Maintenant que j’y pense, malgré mes attaques et les morts, il n’y a pas encore eu de fumée noire qui soit entrée dans mon corps. Normalement, le transfert est immédiat, mais cette fois-ci ce n’est pas le cas. Pendant ce temps, Marshall semble devenir plus fort alors que sa corruption continue d’augmenter.
— Ça ne te fait rien de perdre autant d’hommes ? À ce rythme, je ne suis pas sûr que m’attraper sera rentable.
– De simples serviteurs. Des esclaves achetés pour mon amusement. Enfin, j’ai l’impression que tu as compris si tu me poses cette question. Je suis un Observateur et un Envieux. Ce que je veux je le prends. Et tu m’appartiendras aussi.
— Juste comme ça, je trouve que jouer au Majordome te va mieux. C’est possible de commander des sandwichs à emporter, le service ici est vraiment déplorable.
— SILENCE !!
D’un revers de la main, il conjure une bourrasque de vent qui me projette violemment le long du globe avant de finir ma course sur un autre continent. On dirait que je suis en Asie maintenant. Au moins, ce combat me permet de voyager. La gravité qui est simulée semble m’avoir maintenu sur le globe, mais j’aurai sans doute fini par percuter un balcon vu la violence du choc.
Je me relève en ayant l’impression d’avoir pris un bus de plein fouet. Il y a mieux comme sensation. Je tousse violemment en perdant l’équilibre. J’ai l’impression que j’ai épongé le plus gros du choc, mais Micha semble avoir été surprise par l’attaque. Elle n’a rien de grave, mais c’était assez violent pour elle alors qu’elle était sur mon cou. Juliette s’est réfugiée dans mon corps, donc elle n’a rien à part une furieuse envie de se battre contre celui qui l’a forcée à se cacher complètement.
Ma tête tourne à cause de la douleur de Micha, mais je n’ai pas le droit de faiblir maintenant. À l’horizon, je peux voir Marshall marcher dans ma direction. Vu le sourire sur son visage, il a probablement l’impression qu’il va gagner. Vu son attaque, je réagirais probablement de la même façon en me voyant à genou, en train de cracher du sang avec probablement quelques os fracturés.
Je pense que j’y survivrai, mais je dois laisser le temps à Micha de se remettre, sinon je ne pourrai pas me battre. S’il avait utilisé un autre élément, je serais mort, mais le vent est sans doute le moins puissant en termes de force brute. C’est juste de l’air après tout. Si par exemple il avait essayé de me découper avec une telle puissance, je serais probablement mort.
« J’aimerais voir le responsable… Ghg… J’ai demandé un sandwich, pas un courant d’air… »
Le sourire sur le visage de Marshall se déforme en une grimace en m’entendant.
Je ne sais pas ce que cette classe d’Envieux signifie, mais j’imagine que c’est une sorte de classe de voleur. Il peut probablement voler des compétences. Du coup, je n’ai fait que lui donner plus de compétences depuis tout à l’heure en affrontant ses hommes. Ce qui m’intéresse, c’est de connaître les limites de cette classe et s’il peut m’en voler. Je n’en ai pas l’impression, mais c’est une possibilité. En tout cas, s’il peut lancer des attaques aussi puissantes que la dernière quand il le souhaite, c’est clairement de la triche. Je vais devoir trouver un moyen de contourner ça.
Je bois rapidement une gorgée de potion de vigueur avant d’en verser un peu ferrière mon cou en demandant à Micha d’en boire. Pour les blessures, impossible de m’en occuper pour le moment, mais pour ce qui est du combat…
En même temps que l’effet agit sur Micha, je me redresse en regardant Marshall en face de moi. Il ne me reste qu’à tenir le coup.
— Je t’ai pourtant dit que tu n’avais aucune chance. Qu’est-ce qui te pousse à croire le contraire ?
— Probablement le fait que j’aurais trop honte de perdre contre un majordome qui reluque ses clients.
— Le dernier dresseur n’est donc rien d’autre qu’un railleur de premier ordre. Très bien. Tu rejoindras bien assez vite ma collection. Une pièce de choix qui restera silencieusement exposée à côté de ses animaux. Je dois admettre que cela m’a demandé de la patience et de l’argent pour te trouver, mais qui aurait cru que tu te présenterais devant moi d’une telle façon.
— J’admets que j’avais d’autres plans pour la journée que de finir sur une reproduction de la terre à affronter les esclaves d’un majordome fou, mais ce n’est pas fini.
— Un peu d’hubris. Je me demande ce qui peut apporter tant de confiance à un homme blessé.
— Et bien, c’est très simple. Il semble qu’un ami à moi a trouvé quelque chose de très intéressant dans les souterrains. Quelque chose qui risque de mettre quelqu’un en colère.
— Tu n’as pas…
— Et ensuite, ton corps de majordome dans son absolue grandeur semble avoir quelques petits soucis avec le poison sur mes lames.
Même s’il a réussi à soigner les blessures, il semble que le poison de Juliette sur les lames ait très bien fonctionné. Lentement, les veines à l’endroit où je l’ai blessé se sont mises à gonfler et à noircir. Par contre…
[Par contre, ton bluff semble indiquer qu’il y a bien quelque chose dans les souterrains. Je suis censé sauver Blue, non ?]
On sait l’un comme l’autre que ta curiosité l’emporte sur Blue. Je te rappelle que même si tu contrôles le lien, je peux sentir qu’à cause de sa réaction, tu n’as qu’une envie, c’est de fouiner.
[… Très bien. De toute façon, les probabilités qu’il arrive quelque chose à Blue sont faibles. Tu dois juste battre ce Marshall et rester en vie.]
Alors que Marshall regarde son bras, je raffermis ma prise sur mes stylets et fonce dans sa direction.
Si je dois agir, c’est maintenant. À cause de la distance avec Yuu, la fusion est impossible de toute façon. J’aurais juste aimé avoir plus d’équipement sur moi. Ses hommes sont cependant en retrait, ce qui veut dire que j’ai le champ libre pour l’affronter.
En me voyant avancer dans sa direction, il dresse son sabre, son autre main tient la hache qui appartenait au Berserker mort. Je suis plus inquiet par son nouveau physique que par ses armes, mais je dois juste laisser le temps au poison d’agir.
« Amusant, mais ton poison ne te sauvera pas, j’ai des milliers de méthodes pour me soigner avant que son effet ne me gêne ! Et tu seras dans ma galerie avant que je n’aie besoin d’en utiliser une. »
J’esquive une première attaque avec son sabre en passant sous sa lame pour réduire la distance entre lui et moi. Il réagit aussitôt en préparant un coup de pied qui me force à me baisser encore plus pour finir entre ses jambes. Alors que je pense pouvoir l’atteindre, il utilise une magie du vent qui me repousse et me fait tomber en arrière. Alors que je me redresse, je peux voir qu’il psalmodie quelque chose et je peux sentir du vent provenir de son sabre.
Ce n’était pas la peine de le rendre plus dangereux pour moi, très franchement.
Il fait un signe aux autres hommes sur les plateformes qui partent aussitôt vers le bas du globe.
— Si tu as touché à lui… Je prendrai plaisir à te découper en morceaux avant de t’empailler.
— Très sincèrement, si tu savais ce que j’ai vécu dernièrement, tu te rendrais compte que je ne suis pas impressionné du tout par ta menace.
Sans même me répondre, il lance sa hache dans ma direction que j’esquive alors qu’il me charge. Je dois à tout prix esquiver son sabre, mais je vais devoir prendre des risques si je veux gagner ce combat. C’est malheureusement en train de devenir une mauvaise habitude chez moi.
Alors qu’il m’attaque, je recule en attrapant deux potions dans mon inventaire. Je jette la première au sol pour faire diversion et aussitôt une plante se met à pousser. Son sabre la découpe presque aussitôt, mais en profitant de l’ouverture causée par son attaque, je jette aussitôt la deuxième potion qui se brise en se répandant sur son torse.
« Qu’est-ce que… »
En cherchant à comprendre ce que c’est, il pose sa main sur son torse où elle reste collée. Je n’ai probablement que quelques instants avant qu’il ne trouve une solution et je décide de foncer dans sa direction en frappant son sabre. Le vent dessus repousse aussitôt mon stylet, mais mon but n’est que de faire diversion. En même temps, j’avance suffisamment ma jambe pour que Juliette puisse atteindre la sienne et le morde en plantant ses crochets dans la chair. Alors qu’il arrache sa main de la potion collante, il me frappe d’un revers de la main et je me retrouve à rouler au sol jusqu’à finir à moitié dans l’eau, dans ce qui doit être la mer de Chine. Je me redresse en crachant quelques dents. Pendant un instant, mon esprit se demande s’il y a des dentistes au pied de la tour avant que je ne chasse l’idée pour me concentrer à nouveau sur le combat.
Marshall est pratiquement sur moi. En me servant du boost d’agilité, je réussis à esquiver son attaque d’un cheveu, mais le vent sur la lame me touche quand même en me lacérant le visage et en me découpant la joue.
« Une belle cicatrice pour que tu n’oublies jamais ta place dans ce monde. »
Il s’apprête à m’attaquer à nouveau, mais j’arrive à me redresser suffisamment pour mettre plus de distance entre lui et moi. J’aimerais bien que le poison commence à faire effet, mais j’ai l’impression que je vais devoir faire sans.
En rangeant mes stylets dans mon inventaire, je m’excuse auprès de Juliette et je sors la dent de basilique. Si c’est une question de poison, autant prendre celui qui a le plus d’effet. Juliette se plaint presque aussitôt en comprenant que je vais m’en servir sans elle, mais ce n’est pas comme si j’avais le choix.
*
Qu’est-ce que j’ai fait, bon sang… Si seulement ma classe de guide m’avait emmené à un endroit moins dangereux… Je suis enfermée sur ce fichu balcon et je ne peux rien faire d’autre que de regarder Nomad se battre… À cette distance, c’est difficile de voir le sang, donc je ne risque pas de tomber dans les vapes, mais le combat ne se passe pas bien du tout… Et ce fichu globe qui continue de tourner… À chaque fois que je peux voir Nomad, la situation a l’air d’empirer. Si seulement je pouvais faire quelque chose, mais même si je m’approche…
[Hey. Plutôt que de te morfondre sur lui, j’ai besoin d’un coup de main.]
S-si c’est encore pour me menacer, cette fois-ci je ne tomberai pas dans le panneau, tu n’es qu’un renard !
[Oui oui, très bien, concentre-toi. J’ai besoin que tu me donnes des directions à distance, tu es bien une guide, pas vrai ?]
À distance ? Je ne sais pas si c’est possible de faire –
[Contente toi de te concentrer. Droite, gauche, devant ou derrière ?]
D-droite ?
[Tu es certaine ? Je risque ma vie moi aussi et c’est possible que Nomad meure si tu te trompes.]
N-ne dis pas ça.
[Fufufu… Va pour la droite. Essaye d’être certaine pour la direction suivante, sinon je pourrais finir sur des pics qui me transperceront et répandront mon sang et mes entrailles partout.]
AaAaahhh…
[Ne t’évanouis pas, je blague. Tout droit ou à gauche ?]
G-g-gauche…
*
Il fallait qu’il se pointe à nouveau. Comment est-ce qu’elle est censée réagir alors qu’elle le voit se battre comme un idiot ? Sans parler de la grille en acier ou de la porte derrière elle qui l’empêche de faire quoi que ce soit, il y a cet homme à côté d’elle qui regarde avec un léger sourire la situation. Impossible d’agir dans de telles circonstances.
« Tu as envie d’aller l’aider ? Je peux comprendre. »
Le sourire sur le visage de l’homme disparaît assez vite alors qu’il tourne ses yeux dans sa direction. Elle fixe le vide comme pour ne pas céder à son envie d’agir. Pourquoi est-ce qu’il devait venir ici aujourd’hui ? Ce n’était pas suffisant qu’il lui sauve la vie, il doit remettre en question tout ce qu’elle a fait jusqu’à présent en se mettant en danger sous ses yeux. De toute façon, ils sont quittes maintenant, il n’y a rien de plus à dire.
— Ça me passera.
— Je l’espère.
Ce n’est qu’un test de plus et elle n’a pas besoin d’intervenir. Elle ne lui a pas dit de venir et il ne sait sans doute même pas qu’elle est là. Il est blessé, et alors ? Le connaissant, il arrivera bien à se sortir de là. Il n’est pas tout seul avec ses animaux.
De toute façon, même si ça lui fait mal de l’admettre il est plus fort qu’elle. Ce foutu dresseur incapable de se servir de ses dix pouces correctement est plus fort qu’elle. Non. C’est forcément faux.
Peut-être « aussi fort », mais pas « plus fort ». Impossible que cet idiot le soit.
Elle soupire en se frottant le visage. Pourquoi est-ce qu’il doit nécessairement rendre tout plus compliqué ? Un gène défectueux peut-être ? Ou alors c’est juste qu’il est fou. C’est peut-être ça. Déguisé derrière sa bêtise, il est juste complètement taré.
En le voyant sur cette plateforme en train de se battre, elle s’était dit que ce n’était qu’une coïncidence et qu’elle ferait mieux de l’ignorer. Malheureusement, à chaque fois qu’il est blessé ou qu’il prend un coup, elle a peur qu’il finisse par mourir devant elle.
« Je ne suis pas un monstre. Voir un ami risquer sa vie n’est pas une expérience agréable, mais je pourrais très bien être celui qui l’affrontera la prochaine fois s’il survit. »
L’homme à côté d’elle époussette son chapeau rapidement avant de le reposer sur sa tête. Il fixe calmement le combat, impassible tandis qu’elle reste figée, prisonnière de ses pensées.
Correction : Hastin