[Surtout, ne bouge pas.]
{Tiens bon ! Fort ! Nomad !}
Alors que j’entends des hurlements dans mon crâne, je me rends compte que j’étouffe dans mon sang et je commence à tousser. Je peux sentir Persée qui s’agite dans ma bouche en aspirant une partie du sang. J’ai de vagues souvenirs de ce qu’il vient de se passer, mais ma capacité à réfléchir semble avoir rendu l’âme. De toute façon, je ne vois rien. J’ai l’impression que Persée me recouvre complètement aux sensations que j’éprouve. Du moins, c’est ce que je ressens à travers le lien.
[Je vais te demander quelque chose de très difficile dans ton état. Déglutis et avale cette fichue potion qui refuse de te soigner autre chose que la bouche ! Et fais-moi le plaisir de ne pas essayer de respirer sinon tu vas te noyer dedans. AVALE.]
Je… J’ai effectivement du mal à contrôler quoi que ce soit, mais je finis par avaler une partie de la potion par micro-gorgée en manquant de m’étouffer. La chaleur envahit très vite mon corps en me donnant des forces… J’avale avec plus d’avidité jusqu’à ce que finalement ma bouche soit vide — si ce n’est pour la fumée qui semble incroyablement dense.
Je commence à trembler alors que je réussis finalement à me mettre sur le côté en toussant.
[Pfiou. Très franchement, tu étais à quelques secondes de la mort… C’était crevant de réussir à te réveiller.]
{En vie ! En vie !}
[Oui oui, en vie. Passer de zombie à « en vie » est une bonne chose. Même avec mes standards de Kelfi, tu étais plus proche d’une carcasse que d’un humain.]
Je peux sentir Persée sur moi qui commence à se calmer et cesser son mouvement permanent. Il semble même sortir de mes plaies pour laisser la guérison avoir lieu. Vu les sensations que j’ai à travers le lien, j’ai bien l’impression qu’il a au moins doublé ou triplé en taille.
Même si la potion me revigore et que je peux sentir mes blessures guérir lentement, je suis quand même perdu. Ma mémoire des derniers événements semble légèrement fragmentée. J’ai bien gagné contre Charade, mais…
Quelque chose me traverse l’esprit pratiquement aussitôt et j’essaye de me relever pour aller en direction des Guides, mais je m’effondre lamentablement. Il semble y avoir quelques « fluctuations » entre ce que je veux et ce qu’il se produit, mais Yuu commence à s’énerver en me voyant faire.
[Champion des Dresseurs, blabla, meute, blabla… Magne-toi un peu au lieu d’attendre des réponses. Prends une potion spirituelle de ma réserve et bouge !]
Sauve la.
[Ghg…]
Même dans mon état, je suis capable de savoir qu’une potion de plus ou de moins ne suffira pas pour me relever. Yuu semble le comprendre et une fiole de sang de dragon apparaît dans sa gueule alors qu’il s’écarte de moi. Lui aussi semble affecté physiquement par ce qu’il vient de se produire. J’aimerais lui donner des mots d’encouragement, mais ma tête me donne l’impression d’être une soupe indigeste. Je pense à Blue que je peux voir au sol. Pete, attaché à côté d’elle, est baissé dans sa direction et je vois à peine son visage, mais j’entends vaguement qu’il essaye de la réconforter.
Le dernier Guide semble terrorisé par ce qu’il voit autour de lui et… par moi.
Le combat ne devait pas être agréable à voir. Probablement un des plus horribles que j’ai faits à vrai dire. Je pense à Blue alors que je vois Yuu s’approcher lentement en tremblant.
Sans vraiment savoir pourquoi, je commence à prier. Pas un dieu, pas une divinité comme la tour ou je ne sais quoi. Je prie juste pour qu’elle soit encore en vie et que cette potion s’assure qu’elle le reste. Je n’arrive pas à voir de mouvement de son côté, ni même ce qui pourrait être un tremblement et je ne peux rien faire d’autre que prier pour qu’elle respire encore.
J’aimerais qu’elle se redresse en se rendant malade à cause de la couleur rouge qui couvre tout dans le sous-sol après la pluie qu’il y a eu. Qu’elle m’en veuille parce qu’elle ne veut plus jamais me voir après avoir assisté à quelque chose d’aussi violent. Tout est préférable à sa mort. Je préfère la savoir en vie loin de moi que morte et disparue à jamais. Tout, mais pas la mort. Je veux pouvoir lui faire une blague nulle sur sa phobie du sang et que Yuu continue à se faire passer pour un esprit vengeur pour la tourmenter. J’accepte même qu’elle me guide dans un endroit dangereux tant qu’elle reste en vie.
Je ne vois plus Yuu maintenant. Il est passé du côté de son visage et Pete se recule autant qu’il peut à cause de ses chaînes pour lui laisser de la place. Le silence et les secondes me détruisent lentement alors que j’attends le verdict. Je commence à ramper dans sa direction alors que mon corps accuse toujours le coup en passant de l’état de « meute » à bout de viande pour ensuite retourner à un état optimal en quelques instants.
Par pitié, s’il y a un dieu qui m’écoute quelque part, faites qu’elle soit encore en vie.
Je continue de ramper en essayant de trouver une prise pour accrocher au sol mes mains qui tremblent violemment, mais il n’y a rien.
… Un simple couteau lancé à un moment où je ne pouvais rien faire. Même maintenant je ne peux toujours rien faire. Quelques mètres à ramper, c’est tout ce qu’il me reste. Je ne suis qu’à quelques instants d’avoir une réponse.
« Pff… HAHAHA ! Alors petit frère ?! Tu as du mal à ce point ? »
Balad.
Mon corps se fige, ma tête se vide et mon sang se glace. Il ne pouvait pas apparaître au pire moment. Je rêve probablement. Ce n’est rien de plus qu’une hallucination et je n’ai pas à tourner la tête pour confirmer qu’il se tient derrière moi. La pluie rouge s’arrête et aucun de mes animaux n’en est responsable. C’est simplement un cauchemar… Non. Non. Non !
« Je pensais venir pour te rappeler que tu ne fais peur à personne après ta petite victoire, mais il semble que j’ai trop fait confiance en tes capacités. HAHAHAH ! C’est tellement lamentable ! »
Alors qu’il continue de rire, je tourne finalement la tête dans sa direction en convulsant. Sur son visage, je ne peux voir qu’un grand sourire montrant ses dents blanches qu’il m’avait montrées dans le hall des champions. Le haut de son visage est caché par des lunettes noires qui ne me laissent même pas deviner ses yeux… mais il n’y a pas que ça. Il n’est pas tout seul.
Immobile derrière Balad, je peux voir Tark, Korail, Kiki et même Maliel qui tient un parapluie au-dessus de sa tête. Ils me fixent tous les quatre froidement comme des robots.
« Oh, eux ? Ne fais pas attention. Je leur ai ordonné de ne faire a-bso-lu-ment rien à part regarder. Tiens, je vais désactiver ça pendant une seconde pour que tu voies que ce ne sont pas des clones. Tous les quatre, pas bouger. Vous avez deux secondes pour parler. »
Balad claque ensuite des doigts en me fixant. Il sourit comme un enfant heureux de sa blague.
« RELÂCHE-NOUS SALE RACLURE !!! »
« Nomad, tire-toi de là rapidement ! »
« Occupe-toi de mon père Nomad, explique-lui ! »
« C’est… c’est ma… fau… Je… je suis… je suis… d — »
Balad claque des doigts à nouveau et ils reprennent une posture de robot tout en me regardant. Je frissonne en essayant de faire du sens de tout ce qu’il se passe. J’essaye de me redresser, mais mon corps ne répond pas correctement et cela amuse Balad.
« On dirait une araignée à qui on a coupé les pattes. Alalala… J’aime beaucoup ton expression en tout cas. On dirait finalement que tu commences à comprendre qui je suis… et tu as l’air terrifié, Nomad. »
Comme s’il était satisfait, il fait un signe à Tark qui se met à quatre pattes en s’éclaboussant dans l’eau rouge. Balad s’assoit ensuite confortablement sur lui en croisant les jambes. Son attention reste fixée sur moi alors qu’il me regarde en soupirant de satisfaction.
« Je t’avais dit que je viendrais prendre ce qui m’appartient. Ce petit spectacle n’est qu’un bonus. Une façon pour moi de te montrer que toi ou tes amis n’êtes pas grand-chose. Tu m’intéresses plus qu’eux cela dit. »
Alors qu’il parle, il fait un signe à Kiki qui vient poser les genoux au sol à côté de lui. Il commence à lui caresser les cheveux avant de commencer à en arracher plusieurs mèches.
« Je pourrai te faire rejoindre tes amis, mais ce n’est pas le marché que j’ai négocié. Tu as un ami qui est dur en affaires. Enfin, tu avais. »
Je ne sais pas de quoi il parle et organiser mes pensées pour tenter de trouver une explication est au-delà de mes capacités dans cette situation. Balad s’arrête en hochant légèrement la tête sur le côté. Il semble avoir lu sur mon visage que je ne sais pas de quoi il parle.
« Tu n’es pas au courant… ? Oh. »
Le visage de Balad passe de la surprise à une satisfaction perverse pendant plusieurs secondes. Il se met ensuite à siffloter avec difficulté alors qu’il se retient de rire et essaye à plusieurs reprises de se contrôler. Il continue suffisamment longtemps pour que je comprenne qu’il appelle quelqu’un, pourtant personne derrière lui ne bouge.
C’est finalement un léger clapotis à côté de moi qui me fait tourner la tête.
Yuu.