Tch… Me reposer sur une Oracle pour me donner une direction à prendre. À croire que je ne changerai jamais et que je vais laisser une inconnue décider de mon destin…

Je repense à Miss Jonah qui m’a forcé à me battre dans la fosse, et à qui j’ai obéi sans trop réfléchir. Je n’ai pas envie de faire confiance à une Oracle. En vérité, c’est sans doute une très mauvaise idée. Comment est-ce que je suis censé prendre mon destin en main si je décide d’aller voir une Oracle pour qu’elle me dise ce qu’il comporte… D’un autre côté, comment est-ce que je suis censé affronter Balad pour sauver mes amis à mon niveau… Je ne sais même pas si je serai un jour capable de l’affronter. J’imagine que ce sera ça ma question.

Je ne veux pas savoir comment ou pourquoi, je veux juste savoir si je serai capable de les libérer et réparer cette situation. Tout est de ma faute. Tant que je suis capable de changer la situation, le reste n’a pas d’importance.

Je regarde la porte de l’aile des Oracles dans la tour des Bardes. C’est étonnamment calme maintenant que j’y pense. Je n’ai vu personne entrer pour l’instant et cela fait bien cinq minutes que je suis planté devant leur aile.

Je soupire et, après avoir caressé la tête de Micha et réajusté Persée sur moi, je passe la porte. Une femme blonde me sourit alors que je passe la porte et elle s’apprête probablement à me dire quelque chose de stupide comme —

— Nous t’attendions.

— … Oui. Un truc comme ça.

— Pardon ?

— Non non, rien. Je viens voir une Oracle. Est-ce possible ?

— Bien sûr. Kassandra t’attend. Elle a libéré son avenir pour être certaine de pouvoir s’occuper de toi le temps nécessaire.

— C’est… gentil de sa part ? C’est la même personne que j’ai vue la première fois, c’est ça ?

— Effectivement. Je ne devrais peut-être pas le dire, mais… elle a le béguin pour toi et elle a du mal à le cacher quand elle parle de ton avenir, hihi. Je crois même qu’elle cherche toujours des variantes de destin où vous êtes ensemble, mais évite de lui dire. Elle sait probablement que j’allais en parler, mais elle risque de mourir de honte si tu évoques le sujet.

— … Je ne dirai rien.

Encore une nouveauté. Je ne m’attendais absolument pas à séduire une Oracle. Je me souviens vaguement de notre première rencontre et de ce qu’elle m’avait dit, mais de là à penser qu’elle a des sentiments pour moi… c’est un peu surprenant. D’un autre côté, je ne suis pas capable de lire le futur des personnes que je rencontre, donc c’est difficile de me mettre à sa place. Tant que ce n’est pas quelque chose de malsain comme une sorte de curiosité qui tourne à un amour étrange avec un couteau qu’elle chercherait à m’enfoncer dans le cœur pour s’assurer que je reste éternellement avec elle… je devrais survivre à cette visite.

Maintenant que j’y pense c’était sans doute un peu trop spécifique de ma part comme possibilité. J’ai presque l’impression d’être fou en imaginant le pire comme ça.

Nous traversons les couloirs alors que je réfléchis. Une autre question me vient à l’esprit maintenant que j’y pense.

— Est-ce que Layla va bien ? Je n’ai pas de nouvelles de sa part puisqu’elle a changé de manoir après les problèmes que j’ai causés.

— Oh ? Elle avait l’air d’aller bien si je me souviens bien. Elle a quitté l’aile des Oracles depuis quelques mois déjà, mais je n’ai pas plus d’informations. Du moins, je n’ai pas plus à te révéler sans que ce ne soit une révélation d’Oracle. Tu ferais mieux d’en parler à Kassandra directement si tu es curieux. C’est elle qui s’occupe de ton destin après tout.

— … Comment ça ?

— Oh ? Ne t’en fais pas, elle ne s’en occupe pas en l’influençant. Elle s’occupe simplement de lire les ramifications concernant ton destin et celui des gens qui sont proches de toi. Nous avons tous une sorte de « clientèle » de Grimpeurs que nous conservons. C’est plus facile de se concentrer de cette façon. Tu auras normalement toujours affaire à Kassandra à cause de cette règle.

— Je n’avais pas conscience que c’était ce genre de fonctionnement.

— Les Oracles ont des secrets, mais celui-ci n’en est pas un.

Je me demande si son béguin pour moi n’est pas une bonne raison pour changer d’Oracle pour quelqu’un de plus neutre, mais attendons de voir la séance de « divination » pour le savoir. L’Oracle me laisse devant une porte avant de partir et je décide de prendre une grande respiration avant d’ouvrir la porte sans frapper, puisque c’est inutile.

Voyons donc ce que le destin me réserve.

J’ouvre alors la porte et la première chose qui me frappe, c’est que Kassandra est en train de se cacher derrière un énorme coussin. Cela faisait longtemps que je n’étais pas venu dans cette pièce, mais il ne semble pas y avoir de changement. Une légère odeur d’encens, une boule de cristal, des bougies ici et là, du tissu, des rideaux, des oreillers et, bien sûr, Kassandra. Je finis par me souvenir complètement d’elle en voyant la moitié de son visage et ses longs cheveux blonds. Elle me regarde depuis l’arrière de son oreiller en semblant trop gênée pour faire quoi que ce soit.

« C’est de la trahison à ce niveau ! »

Elle semble toujours vêtue d’une sorte de toge légère… Pas de chaussures et les joues légèrement rougies par sa gêne sont tout ce que je vois d’elle, avec sa chevelure. Ses mèches blondes tombent dans son cou à cause de son chignon légèrement défait et elle me fixe soudainement avec ses yeux bleus. C’est suffisamment déconcertant pour que je détourne le regard en me raclant la gorge… Je crois que j’ai eu la même réaction la première fois, mais savoir qu’elle en pince pour moi ne m’aide pas à me détendre.

Sans trop savoir quoi faire de plus, je décide de m’asseoir par terre à proximité de la boule de cristal en fermant les yeux. C’est difficile pour moi. C’est toujours un peu gênant quand quelqu’un a un regard qui semble aussi perçant. Il suffit que j’ajoute ce que l’Oracle dans le couloir m’a raconté pour que la situation devienne… complexe.

Si Yuu était présent, il ferait sans doute des commentaires ridicules sur la situation et, d’une certaine façon, cela me permettrait de casser l’ambiance intime de la salle.

Micha semble contente de la revoir, comme si c’était une sorte de vieille amie. Techniquement… elle fait partie des rares personnes à ne pas avoir essayé de me tuer. Je me vois mal lui dire que ce n’est pas une amie. Même Juliette semble contente à sa façon et décide de descendre de mon bras pour se diriger vers elle.

Pendant un instant, Kassandra semble perplexe en voyant le serpent, mais décide de tendre sa jambe nue dans sa direction sur laquelle Juliette monte sans trop d’hésitation.

… Ce serpent fait ça juste pour m’embêter. Je sens très bien qu’elle se moque de moi à travers le lien. Je me frotte le visage nerveusement en essayant de ne pas penser à tout cela. Juliette s’installe même autour de son mollet en me faisant comprendre qu’elle a trouvé un endroit très agréable… Ce maudit serpent se moque un peu trop de moi.

« J’ai vu beaucoup de choses de ta vie depuis notre dernier rendez-vous. C’est… ma curiosité et… enfin… hm… »

Elle vient de considérer ma première visite comme un rendez-vous… Elle avait éventuellement l’opportunité de changer l’ambiance et elle a décidé d’insister. Même Micha est curieuse maintenant et décide de s’approcher de son « amie ». Tout le monde va me trahir, c’est ça ? Il ne me reste que Persée qui reste tranquille. Elle joue quelques instants avec Micha avant de l’installer sur la boule de cristal. Je me dis finalement que nous allons commencer à lire mon avenir, mais l’instant suivant elle se jette sur moi. Je peux sentir ses bras qui s’enroulent autour de mes épaules alors qu’elle pose son visage dans mon cou.

« Je suis désolée pour ce que tu as vécu. Vraiment. Si je peux faire quoi que ce soit, dis-le-moi. »

Elle commence à parler en disant des choses qui ne font pas de sens, comme me dire qu’elle ne sait pas se battre, mais qu’elle est prête à apprendre si elle peut m’être utile.

Je soupire tristement en passant ma main dans son dos. Pour un peu, j’aurais presque l’impression qu’elle se sent dans un pire état que moi après avoir vu ce que donne ma vie dernièrement.

Au moins, elle n’est pas en train de pleurer.

C’est sans doute un peu bizarre de me dire qu’elle a tout vu, comme une présence invisible toujours présente à côté de moi. Je crois que j’ai normalement Angela pour ça. Ne parlons pas de mes animaux.

Micha, depuis la boule de cristal, me regarde sans comprendre pourquoi je la regarde avec une pointe de ressentiment, mais ce n’est rien. Devenir Dresseur me prive complètement de toute intimité, mais je m’y suis fait, ce n’est pas important.

J’ai d’autres souris à fouetter de toute façon.

… Mauvais choix de mots. Micha semble désagréablement choquée par ce que je viens de penser et je la rassure en m’amusant un peu de sa réaction.

Je décide finalement de faire reculer Kassandra en lui disant que je vais bien. Elle a les yeux légèrement brillants alors que tour à tour elle me regarde puis regarde le vide comme si elle se mettait à revoir des choses désagréables. Je vais avoir du mal à la rassurer…

« Kassandra. Je vais bien. Vraiment. »

Malgré ce que je viens de dire, Kassandra décide de me pousser en arrière en semblant mécontente de ma réponse. Son visage fait une légère moue alors que je peux voir qu’elle semble toujours sur le point de se mettre à pleurer. Pendant un instant, j’ai l’impression qu’elle cherche juste à m’attaquer et je repense à la possibilité qu’elle ait un couteau, mais il suffit que je vois son regard pour décider de ne pas résister. Si quelqu’un d’aussi inoffensif et qui semble aussi dévasté en pensant à moi décide de m’attaquer… alors je ne peux vraiment faire confiance à personne. Je la laisse donc me faire tomber sur le sol couvert d’oreillers.

Kassandra se penche ensuite au-dessus de mon visage.

« Je sais que tu mens. J’ai suffisamment vu ce qu’il s’est produit et… je te connais maintenant, plus que tu ne le penses. Ta façon de regarder le vide quand tu es triste… ta manière de rejeter la réalité quand elle est trop difficile. Comment tes nerfs finissent par craquer quand tu penses que personne ne te voit… Même si tu ne sais rien sur moi, j’aimerais au moins t’aider un peu. »

Je soupire en la dévisageant. Malgré ce qu’elle vient de faire, j’ai l’impression qu’elle a du mal à soutenir mon regard. Je peux voir Juliette qui s’installe sur son cou et qui continue à se moquer de moi. Elle sait très bien que je suis troublé par Kassandra. C’était déjà le cas la première fois, mais maintenant qu’elle se jette sur moi, j’ai plus de mal à l’arrêter ou même à concevoir une raison de le faire.

— La première fois, tu as essayé de me retenir ici pour m’empêcher de rencontrer Léon, pas vrai ?

— … Oui. Je ne peux pas t’avertir de ton destin, c’est contre les règles. Si tu me poses la question, c’est que tu demandes sans doute si tout cela serait arrivé si tu ne l’avais jamais rencontré ? Tout n’aurait pas été différent, mais oui.

— Merci d’avoir essayé.

Je l’attrape par les épaules et je décide de la faire tomber à son tour sur moi. Je peux voir qu’elle est en train de rougir alors qu’elle semble avoir du mal à ajouter quelque chose. Elle me regarde quelques instants avec ses yeux bleus avant de baisser la tête pour l’enfoncer dans ma veste en étant gênée.

J’admets la prendre dans mes bras pour la rassurer elle, mais au fond, je le reconnais, cela me fait du bien. La lassitude que je ressens depuis un moment ne disparaîtra pas si facilement, mais ne pas y penser quelques instants me fait du bien.