La Tour des Mondes
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Chapitre 356 : Se rapprocher en fixant le néant.
Chapitre 355 : Découvrir son nouveau camp Menu Chapitre 357 : Déclencher le mouvement

Je soupire depuis le haut de la muraille. En face de moi, il n’y a que le néant. Galatia est vraiment plate. J’aurais pu avoir des doutes jusque-là, mais en le voyant avec mes yeux, c’est difficile de le rejeter. Il n’y a strictement rien. Néant, abysse, ténèbres. Peu importe la façon de le dire. Il n’y a même pas d’étoiles et c’est sans doute ce qu’il y a de plus perturbant. Au-dessus de ma tête, j’en vois. De ce côté, non. D’une certaine façon… ça me rappelle le coin d’ombre dans une pièce la nuit, les ténèbres sont trop grandes pour voir quoi que ce soit derrière. Aucun doute que si je saute là-dedans, je ne sais même pas si je vais tomber à l’infinie, si je vais manquer d’oxygène ou si je vais atteindre le fond avant d’être mort.

… Perturbant.

Plutôt que de regarder le néant, je décide de fermer les yeux pour me concentrer sur le lien avec Juliette. C’est avec elle que j’ai le plus de chance de réussir à faire une fusion. Meni est encore trop récent et je ne suis pas encore assez familier avec cette fusion pour être à l’aise.

Je commence par me synchroniser avec Juliette en essayant de réduire petit à petit la distance entre son esprit et le mien. C’est assez difficile et si je me déconcentre un instant le progrès disparaît. Juliette essaye de m’aider aussi de son côté, mais elle semble avoir les mêmes difficultés que moi.

… Dire que Yuu faisait ça en quelques secondes me rend admiratif.

Je passe une heure à m’exercer, mais j’arrive à peine à maintenir le progrès que je fais. Pour réussir, nous devons rapprocher nos esprits jusqu’à ce qu’ils puissent se toucher. Cela demande d’agrandir le lien, d’en réduire la longueur et d’approcher nos esprits.

J’ai l’impression d’essayer de modeler de la gélatine qui est de plus en plus ferme. Bien sûr, le lien reprend sa forme en m’éjectant à la moindre faiblesse.

D’expérience, j’arrive à faire environ la moitié du chemin avec plus ou moins de facilité. En forçant, je peux atteindre 60 % et en y allant à fond, 70 % semble être le maximum. Plutôt que de continuer à avancer, j’essaye de m’y habituer graduellement et je demande à Juliette de faire pareil. Il suffit que nos esprits se touchent pour établir une fusion, mais le lien résiste bien trop fort. Je n’imagine même pas la tension qu’il y aura quand le lien sera aussi plat qu’une pizza. Évitons de parler de l’énergie qui sera nécessaire pour le maintenir ensuite.

… Bien sûr, la fusion sera sans doute plus facile si Juliette et moi laissons nos émotions prendre le dessus. En repensant à des choses mélangeant à la fois la colère et le jeu, j’ai pu avancer un peu plus, mais il faut des émotions plus fortes qu’un souvenir si je veux réussir à fusionner. Pour l’instant, nous ressentons tous les deux de l’irritation, mais étrangement cela n’aide pas du tout. Au final, ce qui devrait être de l’irritation contre le lien est en fait de l’irritation pour l’autre par extension. Cela nous sépare encore plus.

Je soupire en ouvrant les yeux. Ce sera suffisant pour l’instant. Je commence à avoir mal à la tête.

Au lieu de me concentrer sur la fusion, je décide de prendre du fil et une aiguille pour m’entraîner. Après le « départ » de Yuu, j’ai fini par acheter un manuel de couture pour remplacer la perte de mon professeur. C’est plus difficile, mais je n’ai pas trop le choix.

Je décide de continuer l’écharpe en pensant à Persée et en me concentrant sur le lien. Je décide même de fermer les yeux pour me servir de son sens « radar » pour me repérer dans ce que je fais. Si j’arrive à me familiariser avec la sensation, c’est possible que j’aie moins à me reposer sur mes yeux et ceux de Micha pour savoir ce qu’il se passe autour de moi. Persée sera officiellement une sorte de sixième sens si j’y arrive.

Persée semble en tout cas content de son nouveau rôle de combinaison. Il maintient une pression constante sur moi avec cette forme, mais cela lui permet de se nourrir de mon sang sans difficulté. Il récupère même mes peaux mortes et ma transpiration pour se nourrir. En échange, j’ai un monstre qui me tient au chaud et qui peut faire des soins d’urgence. Sans lui, je serais mort très rapidement en affrontant Charade, ce qui en dit long sur ses capacités à me maintenir en vie. Je pensais me servir de lui offensivement à l’origine, mais son rôle actuel ne consomme pas ma ridiculement basse quantité de mana et le rend invisible aux yeux des autres. J’aimerais bien qu’il me serve aussi d’armure, mais cela semble impossible pour l’instant. Même en ayant mangé Charade, il n’a pas suffisamment de matière pour ça. C’est assez difficile à croire après avoir mangé un homme adulte qui devait faire dans les 80 kilos, mais sa croissance demande énormément de matière organique. Précisons que plus il grossit et plus il me prendra de sang pour se nourrir. Sa taille actuelle me convient et je ne compte pas tuer quelqu’un tous les jours pour le nourrir s’il grossit suffisamment pour faire une armure.

Alors que je réfléchis à tout cela en cousant, un « enfant » approche de là où je me trouve. Vu son apparence, je n’ai pas trop de doute sur son identité. Nikolas, l’héritier du trône de Penovia, semble s’intéresser à moi. Il doit avoir dans les seize ans à vue d’œil, mais je n’ai pas envie de m’intéresser à lui…

« Toi là, tu es le nouveau grimpeur qui se bat pour moi, c’est ça ? J’ai entendu dire que tu étais plutôt fort. »

Je préfère l’ignorer. Avec son ton condescendant, j’ai plus envie de le tuer que de discuter. Malgré tout, je profite de son passage pour essayer de le détailler avec le radar de Persée. Je l’ai déjà « vu » via les sens d’une des souris et il n’a rien de particulier si ce n’est son air royalement irritant.

— Tu n’as jamais appris la politesse dans ton monde ? Quand quelqu’un te parle, il faut répondre.

— Votre Altesse, un simple grimpeur comme moi préfère le silence et l’isolement pendant qu’il s’entraîne.

– Finalement. Ne me fais pas croire que tu t’entraînes en tout cas. La couture est un passe-temps de femme. Même un grimpeur comme toi capable de dresser des animaux doit avoir des méthodes plus efficaces.

… Il serait surpris.

Je décide de me lever et j’avance dans sa direction. Plus que ses paroles, c’est vraiment le ton de sa voix qui me dérange.

— Puis-je savoir pourquoi vous souhaitez me parler ?

— La curiosité. En tant que futur roi, j’aime savoir qui se bat pour moi.

— Je me bats pour moi. Pas pour un enfant qui attend de l’obéissance d’un inconnu.

— Je préfère ça. J’allais finir par croire que tu étais incapable de répliquer. Cela m’aurait étonné d’un grimpeur. Je n’en ai jamais vu qui était capable de respecter la noblesse. J’espère juste que tu seras vraiment capable de tuer mon oncle.

— J’ai déjà tué un roi par le passé. Ce n’est pas un problème.

— Il n’est pas encore roi.

— Toi non plus.

J’active rapidement mon vermillon en le toisant. Cela donne un effet dramatique bien plus menaçant à mes propos. Cependant, je me fige quelques instants. Je trouve curieux qu’un enfant de son âge puisse avoir autant de corruption. C’est le double de ce que Naubod avait. Dois-je comprendre que c’est un petit abruti imbu de lui-même au point d’avoir plus de corruption que la moyenne ?

Nikolas me dévisage en semblant surpris par ma remarque, mais finit par se mettre à rire. C’est un rire poli qui finit par devenir un fou rire qu’il finit par lentement stopper. Je ne vois pas trop pourquoi il rit, mais ce n’est pas important.

— Tu m’amuses Dresseur. Pour quelqu’un qui envoie des souris dans ma salle d’étude pour m’espionner, tu es plutôt amusant.

— Ce n’est pas le premier mot que l’on utilise pour me définir, en général.

— Évitons de centrer la discussion sur toi, tu n’es pas intéressant à ce point. Les autres vont bientôt finir leur délibération. Tu ferais bien de rentrer dans le château pour savoir ce que te réserve ton futur.

Hrm… Naubod avait au moins pour lui de ne pas avoir cet air prétentieux de gosse de riche. Nikolas va très vite me fatiguer s’il continue comme ça. Évitons de trop me concentrer sur lui et allons voir les autres.

Avec un peu de chance, ce sera une bonne nouvelle. Enfin, si la prophétie de Kassandra se réalise. J’ai encore des doutes sur la question… J’ai confiance pour l’instant, mais il y a tellement de choses aléatoires à prendre en compte que cela paraît impossible qu’elle ait raison sur toute la ligne. Je préfère encore jouer sur les probabilités que sur une confiance aveugle. Sachant que c’est ma seule piste, je vais lui faire confiance tout en restant sur mes gardes.

Je laisse Nikolas s’éloigner en direction du donjon et ne semble même plus faire attention à moi. J’ai presque envie de remercier le messager royal pour son temps, mais je me retiens en pensant à mon Oracle.

« Kassandra, si tu me regardes ou m’écoutes depuis le passé, j’espère que tu as raison sur ta prophétie. Sinon je te pincerai les joues très très fort. Tu es prévenue ! »

*

Quelques mois plus tôt, après seulement quelques semaines depuis la première visite de Nomad et que celui-ci est dans un profond coma après le dressage de Yuu, une jeune Oracle curieuse de l’avenir d’un grimpeur est surprise de voir qu’il lui parle directement depuis le futur. Elle n’a fait que regarder quelques instants ici et là jusqu’à finir sur ce moment.

Pendant quelques instants, elle se sent prise au dépourvu à l’idée qu’elle est « découverte » pendant cette espèce d’espionnage temporel. Son cœur s’emballe quelques instants à cause de la surprise. Elle a même le sentiment que c’est une blague ou qu’elle n’a pas « vraiment » entendu son nom, mais elle finit par se faire à l’idée.

Bien sûr, Kassandra le connaît et a même sympathisé avec lui au point de faire de son mieux pour qu’il ne croise pas un autre grimpeur nommé Léon, même si elle savait déjà que c’était probablement impossible. Cependant, sa façon de lui parler suggère qu’ils sont amis ?… Ou peut-être plus ?

Le cœur de Kassandra se remet à battre plus fort en regardant dans le futur le visage du Dresseur qui s’en va en direction du château. Elle finit par se ressaisir et, par curiosité, cherche le moment où le Dresseur revient la voir.

Elle sait qu’elle bafoue plusieurs règles en agissant ainsi et elle peut ressentir de la résistance à ce qu’elle fait. Une Oracle n’est pas censée regarder son futur et celui d’une des personnes dont elle s’occupe. Cela crée tout un tas de problèmes qu’il vaut mieux éviter. C’est une règle qu’elle a apprise quand elle a commencé dans la classe. Malheureusement, cela ne prend pas en compte la curiosité de Kassandra qui prend d’énormes risques en insistant.

Par chance, ce n’est pas la prophétie qu’elle lui donne qui l’intéresse, mais simplement son interaction avec le Dresseur qui est censée rester cordiale. Plus elle insiste et plus son mal de crâne devient violent. Plus elle s’acharne et plus les probabilités du futur changent pour ne finir par donner qu’un seul résultat qui répond à sa propre recherche dans le temps.

Une bonne partie est encore floue à cause de sa propre présence, mais à la toute fin… elle… elle !? Elle l’embrasse !?

En devenant toute rouge, elle enfonce son visage dans un oreiller en essayant d’oublier ce qu’elle vient de voir. C’est tout simplement impossible qu’elle fasse ça ! Pourquoi est-ce qu’elle le ferait ?! Des milliers de questions lui traversent l’esprit alors qu’elle finit par hurler dans un des nombreux oreillers en roulant dans son « bureau ». Elle n’ira pas plus loin dans sa recherche où elle risque de réellement réduire son cerveau en bouilli. Vu la surchauffe, elle va souffrir toute la journée de son insistance et il y va y avoir des conséquences sur son avenir maintenant qu’elle a brisé une règle importante…

Même si elle n’en a pas encore conscience, Kassandra va recevoir de nombreux messages pendant son observation de l’avenir de Nomad. Sans savoir quoi faire d’autre, elle va se mettre à l’observer plus souvent pour ne pas en manquer un seul… ou plutôt, tout le temps. D’une certaine façon, cela lui donne l’impression de ne pas juste voir le futur, mais d’en faire partie.

Kassandra va même développer une fascination pour ses messages qui lui sont adressés et pour l’avenir du Dresseur qu’elle finit par embrasser dans le futur.

Bien sûr, c’est seulement pour comprendre pourquoi elle ferait ça. Ce n’est pas parce qu’elle a envie de l’embrasser puisque c’est ridicule. Elle n’a aucune envie de l’embrasser ! Il a beau être Dresseur, ça ne fait pas de lui son petit copain… ou son futur fiancé… !

En pensant cela, Kassandra enfonce encore une fois la tête dans l’oreiller en étouffant un cri à cause de la gêne qu’elle ressent. Des messages du futur, c’est ridicule !



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