Une demi-heure après que Falco se soit occupé de ma blessure, Emy passe la porte et donne l’impression d’avoir couru depuis la tour des Guerriers jusqu’ici. Elle me demande comment je vais et je peux voir Cyrus derrière elle qui hausse les épaules comme pour indiquer qu’il n’a pas eu le temps de tout lui expliquer.
— Ça va. Falco vient de finir de me soigner, mais je n’avais rien de grave à l’origine. J’étais plus inquiet que ce soit eux qui m’accusent de quelque chose vu l’état dans lequel certains ont fini.
— Tu aurais dû tous les tuer dans ce cas. En plein jour au pied de la tour… Je n’ai jamais entendu parler de ce genre de chose.
J’étouffe mon envie de jeter un coup d’œil complice à Falco. Emy est effectivement loin de savoir tout ce qui se passe ici. C’est un bien et un mal, mais je ne compte pas être celui qui sera responsable de lui expliquer à quel point certaines choses ne tournent pas rond ici.
En attendant, j’aimerais savoir s’il existe un livre expliquant le fonctionnement de tout au pied de la tour… Surtout de la justice et de ce que quelqu’un a le droit de faire avant de se faire condamner, les punitions aussi. Est-ce que la peine capitale est juste de perdre sa liberté ? Je vois mal un meurtrier récidiviste jouer les cantinières comme Falco…
Malheureusement, ce n’est plus le moment de se renseigner sur ce genre de chose.
Je demande à Emy d’aller préparer ses affaires puisque j’ai déjà les miennes et elle part aussitôt les chercher dans sa chambre.
— Une enfant, je n’arrive pas à croire qu’elle puisse être comme ça après ce qu’elle a vécu sur Terre.
— Quoi donc ?
— Elle te le racontera elle-même. Quand elle est arrivée ici en tout cas, elle était juste une binoclarde, mais pour qu’elle soit aussi forte dans la classe de Berserk, sans en avoir une once de brutalité de visible… La tour a cet effet sur beaucoup de gens en faisant ressortir des choses insoupçonnables, bonnes comme mauvaises, y compris pour toi.
—Aha. Je ne sais pas vraiment à quel point.
— Tu étais déboussolé et clairement seul en arrivant et regardes mainten…
— … ça devient gênant Falco.
— …
Un silence s’installe quelques instants rompus assez rapidement par le bruit d’Emy descendant les escaliers. Je sais très bien ce que veut dire Falco en parlant de solitude, mais ce n’est pas le genre de chose qui change en un mois. Pas au point où je puisse en parler ouvertement.
Emy est harnachée d’un énorme sac à dos et d’une sorte de sac de sport qui doit être rempli d’armes en tout genre.
« Ça ne rentre pas dans mon inventaire »
Au final elle aura pris plus de choses que moi. Je regarde Falco ainsi que Cyrus. J’ai bien l’impression que c’est le moment de se dire au revoir. Ce n’est que le début de la soirée, mais je sais qu’il ne faut pas qu’on tarde. Les autres sont sans doute déjà au courant de notre départ et sont peut-être déjà en train de nous attendre. Chaque minute compte.
« J’ai acheté des capes pour que l’on essaye de se faire discret jusqu’au pied de la tour, mais il y aura peut-être du monde pour nous empêcher d’avancer. S’ils savent où j’habite alors ils savent sans doute qu’Emy habite ici aussi. S’ils veulent nous arrêter, ce sera soit en sortant d’ici, soit à l’intérieur de la tour centrale dans la foule… À mon avis. »
Je regarde Falco qui se contente d’acquiescer pour approuver ce que je dis. Emy de son côté attrape la cape que je lui tends en étant un peu amusée de la situation. La connaissant elle est probablement contente de devoir partir d’une façon qui sort un peu de la norme.
Vu ce qu’elle m’avait dit il y a un moment dans la tour centrale je pense que c’est une façon pour elle de se forcer la main et s’obliger à partir. J’espère juste que c’est la meilleure chose pour elle, mais si ça n’avait pas été le cas, j’imagine que Falco m’aurait dit de partir seul.
Dans ses yeux, je peux voir une sorte d’étincelle alors qu’elle enfile sa cape en me regardant. Une étincelle qui me dit que si l’occasion se présente elle est prête à en découdre.
« Emy, on évite le combat. Je ne veux pas finir par perdre ma liberté à cause d’eux. Si on est repéré, on se contente de courir le plus vite possible jusqu’à une porte ensemble, d’accord ? »
Elle fait une légère grimace, mais finit par acquiescer. Je m’approche de la porte en remontant un bout de mon écharpe et en mettant la capuche. Emy fait pareil que moi.
Cyrus ainsi que Falco nous suivent tandis que les autres que je ne connais pas dans la salle à manger nous regardent du coin de l’œil en se demandant ce que l’on fait. J’aimerais bien faire une annonce générale pour dire au revoir à tout le monde, mais je ne pense pas que ce soit très utile. Chacun d’entre eux vit sa propre aventure avec ceux installés à leur table quand ils ne sont pas seuls à manger ou lire.
J’étouffe un peu à cause de la cape et Micha me dit qu’elle meurt de chaud. Je lui dis de venir dans mon cou où l’air circule mieux et où Juliette est déjà installée. Ma respiration est lourde et j’ai l’impression d’étouffer. Je sais très bien que ce n’est pas qu’à cause de la cape.
Je pars pour un autre monde. Ça me fait la même impression que ce soir où je me suis allongé dans mon ancien lit pour venir au pied de la tour.
Maintenant que j’y pense, à l’époque c’était une forme de suicide de ma part et de celle de ma copine, à foncer comme ça dans l’inconnu. Aujourd’hui, c’est différent, les choses sont différentes. Je repars, mais pas sans but. Soudainement, Emy me frappe le dos.
— Tu commences à douter c’est ça ? Détends-toi, je suis là.
— Ah… euh. Ça va aller. Et puis je ne compte pas me reposer sur une ivrogne une fois là-bas.
— Hey. Je n’ai pas eu l’occasion de boire depuis un moment. Ne me lance pas là-dessus alors qu’on n’est même pas partis.
Je me contente d’esquisser un sourire en réajustant mon écharpe sur mon visage. Je la dévisage et me rends compte qu’elle a le coin des lèvres qui tremble. Elle détourne aussitôt le visage pour le camoufler. Je me rends alors compte que mes propres mains tremblent et j’attrape aussitôt mon harnais sous ma cape pour empêcher qu’elles bougent.
« Allons-y. »
Emy ouvre la porte en prononçant ses mots et je lui emboîte le pas en sortant du manoir. Nous commençons à marcher en direction de la tour en faisant un bref signe à Falco et Cyrus.
Pour l’instant, je ne vois rien dans les parages et j’ai l’impression qu’ils ne sont pas là. Peut-être que je me suis inquiété pour rien ?
Par mesure de sécurité, je décide de garder mon arbalète dans les mains sous ma cape et j’avance à côté d’Emy.
— Tu sais, j’ai l’impression que l’on est plus facilement remarquable comme ça. Ce n’est pas tous les jours que tu vois des gens avec des capes et harnachés comme ça.
— Je sais, mais entre tes cheveux rouges et mes animaux, c’est difficile de faire plus facile à remarquer. Si on se fait repérer, on pourra les retirer de toute façon.
— J’ai presque envie de le souhaiter maintenant.
Je retiens un petit rire et décide de me concentrer sur la route. Il y a des gardes un peu partout sur le chemin, mais nous ne sommes pas à l’abri d’une embuscade pour autant. Vu le nombre de toits sur le chemin un archer ou quelqu’un avec un fusil n’aurait aucun mal à nous atteindre.
Il suffit d’ailleurs que j’en parle pour que ça se produise. D’abord, j’entends un sifflement et aussitôt après je peux entendre trois coups de feu. Avant même que je n’aie eu le temps de réagir, Emy a déjà sorti un bouclier de son inventaire et se place entre moi et les tireurs. Je peux entendre les balles ricocher sur son bouclier et elle retire aussitôt sa capuche.
« Tout ça pour ça. Ce n’était pas une mauvaise idée, mais c’était prévisible. On fait quoi maintenant ? »
Maintenant au moins c’est clair, Emy est capable d’arrêter des balles… C’est impressionnant ? Pas à main nue, mais elle est quand même extrêmement rapide. Avoir le temps de réagir juste en écoutant le coup de feu… Elle a vraiment des réflexes hors du commun. Elle avait vraiment la pression au point d’avoir un léger tremblement avant de passer la porte, ou bien c’était juste de l’excitation ? Avec ses capacités, je ne vois même pas pourquoi elle s’inquiète. Bref.
Je peux voir sur les toits deux des tireurs et je n’arrive pas à repérer le dernier, mais devant nous je peux voir au moins cinq personnes armées qui forment une ligne et s’avancent vers nous, ils portent tous une cape rouge. Je décide de retirer ma capuche à mon tour et prends une grande bouffée d’air frais. Micha se place aussitôt dans ma nuque et observe mes arrières. Juliette de son côté me fait comprendre qu’elle est prête et se déplace jusqu’à mon bras.
Des gardes s’approchent alors des cinq personnes devant nous, mais du dos des lames et à coup de bouclier, le groupe se débarrasse sans problème d’eux en les jetant à terre et continue d’avancer vers nous.
« J’imagine qu’on peut commencer à courir… Le dernier arrivé à la tour payera un verre à l’autre… ! »