[Tu aurais pu attendre le retour de la Sorcière et Tark le Taré quand même.]
Après la quatrième bouteille, ça ne me semblait pas raisonnable de rester au bar. Une petite marche au pied de la tour me détendra. J’ai besoin d’air frais.
[On dirait presque que tu veux des vacances. N’oublie pas que si tu es capable de marcher, c’est grâce à moi.]
J’ai juste besoin d’une nouvelle armure et d’un peu de temps, mais j’imagine que tu peux le dire de cette façon.
[En parlant de ça, Persée pourrait peut-être servir. Il est trop grand pour servir de gant de toute façon. S’il est capable de copier ton armure et qu’il est capable d’en reproduire les capacités, tu n’auras plus jamais besoin de la réparer. Enfin, s’il apprend à résister au feu.]
Je réfléchis à ce que raconte Yuu en marchant dans les rues. Persée pourrait probablement y arriver s’il grandit encore, mais je ne sais pas s’il a les capacités pour ça ou s’il est prêt à un test de ce genre. Je pense au fait qu’il pourrait stopper mes saignements sans problème si je me faisais blesser, et aussitôt je peux sentir de l’intérêt à travers le lien de Persée… La curiosité de Yuu semble le contaminer pour des raisons différentes. Direction l’atelier d’Eruc. Avec un peu de chance, Gladis sera capable de me donner des informations sur les propriétés du tissu vivant.
Je regarde derrière moi quelques instants alors que j’entre dans la tour des Voleurs. Bien sûr, Blue a décidé de m’accompagner tandis que Korail et Pete ont décidé d’attendre les deux autres. Elle a un peu de mal à marcher puisqu’elle a trop bu, mais elle fait de son mieux pour me suivre. J’ai largement ralenti pour m’assurer qu’elle ne me perde pas, mais si je ralentis plus, je vais avoir du mal à me servir de ma vitesse pour cacher que j’ai du mal à marcher droit moi-même. Yuu me donne un coup de main et j’aurais bien du mal à marcher sans lui, mais il y a des limites à ce qu’il est capable de faire avec mon ivresse. Cela me semble impossible qu’elle me perde réellement du fait de sa classe, mais je n’ai pas envie qu’elle le prenne mal.
— Je peux trouver mon chemin tout seul, tu sais ?
— Ghg. Après t’avoir encore amené à un endroit où tu as risqué ta vie, j’ai besoin de me racheter.
— … Non. Sans te vexer, je sais où je vais. Je n’ai pas besoin que tu me guides dans le magasin d’un couturier qui voudra ma mort sans que je sache pourquoi.
Alors que je dis ça, elle sort un papier de sa poche tout en s’appuyant contre un mur.
« Mad’ m’a donné ça au cas où. C’est le Couturier de Miss Jonah. »
Je suis partagé entre l’idée de détruire ce papier et le garder. La simple mention de son nom me met en colère. D’un autre côté, cette femme doit avoir un sacré Couturier et je repense à Bastion qui m’a donné de très bonnes armes.
Pour le moment, je me contente d’ignorer Blue et de me remettre à avancer alors qu’elle me demande de l’attendre.
Je finis par arriver dans l’atelier d’Eruc qui me regarde de derrière son comptoir, surpris.
— Tu es là pour des améliorations ?
— Mon armure est dans un sale état. J’ai aussi besoin d’une nouvelle armure plus… tactique et plus légère. J’ai aussi des questions sur le tissu vivant, Gladis est là ?
— Dans l’ordre. Tu as déjà cassé ton armure ? Dis-m’en plus pour cette armure tactique, et pour finir, Gladis est dans l’arrière-boutique. Elle a décidé de s’installer dans mon échoppe pour travailler à partir de maintenant. Ton armure semble l’avoir motivé à fusionner nos travaux… En bien et en mal…
Je me demande de quoi il parle exactement, mais en regardant son échoppe, je me rends compte que le rangement est différent et qu’il y a des vêtements exposés. J’aimerais bien compatir, mais… il me semble qu’il l’a épousée. Ce genre d’histoire ne me regarde pas.
Je sors l’armure de mon inventaire et je la pose sur le comptoir devant Eruc qui commence à regarder les dégâts de mon passage dans la Fosse.
— Une armure noire tactique. J’ai des affaires à régler sous terre et j’aimerais bien quelque chose de plus léger qui puisse servir de camouflage et qui ne fasse pas de bruit. Quelque chose d’un peu plus spécialisé dans l’Assassinat. Ce sera aussi plus rapide à fabriquer j’imagine, et vu que j’en ai besoin rapidement c’est tant mieux.
— Gladis, notre star est de retour ! Camouflage, léger, et pas de bruit. Plutôt standard pour ma clientèle donc ce ne sera pas très long à faire avec l’aide de ma femme. Quoi d’autre ?
Je m’arrête quelques instants, mais pas pour réfléchir. Eruc m’amuse beaucoup avec sa façon de me demander tout ce qui me passe par la tête et d’imaginer des solutions. Ne jamais l’entendre me dire « non » me fait du bien, étrangement, et me fait même sourire… mais c’est sans doute l’alcool dans mes veines qui parle.
— Tu sais comment je fonctionne maintenant, envoie tes idées.
— Je sais, je sais. Il me faut des étuis à fumigènes et de préférence sous une forme compacte. Les fioles à briser que j’ai dans l’inventaire me font perdre du temps.
— Hmm… Je peux probablement arranger ça.
— Une forme plus compacte de bombe à aiguilles serait intéressante. Si je dois fuir ou si je suis dans une mauvaise passe, j’ai besoin de quelque chose d’efficace. Une grenade ou quelque chose qui fasse un mur d’aiguille dans une direction. Pourquoi pas sous forme de piège aussi. Par précaution, il m’en faudrait au moins une ou deux qui soient camouflées dans mes vêtements et qui me servent de dernière défense si nécessaire. Ou alors quelque chose qui m’aidera si jamais je suis capturé ou attaché.
— Pas de problème. Ensuite ?
— J’ai des copeaux de dents de basilique pour remplacer les aiguilles. J’aimerais des sphères pour l’arbalète et quelques sphères supplémentaires qui les utilisent.
— Bien.
— Il me faudra des bottes plus légères capables d’amortir les chutes, comme celle que j’ai. Si possible avec un talon et une pointe renforcée pour rendre mes coups de pied plus dangereux. En restant discret bien sûr.
— Hmm… avec les bons matériaux, c’est faisable. Si je réduis le mécanisme des ressorts… Hm. Tu as d’autres idées ?
— Oui. Mais ça suffira pour cette armure. Il faut juste ajouter les emplacements pour mes animaux et ce sera bon.
Je regarde Gladis qui est à côté de moi les bras croisés. Elle me sourit, mais je pense qu’elle a compris que j’ai besoin d’elle plus que je n’ai besoin d’Eruc aujourd’hui à la façon dont je la regarde. Eruc soupire de son côté en comprenant qu’il n’aura pas plus de demandes. Il se met à gratter sur une feuille en faisant quelques esquisses. Gladis en profite pour prendre la parole.
— Dis-moi tout.
— Mon dernier animal est fait de sanguin, le tissu vivant. J’ai besoin de savoir si je peux l’incorporer à mon armure.
— … Connais pas.
Je soupire. C’est problématique. J’espérais avoir quelques informations sur Persée. J’ai bien compris qu’il n’était pas « standard » puisque j’ai vu naître sa conscience grâce au lien, mais j’attendais plus de réponses sur ses spécificités. Je pourrais attendre qu’il me montre lui-même ce dont il est capable, mais c’est prendre un risque. Si je veux l’incorporer à mon armure, j’ai besoin d’en savoir plus.
C’est à ce moment que Blue entre dans l’échoppe. Je pose une centaine de pièces d’or devant Eruc qui se contente d’acquiescer.
« Dans ce cas, j’ai besoin de quelqu’un pour me conseiller pendant que je vais voir quelqu’un qui en sait plus. Serait-il possible que tu m’accompagnes pour en apprendre plus ? »
Je demande à Blue le papier qu’elle me donne sans trop comprendre pourquoi je le veux maintenant. Je le tends ensuite à Gladis en espérant qu’elle voudra bien me suivre. Pour me répondre, elle le prend sans regarder l’adresse et met une cape en approchant de la porte en souriant.
— Ce n’est pas habituel, mais sachant que tu es notre meilleur client, voyons cela.
— Une connaissance m’a donné cette adresse si jamais j’ai besoin d’aide en couture. J’ai plus confiance en toi qu’en la personne dont tu lis le nom, mais –
— … Ce… vraiment ? Tu veux qu’on aille voir Tolstoï ?
— Si c’est ce qu’il y a de marqué sur ce papier, oui.
Gladis semble perturbée par ma demande, mais elle finit par se mettre à rire. Blue est perdue de son côté, mais elle n’est là que pour m’accompagner de toute façon.
« Fais en sorte que ma femme revienne bien à l’échoppe avant la fin de la journée. »
Je regarde Blue qui semble m’en vouloir de repartir tout de suite, mais je hausse simplement les épaules avant de sortir de l’échoppe.
Alors que je rattrape Gladis dans le couloir de la Tour des Voleurs, elle finit par s’expliquer.
« J’ai travaillé avec Tolstoï pendant quelque temps… trois jours. J’ai fini par me faire virer de l’atelier pour un “différend artistique” avec le propriétaire. C’est amusant d’entendre parler de lui maintenant. On va voir ce qu’il peut te dire. Suis-moi. L’atelier est du côté de la tour centrale. »
Derrière nous, je peux entendre Blue qui se plaint de repartir aussi vite, mais ce n’est pas aujourd’hui qu’elle me guidera. C’est sans doute mieux comme ça… si je ne veux pas mourir.
Je me contente de regarder le ciel bleu au-dessus de ma tête en avançant. Tant que plus personne aujourd’hui n’essaye de me tuer, je pense que je serai satisfait.