La Tour des Mondes
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Chapitre 347 : Discussion avec un revenant
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Je regarde une fois de plus la tombe ouverte du vieil homme. Celui-ci est assis à côté de moi et écoute sa musique en fumant une cigarette. Qu’il soit encore couvert de terre ne semble pas le déranger plus que ça pour quelqu’un qui était mort il y a encore quelques heures.

— Je dois donc comprendre que ma fille a été enlevée par ce Balad et qu’il l’a transformée en esclave.

— Oui, mais c’est impossible de la sauver pour le moment. Il est trop fort.

D’une pichenette, il jette sa cigarette sur moi. Je me contente de l’esquiver d’un mouvement de tête, mais ça n’empêche pas le vieil homme de grimacer en me regardant comme s’il regardait le truc le plus moche de la terre.

— Développe.

— … Moi plus fort que toi. Moi fourmi pour Balad. Sauver Kiki, impossible.

— Sale petit con.

Je lève pratiquement les yeux au ciel en l’écoutant. Ce type est insupportable. J’ai bien l’impression qu’il pense la même chose de moi, mais je m’en moque. Il semble à deux doigts de me frapper, mais il se retient, ce qui veut dire qu’il y a encore un espoir pour que j’arrive à continuer cette conversation avec lui.

— Kasai, c’est ça ? C’est impossible d’affronter Balad et c’est trop tôt pour tenter de la sauver. Le mieux à faire reste de l’affaiblir ou de devenir plus fort.

— Ouais ouais. Tu te débines quoi. Je vais moi-même aller fumer Marshall et Mars. Ensuite, je m’occupe de Balad si c’est possible.

— Quoi ?

— Comment ça “quoi” ? Mars et Marshall. Les deux cons qui bossent pour lui. T’entends pas quand je parle ?

Retenez-moi, retenez-moi… retenez-moi de lui arracher la tête… Comment fait-il pour être aussi insupportable ? Je reprends la parole en l’ignorant.

« Marshall va être occupé à traquer et tuer les nouveaux Dresseurs donc… »

Kasai se frotte les mains en souriant comme s’il cherchait à me dire « Un truc de chiant en moins dans ce monde » et je vais sérieusement me battre contre lui s’il continue.

— On parle de gosses, le vieux. Si Kiki était bien ta fille, tu dois savoir à quoi ça ressemble.

— Parle pas de ma fille la lavette. Comme je t’ai dit, je m’occupe de ce foutu clone, Mars, et de l’original, Marshall. Tu sais, le type que tu as tué, mais pas vraiment ? Un truc que je savais faire en tant que chasseur-esclave c’était m’assurer qu’un truc soit mort. Il semble que les Assassins ne savent pas faire.

— Laisse-moi du temps avant de lancer l’offensive. Je te donne tout l’argent que j’ai gagné dans la Fosse si tu protèges les gamins Dresseurs et que tu tues Marshall définitivement, mais au bon moment. Même chose pour Mars. Laisse simplement Balad de côté et ne te fais pas capturer à nouveau.

L’idée me vient comme ça, mais ce n’est pas possible pour moi d’affronter Marshall sans que Balad décide de s’en prendre aux otages qu’il a faits. Ce serait un trop gros risque, et au lieu de me torturer, c’est possible qu’il décide d’en finir en tuant tout le monde. Le vieux n’a pas ce problème. Difficile de le considérer comme mon allié après avoir vu un de nos combats… Même cette conversation est à deux doigts de finir par se régler aux poings.

— Tu m’achètes c’est ça ?

— Je peux aussi demander à une guilde de le faire. Ce sera sans doute moins cher.

— Nan. Je vais prendre ton argent comme dédommagement émotionnel pour la perte de ma fille et aller boire un verre. Ensuite, j’irai m’occuper des deux salopards de toute façon.

— Et ?

— … Tu sais, tu me rappelles une charogne qui va lui aussi finir par brûler vif maintenant que j’y pense. Ouais, je m’occupe de protéger tes marmots, mais —

— Si tu veux te suicider en allant la chercher tout seul, tu peux. Ou alors tu me laisses du temps pour trouver un moyen de survivre plus de dix secondes à Balad sans qu’il ne se pisse dessus de rire en me voyant arriver et te retransforme en esclave.

— Donc je m’occupe de servir de nourrice pour des chiards, mais toi ? Ton plan ne va pas prendre dix ans à faire j’espère ?

— Moi, je vais voir une Oracle. C’est la seule piste que j’ai en tête pour savoir si les sauver est possible et savoir comment je peux devenir assez fort. Si ce n’est pas concluant, je fais équipe avec toi.

— Plutôt crever encore une fois que de faire équipe avec toi. Même travailler avec le buisson me fait moins chier que de voir ta gueule…

Kasai claque la langue en me regardant. Il n’a pas l’air satisfait de ce que je dis, mais avoir parlé d’Oracle semble suffisamment intelligent pour qu’il ne proteste pas tout de suite en m’écoutant.

— Je sens que tu vas me la faire à l’envers, mais très bien. Je te donne six mois, c’est tout ce que ton or pourra t’offrir. Après cela, je sauve ma fille et j’espère ne plus jamais te voir. Tu sais écrire ?

— … Ouais, je sais écrire. Tu veux que je mette ça par écrit au cas où tu oublies ce que je viens de dire le vieillard ? Je peux parler plus fort aussi si ça aide ?

— Va chier. Je suis à deux doigts de te cramer la gueule.

— Oui oui. Il me semble avoir clarifié la dernière fois que même avec la gueule cramée je sui —

— Tu vas écrire régulièrement des petites lettres et me tenir au courant. Sinon, je pourrai commencer à être impatient et laisser crever des mioches… Je suis vieux après tout. Ils sont combien d’ailleurs ? Une vingtaine ? Je peux en laisser crever la moitié par inadvertance et… quoi ? Pourquoi tu fais cette gueule maintenant ?

— Il y en a plus de deux cents.

— … Putain. Va chier avec ta mission.

Je soupire et je tends la main pour commencer à déverser des pièces en or sur la table à côté de moi.

« C’est pas suffisant. Il y a trop de chiard, ça changera rien, peu importe la quantité d’argent. »

Je continue à déverser des pièces en le fixant et petit à petit la table en est couverte au point qu’elles commencent à en tomber. Même Kasai me regarde en fronçant les sourcils. Il se demande quand est-ce que je vais arrêter d’en déverser sur la table, mais il risque d’être surpris si je décide de vraiment être « généreux ».

« Ça, c’est pour toi. Le reste de l’argent sera pour Mad’, qui recrutera d’autres personnes pour faire la même chose. J’ai plus confiance en elle qu’en toi, mais dans le doute je vais lui dire de te donner de l’argent si tu en as besoin. S’il n’y a plus de menaces, tout l’argent qu’elle n’aura pas utilisé pour recruter d’autres types sera à toi. »

Kasai attrape une pièce sur la table et la jette dans sa propre tombe. Je ne perdrai pas mon temps à trouver la symbolique de son geste et je me contente de me lever.

« Très bien… Dresseur. Va faire tes préparations, mais quand il n’y aura plus d’argent, considère les gamins comme morts à mes yeux parce qu’à ce moment-là, j’irai sauver ma fille. »

J’acquiesce simplement en partant en direction du bar où se trouve Madeleine. En me voyant approcher, elle semble lire quelque chose sur mon visage et me sert un verre. C’est probable que mon visage reflète ma fatigue. C’est facile de se mentir à soi-même, mais pas aux gens qui nous connaissent. Je soupire quelques instants avant de boire une gorgée.

Je réfléchis à l’argent que j’ai encore. Même en retirant la part de Kiki qui a refusé de prendre plus de la moitié, j’en ai bien assez. Les parieurs dans la Fosse semblent avoir apprécié qu’un challenger passe de zéro à champion. Évitons de parler des gains venant de la revente des biens des participants ou encore des 10 % ajoutés à chaque son de cloche par les gérants…

— Mad’. J’ai 3 000 pièces d’or. Tu peux t’assurer que les enfants Dresseurs soient protégés de Marshall ou d’autres tarés du même genre en mon absence ?

— Probablement. Ce n’est pas difficile de trouver des gens fauchés qui peuvent se rendre utiles pour moins d’une pièce d’or.

— Le vieux est censé donner un coup de main aussi. Il veut s’occuper de Marshall et d’un type nommé Mars en plus. Aide-le autant que possible… Merci Mad’.

Madeleine me fait un clin d’œil en me souriant. Cela me soulage de la voir réagir comme si ce n’était rien. Je regarde le cocktail qu’elle vient de m’offrir. J’ai fini par apprendre la liste en travaillant pour elle. Une « griffe de lion », un cocktail à la couleur or qui est censé donner du courage à celui qui le boit.

Dans ma situation, la pire chose que je puisse faire est probablement de rester au pied de la tour. Il y a peu de chance qu’une Oracle me dise de rester vu le danger que je cours en m’y promenant. Je ne dois pas interférer avec Marshall ou Balad pourrait le prendre comme une attaque directe et se venger sur les otages. Le mieux que je puisse faire est de faire semblant de me résigner. Même s’il pense probablement que je vais essayer de les sauver, s’il a ne serait-ce qu’un léger doute, alors je prends l’avantage.

J’ai besoin de temps, le plus possible. Ensuite, quand il s’y attendra le moins… C’est là que j’aurai une opportunité de les sauver.

Il ne me reste qu’à faire des préparations avant de retourner sur Galatia, à commencer par voir une Oracle et espérer que j’ai un avenir agréable… mais j’en doute.



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