Après avoir parlé avec Emy pendant quelque temps Falco finit par arriver. D’après son regard, je n’ai pas besoin de lui expliquer la situation. Il me regarde avec un mélange de tristesse et de « je te l’avais bien dit ». Rien de bien motivant pour moi et après avoir passé quelques minutes en leur compagnie je décide de monter dans ma chambre récupérer des affaires. Je m’attendais à autre chose de Falco avec son expérience qu’un regard, mais au moins Emy est là pour me soutenir. Dans le couloir, je croise Layla qui semble m’attendre impatiemment.
— J’ai cru sentir que tu voulais me voir ?
– Oui et non. Plutôt l’oracle que j’ai vu ce matin. Elle a des choses à me dire, je pense, ou plutôt à m’expliquer.
— Comment ça ?
— Toi qui connais la classe, combien de temps demande la divination de l’avenir de quelqu’un ?
— Je ne sais pas, peut-être dix minutes ?
— Donc effectivement elle m’a gardé plus longtemps que ce qu’elle aurait dû.
— Et ?
— Commet ça « et » ? Elle a joué avec mon avenir en sachant pertinemment ce qui allait se produire.
— Tu t’attendais à quoi ? À ce qu’elle te dise de ne pas aller là-bas sinon il t’arrivera ça ou ça ? Une oracle n’a pas le droit d’influencer l’avenir de quelqu’un. C’est une règle absolue. Si elle le fait alors elle change toutes les autres prédictions. Une erreur de ce genre et elle se fait radier de la classe. C’est déjà à la limite du raisonnable qu’elle ait tenté de le faire. Et puis tu aurais fait quoi à sa place ?
— Je…
— C’est bien ce qui me semble.
— Mais toi. Tu savais ?
— Non.
En me disant de ne pas aller la voir pour lui faire des reproches, Layla part en direction de l’escalier. Elle semble en colère à cause de notre discussion. Je savais qu’elle ne m’aimait pas particulièrement, mais à présent c’est clair que la fille qui m’a prévenu dans les bains de mon avenir funeste hier ne fera pas ami-ami avec moi. Je ne sais pas pourquoi elle ne m’apprécie pas, mais plutôt que de me poser la question je dois me dépêcher de prendre mon matériel et de partir en direction de la tour des Voleurs. La soirée sera longue et il faut que j’étudie le dossier que j’ai du chevalier. Connaître son nom me semble déjà un bon point pour commencer.
En attendant, je vais mettre ma décision d’aller voir l’oracle de côté. Ça ne me servirait à rien d’aller la voir et j’ai au moins compris ça de ma discussion avec Layla.
La route me parut courte jusqu’à la tour des voleurs. Le quartier en dessous de celle-ci est encore plus vivant qu’en journée. Les gens boivent au coin des rues dans des tavernes ou devant des stands probablement installés en début de soirée. Les gens semblent contents et ivres, ce qui signifie que c’est possible de voler facilement. Sans vraiment y penser, je récupère quelques pièces en passant mon chemin. Je ne suis pas un expert, mais avec un public comme celui-ci c’est difficile de rater son coup.
Je finis par atteindre la tour et rentre à l’intérieur pour aller m’installer sur un banc. Falco m’a fait un repas à emporter. Sans vraiment trop y penser, je le sors de mon inventaire ainsi que le dossier. Je me suis suffisamment mis à l’écart pour ne pas être inquiété par les regards des gens en face d’un si gros dossier, je ne suis pas sûr que Nerys ou la secrétaire soient contentes si jamais les assassinats venaient à devenir publics.
À vue de nez celui-ci contient une cinquantaine de pages ce que je trouve assez gros. J’ouvre le dossier et je peux voir qu’il s’appelle Léon, il a 34 ans, j’ai aussi son dossier terrestre et son historique dans les étages mondes. Ce qui revient à dire que je peux tout savoir sur sa vie.
Alors, voyons ça…
Sur terre, ce n’était pas terrible, mais pas non plus horrible, deux enfants qu’il a abandonnés, des dettes qui l’ont probablement poussée à fuir dans la tour. J’imagine que c’est une fois dans la tour qu’il a changé le plus. Pour ce qui est des étages mondes, il est allé jusqu’au deuxième et ça fait 6 ans qu’il a quitté la vie terrestre. Pas très talentueux, mais avec le temps il s’est amélioré. Ah. « Tendance violente avec les différents peuples, responsable de différents massacres de petits villages ». Nombre de grimpeurs tués… 14, duels gagnés… 3.
Victimes humaines 52. Ensuite… de la torture !? Vraiment ? Et j’en suis qu’à la troisième page du dossier ? Ok, ok. Je suis convaincu… même si je l’étais avant, ce gars ne mérite pas qu’on soit gentil avec lui.
Ça me fait mal de pouvoir dire ça, mais là-dedans je ne vois pas une seule once de gentillesse. Voyons la suite. Extorsion, passage à tabac, vol…
Si ça continue, je vais croire qu’il suffit de dire un crime au hasard et que je vais le trouver là-dedans. Bref, passons à la suite, je ne pense pas que le casier me serve à grand-chose pour savoir comment je dois le tuer. Endroits fréquentés dans l’ordre croissant de visite… Tour des guerriers, Arène, Maison de guilde, Tour des pirates…
Maintenant que j’y pense, je ferais bien de me renseigner sur sa guilde puisque je vais sans doute en croiser quelques membres si je m’approche de lui.
Une demi-heure passe alors que j’étudie le dossier.
Je pense que je vais pouvoir l’assassiner. Ce n’est pas comme s’il essaye de se cacher de quelque chose. Tant qu’il ne sait pas que quelqu’un en a après sa vie j’ai toutes mes chances. Même les membres de sa guilde ne seront pas un problème puisqu’ils ne sont pas toujours avec lui d’après ce que j’ai lu.
Enfin bref. Il est temps d’aller voir Nerys et de m’entraîner. Ce n’est que le milieu de la soirée et même si je pense pouvoir le tuer, il faut que j’en sois certain. Ma vie est en jeu après tout.
*
Je n’arrive pas à dormir. J’ai mal partout d’accord, mais c’est le stress qui m’empêche de dormir. Je suis assis par terre et je caresse la tête de Micha doucement en attendant que le temps passe. Je sais que Nerys est au courant que je suis encore debout, mais ce n’est pas comme si elle allait venir me rassurer ou m’encourager pour la suite des choses. Elle me « forge ».
Clairement, ce n’est pas en venant discuter avec moi qu’elle fera de moi un bon assassin.
J’ai quelque chose à faire maintenant que j’y pense. Ça ne va pas plaire à Juliette, mais j’en ai besoin. En me servant d’une bouteille vide de potion de vitalité, je demande à Juliette de mettre son venin à l’intérieur pour que je puisse m’en servir par la suite.
Est-ce que j’ai besoin de dire que Juliette n’aime pas l’idée. D’après le lien, elle veut soit m’étrangler… soit me mordre pour me le « donner ». Après lui avoir expliqué que j’en ai vraiment besoin et que je l’ai choisie aussi pour ça, elle s’est simplement contentée d’obéir en répétant que j’avais intérêt à tuer quelqu’un avec. Bon une fois qu’elle eut terminé, j’ai peut-être poussé le bouchon trop loin en lui expliquant que ce serait bien qu’elle fasse ça régulièrement.
Elle m’a mordu une fois l’idée comprise et j’aurais dû m’y attendre. Tandis que Juliette s’acharne à mordre mon poignet, je regarde l’intérieur de la bouteille et si je ne me trompe pas il y a l’air d’avoir suffisamment de venin pour remplir une tête de carreau en verre et la moitié d’une autre. Vu la quantité qu’il me faut pour tuer un homme j’ai l’impression d’avoir assez pour en tuer une centaine et je remercie Juliette qui continue à me mordre le plus fort possible pour essayer de me faire réagir.
En tout cas, c’est maintenant que ça commence vraiment. Puisque je n’arrive pas à dormir, je n’ai qu’à réfléchir à comment le tuer. L’arbalète sera prête dans peu de temps et avec elle j’aurai un moyen efficace de le tuer à distance, mais ça n’empêche pas que ma cible est un meurtrier assidu et que je n’ai jamais tué personne. Le Berserk de l’épreuve d’admission ne compte pas vraiment à ce propos.
Je continue de caresser la tête de Micha puis celle de Juliette qui ne veut décidément pas me laisser tranquille alors que j’ai demandé gentiment.
Je sors le dossier de mon inventaire et commence à le relire. J’ai un peu de temps avant que Nerys n’arrive pour le prochain combat.