Une journée tranquille… Dans mes rêves uniquement !
Je me débats pour arracher un morceau de tissu noir de la taille d’un mouchoir qui semble s’être greffé sur ma main. Au lieu de gentiment visiter le magasin, je me retrouve à renverser des étales alors que je peux sentir que cette chose est en train de me vider de mon sang et me dévore la chair. J’ai juste ouvert une boîte dans l’étalage, je ne m’attendais pas à tomber sur un coffre piégé comme ça !
— Nomad, qu’est-ce qu’il se passe ?!!
— Hey, du calme dans les rayons ! Mais c’est…
Je frappe ma main contre un coin de meuble, mais le tissu semble s’en moquer et continue à faire son office de sangsue. Je peux sentir de la panique venant de mes animaux et même de Yuu, qui semble avoir du mal à formuler une pensée que je serais capable de comprendre. De mon autre main, j’essaye de griffer le tissu avec les griffes de mon gantelet, mais le tissu semble aussitôt réagir en esquivant l’attaque et en se déplaçant trop vite pour que je puisse l’atteindre.
« Que quelqu’un me coupe le bras avant que cette saleté décide de monter plus haut ! »
Je regarde rapidement Cyrus qui semble ne pas comprendre ce que je viens de lui demander, mais le couturier, sans même réfléchir, attrape des ciseaux dans son inventaire qui ressemble plus à un énorme sécateur et s’avance dans ma direction. Ce n’est pas exactement ce que j’avais en tête…
D’un coup sec, il me coupe le bras sans hésitation au niveau du coude… Malgré la douleur, je dois dire que je suis impressionné par sa technique. Le tissu est encore accroché à mon bras par terre qu’il continue de dévorer lentement.
Maintenant que j’y pense, c’était un bras tout neuf…
La créature continue de manger alors que le couturier commence à crier plusieurs fois « merde » à la suite et s’attrape le front en réfléchissant.
— Je peux savoir ce que c’est que cette chose exactement ?!
— Et merde, et merde, et merde…
Il se retourne alors quelques instants, comme s’il avait un éclair de génie. Il attrape une sorte de récipient saladier en verre contenant des pelotes de laine et le vide par terre avant de le placer sur mon bras et le morceau de tissu.
Le Couturier regarde ensuite mon bras et sort du fil et une aiguille, mais je l’arrête tout de suite.
« Je vais le faire repousser. Pas la peine de coudre quoi que ce soit. »
Pendant quelques instants, le couturier me regarde en clignant plusieurs fois des paupières sans trop comprendre. Sans même chercher à raisonner avec lui, je sors une potion que j’avale rapidement en me dirigeant vers la sortie du magasin. De la fumée commence à envahir les rayons, mais je sors de là avant qu’il n’y en ait trop…
J’ai bien fait de refaire le plein auprès de l’Apothicaire, mais au rythme auquel je me fais blesser ou couper ce bras, je vais finir sur la paille. Ne parlons pas de l’armure.
Je soupire alors qu’une énorme gerbe de fumée termine la repousse de mon bras. Je peux entendre du bruit venant du magasin. Sans attendre, je rentre à nouveau pour voir que le Couturier toujours en panique est en train de courir dans le magasin à la recherche de quelque chose.
« Et merde, et merde, et meeeeerde…. »
… Il a l’air d’être coincé sur cette phrase comme un disque rayé. Je m’approche d’un endroit depuis lequel je peux voir le tissu continuer de manger ma main en grandissant. Ce n’est clairement pas normal.
[Je pense que c’est un monstre. De ce que j’ai pu lire dans les archives, les monstres sont des créatures liées au mana et qui attaquent sans discrimination toutes formes de vie.]
Et je suis censé faire quoi de cette information ?
[Ce n’est pas moi le Dresseur. Fais juste en sorte qu’il ne te remette pas « la main » dessus.]
Tu as bien fait d’attendre que mon bras repousse pour que je puisse applaudir à ton jeu de mots.
Je me mets à quelques mètres de là pour observer dans le bol de verre, mais le monstre est toujours en train de manger mon bras. Sans trop réfléchir, je décide de dire à Micha d’aller à l’entrée pour s’assurer que personne de dangereux ne soit en train de me tendre un piège.
Je regarde Cyrus en lui demandant ce qu’il vient de se passer, mais il se contente de rester perplexe.
« Je… mes compétences ne marchent pas sur les monstres apparemment… Je suis désolé pour ton bras… »
Comme réponse, j’agite mon bras neuf pour lui dire que ce n’est « pas grave ». Du moins, je crois que ce n’est pas grave ? Bon. Je ne m’attendais pas à ce que choisir du tissu pour faire du macramé soit aussi dangereux, mais maintenant je suis au courant. Les Couturiers coupent des bras en quelques secondes et il y a des tissus mangeurs d’hommes.
À défaut d’être une journée tranquille, au moins elle sera instructive.
À l’intérieur du bol, ma main disparaît graduellement et je peux voir passer devant moi le couturier qui était à l’arrière du magasin. Cette fois-ci, il est armé d’un lance-flamme et continue de répéter « et merde » en boucle.
Sans vraiment réfléchir, je l’arrête en l’attrapant par l’épaule.
— Des explications peut-être ?
— C-cette chose est du Sanguin, une sorte de tissu vivant, mais il n’a jamais rien fait jusqu’à présent… Je ne sais pas ce qui le pousse à agir…
— Cette chose est vivante donc ? Laissez-moi tenter quelque chose.
… Qui ne tente rien n’a rien… Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée, mais je peux toujours essayer.
Je m’approche du bol en verre et me concentre sur mon aura. Contrairement à Fae, je n’ai pas encore besoin de le cacher et je n’ai de toute façon pas de raison de le faire. Cela dit, il est clairement plus puissant si je me concentre dessus.
À l’intérieur, je peux voir que le tissu a encore pris en taille. Il y a quelques minutes, il ne faisait que la taille d’un mouchoir, mais maintenant il semble avoir grandi suffisamment pour faire la taille d’une écharpe de bonne taille. La pigmentation du tissu semble se moduler étrangement en formant des vagues de couleur arc-en-ciel à la surface du tissu noir. Je ne sais pas encore comment l’interpréter, mais ce n’est pas le moment de réfléchir à tout ça. Je souffle l’air dans mes poumons en relâchant toute réflexion et je peux sentir mon aura se renforcer.
À l’extérieur du magasin, des rats et des souris sont attirés, mais je rejette sommairement la création de lien. Je n’ai pas besoin d’eux.
Comme si l’écharpe se sentait menacée, elle commence à attaquer le bol en verre qui commence à se fissurer. Je continue à rendre mon aura plus compacte en restant ferme. Le tissu semble hésiter quelques instants, mais finit graduellement par se calmer et devenir immobile.
Après quelques dizaines de secondes, elle finit par se calmer complètement et semble se figer pour redevenir du tissu normal. Je viens de former un lien avec, cela prouve bien que c’est un être vivant. Au final, c’est probablement mon aura qui a causé cette situation. C’est sans doute ça qui l’a « réveillée ».
Je peux sentir tellement d’agitation de sa part malgré son immobilité que c’est très difficile de comprendre ce que le tissu ressent. C’est comme si la moindre sensation du tissu était un hurlement sans fin. C’est… bruyant.
— Je la prends.
— Quoi ?
— Je prends cette écharpe. J’ai réussi à la calmer et elle m’intéresse.
— C’est… Je… Quoi ?
— Je suis… Télépathe. De ce que raconte cette écharpe, elle a non seulement encore faim, mais en plus elle ne reculera devant rien pour manger. Je la prends.
— … J- Je vous l’offre ?
— … Je vous prends aussi un récipient.
[Cette écharpe t’aura quand même coûté un bras.]