Nous continuons à avancer dans les souterrains, mais je ne suis pas sûr que nous arriverons à trouver une issue dans ce labyrinthe. Bien sûr j’ai une boussole ce qui m’aide un peu à savoir dans quelle direction nous allons, mais ça reste rudimentaire dans cet espace à plusieurs étages où une porte peut mener sur rien dans le pire des cas, et sur un autre couloir ou un escalier dans le meilleur.
Bien sûr, pour faciliter les choses, nous sommes suivis. Si au début je n’en étais pas sûr, maintenant je le suis. Dans l’écho de nos pas dans les couloirs, il y a toujours un bruit de trop qui s’arrête à chaque fois que nous nous arrêtons. Bien entendu aucun d’entre nous n’est capable de voir ce qu’il se passe derrière nous, mais Maliel l’a remarqué aussi.
Pas besoin d’être un devin pour savoir que ce sont des manges-mots qui sont sur nos pas. Je ne sais pas pourquoi ils nous suivent, mais vu la menace qu’ils posent pour nous il vaut mieux faire semblant de ne pas les avoir remarqués jusqu’à ce que nous ayons un plan. Micha reste cachée dans mon écharpe et garde un œil sur ce qu’il se passe derrière moi.
Malheureusement, ils comptent apparemment nous bloquer la route. A plusieurs occasions nous pouvons voir des silhouettes immobiles dans les couloirs qui nous attendent ce qui réduit de plus en plus nos options sur la direction à suivre.
– C’est chiant… ! Je n’ai pas envie de me battre dans un couloir. Je viens juste de devenir riche, ce n’est pas le moment de me faire tuer par des mecs muets ! Si le pire arrive tu me serviras de bouclier c’est clair !?
– On va trouver une sortie et j’aimerais bien que tu ne me considères pas comme un leurre…
– C’est qu’un détail.
Cependant après plusieurs dizaines de minutes à chercher, au bout d’un des couloirs, il y a finalement de la lumière.
Bon, quand je parle de lumière ce n’est pas non plus un grand faisceau, mais plus une sorte de léger rayon lumineux que j’arrive à voir dans la pénombre. Maliel l’a aussi remarquée.
En s’approchant je peux voir que c’est une sorte d’interstice cachant un passage. Ce qui veut dire que nous avons soit trouvé une sortie, soit un autre passage à l’intérieur du palais.
Sans mécanisme apparent je commence à pousser avec l’aide de Maliel et nous finissons par réussir à ouvrir ce qui ressemble à une grande porte de pierre de notre côté.
À cause de la lumière qui m’aveugle j’ai un peu de mal à voir où est-ce que nous sommes, mais rapidement je peux entendre Micha me dire qu’elle est là. Je n’ai pas besoin de demander pour comprendre de quoi elle parle grâce au lien. Adelina est dans la pièce.
« Tu parles d’un palais c’est un foutu gruyère. On est de retour dans la salle du trône. Moi qui pensais que c’était la sortie après avoir autant marché dans les tunnels.»
Sans prêter attention à la première phrase de Maliel, j’observe la scène et me rend compte qu’elle n’est pas très accueillante. La salle est remplie de manges-mots, plusieurs des grimpeurs qui m’ont sauvé sont au sol tandis qu’Adelina est derrière le ranger du groupe qui cherche à la protéger avec un poignard. Ce serait sans doute moins inquiétant pour elle si le ranger avait ses deux bras. L’autre est dans la main d’un mange-mots.
Bien sûr avec le bruit que nous avons fait en ouvrant la porte de pierre qui semble être l’arrière d’un tableau géant à quelques mètres du sol, tout le monde dans la salle du trône nous fixe du regard. Sans parler du cri d’Adelina en me voyant qui semble soulagée de voir que je vais bien.
Sans vraiment réfléchir je commence déjà à me tenir prêt pour me battre, mais surtout sortir Adelina de là.
La situation semble vraiment désespérée et je sais que tout seul je n’arriverais pas à les sortir de là, elle et les grimpeurs. Même survivre me paraît compliqué.
Mais bien sûr ce n’est pas comme si j’étais du genre à réfléchir correctement dans ce genre de situation… Je l’ai déjà sauvée une fois et mon corps ainsi que ma tête semblent me dire que c’est le moment de recommencer. Pour les grimpeurs je dois aussi leur rendre la pareille pour le sauvetage de la dernière fois.
Je pose mon sac rempli de bijoux à l’intérieur du tunnel et décide de me laisser tomber dans la salle du trône. Avant que je ne puisse le faire, Maliel m’arrête en me mettant une claque derrière la tête.
– T’as vraiment un grain tu sais. T’as l’impression que tout seul tu vas pouvoir les sauver ? Réfléchis deux secondes.
– Honnêtement non. Mais pour ce qui est de risquer ma vie je suis plutôt bon, c’est pas ce que tu me disais ? Avec un peu de chance…
– …
– …
– Tu es débile, sérieusement. Prends ça et fixe-la à ton poignet. Elle sera assez proche pour fonctionner.
Elle place une clé dans ma main avec un morceau de tissu. C’est probablement une clé qu’elle a fait apparaître en pensant à la tour. Mais plutôt que d’y réfléchir je me contente d’obéir. Bien entendu les manges-mots continuent de nous fixer pendant ce temps sans vraiment savoir quoi penser de nous.
– D’abord, prends le sac et fonce au centre de la pièce, même si toi ou elle crève j’ai encore moyen de repartir au pied de la tour avec l’argent au moins, ensuite dit à Yuu de venir ici avec Cro’, même avec deux débiles comme nous… deux débiles de plus devraient pouvoir aider.
– Vraiment ? Tu comptes m’aider ? Tu voulais pas juste partir ?
– J’aimerais bien. Mais tu es débile et j’ai fait le choix débile de te prendre dans mon équipe, autant de débilité a fini par sérieusement m’atteindre et maintenant je réfléchis probablement comme une débile.
Je regarde derrière elle et me rends compte qu’à une dizaine de mètres de là, un groupe de manges-mot nous fixe depuis la pénombre. Il semble que, plutôt que nous suivre discrètement ils aient finalement décidé de nous bloquer le chemin.
– Tant qu’à se battre autant le faire dans un endroit dégagé et avec mon or.
– Merc…
– Non non ! Je ne veux rien entendre ! Je veux bien être débile mais c’est aussi toi qui as créé les circonstances dans lesquelles on se trouve.
– Je… Ce sera pour plus tard alors. Tu as un plan en tout cas ?
– Pas du tout. Il y a une sorte de grille ouverte par terre, on devrait pouvoir s’enfuir par là, après on peut aussi passer par le château, mais j’ai aucune idée du taux de réussite. Ils sont trop nombreux pour qu’on essaye de gagner du temps de toute façon. Je pourrais fuir avec mon boost, mais toi…
– On se fraye un chemin, tu fais rentrer les gens dans le tunnel et je gagne le plus de temps possible.
– Oh vraiment ? Tu comptes arrêter une foule tout seul ?
– J’ai plus d’expérience que toi avec eux. Et puis ton boost a besoin d’être chargé pour être efficace mais pas le mien.
– Même sans mon boost je suis plus forte que toi. Tu perds les pédales toutes les trois secondes ou tu es encore plus atteint que ce que je croyais ?
– Écoute c’est logique si tu….
Je me fige soudainement en me frottant le front comme si j’étais passé à côté du détail le plus important dans mon plan qui comme le dit Maliel est débile. En vérité nous sommes déjà probablement considérés comme étant des prisonniers par les manges-mots vu la situation. En tout cas vu le manque de réaction nous ne sommes pas vu comme une menace sinon ils auraient déjà attaqués. Comme pour appuyer cette idée, le groupe de manges-mots décide de se couper en deux afin de créer un espace pour nous laisser passer vers le centre de la pièce ou le mange-mot masqué tenant le bras du ranger semble attendre.
« Je pense qu’on ne les inquiète pas vraiment. Tu viens ?»
Je descends rapidement et avance prudemment vers les manges-mots. En me regardant depuis le tunnel, Maliel semble se répéter intérieurement que je suis effectivement débile vu l’expression sur son visage, mais au final ça ne me dérange pas d’être en phase avec ma débilité puisque l’on évite de faire la moitié du trajet en se battant pour rejoindre Adelina. Je reste sur mes gardes et décide de traverser le couloir de manges-mots tout en gardant une main prête à attraper un stylet, mais je semble m’inquiéter pour rien.
Adelina me fixe de façon très gênante, un peu comme si elle était complètement en phase avec ses sentiments pour moi en les assumant. Bien sûr c’est à sens unique, mais si ça ne l’était pas la scène serait un cliché de film d’amour à ce niveau.
Je finis par traverser le couloir et le mange-mots tenant le bras du ranger me fait un signe de tête pour que j’aille rejoindre les autres. De près, il est beaucoup plus impressionnant que les autres et ressemble à une sorte de chef, mais je me détourne de lui en demandant à Micha de le fixer pour voir l’état des grimpeurs. La chevalière est par terre, essoufflée et sonnée. Son armure est en mauvais état comme si quelqu’un l’avait frappé à répétition avec un marteau, mais le mange-mots masqué n’en tient pas. L’épéiste a eu moins de chance que la chevalière puisqu’il a les deux bras et une jambe de brisés. La magicienne se tord de douleur comme si elle avait du mal à respirer. Pour finir le ranger n’a plus qu’un bras et perd graduellement du sang. Adelina n’a rien de son côté, mais le groupe dans son ensemble est dans un sale état.
– Dis-moi, t’es venu te suicider ou tu as un plan ?
– Des renforts sont en route, pour le reste on va essayer de fuir par les souterrains en gagnant du temps.
– C’était notre plan aussi, je ne suis pas sûr qu’à deux vous soyez capable de faire mieux contre ce monstre.
Bon le ranger est devenu défaitiste, c’est noté. Je décide de refaire le bilan sur le groupe. La chevalière semble avoir du mal à se redresser, mais la magicienne devrait pouvoir y arriver sans problème si elle reprend un peu son souffle. De son côté, le ranger semble tenir le coup. Par contre je doute qu’avec un bras de moins il puisse aider. Maliel de son côté me rejoint en semblant être irritée par la situation. Le couloir de manges-mots se referme une fois qu’elle est passée, indiquant qu’il n’y aura plus de retour en arrière. Maliel sort alors de son inventaire ce qui ressemble à une sorte de Tonfa avec une lame… ?
Ce sera sans doute plus efficace qu’une fourchette.
« Faites attention au mange-mots supérieur… il est bien plus fort que les autres, plus qu’un grimpeur du premier monde. Il s’est battu seul jusque-là. »
– Qu’est-ce que tu en penses ? Tu prends les trente à gauche, je prends les trente à droite et on se partage ce « mange-mots supérieur » ?
– J’ai du matériel pour m’occuper d’un groupe comme ça, mais je ne sais pas si ce sera efficace, le mieux reste de gagner du temps et de protéger les autres.
Le mange-mots supérieur qui jusque-là s’était contenté de nous regarder, fait un signe pour nous dire d’approcher, mais je décide de faire ce que je peux pour perdre du temps. Le ranger qui est à présent à genoux à cause de la perte de son sang finit par me dire qu’ils veulent Adelina, même s’il ne sait pas pourquoi.
« Qu’est-ce que vous lui voulez ? »
Le mange-mot supérieur ne réagit pas tout de suite, c’est peut-être simplement parce qu’il ne peut pas parler et qu’il doit trouver un moyen de s’expliquer, mais il décide simplement de faire non de la tête coupant court à la conversation. Il refait ensuite le même geste nous demandant d’approcher.
– S’il faut en affronter qu’un seul, on devrait pouvoir s’en sortir.
– Je devrais pouvoir oui, mais le but reste de gagner du temps alors laissons le attaquer.
– Et dire que je vais faire équipe avec toi… Ne me gêne pas et ne me fais pas honte.
Je demande à Micha de se mettre en place dans la pièce pour qu’elle ait un meilleur champ de vision tandis que Maliel se recule pour commencer à faire ce qui ressemble à des échauffements. Juliette de son côté est dans mon écharpe prête à agir alors que j’attrape mes deux stylets et que je vérifie qu’il y a bien du somnifère sur la lame.
Si le groupe de manges-mots décide de s’en mêler je pourrais toujours lancer mon fumigène somnifère pour les arrêter, mais dans une pièce close comme celle-ci il y a des chances que tout le monde se fasse endormir et les bombes à aiguilles ne marcheront pas aussi bien dans une pièce au plafond pas suffisamment haut pour les propager correctement. Mais le plus inquiétant reste le boss du groupe, s’il a réussi à s’occuper des grimpeurs sans problème c’est qu’il est clairement plus fort que les manges-mots que j’ai croisé jusque-là.
Une fois Micha en place au sommet d’un pilier de la salle du trône, je suis finalement prêt.