Le Roi de l’Arène regarde autour de lui, mais ne voit rien d’amusant. Il est assis sur une pile de corps gémissants. Tous des soldats avec des armes à feu et portant des tenues de militaire. Le combat était d’un ennui qu’il aurait du mal à définir. Impossible de mettre en place un scénario dans de telles conditions.

En tant que Gladiateur, sa première passion est de faire en sorte que le public apprécie le spectacle. Cette classe n’est qu’une façon comme une autre de faire du catch pour lequel il a le plus grand respect. Ce qu’il fait dans l’arène est une lettre d’amour à ce sport qui est devenu sa raison de se battre devant autant de gens. Cependant, les autres Gladiateurs ne tiennent pas bien la cadence contre lui et il a dû changer de ligue pour affronter les « grands garçons » après quelques mois d’ennuis profonds.

Malheureusement, quand on est seul, il est difficile de mettre en place un scénario satisfaisant pour le public. Le plus simple est de jouer le grand méchant, l’obstacle final qui retire toute chance de victoire et qui offre un beau combat aux spectateurs. Combien de fois le public a acclamé un combat qu’il a orchestré ? L’excitation, la colère, la joie, la peur… Tout cela demande un combat géré à la perfection. Il en a un peu honte, mais parfois, il a même fait exprès de perdre pour faire plus de spectacle. C’est arrivé très rarement, mais sans cela, le combat aurait été ennuyeux au possible. Les pauvres « vainqueurs » ont fini dans de bonnes guildes, mais ont réussi à se faire tuer assez rapidement en pensant qu’ils étaient plus forts que ce qu’ils n’étaient. « La rançon de la gloire », mais ça ne l’intéresse pas vraiment. Il n’aime pas perdre, mais c’est nécessaire de le faire de temps à autre pour continuer à intéresser les gens. S’il était imbattable, personne ne viendrait plus à l’arène.

Ce qui nous amène au scénario d’aujourd’hui. Contrairement à d’habitude, il n’est pas possible de mourir, et donc un bon nombre de participants se sont laissés dire que c’était une bonne occasion pour montrer leur talent. Un groupe de tels idiots est en dessous de lui en train de gémir de douleur, mais ce n’est pas important.

En regardant le panneau de score, il peut voir que le sien est ridiculement bas, mais il s’en moque un peu. S’il a décidé de garder en vie les grimpeurs en dessous de lui, c’est pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’esthétique. Quoi de mieux qu’un roi de l’arène sur son trône pour mettre en place une ambiance ? Par contre, c’est vraiment fatigant de faire une petite colline de ce genre… Il n’est pas architecte, et faire en sorte que ça tienne demande d’être un expert en empilage de corps alors que d’habitude il ne fait ça qu’avec des gens morts… C’est très fragile comme construction au final. De plus, il va devoir s’assurer qu’ils restent tous inconscients pour ne pas détruire la construction…

La colline est aussi un appât pour ceux qui participent sérieusement au tournoi. Quoi de mieux qu’une petite montagne de points pour attirer des participants ? Bon. Les quelques grimpeurs qui sont passés ont préféré partir plutôt que d’approcher, mais il y en aura bien un ou deux qui se sentiront à la hauteur pour l’affronter.

La seule petite grimpeuse qui a tenté de l’affronter était amusante, mais c’est une femme, donc il ne pouvait pas la frapper à cause des manières qu’on lui a apprises sur terre et il a fini par la capturer. Elle est maintenant attachée à quelques mètres de lui sur la colline de corps et n’arrête pas de se débattre en vain. Comment s’appelle-t-elle déjà ? Lin, Mei,… ? Le Roi de l’arène regarde le panneau des scores et prononce son nom à haute voix.

— Kim, c’est ça !

— Relâche-moi et bats-toi  !

— Gamine, tu n’étais pas mauvaise, mais c’est encore un peu tôt pour un combat final. La scène n’est pas encore en place. Si je ne trouve pas d’adversaire à ma taille, je te libérerai et on recommencera.

— Vieux taré, libère-moi tout de suite !

Difficile de raisonner avec une fille qui ne fait que crier. Pour l’instant, elle fait juste partie de sa colline et il préfère l’ignorer. En haut du classement, il reste une guilde de péteux présents uniquement pour se faire de la pub et il est assis sur la guilde qui occupe la deuxième place.

Ce qui l’intéresse ce sont les challengers qui sont dotés de passion et de talent ! De ce côté, quoi de mieux que celui qui porte le nom de dernier dresseur ? Avec toutes les rumeurs, impossible qu’un combat contre lui ne soit pas le clou du spectacle ! Il doit l’affronter !

Du moins, c’est ce qu’il se dit, mais il a un doute… Est-ce qu’un dresseur sera suffisamment puissant pour le battre ? C’est un débutant et le Roi de l’arène n’est pas à son coup d’essai. S’il est décevant, qu’est-ce qu’il va faire exactement ?… Hmmm. Plus il y pense et plus c’est difficile d’avoir une opinion fixe sur la question. Il n’y a pas d’autres célébrités qui se battent seules en tout cas et c’est avant tout ce qu’il cherche. Les premiers au classement sont une bande de prêtres guidés par un Asura qui a la côte en ce moment, mais se battre contre un pleutre accompagné par autant de prêtres et d’inquisiteurs lui donnera tout de suite le beau rôle au final… Et si c’est le cas, à quoi bon avoir fait une pile de corps comme ça ? Non, il vaut mieux compter sur le dernier dresseur. S’il ne se trompe pas, le petit ne devrait pas tarder à venir chercher les points sur lesquels il est assis.

En plus de cela, il y a une demoiselle en détresse à sauver si c’est ce qui le motive.

Bon, le côté « détresse » n’est pas le genre de Kim, il suffit qu’il la regarde pour comprendre qu’elle est loin d’un vulgaire cliché comme celui-ci. Elle a quand même réussi à amasser un bon nombre de points et, même si elle n’est pas désagréable à regarder, voir autant de colère sur son visage alors qu’elle est couverte de sang qui n’est même pas le sien refroidira celui d’un preux chevalier.

Il a le stock de points, c’est déjà plus que suffisant pour attirer des cibles potentielles.

*

— Je t’ai dit de me laisser tranquille !

— Je veux juste me battre contre toi ! Pourquoi tu continues à me dire non ?!

— Je n’ai pas de temps à perdre. Trouve-toi quelqu’un d’autre !

Tark a continué à me suivre. Il ne m’a pas lâché depuis que je l’ai rencontré. J’ai beau fuir ou lancer une attaque ou deux dans sa direction de temps à autre, il veut absolument mon accord pour qu’on se batte l’un contre l’autre.

[Il aime se battre, mais il a des principes. Il ira loin dans la vie.]

C’est ironique ?

[Oui et non. Je n’ai pas envie de t’expliquer. Il ne fait que te parler, j’imagine qu’on peut tolérer sa présence jusqu’à ce qu’il ne reste plus que lui ou quelque chose du genre.]

Je soupire en sautant de toit en toit alors que Tark continue de me poursuivre. J’aimerais ne pas avoir à perdre mon temps à discuter avec lui. Je joue la montre pour obtenir des points maintenant et je n’ai pas envie de perdre parce qu’il me déconcentre.

— Mais vu que tu es le dernier dresseur, j’ai envie de voir ce dont tu es capable. Un petit duel ne te coûte rien. Ce tournoi est juste une distraction de toute façon…

— Pas pour moi. Mon objectif est de gagner.

— Oh ? Tu veux la récompense à tout prix ? Ou alors tu fais ça pour impressionner quelqu’un ?

— On va dire ça. Je dois juste gagner et tu me distrais.

— … Désolé… Je te laisse réfléchir, mais je t’accompagne quand même jusqu’à ce qu’on se batte.

— Puisque tu as décidé de me coller de toute façon, c’est d’accord. Reste juste silencieux.

Il se tait aussitôt et me fait signe qu’il restera bouche cousue. Je soupire en me concentrant sur le prochain lieu. D’après la vision de Micha, je risque d’avoir quelques soucis. Il ne reste vraiment plus grand monde. J’ai l’impression que la majorité se cache.

Depuis ma rencontre avec Tark, j’ai continué à chasser pendant une demi-heure, j’ai gagné une place au classement, mais c’est parce qu’un des groupes est inactif. Sur le tableau, le nom de « Gloria » n’a pas gagné de points depuis au moins une vingtaine de minutes. Ils ont probablement perdu, mais leur nom n’est pas grisé comme ceux des autres éliminés du classement, ce qui veut dire qu’il en reste un certain nombre encore dans l’arène.

En dehors des deux groupes, il reste quelques grimpeurs ici et là qui se cachent. Il ne reste que deux grands groupes à attaquer d’après les informations de Micha. Si un des groupes est au sol, l’autre continue de se déplacer dans la ville en paradant dans les rues… Je n’exagère même pas quand je parle de parade. Ils ont des musiciens, des choristes et même des bannières. De plus, ils avancent en une longue file sur une des avenues comme s’ils organisaient un spectacle ou quelque chose du genre.

Enfin… une parade n’est peut-être pas le bon mot. C’est plutôt une procession religieuse vu la constitution du groupe. Je ne reconnais que des Prêtres et des Inquisiteurs parmi les accoutrements, mais il y en a bien d’autres que je n’avais jamais vus jusque-là.

Ils sont guidés par un homme avec trois bras en plus de cela. Ce personnage-là n’annonce rien de bon d’après moi, un peu comme Tark. Cheveux bruns et courts, et un vêtement en tissu fait pour exposer la chair qui ressemble à une toge rappelant vaguement la Grèce antique. Il a un physique d’athlète et le regard déterminé qui va avec.

Il n’a peut-être pas autant de corruption que Tark, mais son apparence est suffisante pour me dire que je vais avoir du mal à le battre. En parlant de corruption… Le groupe entier émet pratiquement un nuage noir dans le ciel. De mon point de vue, c’est pratiquement une parade noire avec le vermillon et cela n’annonce vraiment rien de bon.

Ils sont environ une centaine à avancer lentement en fouillant certaines maisons où il y a probablement des grimpeurs qui se cachent, d’après les cris. Je soupire en demandant à Micha de me rejoindre avec ses « troupes ».

Si je veux attaquer un groupe de cette taille, je vais avoir besoin d’un plan et d’un piège. Les oiseaux sont loin d’être inutiles dans de telles conditions.

Autour de moi se posent un par un les oiseaux qui obéissent à Micha. Ils sont plus d’une trentaine maintenant et il doit y avoir un grand nombre de Rangers qui me regardent depuis les gradins en se demandant ce que je fais avec leurs animaux. Ils sont sans doute en colère, mais c’est un problème que je réglerai plus tard.

Micha descend de l’oie qui semble être devenue sa monture et me rejoint.

{Toi m’a manqué !}

Je lui caresse la tête alors qu’elle s’installe dans mon cou. Je regarde les oiseaux en me demandant si mon plan va marcher, mais même Yuu semble satisfait par mon raisonnement.

« Je peux dire un truc maintenant ? »

Je jette un coup d’œil à Tark qui a quelques oiseaux sur lui et qui n’ose plus bouger. Mieux vaut l’ignorer pendant que je fais les préparations.