La Tour des Mondes
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Après avoir expliqué à Maliel quelques détails de plus elle me dit qu’elle va probablement rester dans une chambre à l’étage du bar de Madeleine pendant quelque temps afin de récupérer de sa traversée du désert.

Il a suffi que je lui parle des meurtres de grimpeurs pour qu’elle me dise qu’elle fera attention en me faisant remarquer que je devrais plus m’inquiéter pour moi que pour elle. Je ne m’attendais pas à la voir ici et je ne m’attendais pas non plus à ce qu’elle soit obligée de fuir le pied de la tour.

J’imagine que j’ai oublié que Charade a essayé de me tuer à plusieurs reprises et que ce n’est pas comme si mettre ma tête à prix et demander des informations aux gens que je connais relève de l’impossible.

Même si je n’ai pas tellement parlé avec les autres grimpeurs du Prophétie, je n’avais pas non plus envie d’être un problème… et puis il y a Seth et Layla. Je ne suis pas sûr que Seth m’en veuille pour ça si j’ai bien cerné sa personnalité, mais sa sœur en revanche est capable de me détester pour deux.

Enfin bref, la présence de Maliel m’étonne, mais en même temps je me dis qu’elle arrive au moment parfait pour l’événement clé qui approche. Même si c’est impossible de savoir quand est ce qu’il commencera, savoir que Maliel est dans les parages est rassurant. Je ne suis pas tout seul.

Même si Madeleine et Carl sont là, l’une doit rester neutre et l’autre après m’avoir agressé-testé, ne m’inspire pas spécialement confiance.

En tout cas, je n’ai toujours pas décidé si je restais où si je partais à la poursuite de Thif et d’Emy. J’ai peut-être une chance de récupérer une clé si je reste, mais je n’en suis même pas sûr. Ma présence ici me semble bien plus liée à Thif qu’à Lishnul et je ne sais pas encore trop comment fonctionne la tour à ce niveau. Déjà que la tour nous a forcés à rester avec Thif plutôt que de nous offrir la possibilité de changer de quête…

À mon humble avis, il y a de fortes chances que même si je participe à l’événement clé je n’en obtienne pas. Plus le temps avance et plus j’ai l’impression que la tour a une personnalité et que je dois me plier à ses désirs…

*

Je retourne dans la résidence en réfléchissant. Si ce sont effectivement les manges-mot qui sont responsable des assassinats il doit y avoir une raison. En attendant avec leur capacité de déduction, je risque d’avoir des problèmes pour ne pas agir différemment avec l’un d’eux. Du coup, il n’y aura plus d’entraînement. Je vais devoir me débrouiller sans ça pour me remettre en forme. Grâce aux potions de vitalité, je n’ai pas à m’inquiéter et je peux me pousser dans mes retranchements, mais mon stock diminue rapidement. Entre celle que j’ai vendue et celles que j’ai utilisées pendant le changement de corps… Plus de la moitié du stock est partie et il ne me reste plus que quatre bouteilles maintenant dont une à moitié vide. Même si j’essaye de faire durer en ne prenant qu’une ou deux gorgées à chaque fois que j’en ai besoin je ne devrais pas me reposer dessus à partir de maintenant.

Adelina sort de la maison en me voyant arriver.

— J’espère que la promenade était intéressante ?

— Hmm ? Oui, plutôt et il faudrait que je te parle à toi et ton père en privé justement.

— Oh ? Un peu étrange, mais s’il le faut, je lui ferai parvenir le message.

— C’est important et je préfère que ce soit en personne.

— Très bien. Je me demandais si c’était possible d’aller à la bibliothèque. Tant que vous êtes ici, j’ai normalement le droit d’avoir un garde du corps, non ?

— Hmm. Oui, pourquoi pas. Je ne savais pas qu’il y en avait une à Lishnul.

— Difficile de connaître une ville quand on ne fait que s’entraîner tous les jours.

— J’ai l’impression que c’est un reproche ?

— Oh, non. Pas du tout. Mais si vous utilisez constamment mon Mange-Mots pour vous entraîner il ne reste plus personne pour m’accompagner dans la ville. Même si je n’en ai pas l’air j’ai moi aussi des occupations qui impliquent de ne pas rester indéfiniment ici.

— Je… Je m’excuse, je ne me rendais pas compte.

— Ce n’est pas grave… Du moins, m’accompagner à la bibliothèque serait un bon moyen de se faire pardonner.

Bon, j’imagine que je sais ce que je vais faire du reste de ma journée à présent. Je lui demande si le Mange-Mots va nous accompagner et elle me répond simplement que ma seule présence devrait suffire. J’ai l’impression qu’elle m’y force un peu, mais qu’elle souhaite profiter de cette occasion pour se rapprocher de moi. Elle est peut-être restée froide avec moi cette semaine simplement dans le but de préparer ce moment. Je n’ai pas l’impression de pouvoir refuser, mais ça ne me dérange pas non plus de l’accompagner. Je lui demande si elle veut partir tout de suite et elle me demande si quelque chose me retient ici.

Je décide de rester silencieux et la laisse passer devant moi. Pour l’occasion, elle a décidé de mettre une robe blanche légère qui la met en valeur ainsi que quelques bracelets. Je peux même sentir un peu de parfum quand elle passe devant moi et remarquer du maquillage. Difficile de croire qu’une fille comme elle ait décidé de sortir le grand jeu simplement pour aller à la bibliothèque. Habituellement, elle fait attention à son apparence, mais peut être pas autant qu’aujourd’hui.

Je ne sais pas quoi dire ou quoi penser et je me sens gêné. Elle est clairement en train de flirter avec moi.

Nous avançons dans les rues et restons silencieux jusqu’à ce qu’elle décide de prendre la parole.

— Mon père m’a expliqué que vous avez une compagne qui vous attend dans votre monde.

— Oui.

— J’ai eu le temps de me renseigner, mais si elle est sur votre « Terre » vous n’avez aucun moyen de la revoir n’est-ce pas ?

— … Oui. C’est vrai.

— Je ne comprends pas. Même si vous savez que c’est impossible de la revoir, vous l’aimez toujours ?

— …

— Je m’excuse ce doit être un sujet difficile et ma curiosité a eu raison de moi quelques instants.

— Nous étions censés entrer dans la tour ensemble. C’était même son idée à la base. Je suis rentré dans la tour pour de mauvaises raisons et maintenant je fais avec.

— Vous l’aimez toujours ?

— Ce n’est pas qu’une question d’amour, j’ai vécu avec elle pendant tellement longtemps que j’ai du mal à me souvenir d’à quoi ressemblait ma vie sans elle. Le temps aura raison de tout ça bien sûr. J’étais prêt à partager ma vie avec elle et maintenant je dois me faire à l’idée que je ne la reverrai jamais. Je l’aime bien sûr, mais en même temps je commence à oublier ce qu’était ma vie avec elle.

— Vous ressemblez à un héros de tragédie.

— Vous avez aussi ça dans votre monde ?

— Est-ce que c’est ironique comme question ? Il y a encore quelques minutes, vous ne saviez pas qu’il y avait une bibliothèque à Lishnul.

— Je ne prends pas pour acquis ce que j’avais sur terre, c’est tout. Il y a tellement de choses que je ne connais pas sur ce monde et que je ne peux pas rapprocher de ce que je connais.

— Est-ce que c’est quelque chose de spécial de changer de monde ? Est-ce que quelque chose change d’un monde à un autre ?

— Difficile puisqu’il suffit de traverser une porte. Je pense que la première chose qui change c’est l’air.

— L’air ?

— Oui. Il est différent. Quand j’ai quitté la terre pour entrer dans la tour, j’étais encore trop choqué pour m’en rendre compte. L’air semble plus léger au pied de la tour, plus clair et plus facile à respirer comme s’il était « neuf » ou pur. Quand je suis entré dans Galatia c’était mouvementé, mais je crois qu’ici ce qui m’a fait le plus bizarre c’était les odeurs. Par moment, j’ai l’impression de retrouver des choses que je connais, de la lavande, du thym ou de la menthe, mais ce n’est jamais tout à fait ça. C’est différent.

— J’ai presque envie de connaître tout ça. J’ai déjà voyagé avec mon père, mais je n’ai jamais eu cette sensation de connaître sans connaître dont vous parlez.

— Vous voyagez beaucoup ?

— J’ai fait le tour du continent, mais je ne suis jamais allée plus loin. Depuis que mon père fait partie du conseil de la ville et qu’il a vieilli, il a décidé de ne plus prendre de risque en voyageant. D’une certaine façon, je vous envie et je ne comprends pas pourquoi les terriens ont le droit de devenir des grimpeurs. Vous n’avez pas l’air d’être plus intelligent ou plus fort que moi sans vouloir vous vexer.

— …

— J’ai dit quelque chose qui ne fallait pas ?

— Est-ce que c’est possible que nous nous tutoyions ? Ça me pèse un peu.

— Oh ?… O-Oui bien sûr. Mais uniquement quand nous ne sommes que tous les deux.

Je me contente de sourire quelques instants alors que je peux voir qu’Adelina est en train de rougir et de bafouiller avant de se taire complètement. J’ai l’impression qu’elle aura du mal à me tutoyer, mais c’est vrai que ça commence à me peser. Nous avons le même âge même si nous ne faisons pas partie de la même classe sociale, mais c’est vrai que nous ne faisons pas non plus partie du même monde à l’origine.

Nous continuons à traverser les rues de la ville, mais Adelina semble trop gênée pour parler maintenant. J’imagine que j’ai demandé quelque chose de trop extravaguant au final.



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