore : « J’espère que d’ici que je revienne, Lucéard sera réveillé. Je n’aurai probablement pas de nouvelles pistes entre temps. »
Lloyd : « Tu ne voulais pas parler à ce type super charismatique, d’ailleurs ? Lifandi Rokk ? »
Ellébore : « La fois où on s’est déplacé pour le voir, il était déjà chez nous. J’ai déjà pu lui parler quelques minutes. Il a vaincu le cinquième du groupe, celui qui s’était infiltré pour assassiner Lucéard pendant que les autres attiraient l’attention. »
Baldus : « Ce mec a vaincu Laukai ? »
On se tournait tous vers Baldus, qui avait pensé trop fort.
Ceirios : « Un ! »
Le garde pointait du doigt son rival avec un air de supériorité, il venait de lui rendre la monnaie de sa pièce.
Ellébore : « Laukai… ? »
Je lui lançai un regard perplexe. Il semblait embarrassé.
Baldus : « Je veux dire : “Ce mec l’a vaincu, ok !”. »
Il prend les mauvaises habitudes de Ceirios et les expressions obscures de mon père. Je ne l’imaginais pas aussi influençable.
J’en prenais note dans mon carnet, au cas où ce dernier complice s’appelait effectivement Loquais, bien que je n’étais pas sûre de l’orthographe.
Ceirios : « Quand partons-nous, alors, mademoiselle Ellébore ? »
Ellébore : « Je vous l’ai déjà dit, appelez-moi juste Ellébore. »
Je lui lançai un regard amical.
Ceirios : « C’est d’accord, Ellébore ! »
J’aime mieux ça !
Ellébore : « Quand vous êtes prêt, on lève les voiles ! »
Ceirios : « M-mais, et vous ? Vous ne préparez rien ?! Vous avez bien parlé d’aller plusieurs jours dans une forêt ? »
Je lui souris avec satisfaction.
Ellébore : « J’ai déjà tout sur moi ! »
L’information finit par lui monter au cerveau.
Ceirios : « Oh, c’est vrai. Le sac. »
Baldus : « Tout le monde se prépare pour le grand départ, alors. On vient aussi me chercher bientôt. Mes anciens compagnons qui ont été congédiés en même temps que moi ont trouvé une baraque sympa dans le comté voisin. Je vais m’installer là-bas pour un temps. »
L’atmosphère devenait solennelle. Nos chemins se séparaient ici.
Lloyd : « D’abord Ceirios et Ellébore, et maintenant toi, Baldus… Il ne me reste que la brigade furtive pour me tenir compagnie… »
Baldus haussait les épaules. Je ne pense pas qu’il était aussi indifférent qu’il voulait le faire croire.
Ellébore : « Ne sois pas triste, papa ! Quand Lucéard sera réveillé, on ira manger en ville tous les cinq ! »
Lloyd : « Tu portes la poisse en disant ça ! …Mais oui, tu as raison, pupuce. »
Au-delà de l’étrangeté habituelle de ses propos, il semblait toujours tourmenté quand on venait à parler de Lucéard, dernièrement.
Lloyd : « Bon, par contre, on va déjà manger tous les quatre, si vous le voulez bien. Si ça continue, ça va être froid. »
Une fois leurs bagages prêts, nous étions à nouveau dans la salle d’attente. Celle-ci commençait à se remplir. Les vieillards ne semblaient pas pressés.
Baldus : « À la prochaine ! »
Mon père le pointa des deux index en prenant une pose triomphale.
Lloyd : « Adios dans le carrosse. »
Ceirios : « Ça n’a même plus de sens. »
Ignorant la tentative d’humour de mon père, je faisais les yeux doux au bandit négligé.
Ellébore : « Prends soin de toi, Baldus, s’il te plaît. Et viens nous rendre visite de temps en temps, tu es de la famille, toi aussi. »
Il grimaçait, comme si se montrer aimable était dégradant pour lui.
Baldus : « Quelle pleureuse, celle-là. …M’enfin, ouais, j’passerai. J’sais pas. On verra. »
Je gonflais les joues pour signifier mon mécontentement.
Baldus : « Mais fais pas de folie, Ellébore. Je veux pas avoir à rendre visite à une tombe. »
Il aurait pu dire ça de manière moins inquiétante, mais je lui souris, comprenant le fond de ses pensées.
Ellébore : « Allez, en route ! »
Mes deux gardes du corps étaient dehors. Je me retournai une dernière fois vers mon père.
Lloyd : « N’oublie pas de te laver les dents. »
Affronter le regard de mon père me décourageait un peu de partir. Il semblait toujours si triste. Mais il me laissait faire, car il pensait que c’était la meilleure chose à faire pour moi. Je ne pouvais pas reculer. Je hochais la tête avec conviction.
Ellébore : « Je ferai attention ! »
Il semblait satisfait de mon état d’esprit.
Ceirios : « Merci encore pour votre hospitalité, docteur ! »
Je rejoignis les autres, nous étions fin prêts. Après de durs adieux, je ne me retrouvais plus qu’avec Ceirios. J’étais au moins heureuse de partager encore quelques jours avec lui. Les salutations qu’il avait échangées avec Baldus étaient laconiques, mais en disaient long sur leur complicité.
-3-
C’était un beau véhicule qui nous fut assigné. La Confrérie tenait à s’excuser pour mon dernier trajet avec eux, et c’était aussi une marque de remerciement pour s’être occupés de leurs chevaux un temps. On put profiter gratuitement de celui-ci, et par-dessus le marché, on me confia une liste des prochains trajets Oloriel-Lucécie prévu dans la semaine. Nous avions des chances de pouvoir rentrer sans marcher jusqu’à Oloriel. Je profitais du début du voyage pour interroger notre pauvre chauffeur, il ne semblait détenir aucune information pertinente.
Ce n’était pas le même confort qu’un carrosse, mais voir ces arbres longer notre chemin ne pouvait que me rappeler mon premier voyage, malgré tout. J’avais une peur irraisonnable de le rencontrer à nouveau. C’était pourtant extrêmement improbable.
Quel cauchemar c’était. Mais je dois au moins reconnaître que j’en suis ressortie plus forte. Et pas que mentalement. Je suis devenue une mage ce jour-là.
L’excitation de pouvoir utiliser la magie était toujours aussi intense, même un mois plus tard. Toutes ces possibilités qui s’offraient à moi, c’était fou. Même si les mots de l’Artificier m’avaient un peu déprimée sur le coup.
Je ne vais pas laisser des chiffres dicter ma vie. Je trouverai bien un moyen d’utiliser ma magie pour compenser ce manque de talent.
Ceirios : « A quoi pensez-vous, Ellébore ? »
Le garçon à côté de moi semblait s’ennuyer.
Ellébore : « Dites, ça ne vous dérange pas de m’accompagner, Ceirios ? »
Ceirios : « Pas du tout. Vous savez, je suis tellement reconnaissant envers votre père et vous. C’est l’occasion de pouvoir vous rendre la pareille, et puis, comme je ne suis pas en service, je n’ai pas beaucoup d’autres occasions de me rendre utile. »
J’étais un peu rassurée, il avait effectivement l’air d’être motivé à m’accompagner.
Ellébore : « Vous ne nous devez rien, Ceirios. Vous avez payé vos soins, après tout. Et en ce qui me concerne, je suis juste contente que vous veniez avec moi. »
Je lui montrai un sourire étincelant.
Ceirios : « Oh. Oh, je ne sais jamais quoi répondre quand on me flatte comme ça. »
Il paraissait en effet pris au dépourvu.
Ellébore : « Vous venez encore de penser à haute voix. Ça fait 27, il me semble. »
Ceirios : « Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi ! »
Je le regardai d’un air railleur, il ne semblait pas l’avoir mal pris.
Ellébore : « Ceirios, je voulais vous demander, vous utilisez de la magie de foudre, n’est-ce pas ? Comment vous la ressentez ? »
Il s’étonna de ce changement de sujet. C’était pourtant de ça que je voulais lui parler à l’issue de mes réflexions.
Ceirios : « Hm, eh bien… Comme vous l’avez entendu, je ne suis pas mage, donc je ne saurai pas vous éclairer. C’est mon bras qui produit l’électricité. Je ne saurai pas trop vous dire comment je l’active. »
Ellébore : « Je vois. Donc, c’est ce que vous avez autour du bras qui produit de la magie. Mais du coup, vous n’avez pas besoin de volonté ou quelque chose comme ça pour utiliser ce pouvoir ? »
Ceirios : « Ah, si ! Enfin, je pense. Je n’y ai jamais trop réfléchi. Mais peut-être que comme vous dites, c’est une question de volonté. Parce que ce n’est clairement pas que dans la façon d’utiliser mes muscles que je produis de l’électricité. C’est quand même fou, maintenant que vous le dites. »
Ellébore : « Donc, ce ne serait pas une arme magique puisque l’énergie vient de vous. »
Ceirios : « Vous devez avoir raison ! »
Il n’y avait vraisemblablement jamais réfléchi.
Ceirios : « Pourtant, je ne suis pas mage… Monsieur Von Schweizig a dit lui-même que ça venait du bras. »
Nous étions tous les deux perplexes.
Ellébore : « Il a aussi affirmé que c’était la magie la plus puissante qui soit en quelque sorte. Que voulait-il dire ? »
Ceirios : « Aucune idée… »
Je me rapprochais de lui, très curieuse. Il détourna le regard. Aborder l’origine de ce bras de métal semblait vraiment être le sujet tabou avec Ceirios, et bien que je mourrais d’envie de savoir, je décidais de ne pas le mettre dans l’embarras.
Ellébore : « Vous devez quand même vous être habitué au contact de la foudre ! »
Ceirios : « Je n’irai pas jusqu’à dire habitué… »
Il ne semblait malgré tout pas à l’aise avec cette proximité, ou plutôt, mon air insistant.
Ellébore : « Vous ne sauriez pas me dire ce que ça vous évoque ce pouvoir ? »
Ceirios : « Vous avez de drôles de questions. »
Ellébore : « Désolée… Pour tout vous dire, j’essaye de maîtriser le plus grand nombre de magies différentes. J’essaye de commencer par les magies élémentaires, ça m’a l’air plus facile. »
Il hochait la tête. Probablement que beaucoup de non-mages auraient la même curiosité que moi.
Ceirios : « Oh, bien sûr. Vous savez faire quoi déjà ? »
C’était une question à ne pas me poser. Je rêvais de pouvoir en parler à quelqu’un.
Ellébore : « Je sais faire une mèche de feu au bout de mes doigts, de quoi allumer des bougies seulement. Je sais aussi faire chauffer mes mains, ça sera pratique en hiver, mais j’ai un peu froid dans le reste du corps quand je le fais. Je sais faire de la glace aussi, sur une zone très petite, mais elle fond rapidement. J’ai plus de facilité à faire de petites plaques de verglas en combinant ça à la magie d’eau. Mais le débit d’eau que je peux produire est très faible, à part chez moi, bizarrement. Je pourrais certainement aussi refroidir mes membres comme je peux les réchauffer, mais mes pieds sont déjà gelés quand il fait froid, avec ou sans magie. Je peux aussi utiliser de la magie de terre depuis peu de temps. Je crois que ça fait augmenter le volume et la dureté de la terre, et j’arrive à le faire à quelques mètres de distance, juste avec mon esprit. …Mais bon, je pourrais juste faire trébucher des gens avec ce pouvoir… Et je sais aussi maîtriser plus ou moins le vent. Mais c’est bien trop faible, même pour me sécher les cheveux… »
Ceirios me fixait, la main sur la bouche, consterné.
Ceirios : « C’est plutôt décevant dans l’ensemble. La pauvre… »
28…
Même s’il ne l’avait pas pensé à haute-voix, j’aurai pu le deviner à son visage. Et puis, je m’en étais rendu compte moi-même en le disant. Ce n’était pas très glorieux.
Ceirios : « Par contre, la magie d’eau ! C’est super pratique ! Vous pouvez boire n’importe où sans jamais vous soucier de vous déshydrater ! »
Il essayait de me remonter le moral, mais je n’étais pas du tout enthousiasmée.
Ellébore : « Je ne sais pas pourquoi, l’idée de boire de l’eau magique ne m’a pas trop séduite. Et puis, si ça se trouve, j’utilise en partie l’eau de mon corps. »
Il se frottait le menton.
Ceirios : « Je n’ai plus du tout envie de goûter maintenant. »
Désolée…
Ceirios : « Bref, vu que vous “maîtrisez” cinq des six éléments basiques, le prochain est forcément la foudre ! »
Ellébore : « C’est ça ! »
Il semblait plonger dans une réflexion particulièrement profonde.
Ceirios : « Hm, la foudre. Ça apparaît, et ça disparaît. Ça va vite. »
Je pouffai de rire.
Merci Ceirios…
Ceirios : « C’est comme un jet de lumière, mais incontrôlable. Qui part dans tous les sens. »
Ellébore : « Hélas, je ne fais pas encore de lumière… »
Mais tout ce qu’il dit n’est pas à jeter. C’est très simple, mais c’est justement l’essence de l’élément que je dois pouvoir comprendre.
Pendant qu’il détournait le regard pour réfléchir davantage, je pointais mon doigt à côté de lui, inconsciemment. Je le fixai.
Rapide, même instantané, étincelant, fugace, incontrôlable. Non, pas totalement. La foudre va au plus court. Elle se déplace, elle relie, se ramifie. Du bout des doigts, si je peux créer de la tension, comme un prolongement de mes nerfs. Établir. Le contact.
Ceirios : « Aaah ! »
Le garçon s’attrapa l’oreille.
Ellébore : « Qu-qu’est-ce qui vous arrive ? »
Ceirios : « Mon oreille ! Quelque chose- »
Il bloqua pendant une seconde.
Ceirios : « Attendez, vous avez réussi ?! »
C’était bien une étincelle qui l’avait piqué, et s’en apercevoir lui fit plus plaisir que ce que j’attendais.
Ellébore : « Super ! Je l’ai fait ! »
Ma joie fit place à de la culpabilité en peu de temps.
Ellébore : « Mais. Désolée Ceirios… J’aurai dû faire plus attention… »
Ceirios : « Vous en faites pas. C’est un honneur d’avoir reçu votre première attaque électrique. »
J’avais des étoiles dans les yeux. Je me rendais de plus en plus compte que derrière ses airs sarcastiques, ce garçon était vraiment sympathique.
Ellébore : « Vous feriez vraiment un excellent chevalier, Ceirios ! »
Il devint rouge tomate instantanément.
Ceirios : « V-vous le pensez vraiment ?! »
Au son enjoué que je produis à chaque hochement de tête, il put comprendre qu’il s’agissait d’un oui. Il se retint de penser à voix haute, mais ne pouvait pas non plus cacher sa fierté.
Ellébore : « Bon, et maintenant, la lumière ! »
Nous nous occupions facilement pendant tout ce voyage, mais le chauffeur assis devant qui nous entendait devait craindre pour son véhicule.
-4-
On finit par s’arrêter au beau milieu de la forêt. Il ne semblait rien y avoir aux alentours. Cependant, j’avais reconnu certains pièges installés, et un gros rocher carbonisé qui longeait la route.
Ellébore : « Merci beaucoup ! »
Je faisais de grands signes de mains au chauffeur qui continuait seul sa route vers Oloriel.
Ceirios regardait autour de lui, il y avait des arbres à perte de vue.
Ceirios : « Hm, rappelez-moi, que fait-on ici déjà ? »
Ellébore : « C’est vrai que je ne vous l’ai pas dit, désolée. »
Il était clairement du côté droit de la route, mais où exactement ? Je m’éloignais du chemin, suivi par mon garde du corps.
Ceirios : « Ça ne répond pas à la question ! Et puis, pourquoi vous avez l’air perdue ? Ne me dites pas qu’on est perdus ? »
Il ne s’était pas inquiété de tout ça en chemin. Il pensait trouver son compte juste en m’accompagnant.
Le jeune homme était sur ses gardes, lui qui n’était pas habitué à être loin de la civilisation.
Il vit dans une clairière un homme assis sur une roche, éclairé par la lumière tombante de la fin de journée. Ses cheveux d’argent se laissaient emporter par le vent, tout comme sa barbe soyeuse. L’aura qu’il dégageait fit se décrocher la mâchoire de Ceirios.
Ceirios : « C’est qui ce vieux super dramatique ? »
Ellébore : « On dirait bien que nous y sommes. »
Rassurée de l’avoir trouvé, je reprenais mon assurance. Mais ce fut de courte durée. Quand il m’aperçut, il me fixa comme s’il se doutait de ma venue.
Heraldos : « Si tu es là… C’est qu’il est arrivé quelque chose à Lucéard. »
Ellébore : « On ne peut rien vous cacher… »
Entendre cette déduction me peina plus qu’elle ne m’impressionna. Le vieil homme regardait au loin.
Heraldos : « Il suffit parfois de s’arrêter et d’observer autour de soi pour comprendre beaucoup de choses sur ce monde. Je peux aussi te dire qu’il n’est pas mort. »
Après observation, je peux vous dire que je ne vous imagine pas du tout en détective.
Enfin, même s’il n’en avait pas le profil, il avait vu juste.
Ellébore : « Vous permettez que je vous raconte tout ça chez vous ? »
Il se frottait la barbe, et finit par se lever. Ceirios se rendit compte de sa taille réelle.
Heraldos : « Ce jeune homme compte t-il nous suivre ? »
Ceirios déglutit avant de se mettre au garde-à-vous.
Ceirios : « Ceirios Dydd, monsieur ! Je suis apprenti chevalier et garde de Lucécie ! Le 147ème au classement annuel de l’école de Chevalerie ! Je suis ici en tant que garde du corps de mademoiselle Ystyr. »
Je ne sais même pas si Heraldos l’avait écouté, il commençait déjà à partir.
Heraldos : « Va donc couper du bois pendant que nous discutons. »
Ceirios : « TOUT DE SUITE ! »
Il accourut immédiatement dans la direction où l’index de l’ermite pointait. Ce dernier s’arrêta pour enfin accorder de l’attention à l’apprenti chevalier.
Heraldos : « Il m’en faudrait un comme celui-là. »
Pourquoi tout le monde traite ce pauvre Ceirios comme un outil ?
Nous étions à présent autour de la vieille table au centre de la maisonnette.
Ellébore : « Pour faire court, Lucéard s’est fait attaquer par cinq personnes qui appartiennent à la même organisation que le groupe qui l’avait enlevé lui et sa sœur. De toute évidence, ils ont tenté de l’assassiner, et ont presque réussi. Pour l’instant, Lucéard ne s’est pas réveillé, mais il ne devrait plus tarder. Je tenais à vous prévenir qu’il ne pourrait pas retourner ici avant quelque temps. »
Heraldos : « Rien d’étonnant. J’aurai préféré que tu en viennes directement à la raison de -ta- présence, Éléonore. »
Toujours impassible, son regard froid me transperça.
Ellébore : « Je m’appelle Ellébore ! …Et décidément, on ne peut rien vous cacher… »
Il croisait les bras, ne me quittant pas des yeux.
Ellébore : « J’ai…quelques requêtes à vous faire. »
…
-5-
Ceirios : « Alors comme ça, nous restons ici quelques jours ? Vous n’aviez pas l’air sûre de ça ce matin, pourtant. »
Je tenais compagnie à Ceirios pendant qu’il finissait d’entreposer le bois dans la pièce à vivre, il faisait déjà plus que nuit..
Ellébore : « Monsieur Heraldos est un expert en ésotérisme. Je pensais pouvoir trouver des pistes intéressantes grâce à lui, mais ce qu’il m’a révélé est au-delà de mes attentes. S’il a dit vrai, ce que je cherche pourrait être quelque part sous nos pieds. Et il a accepté que nous restions le temps de nous préparer. Il a accepté de m’apprendre quelques combines pour maîtriser la magie ! »
Il suffisait de voir mon visage pour comprendre que tout se passait mieux que prévu. Il n’insista pas sur les détails et se contenta de lever le pouce vers moi.
Ceirios : « Super ! C’est sûrement une bonne occasion pour moi aussi ! »
Il avait l’air enthousiaste.
Ceirios : « Quand vous dites “sous nos pieds”, vous ne parlez tout de même pas du souterrain d’Azulith ? »
Tous les habitants de Lucécie en avaient certainement déjà entendu parler. Une géante dédale s’étendant sur des kilomètres à la ronde. Probablement que sa renommée était grande dans notre cité car il s’agissait de l’endroit le plus proche de Lucécie où on était sûrs de trouver des monstres. Néanmoins, on ne pouvait pas dire pour autant que l’endroit était populaire. J’avais déjà entendu dire que certains membres de la Guilde étaient amenés à passer une formation ici, sous terre. Après tout, visiter ce genre d’endroit était la spécialité de notre guilde d’aventuriers locale.
Ellébore : « Je comprendrais que vous ne vouliez pas m’accompagner. Je ne vous force à rien. »
Bien sûr, cela m’arrangeait d’y aller au plus tôt. Mais sans lui, je ne prendrais évidemment pas ce risque. Heureusement, connaissant le personnage…
Ceirios : « Vous rigolez ?! Qui passerait à côté d’une telle occasion ?! »
Le fait qu’il n’ait même pas hésité me soulageait. Je m’en voulais pourtant de l’exposer au danger pour mon propre intérêt. D’une certaine façon, s’il lui arrivait quelque chose là-bas, je ne pourrais que m’en vouloir pour le restant de mes jours.
Le jeune homme était à présent plus sérieux que je ne l’avais jamais vu.
Ceirios : « Un chevalier doit être prêt à faire face à tous les obstacles ! Mon dernier affrontement s’est conclu sur un échec cuisant. Sans l’arrivée des autres gardes, il aurait pu nous achever aisément. Je ne suis donc actuellement pas digne de celui que je veux devenir, mais si je peux réussir cette fois, alors, je reviendrai dans la course ! »
Il serrait son poing noir fermement. Sa détermination m’était parvenue.
Je culpabiliserai presque de ne pas l’exposer au danger après ça.
Ellébore : « Parfait alors ! Vous avez la super classe, Ceirios ! »
Il se mit à rougir.
Ellébore : « Mais promettez-moi d’être prudent ! Il n’y a aucune raison de mettre nos vies en jeu, annuler cette opération est largement moins grave que nous blesser. »
Ceirios : « Vous avez ma parole ! On va le faire ! »
Je lui fis un grand sourire, et nos paumes se rencontrèrent en une poignée de main presque trop virile pour une frêle demoiselle comme moi. Mais le cœur y était.
Ellébore : « Nous partirons dans trois jours, si tu le veux bien ! »
Ceirios : « Le vieux monsieur viendra avec nous ? Il a l’air super balèze. »
Ellébore : « Hélas, non. J’aurai été rassurée de l’avoir avec nous, mais je suis déjà surprise qu’il ait accepté de m’aider, et de m’apprendre quelques techniques pour augmenter mes chances de survie. »
J’étais reconnaissante, mais un peu inquiète.
Ellébore : « Il va faire de nous ses esclaves pendant les prochains jours, c’est sûr… »
Ceirios : « Pas d’inquiétude ! Je vais tellement me défoncer qu’il n’aura besoin que de moi ! »
Je me demande lequel des deux va craquer en premier.
La nuit passa, et les journées qui suivirent furent éprouvantes, sur tous les plans. Monsieur Heraldos était pratiquement prêt pour l’hiver grâce à l’abnégation surhumaine de Ceirios. Les courbatures du premier jour étaient supportables. J’avais assimilé tout ce que je pouvais en le moins de temps possible.
Pleins de doutes s’étaient accumulés en moi en très peu de temps. Mes desseins valaient le coup, mais, me rendre dans un lieu aussi périlleux sans que je n’en aie la nécessité, et impliquer quelqu’un qui ne gagne rien à participer à cette expédition, n’était-ce pas aberrant ? J’étais pourtant parvenue à une réponse d’ici le matin tant attendu.
Dans la chambre du vieil homme, il y avait une carte longue comme le mur, et tout un tas de cartes plus petites pour couvrir le reste des parois de la pièce. Toutes griffonnées à la main, certaines plus récentes que d’autres.
Ceirios : « La grande… Ce ne serait pas le plan des souterrains d’Azulith ? »
J’étais aussi impressionnée que lui. Personne ne devait posséder un plan aussi précis de ce qui se cachait sous nos pieds. Il avait dû le faire à la main, ce qui revenait à dire qu’il avait lui-même visité chaque recoin de ce dédale. Il y avait encore quelques endroits cachés, mais dans l’ensemble, cette carte permettait de naviguer aisément dans ce labyrinthe.
Si ce qu’on dit est vrai sur ce que renferme ce souterrain, alors monsieur Heraldos est aussi fort qu’il en a l’air. Il a dû passer un temps fou sous terre, peut-être même l’équivalent d’une année. Qui sait ce qu’il a pu y affronter ?
Heraldos : « Quand on parle de donjon, on inclut parfois au sens large tous les lieux fermés où l’activité monstrueuse est plus prononcée que l’activité humaine. Les aventuriers appellent aussi parfois des endroits comme ce souterrain des zones fixes. »
C’était encore un cours improvisé du vieil homme. Nous buvions chacune de ses paroles.
Heraldos : « Vous avez certainement déjà entendu parler des donjons errants, bien que tout le monde ne les appelle pas ainsi. Il y a parfois dans des zones fixes de nouveaux passages qui se créent, et qui sont souvent incohérents avec leur environnement. Autrement dit, ils ne font pas partie de la topographie de la zone. Ils ne sont même pas réels. Ce sont des mondes créés grâce à la magie. Le plus souvent, une fois que la source qui produisait le donjon disparaît, l’accès devient introuvable. »
C’est ce qui nous était arrivé à Absenoldeb, sûrement. Nous avons été ramenés à l’entrée du temple, et le passage qui menait plus en profondeur avait disparu comme s’il n’avait jamais existé.
Heraldos : « Les aiguilles qui sortent de la carte des souterrains représentent ces donjons errants encore actifs. Enfin, si quelqu’un les a visité entre-temps, ils ne le sont probablement plus. Parfois, il suffit que le créateur de cette zone magique ait atteint son objectif pour qu’il disparaisse. Parfois, il faut qu’il soit vaincu. Inutile de dire que les créatures qui ont le pouvoir de générer ces donjons sont extrêmement puissantes. »
On déglutit tous les deux à cette annonce. Il m’avait pourtant déjà vaguement briefé sur le sujet lorsque je lui avais dis ce que je cherchais.
Heraldos : « Quand on a l’habitude, on peut parfois reconnaître la nature d’un donjon errant par son entrée. Il faut d’ailleurs être très attentif à cela, puisque beaucoup de donjons ont la particularité de se sceller une fois que quelqu’un pénètre dedans. C’est sans doute le cas de celui où vous vous rendez. »
Il pointa du sceptre sur la carte de la surface une entrée au nord de la maisonnette.
Heraldos : « Vous descendrez par les ruines de Flaïeul. Une fois dans les souterrains, vous ne serez déjà plus loin de la zone des Saules de Nuit. Mais vous n’aurez pas à la traverser puisque le donjon errant qui vous intéresse est seulement à une centaine de mètres du point de descente. »
Il indiquait sur le plan principal l’aiguille en question.
Heraldos : « Comme je l’ai déjà expliqué à Éléonore, on peut parfois avoir une idée de la nature des trésors qui attendent les aventuriers qui pénètrent dans ces donjons. Celui-ci est manifestement un donjon de type astral. Ce qui signifie que vous verrez probablement des monstres de cette catégorie là. Cela veut également dire qu’il y a une divinité inférieure dans cette zone. Souvent, les aventuriers sont récompensés par cette entité qui leur offre non pas des trésors, mais des informations. Des prophéties, mais aussi des indications pour trouver des objets précieux. Et c’est dans cet objectif que cette jeune fille veut s’y rendre. »
Ceirios me fixait, je n’avais pas réagi à la façon dont il m’avait appelé. J’avais lâché l’affaire.
L’apprenti chevalier se demandait quel était mon objectif, puisque je ne lui en avais pas encore parlé. Quoi qu’il en soit, c’était déjà beaucoup à assimiler en peu de temps. Pour nous qui n’avions pratiquement jamais vu de monstre, l’idée qu’il y ait des catégories parmi eux nous était anecdotique. Et cette histoire de divinité inférieure était plutôt intimidante. Qu’était-ce exactement ?
Ceirios : « Allez, du nerf, Ceirios, c’est ton moment ! »
Le jeune homme se motivait lui-même, ça avait l’air efficace.
Ellébore : « Vous êtes sûr que ça ira ? Il me semble bien que vous ne teniez même plus debout hier soir. »
Ceirios : « Hier, c’était hier. Aujourd’hui, je suis prêt à tout ! »
Le voir ainsi était rassurant pour la suite. S’il restait toujours aussi déterminé, ça ne pouvait que bien se passer.
Ceirios : « Mais vous, alors ? Vous êtes déjà couverte de blessures avant même le début de notre quête. »
Je ris jaune. Il n’avait pas tort.
Ellébore : « Je me sens d’attaque aussi. Je ne pense pas que ces petites égratignures nous poserons problème. Et puis, je suis pas mal excitée à l’idée d’entrer dans un donjon, et de voir des monstres. »
Heraldos frottait sa barbe avec intérêt. Il semblait apprécier mon attitude.
Ceirios : « Vous… Vous n’avez pas peur ? »
Le jeune homme était stupéfait. N’importe qui aurait dû être découragé après avoir entendu les explications de l’ermite.
Ellébore : « Si, je suis effrayée à l’idée d’aller dans un tel endroit. J’ai déjà été dans un donjon errant, voire même deux, et je ne peux pas imaginer beaucoup d’expériences plus traumatisantes. Je ne sais même pas me battre, mais nous sommes sûrs de tomber sur des monstres, et on ne pourra pas tous les contourner. »
Mon regard était sérieux.
Ellébore : « L’idée de mourir là-bas, que tout s’arrête ici, d’un coup, tout ça me terrifie. La plupart des gens qui se montrent assez imprudents pour pénétrer dans des donjons finissent comme ça. Ils disparaissent sans laisser de trace. Rien que de penser que la prochaine tragédie de cette semaine pourrait être la nôtre, je me sens mal. Mais si aujourd’hui, on réussit notre coup, ça change tout. Mais il n’y a pas que ça… Bizarrement… »
Je ne pouvais refréner cet étrange sourire plus longtemps.
Ellébore : « Même en sachant ça, l’idée de partir dans un endroit aussi dangereux, c’est rudement excitant ! »
Déclarai-je, tout en serrant mon poing devant moi.
Un silence se fit. La lueur qui embrasait mon regard captivait Ceirios, qui se laissa facilement emporter par son intensité.
Ceirios : « Oh oui ! Bien envoyé ! Je ne vous pensais pas comme ça, Ellébore ! »
On poussa tous les deux un cri de guerre retentissant, qui laissa de marbre le vieil homme au bâton. Enfin, c’est du moins l’impression qu’il voulait bien donner. Il ne semblait pas s’attendre à autant de zèle de ma part.
-6-
Les ruines de Flaïeul n’étaient pas aussi impressionnantes que je les imaginais. Tant de temps était passé que la nature avait pratiquement tout recouvert. Le seul bâtiment dont le toit n’avait pas entièrement été ravagé par les intempéries menaçait malgré tout de céder à son tour à tout instant. C’est pourtant là que je trouvais l’escalier que nous cherchions, c’était ici que tout commençait.
Ceirios et moi qui bouillonnions d’impatience tout le trajet ne pouvions pas rester calmes en découvrant l’entrée du souterrain.
L’apprenti chevalier regardait déjà dans la pénombre, là où les marches n’étaient plus visibles. Il commençait à allumer deux torches.
Je restais en retrait, et finis par me tourner vers le vieil homme.
Je portais la fameuse tenue d’or et de dentelle que j’avais présentée à l’Artificier. C’était le jour idéal pour la mettre à l’épreuve, quitte à ce qu’elle perde à jamais sa valeur marchande.
Ellébore : « Je suis désolée pour hier… »
J’étais toujours confuse de m’être montrée aussi peu talentueuse.
Ellébore : « Vous devez penser que je ne suis pas du tout faite pour ça, que je ne suis qu’une bonne à rien… Mais je tâcherai de mettre en pratique vos enseignements aujourd’hui, et je réussirai ! »
Il semblait aussi indifférent à mon apitoiement qu’à ma volonté. Mais il finit par se tourner vers le soleil qui dépassait enfin des hautes cimes.
Heraldos : « Qui suis-je pour prétendre savoir de telles choses ? Ce soir, il y aura une table pour trois, c’est la seule chose dont je suis sûr. »
Cet air mystique et ses paroles cryptiques lui ressemblaient bien, mais ses intentions me firent sourire.
Ellébore : « Je ne vous décevrai pas ! »
Laissant le vieil homme derrière nous, nous nous éloignions de cette paisible matinée, marche par marche, jusqu’à atteindre ce labyrinthe épargné par la lumière et la vie.
La boule au ventre, nous étions à présent éclairés uniquement par une énigmatique lueur bleue, certainement celle qui donnait son nom à Azulith. Mais cette lumière était si faible que les torches n’étaient que les bienvenues. Néanmoins.
Ellébore : « Allez. »
Un flash de lumière éclaira la pièce vide pendant une fraction de seconde.
Ceirios : « C-c’était quoi ça ?! »
Je mis mon index contre mes lèvres et en un sifflement discret, j’encourageai Ceirios à baisser d’un ton.
Ellébore : « Évitons de parler trop fort, on ne sait pas ce qu’on peut attirer ici. Monsieur Heraldos nous a dit d’éviter les confrontations avant d’entrer dans le donjon errant. »
En effet, l’ermite semblait dire qu’il était probable que le donjon astral s’adapte à ses visiteurs, comme pour les mettre à l’épreuve. Mais tant que nous n’y étions pas, nous n’avions aucune idée de ce que nous pouvions rencontrer dans ce dédale.
Ceirios : « O-oups… Enfin, même, vous ne l’avez pas vu ? »
Il peinait beaucoup à chuchoter.
Ellébore : « C’était moi… J’ai réussi à faire de la lumière, et je me suis dit que si je pouvais maîtriser le sort le plus basique de cet élément, nous pourrions nous éclairer rien qu’avec ma magie. Mais… Ça a beau être de la magie mineure, je n’arrive pas à créer un orbe de lumière. Je peux à peine éclairer pendant un instant, apparemment. »
Je soupirais.
Ceirios : « Ne vous en faites pas, c’était de la lumière plus forte que nos torches, c’est déjà pas mal ! »
C’est gentil, Ceirios.
Je lui montrai une belle risette.
On commençait à avancer, prudemment. Le frisson du danger, le vertige de l’inconnu, la terreur née de l’imagination. Cet endroit n’avait pas l’atmosphère démoniaque de mon premier donjon, ce n’était qu’un souterrain lugubre, mais tous ces sentiments, parfois contraires, qui s’accumulaient en moi lui donnaient un aspect unique. Une partie de moi était vraiment effrayée, mais je continuais.
Ceirios : « Je ne comprends toujours pas. Les donjons, c’est là où on met les prisonniers dans un château, non ? »
Je haussais les épaules, sa question était légitime, je réfléchissais à sa question tout en consultant le plan que j’avais reproduit sur mon carnet.
Ellébore : « Peut-être que les donjons au sens historique avaient beaucoup de chance d’attirer les monstres, et que, comme c’était dans des lieux importants, les personnes les plus cultivées se sont basés sur ces endroits pour créer l’appellation de donjon dans ce second sens du terme. Maintenant que j’y pense, ça expliquerait que plus beaucoup de châteaux n’aient de donjon. »
Mon sac de thornecelia se trouvait entre mes jupons et la robe enchantée que je portais. En constatant que je n’avais plus besoin du plan, je le rangeais dans cet univers sans-fond sous les yeux de Ceirios. Comprenant ce que cela signifiait, il tourna son regard dans la direction du mien.
Il y avait une arche, au milieu des roches endémiques d’Azulith. Elle n’était pas en marbre, et n’était pas non plus taillée dans un minerai des environs. Pour ce que j’en savais, elle n’avait même pas l’air d’avoir été taillée, et ce n’était pas une roche que j’avais déjà vu. C’était comme si la lune avait pris la forme de cette entrée, et sous la voûte qu’elle formait un paysage similaire au ciel étoilé nous guettait. Comme si la nébuleuse nous appelait. Nous nous sentions aspirés par cet univers. Ce qu’il y avait de l’autre côté de l’arche n’était plus notre monde. Sans bouger, nous continuions de contempler la grandeur et la majesté de cette architecture.
Bien assez tôt vint le temps de la traverser.
Le vide nous encerclait, comme si nous étions au-delà de l’atmosphère. Les ruines d’un temple antique flottaient au milieu de la nuit.
L’arche était encore derrière nous, et nous étions prêts à tout moment à rebrousser chemin. Le sol aussi semblait être en brique crue recouverte de stuc. Ce que l’on considérait comme une architecture perdue se trouvait sous nos pieds. Des colonnes et des voûtes flottaient au dessus et en deçà de nous, sur des plateformes de toutes surfaces, et de toutes épaisseurs, qui s’étaient détachées de cette île de faux-marbre dont la partie principale menait à une grande porte derrière une rangée de statues aux formes abstraites, vaguement humanoïdes.
Ceirios : « C’est exactement à ça que je m’attendais. »
Je me tournais vers lui, stupéfaite.
Ellébore : « V-vraiment ? »
Ceirios : « Pas du tout. »
De se trouver ici semblait déclencher chez lui une peur du vide qu’il ignorait.
Ellébore : « Je pense que nous ne devrions pas perdre de temps à admirer le paysage. »
Ceirios : « Je n’ai pas vraiment envie de bondir de plaque en plaque. Qu’est-ce qui se passera si nous tombons ? »
Je comprenais son sentiment. S’il y avait eu de la lave sous nos pieds, j’aurais été moi-même plus sereine. L’idée de tomber dans le vide pour l’éternité ne me réjouissait pas du tout.
Ellébore : « Il va falloir faire attention où on met les pieds. »
Les plateformes devant nous étaient encore assez proches, et un chemin était tout tracé pour rejoindre la partie dont la toiture était intacte. Probablement que dans ce bâtiment, derrière cette porte, un autre monde nous attendait.
Ellébore : « Chaque fragment du sol a tendance à s’éloigner du centre. Si on tarde trop, il finira par ne plus y avoir de chemin sûr. Faire des enjambées ne me dérange pas, mais devoir bondir d’une plateforme à l’autre, rien que d’y penser, ça me donne des sueurs froides. »
J’attrapai mes épaules avec mes mains opposées pour signifier mon inquiétude.
Ceirios : « Qu’est-ce qui nous dit que nous n’allons pas être trop lourd pour la première plaque ? Si ça se trouve, elle va même se dérober sous nos pieds. »
J’attrapai mon menton, à la manière des grands détectives, et inspectai le sol méticuleusement.
Ellébore : « Il semblerait que les lois physiques n’aient pas leur place ici. Si on y réfléchit, ces plateformes ne devraient même pas pouvoir flotter en premier lieu. Si ces blocs de pierre peuvent flotter, pourquoi pas nous ? »
Ceirios bondit prudemment sur place pour me démentir.
Ceirios : « J’ai eu l’impression de retomber plus lentement que ce que j’attendais, mais je peux vous confirmer qu’on flotte pas. »
Son expérience était pertinente, même si le fait qu’on ait les pieds ancrés au sol suffisait à concevoir que nous n’étions pas libérés de la gravité.
Ellébore : « Il fait toujours humide. »
Dans le silence de ce vide étoilé, je remarquais que quelque chose n’avait pas changé entre ce monde et le nôtre.
Ellébore : « Les éléments propres à ce monde ne sont pas contraints par les mêmes règles que ceux qui proviennent du nôtre. »
Ceirios : « Plaît-il ? »
Je pris le temps d’inspirer et d’expirer, lentement.
Ellébore : « On raconte qu’il n’y a que du vide dans l’espace, et donc, pas d’air. Ces plaques se comportent comme si elles flottaient dans le vide, mais nous, nous pouvons toujours respirer car l’air qui est rentré par le même passage que nous a, pour une raison ou une autre, subsisté. Autrement dit, même si nous sommes soumis à la gravité. Ces plateformes font office de terre ferme pour nous. »
Déclarai-je en posant le pied sur la première plaque. Maladroitement, j’avais tâté le terrain pour m’assurer ne pas m’être trompée. En effet, la force exercée par ma jambe n’avait pas affecté le débris, qui continuait de se déplacer, millimètre par millimètre, dans un certain sens.
Ceirios me suivit, et nous continuâmes prudemment.
Ceirios : « Vous n’avez pas froid aux yeux. »
Ellébore : « Vous plaisantez ? J’étais morte de peur à l’idée que cet endroit n’ait aucune logique. Je ne m’attendais pas à ce que l’environnement soit aussi risqué. »
Alors que je fixais le sol, tout en avançant à tâtons, je finis par regarder la distance qui nous séparait encore du temple entier au bout du chemin.
Des statues de la même matière que l’arche à l’entrée étaient perchées en hauteur, et à la vue de leurs ailes minérales, je les identifiais comme des gargouilles. Pourtant, elles n’avaient que peu à voir avec celles que l’on retrouvait dans nos forteresses de Deyrneille. Elles ressemblaient plus à une espèce d’oiseau au ventre rond, mais je ne parvenais pas à identifier un visage.
Un œil rouge globuleux s’ouvrit au niveau de l’abdomen d’une des gargouilles. Malgré la rigidité du matériau, malgré les formes carrés de ses ailes, et le poids qu’elle devait peser, elle se mit à léviter. La créature presque entièrement faite de pierre se rapprochait de nous.
Ellébore : « U-un monstre ! »
J’avais beau m’y attendre, l’idée de faire face à un monstre m’intimida. Il n’était pourtant pas plus gros que moi.
Ceirios ne semblait pas alarmé par mon cri. Son attention était déjà portée autre part.
Ceirios : « C’est quoi ce truc… ? »
Le garçon, en position de combat, fixait sur une plateforme toute proche une seconde créature.
Quand est-ce que celle-ci est apparue ?
Un humanoïde, entièrement fait de bronze à première vue, semblait nous observer. Il n’avait pourtant pas de visage. Tout son corps était lisse et épuré, et à part l’absence d’éléments faciaux, ses bras deux fois trop longs me firent frissonner de terreur, en particulier lorsqu’ils se mirent en mouvement. Voir un alliage de métaux se mouvoir comme s’il était fait de chair et de peau était particulièrement dérangeant à regarder. Ces deux horreurs ne produisaient aucun son, ce qui n’était pas non plus rassurant.
Ceirios : « Je me demande si on pourra les revendre… Une fois qu’ils seront en pièces détachées ! »
Aucunement intimidé, l’apprenti chevalier était déjà prêt à en découdre.
Ellébore : « Sois prudent tout de même… »
Je ne pouvais hélas que le mettre en garde. Que pouvais-je faire contre nos adversaires ? Je n’avais pas été entraînée à me battre, mais seulement à fuir et sauver ma peau en cas de danger.
Ceirios : « Vous en faites pas, je vais les écraser en deux temps trois mouvements. »
Je venais de me rendre compte l’avoir tutoyé, et le fait qu’il n’en fasse pas autant fit naître une moue sur mon visage.
C’est pas gentil, Ceirios…
Ceirios : « Commençons par le plus évident ! »
Il bondit comme si la peur de se déplacer sur ces plateformes avait totalement disparu. Il prit l’offensive contre notre ennemi volant, et lui colla son poing noir dans l’œil. Il ne l’atteint pas de plein fouet, puisque le monstre avait fait de son mieux pour éviter.
Celui-ci s’écarta, et commençait à tourner sur lui même, faisant de son œil un axe. Il se chargeait de lumière.
Ellébore : « Ceirios, attention ! »
Un laser étincelant finit par jaillir de l’apparent point faible du premier adversaire. Ceirios réussit à l’éviter. La gargouille astrale avait dû prendre ses distances avec l’apprenti chevalier, mais c’était trop pour espérer le toucher.
L’attaque avait fait un trou net dans la plateforme, et celle-ci se fissurait lentement, ce qui me laissait penser que le jeune homme n’aurait pas survécu au coup.
Ceirios : « Oh, une étoile filante, c’est le moment de faire un vœu ! »
Il n’écoutait même pas mes mises en garde, et passait son temps à faire des remarques du genre. Je soupirai, même si au fond, ses plaisanteries me faisaient sourire.
Ceirios : « Le mien est tout décidé, et vous ? »
Dit-il en dressant son bras devant lui. Celui-ci se chargeait de foudre.
Le mien, c’est que tu me tutoies, idiot.
La statue ailée eut le malheur de se rapprocher davantage pour tenter une seconde attaque. Elle s’illuminait à nouveau.
Ceirios bondit et prit appui sur une plateforme inclinée qui flottait légèrement au-dessus de notre chemin, il s’en servit pour s’élancer au dessus de la créature, poing serré en arrière.
Ceirios : « Foudro-poing ! »
Le moment où ses phalanges atteignirent les pupilles de l’ennemi, ce fut comme si la foudre l’avait frappé. La décharge et le choc du métal sombre projeta la créature au sol, qui se brisa une aile une fois au tapis.
Ellébore : « Dans le mille ! »
Disais-je pour l’encourager, mais le cœur n’y était pas totalement.
Oh le pauvre monstre gargouille…
Je ressentais de plus en plus de peine pour cette créature. Pourtant, elle était clairement du genre antipathique.
La créature de bronze s’approchait toujours aussi lentement de Ceirios. Il avait eu le temps de prendre les devants avec le premier monstre, ce qui était stratégiquement le plus adapté pour éviter de se retrouver en situation de deux contre un. Il fit appel à la foudre une fois de plus, et frappa de front la deuxième aberration, ce qui était déjà moins judicieux.
Heureusement, nous n’eûmes que la mauvaise surprise que le coup semblait être indolore pour lui. Il n’avait même pas l’air de réagir, mais commençait lentement à lever les bras.
Ellébore : « Écarte-toi ! »
Il agit de son propre chef avant que je n’aie pu finir ma phrase. Tous mes conseils étaient un peu trop évidents. Je m’inquiétais pour rien, il semblait avoir un certain sens du combat, et ne s’exposait pas trop.
Ceirios : « Mon métal est plus précieux que le tien, pourquoi tu ne sens rien ! Ça serait le comble que je perde la face contre toi ! »
Je souriais en coin.
Il a tellement l’air de s’amuser à chaque fois qu’il combat, c’est mignon.
Ceirios : « Vous ne comptiez pas vous battre, vous aussi ? »
Je lui fis un regard menaçant, avant de considérer sa question.
Ellébore : « La violence, ce n’est pas franchement ma tasse de thé… »
Ceirios : « Il me semble bien que les tasses de thé, ce n’est pas vraiment votre tasse de thé non plus, alors où est le problème ? »
Mes joues rougirent, mais je ne lui fis pas le plaisir de rire à son jeu de mot.
Ellébore : « Oui, c’est sûr… »
Mais il faut bien que je puisse me rendre utile. Les monstres et les lieux dangereux m’attirent, c’est certain. Et pourtant, tant que ça ne concerne que moi, je peux bien surpasser ma peur. Mais, l’idée de mettre en danger les gens qui partagent mes aventures me refroidit vraiment. Si seulement je pouvais y faire quelque chose…
Ceirios frappa l’humanoïde métallique, reprenait ses distances, et frappait à nouveau en essayant de rester dans l’angle mort de ses bras.
Puis-je vraiment échapper à la violence, tout en protégeant la vie de mes compagnons ? Un compromis à ce dilemme est-il possible ? Je ne peux sûrement pas concilier les deux… La violence n’appelle que la violence, et céder à cette facilité ne ferait pas de moi une meilleure personne que celles que j’ai décidé de traquer en tant que détective.
Ceirios : « Ohaaa ! »
Ceirios, avait failli basculer dans le vide par mégarde, et à force d’agiter les bras avait pu retrouver son équilibre.
Ceirios : « J’ai eu chaud, cette fois-ci. »
La gargouille astrale s’était relevée, et pivotait rapidement sur elle-même, s’illuminant encore une fois. Ceirios était en fâcheuse posture.
Oh, et puis zut !
Je tendis la main devant moi, de façon largement exagérée. Je tendais ma paume vers le haut, et attrapait mon bras comme pour contrôler la puissance qui se déversait dans le premier.
Ceirios : « Qu’est-ce que ?? »
Épaté par cette pose, il me vit concentrée comme lorsque je m’étais essayée à la magie de foudre.
Ellébore : « CROCHENWAITH SUMMON ! »
Ceirios : « D-d-de la magie incantatoire ! Trop chouette ! »
J’étais aussi excitée que lui. De l’énergie émanait du creux de ma main, et un artefact s’y matérialisait.
Ellébore : « Voici mon sort ultime, créatures maudites ! »
J’empoignai l’objet invoqué et le lançai droit sur la créature volante.
Un bol en céramique bas de gamme lui effleura l’aile, se brisa, et chut dans les ténèbres pour l’éternité.
Ceirios : « Ne me dites pas qu’elle a invoqué de la vaisselle ?!! »
Néanmoins, j’avais attiré l’attention de la créature qui décida de relâcher son laser dans ma direction, je l’évitais avec maladresse.
Ellébore : « C’est médiocre, mais depuis hier je maîtrise la magie d’invocation, qu’est-ce que vous dites de ça, les monstres ? »
J’étais quand même fière de moi. Ma précision laissait à désirer, mais j’étais parvenue à mes fins.
Les monstres en question ne semblaient pas avoir d’opinion, mais Ceirios semblait déçu de ce dénouement.
Ceirios : « Alors vous vous êtes entraînée à invoquer des bols pendant ces derniers jours… ? »
Ellébore : « Je n’arrive pas à invoquer plus. Même une petite créature demande trop de magie. En vérité, même des armes basiques m’en demandent trop. »
Il soupira.
Ceirios : « Bon, ça reste plutôt utile dans la vie de tous les jours. »
Sur ces mots, il prit pour cible la nuque de notre adversaire, et décocha son poing électrique à pleine puissance.
Ceirios : « Foudro-poing ! »
L’impact était sévère, mais il n’affectait absolument pas son adversaire. L’onde de choc ne parcourut que le corps de Ceirios qui restait pétrifié quelques instants.
Ceirios : « On dirait que la force brute ne fait pas ses preuves. »
Je regardais du côté du toit. Les autres gargouilles du temple avaient pris leur envol. Il y en avait une dizaine.
Ellébore : « C’est le début des ennuis ! »
La créature levait ses deux longs bras devant elle, désespérant d’avoir quelqu’un à enlacer, et fit naître une minuscule boule profondément sombre au centre des deux mètres séparant ses mains.
Ceirios : « Oh oh… »
La boule grossissait lentement, le monstre ne bougeait plus.
Ellébore : « Ceirios, éloignons-nous vite ! »
Finalement, ses bras se courbèrent comme si une force autrement plus grande l’aspirait dans cette sphère. Tout son corps se déformait, et s’étirait jusqu’à être aspiré, et disparaître à jamais.
Ellébore : « Je crois avoir déjà entendu parler de ça ! C’est un trou noir ! »
Ceirios : « Rien de réjouissant, j’imagine ! »
Je faussai compagnie à mon adversaire, et Ceirios au sien qui n’était déjà plus là. Nous faisions face aux autres abominations. Les plateformes les plus proches de cet orbe de ténèbres se faisaient lentement attirer à leur tour. Sa force d’aspiration n’allait qu’en s’accroissant.
Ellébore : « Si c’est ce que je crois, alors notre temps est compté, il nous faut sortir d’ici. »
Les ennemis qui lévitaient face à nous se mirent à pivoter sur eux-même. La poussière d’étoile qui émanait d’eux était envoûtante, mais annonçait un danger de mort imminent.
Ceirios bondit assez haut pour en détruire une d’un coup de poing. Il ne lui avait laissé aucune chance. Mais notre premier adversaire, qui était déjà bien amoché, se trouvait derrière lui, et ne comptait pas lui accorder le temps de le remarquer.
Ellébore : « Ceirios ! »
Je m’interposai devant la créature, et serrai mon poing derrière moi.
Plus question de rester en retrait. Cette fois-ci, je veux me rendre utile !
Ma main se gela, et je décochai le coup dans l’œil étincelant de l’ennemi. Il bascula en arrière avant de relâcher son laser.
Ceirios : « Au risque de me répéter : vous n’avez vraiment pas froid aux yeux, Ellébore ! »
Il n’avait pas perdu de temps pour trouver un jeu de mot, se rendait-il compte de la situation dans laquelle nous étions ?
L’entité astrale que j’avais affronté était au sol, ce troisième coup avait été de trop. Son œil se changea en pierre, se fissura, et partit en poussière.
Ellébore : « D-désolée… »
Les larmes aux yeux, je fixai ce qu’il restait du monstre.
De son côté, Ceirios venait d’en tuer un cinquième et se tournait vers moi après avoir évité une attaque.
Ceirios : « Ne vous excusez pas, enfin ! Ce sont des monstres, ils ne ressentent rien ! »
Ellébore : « Qu’est-ce que tu en sais ? »
M’exclamai-je, l’air boudeur.
Ceirios : « Ce que j’en sais ? »
Il semblait se plonger dans une grande réflexion, et se frottait le crâne.
Le moment n’était hélas pas bien choisi pour philosopher. Je sentais la plateforme où nous étions s’éloigner de notre destination.
Ellébore : « On dirait que ce pouvoir d’attraction est de plus en plus fort ! »
Certains de nos ennemis se faisaient aspirer dans le trou noir. J’en déduis que nous étions épargnés car nous venions de l’extérieur.
On se mit à courir, une fois de plus. Mon allié essayait de se débarrasser de nos adversaires dans son élan. Il ne restait plus qu’une plateforme entre celle où nous étions et les marches de ce mystérieux temple perdu dans l’espace.
Il nous fallut bondir sans réfléchir pour l’atteindre. Ceirios, lancé à pleine vitesse en profita pour sauter une seconde fois jusqu’au point d’arrivée.
Ceirios : « C’était moins une ! »
Il regarda à sa droite en souriant, je n’étais pas là.
Il se retourna en panique pour me voir couchée au sol. J’avais bêtement trébuché après mon premier saut.
Ceirios : « Oh non ! Oh non ! Oh non !! »
Pour une raison ou une autre, la plaque sur laquelle reposait ce bâtiment entier n’était pas non plus soumise à l’attraction. Il savait que je n’avais déjà plus la condition physique pour rejoindre les marches. Il commença à prendre de l’élan.
Ellébore : « Ne bouge pas ! »
Je me relevais. Derrière moi, tous les éléments de cet univers se faisaient réduire en miettes avant d’être aspirés dans les ténèbres, il ne restait déjà plus grand chose dans ce monde.
Ceirios : « Je ne vous laisserai pas mourir sans rien faire ! Je ne vous abandonnerai pas à votre sort ! Même si je dois mettre ma vie en jeu ! »
Je ne l’avais jamais vu aussi effrayé. Son attention m’attendrit.
Ellébore : «Si tu sautes maintenant, tu ne pourras pas avoir assez d’élan pour revenir. Plutôt que de te sacrifier en vain, reste là, et regarde. »
Je lui fis un grand sourire, avant de me mettre en position pour prendre le maximum d’élan.
Ceirios : « Vous n’allez tout de même pas… »
Ellébore : « Une véritable détective garde ses atouts jusqu’à la toute fin. »
J’avais beau dire ça, j’étais terrorisée à l’idée qu’il n’y ait plus rien entre moi et le vide sidéral.
Ellébore : « J’arrive… ! »
Je partis comme une fusée, donnant presque l’impression d’avoir une forme athlétique, et, arrivée au bord du précipice, je pliai les genoux avant de faire un bond démesuré. M’élançant dans les airs, je finis par retomber presque gracieusement à côté de mon ami.
Ceirios : « Elle l’a vraiment fait !! »
Ellébore : « Je l’ai vraiment fait ?! »
J’étais aussi épatée que lui. Avec si peu d’élan, j’avais fait un bond de plus de cinq mètres. Je ne pouvais que prendre une pose victorieuse, et lui montra deux de mes doigts pour former ce V symbolique.
Ceirios : « Vous êtes sûre que vous n’êtes que détective ? C’était un grand moment de sport que vous nous avez offert ! »
Je ris volontiers à sa plaisanterie. Il finit par soupirer.
Ceirios : « Mais quand même, vous m’avez fait une de ces peurs, Ellébore. »
Le voir ainsi me faisait de la peine.
Ellébore : « Désolée, Ceirios… Je suis un peu gauche parfois. C’est tout moi de trébucher dans un moment aussi critique. »
J’étais aussi embarrassée à l’idée d’avoir failli mourir d’une façon aussi ridicule.
Ellébore : « Mais tu étais prêt à me sauver coûte-que-coûte, et pour ça, merci Ceirios. »
La candeur dans mes mots l’avait manifestement déboussolé.
Ceirios : « C-ce n’était que mon devoir ! »
Je m’y attendais de la part d’un apprenti chevalier aussi exemplaire, mais son attitude n’avait pu que me toucher.
-7-
Ceirios : « Mais enfin, c’était quoi à l’instant ? C’est le pouvoir de votre robe, c’est ça ? »
Ellébore : « Pas du tout. Je n’ai pas passé ces derniers jours qu’à invoquer des bols, figure-toi. Vu que je comptais partir à la recherche de quelque chose dans ce souterrain, j’ai demandé conseil à monsieur Heraldos sur comment utiliser ma magie. »
Nous nous étions assis sur les marches quelques instants pour récupérer. Le trou noir finit par se résorber, il n’y avait plus qu’au loin la plateforme de l’arche depuis laquelle nous étions arrivés. Tout le reste n’était que des astres d’une nuit sans fin. Ne pas profiter d’une vue pareille aurait été un sacrilège. Je ne m’étais évidemment jamais sentie aussi dépaysée. Et étrangement, à cet instant mon cœur bondissait de joie.
Ellébore : « Je ne le pense pas plus sage que monsieur Von Schweizig, mais chacun peut voir ce que d’autres ne voit pas. Même ce vieil ermite devait se douter que je n’avais aucun potentiel, mais il m’a appris que ma diversité magique devait être exploitée intelligemment pour avoir des résultats. Il m’a appris trois autres magies pendant mon séjour. La magie de force, la magie d’accélération, et la magie de lévitation. »
Ceirios : « Vous avez appris ça en si peu de temps ? Vous êtes un génie ! »
C’était supposément un compliment, mais j’en avais bavé en accéléré pour apprendre tout ça si vite. C’était grâce à la méthode draconienne d’enseignement de monsieur Heraldos que j’avais pu accomplir cet exploit. Il avait l’art de mettre ses apprentis dans des situations où ils ne pouvaient plus se permettre l’échec. En y repensant, j’avais déjà utilisé la magie de renforcement et d’accélération lors de mon éveil magique.
Ellébore : « Les deux premières sont techniquement des magie de renforcement physiques, ce qui est la spécialité des mages de combat. Avec ça, ils peuvent dominer des guerriers facilement sans jamais s’être entraînés. Mais dans mon cas, je ne peux qu’accélérer une seconde au maximum, et je ne peux augmenter la force que dans une partie de mon corps pendant un court instant, donc, ça n’est clairement pas à ma portée. »
Ceirios : « Je crois que je vois où vous voulez en venir. »
Ellébore : « C’est ça. Je peux les mettre à contribution pour faire un bond plus haut que la moyenne. Mais avec mes capacités physiques, ça ne changerait pas grand-chose. Ce pourquoi j’ai aussi appris une magie pour me libérer de la gravité quelques instants. Je peux ainsi monter plus haut juste après mon saut. Et je l’utilise une seconde fois pour adoucir mon atterrissage. »
J’étais toujours très heureuse de parler de magie. C’était un sujet que je trouvais fascinant.
Ellébore : « Enfin, voilà, c’est comme ça que je me suis retrouvé dans cet état là, à force de me retrouver les quatre fers en l’air. »
Ceirios : « Je vois, c’est donc pour ça. Moi qui commençais à croire qu’il la frappait directement. »
Tu devrais au moins te retourner dos à moi si tu tiens tant à penser à haute voix.
Ceirios : « Quoi qu’il en soit, c’est exceptionnel ! Avec cette combinaison, vous avez beaucoup gagné en mobilité ! »
Je ne pouvais que rougir. J’avais peur qu’il trouve ça décevant. En réalité, j’étais moi-même fière d’avoir pu donner un sens à ces pouvoirs.
Ceirios : « Vous voulez continuer de vous reposer ? Vous êtes sûre qu’on ne craint rien ? »
J’avais un peu froid pour être honnête, mais j’aurais aimé regarder ce paysage surréaliste plus longtemps.
Ellébore : « Je ne suis pas fatiguée, c’est juste que cette vue est incroyable ! Mais tu as raison, nous devons repartir. »
Je constatai à sa non-réaction qu’il n’était pas intéressé par le paysage. C’était déjà bien qu’il soit vaguement intrigué d’être dans un endroit aussi impressionnant.
Je me relevais et ensemble, nous avancions. Nous gardions un œil sur les étranges statues.
Ceirios : « Vous le pensiez, ce que vous avez dit tout à l’heure ? »
Il fixait les étranges visages de pierre à l’entrée du monument.
Ellébore : « De quoi tu parles ? »
Ceirios : « Que les monstres ressentent des choses. »
Cette question me chiffonnait toujours, et j’appréciai qu’il ait pris le temps d’y réfléchir.
Ellébore : « Je me suis juste demandée s’ils n’étaient pas en train de protéger leur territoire. Après tout, que savons-nous des monstres ? Je n’ai jamais entendu parler d’histoire de personnes qui ont essayé de les comprendre, et de leur laisser une chance. »
Ceirios : « Je pense que ça a dû arriver, mais probablement que ces gens-là se sont fait dévorés. »
Ellébore : « Tu aurais pu le dire avec plus de tact… »
Constatant qu’il était en train de me déprimer, il soupira.
Ceirios : « C’est tout à votre honneur de vouloir les défendre, mais vous en faites trop. Nous n’allons peut-être pas avoir le loisir de nous montrer cléments là où nous allons. Il faut que vous soyez prête à faire le nécessaire. »
Cela ne lui ressemblait pas de me commander, mais il avait une très bonne raison, je devais bien le reconnaître. Mon hésitation pouvait nous coûter la vie à tous les deux.
Ellébore : « Tu dois avoir raison, ce n’est pas le moment pour ce genre de compassion. Je n’ai rien pu déceler de sensible chez eux, après tout. Le grand en bronze de tout à l’heure s’est même volontairement sacrifié pour essayer de nous tuer. Il n’a même pas sourcillé. »
Ceirios : « Pour sa défense, il n’avait pas de quoi sourciller en premier lieu. »
Cette discussion m’avait rendue un peu morose, mais il m’arracha un rire avec cette plaisanterie.
Ellébore : « Eh, arrête de te moquer ! »
Ceirios : « Je ne me moque pas ! Je trouve ça vraiment admirable de votre part ! »
Je fis mine de ronchonner, mais je voyais bien qu’il était sincère.
Une fois dans le temple, nous nous retrouvâmes face à une nouvelle arche, plus grande encore.
Ellébore : « Voilà pourquoi cette plateforme n’était pas aspirée. Il y a aussi un portail vers un monde similaire. »
Nous le traversions, et arrivâmes sur une grande place garnie de colonnes et d’autres voûtes.