Intègre le juge se mit à enquêter sur le roi du pays d’Absolia, mais il restait à orienter les actions du magistrat afin d’obtenir des résultats rapides. Aussi Arthur réunit ses conseillers dans la tente des complots afin de parfaire la stratégie à adopter.

Arthur : Morgane, tu serviras de source d’inspiration à Intègre, tu l’encourageras discrètement mais quand même fortement à poursuivre sa procédure contre le roi.

Morgane : Bien seigneur Arthur.

Arthur : Lancelot tu veilleras à essayer sans violence de persuader les gens qui se dresseront sur la route du juge à rester neutres ou mieux à le soutenir.

Lancelot : Bien seigneur.

Arthur : Quant à toi Merlin, tu provoqueras des accidents au moyen de la magie contre les gens que Lancelot n’arrivera pas à convaincre.

Merlin : J’aimerai avoir une autre tâche, comme par exemple rassembler des informations par l’intermédiaire de sorts.

Arthur : Ce n’est pas nécessaire.

Merlin : D’accord seigneur.

Merlin n’appréciait pas que son rôle soit limité à une œuvre qu’il qualifiait de second plan, mais il ne contestait pas ouvertement son assignation. Il reçut des ordres le mettant en partie de mauvaise humeur, mais il était conscient du principe hiérarchique de l’organisation, et de la difficulté à contrecarrer l’influence d’Arthur. Pourtant il essaya plusieurs fois de devenir progressivement le chef suprême de la ligue des protecteurs, mais il se heurtait à de grosses difficultés dans ses tentatives de recruter des partisans.

Il avait un certain charisme et une bonne éloquence, mais Arthur prenait des précautions pour s’assurer une fidélité indéniable chez l’ensemble de ses subordonnés. En cas de réussite d’une mission, il offrait de belles récompenses, et quand la rébellion devenait caractérisée il agissait de façon plutôt sévère. Il décida de faire une mise au point définitive avec Merlin le haut-mage.

Arthur : Merlin j’ai appris ta volonté de me supplanter.

Merlin : Elle est méritée, vous êtes un bon chef mais je suis nettement plus qualifié que vous.

Arthur : Non tu as trop d’orgueil pour diriger efficacement.

Merlin : C’est un argument bancal.

Arthur : Je t’ai fourni un réceptacle pour tes recherches de résurrection de ta mère, qui a pour caractéristique de s’autodétruire si je prononce une formule particulière.

Merlin : Votre chantage est ignoble !

Arthur : Je suis prêt à te jurer de ne jamais tenter de détruire le réceptacle, si tu promets de cesser d’essayer d’usurper ma place.

Merlin : Très bien je fais le serment de ne plus convoiter votre place de chef suprême de la ligue des protecteurs.

Arthur : Merci de ta coopération Merlin.

Le fameux réceptacle était un corps d’elfe sans âme créé à partir de la magie. Sa présence avait permis d’augmenter de façon spectaculaire les espoirs de Merlin de redonner vie à sa maman. Aussi sa destruction signifierait une très mauvaise nouvelle pour le haut-mage. Arthur était conscient qu’il adoptait un comportement peu honorable en faisant chanter un de ses lieutenants. Mais il considérait la dissension comme une caractéristique hautement préjudiciable. Et s’il était prêt à céder un jour sa place de chef, il refusait catégoriquement d’obéir de nouveau à Merlin.

Il voyait ce genre de retournement comme une calamité sans précédent. Il en avait suffisamment bavé à cause du haut-mage durant son apprentissage de jeteur de sorts. Alors il considérait comme hors de question d’avoir à nouveau à se farcir l’autorité d’une personne vue comme très efficace, mais aussi vraiment horripilante.

Autrement Intègre connaissait un moment de doute intense à l’idée d’embêter la famille royale. Morgane vint consoler le juge. Il agissait avec une diligence très molle dans son enquête sur la royauté de son pays. Il ne voulait pas être un pion au service d’Arthur, mais il avait peur que le traitement de sa bien-aimée s’arrête, s’il ne montrait pas assez de zèle dans ce qu’il appelait sa fourberie mémorable. Certes il était conscient qu’il alla loin dans le crime, mais il craignait de balayer ses derniers restes de fierté s’il osait poursuivre ses investigations.

Il ne possédait pas encore de quoi incriminer son roi de façon importante. Mais le simple fait que lui qui était connu comme un royaliste engagé mène une enquête, suffirait à donner des arguments aux opposants politiques à son monarque, en particulier les républicains.

Néanmoins il avait des comptes à rendre à Arthur, et il savait que son interlocuteur n’était pas tendre avec les humains vu comme une nuisance à ses plans. Pourtant le juge refusait d’être un allié de ce qu’il concevait comme une machination destinée à perdre son roi.

Cependant la perspective de provoquer des douleurs indescriptibles chez Morgane amenuisait beaucoup la volonté de résister aux directives de la part d’Intègre. Donc le juge subissait le pire dilemme de son existence. Il ressentait chaque jour un besoin davantage pressant de se réfugier dans l’alcool pour essayer d’oublier ses soucis. Quand Morgane se rendit dans le bureau du juge, elle ne put retenir un serrement au coeur devant la mine affligée de son bien-aimé.

Intègre : Morgane je suis un misérable.

Morgane : Pourquoi donc ?

Intègre : J’ose contester l’autorité de mon roi, en mettant en doute son honnêteté.

Morgane : Tu sais, il arrive parfois que les monarques soient malhonnêtes. Et puis si sa majesté est innocente, ton enquête ne servira qu’à augmenter son prestige.

Intègre : Tu crois ?

Morgane : Plus l’innocence d’une personne éclate au grand jour, plus ses ennemis ont du mal à lui porter atteinte.

Intègre : Merci Morgane.

Ainsi Intègre qui se montrait franchement hésitant au départ, mit bien plus de cœur à l’ouvrage à l’idée de travailler de manière indirecte mais utile pour son roi grâce aux propos de Morgane. Par conséquent le juge connut une amélioration notable de son efficacité au travail.

Il parvint par exemple à remarquer des anomalies dans certains documents, notamment des rapports financiers. Au début il croyait avoir déniché de simples erreurs comptables. Mais il acquit vite la conviction que quelqu’un dans l’entourage du roi se livrait à de vastes fumisteries, manipulait les chiffres pour détourner beaucoup d’argent. Néanmoins il manquait les noms des coupables au sommet de la hiérarchie. Les chefs des machinations financières restaient difficiles à déterminer. Cependant Intègre avait quand même une petite idée sur la question. Il ne put résister à la pulsion de se confier à Morgane.

Intègre : Tu avais raison sur le fait que je pouvais rendre service à la monarchie de mon pays. Un jour ou l’autre j’espère arriver à faire tomber le prince Roland, cet idiot qui admire les elfes.

Morgane : Euh que sous-entends-tu ?

Intègre : Je manque encore de preuves solides, mais j’ai bon espoir d’arriver à débarrasser mon pays d’une grave honte.

Intègre était conscient qu’il agirait peut-être de façon funeste pour lui-même, s’il osait aller à l’encontre des directives d’Arthur. Mais il s’en fichait, il était déterminé à ne pas nuire à son roi, et à purger sa nation d’éléments jugés comme honteux. Son patriotisme et sa foi dans la couronne l’incitaient à privilégier une voie plutôt dangereuse pour son intégrité physique, mais le juge s’en fichait, il pensait que son honneur serait irrémédiable souillé, s’il arrêtait de servir loyalement son monarque. Même s’il fit des déclarations très enflammées à Morgane, entre son roi et elle, il opterait sans doute pour défendre le monarque. Il ressentirait une immense déchirure au niveau du cœur en sacrifiant sa bien-aimée, il serait submergé par la peine, mais il choisirait probablement le devoir au détriment de l’amour. Il pouvait accepter de perdre son emploi au nom de ses sentiments, mais pas de nuire de façon volontaire à son roi.

Il était conscient qu’en ne respectant pas de manière stricte les ordres d’Arthur, il mettait en danger sa vie. Mais justement il commençait à en avoir assez de mener une existence placée sous le signe du chantage. D’ailleurs il pensait qu’il devrait enchaîner des dizaines de missions déshonorantes pour le vampire avant d’avoir une chance réelle d’être libéré de son influence.

Déjà que sa tâche actuelle de nuire à son roi lui portait gravement sur le système, l’incita à doubler le nombre de verres qu’il buvait chaque jour. Il craignait de devenir une épave sur le long terme, s’il acceptait de se lier longtemps à Arthur. En effet il céda en partie aux sirènes de la consommation excessive de vin, mais cela ne suffisait pas à calmer ses tourments. Désormais il devait lutter contre la tentation de mâcher du tabac.

Certes Arthur serait probablement furieux et exercerait des représailles afin de ramener sous son giron Intègre. Mais le juge prit des précautions, il acheta deux charmes magiques pour lui et Morgane, il s’agissait de colliers qui réduisaient en cendres son porteur s’il prononçait le mot zaphirona.

Intègre était profondément désolé d’avoir proposé un moyen de se suicider à sa bien-aimée. Cependant il considérait sa situation comme impossible, l’idée de s’enfuir l’effleura, mais elle lui semblait une belle idiotie. Les mages travaillant pour Arthur étaient réputés capables de localiser facilement des fugitifs, même à une distance de plusieurs centaines de jour de marche.