La Tour des Mondes
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Chapitre 268 : Un monstre d’un autre genre
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(Attention, sujets pouvant être choquant dans ce chapitre)

« Viens par ici. »

En suivant Charade qui me guide à travers un entrepôt souterrain, je soupire silencieusement quelques instants. Cela fait un moment qu’il me fait passer pour une sorte de stagiaire et qu’il me teste en me traînant avec lui ici et là, mais c’est finalement le moment où je vais en apprendre plus sur la guilde Arcana. Enfin, je pense.

De grandes caisses contiennent apparemment de la marchandise volée ici et là dans les étages-monde et même au pied de la tour s’organisent en rayon autour de moi.

La guilde Arcana n’est peut-être pas la plus grande, mais elle est fermement ancrée dans le premier, deuxième et troisième monde, ce qui lui donne accès à un certain nombre de ressources que les autres guildes veulent acheter sans demander la provenance.

Je sais déjà tout ça, mais j’imagine que j’essaye de l’apprendre par cœur pour être certaine de garder ça en tête s’il me pose la question plus tard.

Arcana fait majoritairement de l’argent en achetant et en vendant des potions, mais c’est surtout avec l’eklipse qu’elle fait le plus de profit. Plutôt que d’utiliser les jardins des druides, la guilde a une plantation dans le deuxième monde dont le climat permet des récoltes trimestrielles…

Arf, je suis une Voleuse, pourquoi est-ce qu’il m’a demandé de retenir tout ça exactement ? Consommer des drogues n’est même pas illégal au pied de la tour. Je ne comprends même pas pourquoi nous sommes aussi près du marché « noir ». Il est aussi difficile de comprendre pourquoi être sous terre peut en rassurer certains. Je n’ai jamais testé l’eklipse, mais ça ne m’intéresse pas de finir à baver sur le sol en trippant pendant plusieurs heures… Après tout, c’est une sorte d’opioïde concentré, rien de bon pour le corps.

Enfin bref, là où il y a de l’argent à faire, il y aura forcément des gens.

Charade s’arrête quelques instants pour parler à quelqu’un et lire l’inventaire. Dur de le voir comme un génie du crime dans de telles situations. Même avec son manteau, son grand chapeau et ses lunettes rondes aux verres noirs, il a plus l’air d’un vieux fan de rock que d’une sorte de chef d’un clan de criminel…

Bien sûr, cela change complètement quand il torture quelqu’un. Étant Inquisiteur, cela reste sa méthode préférée pour obtenir des informations qui sont revendables.

… Je préfère largement le voir le nez dans un registre qu’avec des couteaux entre les mains. Une question de goût, j’imagine.

— Maliel. Je t’ai déjà dit que je n’aime pas quand les gens me fixent.

— Désolée.

— Reprenons les questions. Quel est le produit qui rapporte le plus d’argent à l’unité ?

— Un grimpeur esclave qui sera principalement utilisé comme main-d’œuvre en tout genre et garde du corps par les royaumes dans les mondes.

— Bien. Maintenant, rappelle-moi quelle est la classe qui vaut le plus cher, que ce soit mort ou vif ?

— … Dresseur.

— Développe.

— Gh… un Dresseur est capable de ramener des animaux des étages-mondes, réduisant donc les distances pour les produits fabriqués par des animaux à zéro en mettant en place des élevages au pied de la tour. Sans Dresseur, il faut aller chercher les animaux où ils se trouvent, fabriquer le produit en quantité, et s’endormir avec une clé pour ramener le produit au pied de la tour. Cela peut prendre plusieurs mois selon la distance à parcourir. Mort, cela réduit la possibilité de créer une offre pour la demande en animaux magiques et en monstres au pied de la tour. Sans parler bien sûr des applications qu’ils peuvent avoir en influençant tous les marchés…

Il fallait “bien sûr” que Nomad ait une classe aussi pourrie qui met automatiquement sa tête à prix pour tous les esclavagistes… La fameuse logique du “si je ne peux pas l’avoir, personne ne l’aura”.

— Sais-tu pourquoi ton ami est encore en vie ou n’est pas encore un esclave dans ce cas ?

— …

— Allons. Ce n’est pas parce que je n’en ai moi-même aucune idée que tu n’es pas censée en avoir une. Je ne connais pas personnellement le conglomérat de guildes qui a mis en place la règle “aucun dresseur”, mais ils ont l’air suffisamment sérieux pour que je me demande comment il a fait pour rester en vie jusqu’à maintenant.

— Quelqu’un qui le savait a gêné sa capture jusqu’à maintenant ?

— Un allié secret ? J’aime bien l’idée, mais cela annonce des problèmes d’envergures si quelqu’un est vraiment capable de dire à ces guildes de reculer.

Charade ferme le registre d’un claquement sec et demande à ce que l’on ouvre le conteneur devant lequel il se trouve. Un des hommes en charge de cet entrepôt accepte en faisant signe aux autres d’approcher. Ils sont deux à ouvrir les portes alors que les autres se préparent en cas de problème en tenant fermement leurs bâtons. Alors que la double-porte en bois s’ouvre, une odeur putride atteint mon nez et je régurgite presque en comprenant ce qu’il y a dans le conteneur. Charade m’attrape par l’épaule pour me forcer à rester à côté de lui alors que la lumière entre finalement dans le conteneur pour dévoiler des dizaines de corps empilés les uns sur les autres. Il y a facilement une cinquantaine de personnes là-dedans… et des milliers de mouches alors que les corps baignent dans l’urine et les excréments.

« J’ai l’impression que quelqu’un a fait une grossière erreur, mes amis. Sur le registre, il est marqué “plantes”, mais je n’ai pas le souvenir d’en avoir acheté. Par contre, j’ai bien acheté une cargaison d’esclaves vivants. Puis-je savoir qui sont ceux qui ont laissé ces gens crever dans une caisse ? Les hurlements et les gémissements n’ont inquiété personne ? »

Les hommes regardent maintenant Charade en ayant peur, mais ce n’est pas étonnant. Ce genre d’erreur vient de coûter une sacrée somme d’argent à Charade, entre cinquante et cinq cents pièces d’argent par tête dans le meilleur des cas. L’un des gardes se met à vomir à cause de l’odeur alors que les autres responsables de cet entrepôt essayent de rester impassibles en sachant ce qui va se produire.

«  J’aime le silence mes amis, mais je n’aime pas les erreurs. »

Sur un autre geste de Charade, les quatre personnes responsables de l’entrepôt sont attrapées et ligotées par les dix autres qui servent de suite à Charade.

« Je ne vous demanderai pas si vous étiez présents pour vous occuper et contrôler les marchandises puisque ce serait insultant de l’espérer. Vous avez le droit à une séance de réforme mes amis, en espérant que ce sera la première et dernière. »

Alors que Charade donne des consignes à ses hommes, je continue de regarder à l’intérieur du conteneur ce désastre. Les quatres responsables ne mourront pas, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne souffriront pas 100 fois pour ce qu’ils viennent de faire. Après tout, c’est aussi pour ça que je suis dans cette guilde.

Peu importe l’erreur, dans Arcana, personne ne meurt et personne n’est renvoyé. Si quelqu’un meurt, son meurtrier mourra aussi. C’est la règle fondatrice de la guilde. Cela dit, ça ne rend pas plus facile d’entendre les hurlements des quatre idiots.

La dernière méthode de « réforme » mise en place par Charade est le coupe-chaud. On coupe, on cautérise, on coupe et on cautérise encore, jusqu’à ce que la personne soit aux portes de la mort. L’un des hommes vient déjà de perdre la moitié d’un doigt alors qu’on approche un fer brûlant. Un autre vient de se faire couper un morceau de cuisse et –

« Maliel. »

Charade me refait signe de le suivre alors qu’il avance à l’intérieur du conteneur en marchant sur la pile de corps.

— Tu n’as pas besoin de t’inquiéter pour la piétaille. Ils sont déjà suffisamment contents d’avoir de l’argent pour se saouler tous les jours. Cette erreur n’en reste pas moins regrettable.

— C’était des grimpeurs ?

— Non, juste des esclaves du deuxième monde, des Elfes d’ailleurs. Un grimpeur demande plus de précautions et vaut bien plus que ces personnes avec des oreilles pointues. J’imagine qu’un nécromancien sera content d’avoir les corps pour avoir un bataillon d’Elfes zombies, mais vivants, ils valaient bien plus. Hmm. J’imagine que couper les oreilles, et prendre les yeux et les cheveux pour faire des potions est aussi une possibilité…

À l’arrière du conteneur, un cliquetis de chaînes se fait entendre. Difficile de savoir ce qu’il s’y trouve, mais je peux imaginer. Vu l’état de décomposition des corps, cela doit faire une semaine ou plus qu’ils sont morts. À cela s’ajoute une semaine sans eau ni nourriture pour les tuer à petit feu.

La personne à l’origine du bruit que je viens d’entendre a dû se résoudre au cannibalisme pour survivre et manger les personnes qu’il connaissait de son vivant.

— Nouvelle question. Que devient un Elfe quand il décide de manger de la viande ?

— Je… je ne connais pas grand-chose sur le deuxième monde.

— Tu me déçois un peu, mais ce n’est pas grave.

Charade s’approche en continuant à marcher sur les cadavres. Les os se brisent comme du verre sous ses bottes alors que je me retiens encore une fois de vomir en chassant les mouches d’une main et en me couvrant le nez de l’autre.

« Les Elfes sont très sensibles à tout ce qui les entoure. Ils sont capables d’évoluer très rapidement, quel que soit l’environnement. Dans l’eau, ils auront des branchies. Dans le désert, leur peau formera une sorte de carapace noir pour les protéger du soleil. Toutes les parties de leur corps peuvent se modifier en seulement quelques mois, si ce n’est moins. Le “truc” avec cette race est qu’ils sont pacifiques et végétariens pour de bonnes raisons. Celui-ci n’a pas compris le message. »

Alors que Charade continue d’avancer, il décide de sortir un cristal éclairant de son inventaire pour le braquer en direction des bruits de mastication et de cliquetis des chaînes. Les ténèbres se dissipent alors pour dévoiler un homme de dos, accroupi sur le corps d’une femme. Il est en train de lui manger le bras, mais la moitié de son visage a déjà été dévoré. Elle restera à grimacer de surprise pour toujours alors qu’il la dévore.

« Manger de la viande transforme les Elfes en monstres dénués de raison. Une question de circulation de mana qui devient chaotique. Les émotions fortes ne font pas mieux. Manger la chair d’une compagne ou d’un membre de sa famille, du coup… L’effet s’accumule sans doute. Je me demande à quel point celui-ci est fort. »

Charade se redresse alors que le « monstre » se retourne lentement dans sa direction en grognant. Les traits de son visage n’ont pratiquement plus rien d’humain… Ses dents se sont transformées en crocs de plusieurs centimètres qui remplissent sa bouche d’une façon grotesque. Des veines noires recouvrent son visage et ses yeux, qui devaient être bleus, sont maintenant sans pupilles et injectés de sang. Son corps fait le double de la taille de celui des autres hommes dans le conteneur en dépassant les deux mètres et ses muscles ont triplé de volume, lui donnant l’air d’un colosse. Ses ongles sont maintenant des griffes de plusieurs centimètres… Sans parler de la fureur animale sur son visage et du sang séché dont il est recouvert.

Ce sont les larmes qui coulent sur son visage qui restent peut-être la dernière once de conscience qu’il a alors qu’il dévorait probablement un proche.

« Il n’a pas fini sa transformation, mais ce n’est pas grave. Celui-ci gagnera de l’argent dans la fosse. »



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