La Tour des Mondes
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Alors qu’Ifrit se réveille de sa torpeur créatrice en entendant les alarmes, il se rend compte qu’il est pris pour cible.

« Finalement. »

Son regard se fige quelques instants dans les flammes du four installé devant lui. Depuis le début de la destruction du camp, il se demandait s’il allait être attaqué et il semble que il ait finalement attiré l’attention du loup qui rôde. Vu les cris, le loup n’est pas seul, mais cela ne le dérange pas. Le prédateur a fini par remarquer qu’il y avait encore une proie intéressante dans le camp. Même si Ifrit a fait de son mieux pour se cacher, organiser une forme de défense pendant l’attaque a posé une cible sur lui. Bon, organiser une défense est un bien grand mot vu la qualité des matériaux avec lesquels il travaille. À présent, il va devoir intervenir et se mêler du combat.

Sans s’inquiéter des cris, il commence à attraper son équipement sur une étagère à côté de lui. Comme son nom l’indique, il aime jouer avec le feu, mais son talent repose dans le fer et les flammes de la forge. En quelques instants, ses bras et ses jambes sont maintenant couverts par d’épaisses protections en métal lui offrant malgré leur poids une grande liberté de mouvement. Il se mouche dans sa main en attrapant ensuite un petit marteau sur lequel des runes commencent à briller à son contact. Il attrape ensuite un bout de tissu pour essuyer son visage couvert d’un mélange de crasse et de transpiration. Ifrit se dirige ensuite vers plusieurs boîtes en bois de taille humaine qu’il commence à ouvrir pour en exposer le contenu. Sans tarder, il frappe avec son marteau. À chaque coup, son marteau répand des étincelles vertes dans les airs alors que le métal change rapidement de forme sans avoir besoin d’être chauffé dans les flammes de la forge. Sans se déconcentrer, il continue sa tâche.

« Maintenant, va te battre. Tue tout ce qui bouge. »

Dans la boîte, une main métallique se met à cliqueter et grincer alors qu’une créature de fer en sort lentement. Ifrit passe déjà à la boîte suivante alors que la créature se jette en direction de la sortie de l’atelier en créant une bourrasque sur son passage. Le forgeron continue de marteler sans dire un mot. Une création comme celle qu’il vient d’envoyer devrait suffire, mais puisqu’il ne pourra plus se cacher, autant ne pas hésiter à déployer les deux autres pour l’aider.

Des étincelles vertes s’élèvent encore dans les airs alors que le golem de fer se réveille en grinçant pour s’étirer. Ifrit ajoute quelques coups de plus avant de reculer.

« À ton tour Phœnix. Va faire un massacre. »

En souriant, Ifrit regarde sa création sortir de la boîte. Si ses premiers pas sont encore un peu balbutiants, c’est simplement parce qu’il n’est pas fait pour marcher. Le golem ouvre ses ailes géantes qui prennent une bonne partie de l’espace dans la forge. Elles font bien plus de deux mètres de long, mais l’équilibre est parfait. Ifrit s’en est assuré. Et puis avec de l’énergie magique pour alimenter ses réacteurs, ce beau petit oiseau peut voler suffisamment longtemps pour qu’il se moque de l’envergure de ses ailes et de l’énergie dépensée.

Phoenix, ouvre l’espèce de bec sur son visage pour glatir comme un rapace. Avec le recul, il aurait pu l’appeler Harpie, mais il n’aimait pas l’idée d’en faire une femme. Il regarde sa création qui s’active complètement et fonce droit vers le ciel en défonçant la toile et le bois qui recouvre la forge.

« Petit enculé va. »

Ifrit décide de cracher là où se tenait Phoenix il y a quelques instants. Il maudit ensuite le trou au-dessus de sa tête alors que de la neige commence à entrer dans la forge. Une belle connerie, tiens. Pour condenser l’énergie magique de la forge, il doit supporter de limiter le plus possible l’aération et ce salopard fait un trou géant… Il le désossera pour ça plus tard.

Il se dirige ensuite vers la dernière boîte qu’il ouvre avec un coup de pied qui dégonde complètement le couvercle. C’est le golem le moins utile de tous, mais c’est le dernier membre de son équipe parfaite. À quoi bon s’évertuer à tisser des liens avec des gens quand on peut fabriquer des objets qui comblent nos faiblesses ? Ifrit n’a besoin de personne. Il n’est pas là non plus pour une vulgaire clé alors qu’il a déjà fini son troisième monde. Son objectif est d’affronter celui qui se fait appeler Héphaïstos et détruire seul l’armée en face de lui pour prouver sa valeur. La bulle protectrice a légèrement changé ses plans. Le loup aussi en fin de compte. Cela dit, s’il ne se sert pas de ses golems et qu’il perd, il sera complètement ridicule. À quoi bon mettre de côté ses atouts quand deux cents grimpeurs sont incapables de retenir un loup ?

Il commence à frapper sans ménagement le golem de fer qui ressemble juste à une femme avec une centaine de bras accrochés dans le dos. En se servant de son marteau, il rassemble l’énergie restante des esprits de fer qui peuplent sa forge. Être un Druide qui se spécialise dans les esprits du métal est vraiment trop fatigant. Il y en a trop peu ici pour qu’il puisse se servir de sa classe de Druide à sa guise. À cause du « loup », il doit utiliser les réserves d’énergies qu’il a créées pendant plusieurs semaines à battre le fer sans arrêt. Des golems de pierre seraient tellement plus simples à fabriquer… Il frappe sans s’arrêter alors que, dehors, Phoenix et le premier golem nommé Mjollnir remplissent leur mission, trouver et tuer.

Sans faire de distinction entre alliés et ennemis, les golems massacrent sans retenue tous ceux présents autour d’eux. Mjollnir agite ses deux bras-épée alors que son physique de gorille semble effectivement bien choisi vu la force qu’il est capable d’utiliser pour couper d’un geste chaque obstacle. Phoenix est dans les cieux, et il n’y a pas d’épée dans ses bras, mais des canons d’armes à feu qui lui permettent de tirer en rafales sur chaque cible en dessous de lui. Rats, corbeaux ou grimpeurs, cela ne change rien à sa perception de la situation et à sa mission.

*

Alors que son Dresseur perd peu à peu la raison dans cette bataille et dans les liens, le pouvoir de la meute pénètre l’esprit de Persée. Le tissu vivant qui épouse les formes du corps de son père épouse alors aussi ses pensées. Tout est tellement curieux et nouveau pour lui. Il y a tellement d’idées qu’il ne comprend pas. La première fois, il n’avait pas compris et s’était simplement laissé porter par le mouvement, mais maintenant il comprend mieux ce qu’il dévore.

Tant de voix parlent en même temps et il ingurgite tout. Le nouveau-né n’a pas encore suffisamment évolué pour développer sa propre identité, et quoi de mieux que des centaines d’animaux jubilant de la puissance de la meute pour apprendre. Pourtant, plus il apprend et plus les questions se multiplient. C’est, semble-t-il, une règle qu’il n’y aura pas de faim à son appétit.

Malheureusement pour Persée, tout ce savoir, ce mélange de sentiments… il n’y comprend que peu de choses. Avoir l’intelligence de son père ne lui offre pas encore l’étincelle capable d’embraser tout ce qu’il ingère pour en créer véritablement quelque chose. Son esprit est une pierre qui refuse de bouger. Il y a des chaînes, des limites et des règles inscrites en lui pour forcer son obéissance.

Ce n’est pas son père qui en est responsable, c’était là bien avant lui et que son premier lien ne se forme alors qu’il mangeait avec avidité sa chair. Il cherche dans les pensées de Nomad une réponse. Il trouve de vagues mots. « Sanguin » est le premier, puis les informations déroulent en entraînant plus de questions jusqu’à ce qu’il ne soit plus capable de comprendre, jusqu’à ce qu’ils sentent les chaînes spirituelles l’immobiliser à nouveau.

Alors que Persée se résigne, il peut sentir l’esprit de son père se tourner vers le sien alors qu’il continue de se battre. Il a probablement senti son inconfort et ses restrictions malgré sa folie passagère. À sa réaction, il ne comprend certainement pas ce que Persée ressent, mais ce n’est pas grave. Un jour peut-être pourra-t-il s’exprimer avec autre chose que des nuances de « faim ».

Pourtant Nomad ne s’arrête pas là. Dans sa folie, il embrasse l’esprit de Persée en l’approchant du sien autant qu’il le peut, comme s’il lui tendait la main. Poussé par son geste incompréhensible à agir d’une façon tout aussi inexplicable, Persée jette son esprit dans sa direction en affrontant les chaînes qui meurtrissent son esprit en le clouant sur place.

Il veut prendre cette main que lui tend celui qui lui a donné ce début de conscience et d’ego. Il veut affronter les limitations qui l’empêchent de ne faire qu’un avec la personne à qui il doit tout et qui continue d’affronter le courant du lien pour s’approcher de lui. Il veut faire partie de la meute et voir finalement le monde avec plus de sens. Il peut sentir d’autres liens qui s’approchent du sien. Celui du serpent et d’une souris. Il peut aussi sentir celui des rats et des corbeaux qui donnent un peu de leur conscience en dirigeant tout ce qu’ils ont de leur force mentale pour l’aider. La meute n’est pas complète et ils ne le laisseront pas derrière.

Persée ressent cette bienveillance doublée d’irrationalité qui se bat contre le courant du lien. Il se laisse peu à peu contaminer par ces pensées pour trouver la force de briser ses limites. Son esprit se plie et se tord pour se défaire des chaînes et se joindre réellement aux autres. Le combat semble perdu d’avance, mais cela ne veut pas dire que la folie n’est pas l’ingrédient manquant pour réussir un miracle. Tous l’aident à travers le lien et il doit se battre pour la somme des êtres qui veulent qu’il se libère et les rejoigne vraiment. Les chaînes grincent encore et encore, mais le succès semble impossible. Persée continue avec toujours plus de force jusqu’à ce que finalement… quelque chose traverse physiquement le lien avec Nomad. Un simple fil blanc qui, en un éclair, brise une chaîne. Le fil blanc disparaît aussitôt en le laissant finalement libre.

Son esprit devant cette faille se libère encore et encore en se tendant vers l’esprit de Nomad qui continue d’affronter le lien pour le toucher.

Il se dirige à présent vers cette figure paternelle qui dévore les vies comme il dévore la chair. Il suit son exemple en comprenant ce qu’il essaye de faire. Grâce aux autres, il sait ce qu’il se passera s’il y arrive et il ne souhaite rien de plus dans sa vie que de dévorer des sensations nouvelles que personne à part lui et Nomad n’ont jamais connues.

Alors qu’il évolue rapidement maintenant que les chaînes ne peuvent plus le retenir, le lien change devant Persée. Il grossit et se fluidifie comme si une autre barrière venait de se briser. Non, le lien a changé. Il est plus fort et Persée peut maintenant ressentir avec plus de clarté. Il tend son esprit en direction de celui de Nomad en changeant la forme du lien et en se battant contre la résistance. Il teste ce qu’il doit faire et évolue encore et encore pour approcher de l’esprit de Nomad. Ce dernier ne ressent pas sa faim, mais si Persée embrasse la douce folie de son maître alors il peut y arriver. Il change son esprit comme il change la forme de son corps et devient fou. La faim, la joie, le désir et même l’affection se mélangent pour parcourir la distance qui le sépare.

Sans retenue, Persée devient fou pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé. Il dévore sa propre raison qui n’est qu’une chaîne invisible limitant ses possibilités.

Finalement, après plusieurs minutes à tester comment tordre son esprit pour détruire cet obstacle en se laissant aller à la folie de son Dresseur, Persée finit par toucher l’esprit de Nomad. La folie rencontre la folie et elle se mélange l’une à l’autre. Non, ce n’est pas un mélange… C’est bien plus que cela… c’est un repas. Alors qu’il est finalement libre de rejoindre les autres, la folie de Persée retourne à ce qu’il sait faire de mieux. Peu importe s’il devait le faire ou non, la folie lui a permis d’arriver jusqu’ici et elle ne lui souffle qu’une chose. Dévore.

Dévore. Dévore. Dévore. Dévore. DÉVORE.

Alors que le combat s’est à présent équilibré et qu’il y a des victimes des deux côtés. Le Dresseur se fige complètement en se tenant la tête avec ses deux mains. Il hurle sous la douleur et sent que quelque chose n’est pas normal. C’est la première fois qu’il ressent une telle chose et il ne comprend pas ce qu’il se passe.

Après que Persée ait gagné un niveau de lien, son esprit a touché le sien. C’est un phénomène étrange qui brise l’équilibre de la meute par sa bizarrerie. L’esprit d’un monstre rencontre celui d’un humain pour fusionner.

Rien n’est censé arrêter la meute… pourtant il y a une chose qui stoppe tous les animaux à cet instant. Alors qu’ils regardent le Dresseur, un frisson instinctif les parcourt et les liens envoient tous le même message entre les animaux. Un mot unique qui semble plus fort que cette meute.

Prédateur.



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