La Tour des Mondes
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Chapitre 187 : Une éternité dans la souffrance
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Sur un monticule de gravats de plusieurs mètres de haut se tient un trône de pierre, et sur ce trône qui baigne dans la lumière rouge qui m’entoure, se tient une femme. Des yeux jaunes qui brillent mystérieusement. Des cornes irrégulières de chaque côté de la tête. Des cheveux blancs tellement longs qu’ils tombent du haut de son trône pour finir dans l’eau. Une peau grise malade qui semble ne pas contenir de vie. Et en guise de vêtements, il semble qu’elle ait utilisé ses cheveux pour en tresser.

La bouche légèrement entrouverte dans un faux sourire, elle me dévisage silencieusement. Je ne peux absolument rien lire sur son visage pour me donner une idée de ce que je dois faire. Pour peu, je pourrais avoir l’impression qu’elle est morte, puisqu’elle ne bouge pas, mais vu sa posture fermement plantée dans son trône, je préfère ne rien dire.

Ce qui se dégage d’elle ne ressemble pas du tout à l’aura « divine » des gardiens. C’est quelque chose de totalement différent et de plus discret.

J’ai de plus en plus froid et je ne sais pas quoi penser dans la situation. Je n’ai pas l’impression d’être en danger, mais je n’ai pas non plus l’impression d’être en sécurité. Je suis dans un endroit inconnu, envoyé par un hérétique pour rencontrer une Angela qui serait liée à la classe des assassins, enfin des « vrais » assassins, quoi que ça veuille dire.

Je ne sais rien en dehors de ça, et elle continue de me fixer silencieusement.

Et puis, lentement, la forme de sa bouche change pour devenir quelque chose d’animal en déformant complètement les traits de son visage dans un rictus de haine et de sadisme absolu.

Depuis l’eau autour de moi, je peux sentir du mouvement, et avant que je ne puisse bouger, des fils blancs en sortent et s’attachent à moi en me déchirant la peau et les vêtements. Mes bras, mes jambes, mon cou… Les fils, qui sont probablement ses cheveux, continuent de s’enrouler sur et dans mon corps en traversant la peau pour rentrer dans la chair comme des centaines d’aiguilles que l’on planterait à l’intérieur de moi. Je hurle de douleur en me débattant, mais rien ne stoppe l’avancée dans ma chair des cheveux que je peux sentir à l’intérieur de ma peau jusqu’à mes organes.

J’ai l’impression que tous les pores de ma peau rejettent du sang alors que je n’arrive plus à crier, comme si mon corps n’en était plus capable. Je n’ai qu’une envie : m’arracher la peau pour ne plus sentir la douleur, mais je ne peux rien faire, prisonnier de cette chose qui continue à me regarder du haut de son trône avec un large sourire sur le visage.

Chaque partie de mon corps souffre alors que les fils blancs continuent d’avancer dans ma chair en déchirant tout ce qui se trouve sur leur chemin. Si jusque-là les fouets des mange-mots étaient ma pire expérience en termes de douleur, j’en ai à présent une nouvelle plusieurs fois bien pire.

Chaque morceau de peau est lacérée en laissant la chair à vif et couverte de sang.

J’aimerais perdre connaissance, mais ça me semble impossible.

Mes pensées se mélangent, alors que j’ai l’impression que les fils blancs entrent dans ma tête en créant toujours plus de douleur. Je peux les sentir me déchirer les tympans et je perds l’ouïe. Je peux les sentir dans ma bouche déchiqueter ma langue puis descendre dans mes poumons.

Des milliers de lames de rasoir qui rentrent en moi sans pitié. Jusqu’à ce que finalement les cheveux blancs se jettent sur mes yeux en les crevant violemment.

Je ne peux même plus crier, je ne peux que ressentir la douleur alors que j’ai l’impression qu’on me coupe en deux, qu’on m’arrache le cœur, qu’on s’enfonce en moi toujours plus profondément. Une douleur sans fin qui dure plusieurs heures. Une éternité de souffrance où chaque cellule de mon corps semble être la cible.

À chaque seconde, elle me détruit un peu plus.

À chaque seconde, je suis avalé par la douleur qui ne s’arrête jamais.

À chaque seconde, je meurs un peu plus.

*

Une grande respiration, et je me redresse en manquant de m’étouffer à cause de l’eau. Je suis toujours dans ce monde infernal, sombre et froid.

Mon estomac se tord dans tous les sens et mon corps entier tremble comme si ma chair était encore à vif. J’ai juste envie de me recroqueviller et me laisser mourir dans cet enfer en espérant ne pas avoir à revivre ça, mais d’un coup d’œil je peux la voir encore installée sur son trône qui me fixe silencieusement.

Je veux partir d’ici, mais je ne sais toujours pas pourquoi je suis là et qui elle est.

Si au moins il y avait une raison pour laquelle je dois souffrir comme ça.

J’étais censé trouver un moyen de forger une arme, pas rencontrer un esprit qui va me tourmenter…

Elle bouge…

J’ai envie de reculer, mais je ne peux pas. Mon corps ne réagit pas, comme si j’étais déjà résigné. Ou alors, c’est juste la douleur que j’ai ressentie qui paralyse mes muscles…

Elle descend de son trône en lévitant alors que je peux voir sa chevelure s’agiter dans les airs mystérieusement. Tant qu’elle ne me touche pas, ça devrait aller. Mais par pitié, pas encore ça…

Il faut que je bouge. Elle s’approche encore en lévitant au-dessus de l’eau, mais j’ai encore le temps… Non, je n’y arriverai pas. Même mes doigts refusent de bouger.

Soudainement, mon corps se redresse et je comprends pourquoi… Je peux le sentir dans mon dos. Les fils blancs sont toujours là, connectés à mon corps, et me soulèvent devant elle. Je ne ressens pas de douleur cette fois-ci, mais je n’arrive pas à me reposer sur l’espoir qu’il n’y aura pas plus de souffrance alors que je peux encore sentir la sensation des fils blancs, de ses cheveux, me crever les yeux.

Je peux la voir continuer à s’approcher et s’arrêter devant moi et se pencher vers moi.

Je panique et essaye de fermer les yeux avant qu’elle ne m’arrache le cœur ou quelque chose du genre, mais je n’y arrive même pas. Elle s’approche et se penche lentement en direction de mon oreille et, dans un chuchotement étrange semblant se faire écho à lui-même des centaines de fois, elle prononce quelques mots.

« Souviens-toi de moi, dresseur. »

Elle recule ensuite suffisamment pour me regarder avec ses yeux jaunes et, d’un simple geste de sa main, je perds à nouveau connaissance.

*

Je me redresse en vomissant. En dessous de moi, je peux voir un tapis ridicule que j’ai juste envie de déchiqueter alors que mon corps est pris de secousses. Je régurgite plusieurs fois en ayant l’impression d’être mort plusieurs fois. Je regarde ma main et je la fais bouger. Je respire à nouveau en ayant l’impression de retrouver mon corps après l’avoir quitté pendant longtemps. Même l’échange avec Yuu sur Lishnul n’est pas comparable puisque j’avais un corps. Ce monde était bien trop étrange pour que ce soit réellement mon corps, mais la souffrance était, elle, bien réelle.

Je sens quelque chose couler sur mon visage sans savoir ce que c’est, mais des gouttes rouges tombent de mon visage sur le tapis déjà recouvert par le contenu de mon estomac.

Je passe ma main dessus en comprenant que ce sont des larmes de sang qui coulent de mes yeux. Je frissonne ensuite en me redressant tant bien que mal et en regardant autour de moi. À travers le lien, je peux sentir que Yuu et Micha sont soulagés de voir que je suis de retour… mais Juliette est en colère ?

En tout cas, quelque chose est différent avec mes animaux, ils ont l’air d’avoir le même problème que moi avec leurs yeux.

Je ne ressens pas de douleur et eux non plus, mais voir du sang couler comme ça n’a rien de rassurant.

En regardant autour de moi… C’est encore la même pièce au niveau de sa disposition, mais une fumée noire étrange semble se dégager de tout ce qui m’entoure. Quand je dis étrange, c’est parce que cette fumée noire et épaisse disparaît dans les airs pratiquement immédiatement, mais que je peux quand même la voir. Il n’y a pas de feu ou quoi que ce soit qui brûle, cependant elle est là, et se dégage de pratiquement tous les meubles, des murs, des fenêtres…

La chose qui en dégage le plus est l’hérétique devant moi. Son corps semble fait de cette fumée que je peux voir partout.

« Tu vas avoir du mal à t’ajuster au début, mais tu ferais mieux de le désactiver pour le moment. Ferme les yeux quelques instants, ça devrait s’arrêter. »

Je ne sais pas ce que je vois, mais il y a effectivement quelque chose de désagréable sur lequel je n’arrive pas à m’exprimer clairement. Je ferme les yeux comme il me le conseille, et, après quelques instants, je les rouvre pour retrouver une vision normale.

La première chose que fait mon corps de lui-même c’est de frapper l’Hérétique qui prend mon poing en plein dans le visage. Je le frappe encore une fois en lui mettant un crochet pour me purger de toute cette douleur ressentie et de cette terreur que je viens de vivre.

Alors qu’il accuse le coup et qu’il commence à gémir de douleur, je me rends compte qu’il a mis Juliette dans une sorte de sac sur un bureau et je la libère tout de suite.

« Ton serpent voulait me tuer pour que tu reviennes, j’ai été obligé de la mettre dans un sac. »

Alors que Juliette se réinstalle sur mon avant-bras en étant encore rancunière, je me tourne vers l’Hérétique qui se frotte sa lèvre ouverte alors que son nez garde la marque du premier coup. Il crache un peu de sang par terre, mais il n’a pas l’air énervé par ce que je viens de faire. De toute façon, je le frapperai encore s’il n’est pas content, et je ne sais même pas ce qui me retient de le tuer pour tout ça…

« J’imagine que tu es devenu ami avec Angela pour avoir frappé aussi fort. La prochaine fois, je m’assurerai que Catherine ait tout expliqué avant de procéder au rituel… Guidé par le destin ou pas. »



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