Yamaguchi et Maeda se lèvent.
— On va se coucher nous deux, à demain !
Aneko suit en expliquant à ma sœur.
— Tu peux venir dans notre chambre, Chizu ?
— Oui, oui, j’arrive, Aneko !
— À demain, les amis.
Les… les amis ? Ils me considèrent comme leur ami ? C’est d’une complexité les relations en 3D…
Nous ne sommes plus que trois sur le balcon. J’ai remarqué qu’Anzu était en incapacité d’entretenir une conversation, elle semblait terriblement intimidée. Quant à Masuko, elle retournait dans sa chambre, silencieusement.
Je me tourne vers la jeune fille.
Je veux des réponses, me chuchote Kinari curieux.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
Aucun mot, elle reste cruellement discrète.
Que faire…
Réfléchis…
Lui raconter mon passé ? Peut-être que ça lui changerait les idées.
J’inhale tout l’air possible, puis expire.
Je me lance.
— Tu sais, Anzu, à l’école, lorsque j’étais petit, j’ai toujours été seul. Les autres enfants s’amusaient au parc après nos leçons, moi, je rentrais chez mes parents, tout seul. Quand ils jouaient dans la cour de récréation, j’étais dans mon coin et j’lisais des manga. Pourquoi ? Parce que je voulais pas que quelqu’un soit triste par ma faute. Tu ne crois pas qu’en restant seul on a accès à la liberté ?
Elle garde le silence. Je décide de continuer mes explications, espérant que ça l’intéresse, ne serait-ce qu’un petit peu.
— Je voulais pas ressentir de colère, de mélancolie, ou tout un tas d’émotions inutiles en ayant des amis. Lorsque j’avais sept ans, Chizu est tombée… malade et mes parents n’ont pu l’accepter. Ils nous ont demandé de quitter la maison en nous laissant vivre avec notre tante. Mais cette dame était toujours en voyage à l’étranger. Alors j’étais seul. J’ai dû prendre soin de Chizu, elle passait avant tout.
Putain de destin de merde.
— Je ne pouvais pas rejoindre de club, ou même sortir avec mes camarades de classe, car Chizu était seule à la maison. À cause de sa… maladie, ça fait maintenant neuf ans qu’elle parle à personne mise à part moi. Elle va plus à l’école, non plus. C’est aussi pour cette raison-là que j’ai toujours été quelqu’un de solitaire. Tu sais Anzu, deux mois auparavant, j’étais encore coincé dans ma bulle, jusqu’à la rentrée des classes. Depuis ce jour-là, je passe la plupart de mon temps avec toi, c’est notre rencontre qui m’a tant bousculé.
Elle me regarde de ses yeux émeraudes, l’air triste.
— Rencontre… bégaie-t-elle sinistrement, merci de m’avoir confié ton passé Kinari. Je… je dois admettre que j’en connaissais déjà une partie. Ce garçon solitaire m’a énormément intrigué. On souhaite tous se fondre dans la masse pour rester semblables à nos camarades de classe par peur qu’on se moque de toi, c’est sans doute pour cette raison que ça me rend si nostalgique.
Qu’est-ce qu’elle me raconte ? Je dois être fatigué…
— Kinari, tu… tu vas faire quoi par rapport à la déclaration de Masuko ?
— J’en sais rien… ça m’a tellement surpris, j’étais pas prêt du tout !
— Je vois, soupire-t-elle.
Le froid commence à congeler mes muscles.
— On rentre ?
— Oui.
— Je vais jeter un coup d’œil dans la chambre de Masuko, elle m’inquiète un petit peu.
Elle hoche de la tête, l’air
— Je t’attends dans le canapé, à tout à l’heure.
Je monte les escaliers et surprends malencontreusement une conversation entre Aneko et ma petite sœur.
Tiens, tiens, tiens, de quoi parlent-elles ?
Je m’approche de la porte, et tends l’oreille.
— Tu te souviens de ce que j’ai hurlé tout à l’heure, Chizu ?
— Oui, que t’avais eu un coup de foudre pour un garçon, c’est ça ?
— C’est ça. Ce garçon-là, c’est ton frère, Chizu… j’ai eu un coup de foudre pour Kinari pendant notre voyage scolaire. Mais ça m’énerve, je ne fais que de bégayer face à lui !
Qu’est-ce que c’est, un coup de foudre ?
En plus d’être un otaku, t’es débile, soupire Kinari blasé.
— Aneko, c’est si touchant !
— Il a tellement la classe… Et moi je n’arrive à rien, j’en ai marre !
Aneko… C’est toi qui as tellement la classe, t’es l’idole du lycée !
— T’inquiète pas, je crois en toi !
— Tu… tu sais s’il a une copine ?
— Grand frère ? Bien sûr que non, ricane-t-elle en se roulant par terre.
Elle n’est pas obligée d’en faire des tonnes celle-là…
— J’ai… J’ai le droit de tomber amoureuse de lui, alors ?
Bordel.
— Aneko, t’es tellement adorable ! Évidemment que tu peux !
Bordel.
Je n’ai jamais entendu cette conversation. Je n’ai… Putain, je suis censé faire quoi !
Je nage dans l’océan de l’amour, me confie Kinari amoureux.
Je peux le tuer m’explique Kinari énervé en sortant deux khukuris.
C’est pas le moment vous, fermez-la.
Bon, j’vais faire mine de rien, et tracer ma route.
Je progresse à pas de loup pour ne pas me faire remarquer par les filles. Après avoir fait trois pas, un couinement me stoppe. J’analyse le sol.
Putain c’est quoi cette coïncidence de merde ! Je viens de marcher sur une peluche !? Je suis bien plus maudit que Ganta Igarashi !
Elles se retournent vers moi.
Là, j’suis mort.
J’observe les pommettes pourpres d’Aneko qu’elle tente de cacher avec sa couette.
— Je suis invisible, marmonne inlassablement l’héroïne des eroge en posant sa couverture sur son corps.
Chizu s’approche de moi, puis chantonne d’un air moqueur.
— Grand frère le tombeur, grand frère le tombeur.
Elle referme la porte.
Pfiou, j’pensais que je me serais fait exécuter sur place.
Masuko m’inquiète plus que tout, j’ai une sorte de pressentiment assez douteux. Je rentre dans sa chambre et la découvre dans un coin de la pièce, les larmes aux yeux. Je m’approche d’elle silencieusement puis la serre dans mes bras.
Je crois que c’est ce que je dois faire.
— Je suis là, Masuko, je suis là, ça va aller.
Elle pose son visage contre mon épaule puis me souffle.
— Je ne sais plus quoi faire !
T’as l’impression que moi j’ai une idée de quoi faire ?
— Pourquoi ?
— Je suis tellement jalouse d’Anzu !
D’Anzu ?
Mélancoliquement, elle enchaîne.
— Je veux être à sa place, je veux visiter le parc d’attractions avec toi, je veux voir un aquarium, je veux qu’on s’offre des cadeaux. Je veux que tu sèches mes larmes, je veux que tu me tiennes la main, je veux que tu veilles sur moi. Je veux être beaucoup plus proche de toi, Kinari ! Je me suis déclaré à toi alors que tu ne m’aimes pas, je ne suis qu’une idiote !
Elle ressemble à Zenitsu Agatsuma version shōjo…
— Tu sais Masuko, on naît tous différents, avec nos qualités, nos défauts, nos forces et nos faiblesses. T’as rien à envier d’Anzu. T’es très bien telle que tu es, restes toi-même. Moi, je t’adore comme tu es !
Qu’est-ce que je viens de dire ?
Elle garde le silence et laisse son sourire se dessiner au fur et à mesure de mes mots.
— Alors, raconte pas de bêtise ! Nous formons un duo tous les deux. Oublie pas que t’as des qualités uniques qu’Anzu n’a pas. Et t’as tes propres défauts qu’Anzu possède pas. Et surtout t’as un rêve magnifique !
Je sais même pas ce que dis, j’me suis juste inspiré d’une scène que j’avais lue dans mes manga.
T’es le pire otaku qui soit, Kinari.
— Un… Un duo ?
— Oui ! Merci, Kinari… Tu as raison, je me laisserais plus faire ! Tu verras, je redoublerai d’efforts pour être plus proche de toi, et je me plierai en quatre pour réaliser mon rêve !
Son épaule se colle à la mienne, elle détourne le visage, et embrasse ma joue.
— Je lui aurais au moins volé une première fois.
Bordel, je contrôle plus rien.
Bouleversé, mes joues s’empourprent.
Mon cœur… mon cœur bat si vite. Je suis à deux doigts de faire une crise cardiaque, là. Inspire, expire, inspire… oh! Cette odeur, c’est son parfum ? Il sent si bon… cet arôme envoûtant de pamplemousse, d’orange et d’ananas, c’est si subtil et si doux. Putain j’aime tellement ça !
Cette scène me dépasse, on est à des années-lumière du premier chapitre, soupire Kinari blasé.
Je balance rapidement ma tête de gauche à droite pour retrouver mes esprits.
— Je… euh… je dois rejoindre Anzu, elle m’attend dans le canapé.
Elle attrape mon bras, et déclare.
— Je t’accompagne, darling !
Darling ? Darling… les shōjos me manquent tant, que j’entends des voix ?
Ganta Igarashi : Personnage doté d’une malchance extrême. ( Deadman Wonderland )
Zenitsu Agatsuma : Personnage peureux, sans confiance en lui mais qui peut démontrer l’inverse. ( Kimetsu No Yaiba. )